Thème : Enseignement supérieur et recherche
L’ESR français doit être repensé à l’aune des grands défis du XXIe siècle. Recherche scientifique et enseignement supérieur sont au cœur des réponses à la crise climatique, aux transitions écologiques et numériques, aux tensions démocratiques, aux menaces sanitaires et aux enjeux de souveraineté technologique. Aucune société ne peut y faire face sans s’appuyer sur le progrès des connaissances et la formation d’esprits éclairés. En révélant la vérité et en cultivant l’esprit critique, la science est aussi une valeur démocratique essentielle, qui protège contre les idéologies, les manipulations, et permet l’émancipation.
Le modèle actuel de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) en France traverse une crise profonde, fruit de choix politiques prolongés : une crise de moyens, une crise structurelle, une crise de sens. Face à cette situation, une approche de rupture s’impose pour refonder le système sur de nouvelles bases. Face à cette situation, une approche de rupture s’impose pour refonder le système sur de nouvelles bases. La refondation de l’ESR doit s’articuler autour d’un financement pérenne adossé à une gouvernance démocratique.
(Ces textes sont issus des travaux de la commission nationale ESR. Ils ne prétendent pas couvrir l’ensemble des problématiques du domaine mais jettent les premières bases d’une réflexion qui doit pouvoir être approfondie.)
I - Un financement pérenne
► Un sous-financement chronique
L’ESR souffre d’un sous-financement structurel qui l’empêche de remplir ses missions. En 2024, il a subi près d’un milliard d’euros de coupes, et le budget prévu pour 2025 sera l’un des plus faibles depuis vingt ans. Ces choix austéritaires ont plongé de nombreuses universités dans une situation financière critique.
Ce ne sont pas seulement des moyens de fonctionnement qui manquent, mais surtout des moyens humains. Le déficit de titulaires engendre surcharge de travail et recours massif aux contractuels et vacataires. On ne peut plus demander aux universités de faire toujours plus avec toujours moins : cette logique dégrade la qualité de l’enseignement et de la recherche, et décourage les vocations.
► Opposition à une hausse des droits d’inscription
Il est essentiel de rappeler que la hausse des frais d’inscriptions universitaires n’est pas une solution. Miser sur cette augmentation pour combler les carences budgétaires est une politique irresponsable qui fragilise notre jeunesse et accentue les fractures sociales. Au contraire, c’est par l’investissement public, la solidarité nationale et des mesures sociales fortes que l’on garantira un accès équitable à l’enseignement supérieur.
► Résorption de la précarité dans l’ESR
La précarisation des personnels est l’un des symptômes les plus visibles du sous- financement chronique de l’ESR. Faute de postes stables, les universités s’appuient massivement sur des vacataires et contractuels. En 2021-2022, ils représentaient 167 000 personnes (+30 % en 7 ans), contre 55 000 enseignants-chercheurs titulaires, 13 000 enseignants et 20 000 contractuels. Ce sont eux qui assurent l’essentiel des heures d’enseignement.
Si le recours ponctuel à des professionnels extérieurs peut enrichir certaines formations, leur mobilisation pour des enseignements réguliers, y compris en licence, révèle une précarisation inacceptable du cœur du service public.
Les effets sont clairs : retards de paiement de plusieurs mois, rémunérations inférieures au SMIC rapportées au temps effectif, surcharge administrative et désorganisation pédagogique. Cette situation pèse sur la qualité des formations comme sur la vie des personnels.
À cela s’ajoutent un accès tardif à la titularisation (35 ans en moyenne pour devenir MCF ou CR) et une perte de 30 % du pouvoir d’achat des titulaires en trente ans. Cette précarité structurelle alimente la démotivation, la fuite des talents et la perte d’attractivité des carrières scientifiques.
Pas plus à l’université qu’ailleurs, la fonction publique ne peut être le premier employeur de précaires. Une politique volontariste d’emploi scientifique est indispensable : revaloriser les carrières, augmenter les recrutements, renforcer les moyens humains dans les fonctions d’appui. C’est une condition pour permettre à une nouvelle génération de chercheurs et d’enseignants de se projeter avec confiance.
► Mise en place d’un plan pluriannuel pour l’ESR
Mettre fin à la gestion de la pénurie nécessite un réinvestissement massif et durable dans le service public. Il faut augmenter significativement les moyens alloués aux universités et aux organismes de recherche, en s’appuyant sur un plan pluriannuel de recrutements. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche doit redevenir un acteur stratégique, pilotant sur dix ans la création d’au moins 20 000 postes : enseignants, chercheurs, ingénieurs, techniciens, personnels administratifs et de bibliothèque.
L’objectif de porter l’effort de recherche publique à 1 % du PIB (contre environ 0,75 % aujourd’hui) doit être atteint. Cela représente environ 7 milliards d’euros annuels supplémentaires, mobilisables par une refonte du Crédit d’impôt recherche (CIR) et une politique économique durable assurant un financement stable des services publics. Ce levier permettrait de recruter davantage de fonctionnaires et de renforcer les dotations récurrentes des universités et laboratoires.
► Accompagnement de la recherche de financements de la recherche
Le financement de la recherche s’est progressivement orienté vers une logique de compétition permanente et de court terme. La montée en puissance des appels à projets successifs a rendu le système plus complexe, chronophage, et épuisant pour les équipes. Il est urgent de lutter contre l’illisibilité d’un modèle qui accapare les énergies sans offrir de vision d’ensemble.
Ce mode de financement précaire favorise la mise en concurrence des équipes et la concentration des moyens sur quelques axes dits prioritaires, au détriment d’une recherche libre et équilibrée. Les réformes récentes ont imposé une politique d’« excellence » – jamais vraiment définie – qui concentre les ressources sur une minorité de pôles géographiques ou disciplinaires. Il en résulte un creusement des inégalités entre laboratoires bien dotés et ceux laissés pour compte, entre disciplines technologiquement valorisées et sciences dites « non rentables ».
Cette fragmentation budgétaire, aggravée par la course aux financements, nuit à la cohérence de la recherche et compromet, à terme, sa liberté et sa capacité à explorer de nouveaux champs de connaissance.
Par ailleurs, la dépendance croissante aux financements privés (mécénat, contrats industriels…) soulève de vraies questions de gouvernance. L’État privilégie de plus en plus les incitations fiscales, comme le Crédit d’impôt recherche (CIR), qui atteint 7,6 milliards d’euros en 2024. Or, rien ne garantit que ces incitations bénéficient aux entreprises les plus nécessiteuses, aux domaines les plus stratégiques ni qu’elles maintiennent l’indépendance de la recherche publique vis-à-vis d’intérêts privés. Une réflexion s’impose sur l’efficacité réelle du CIR et sur la juste répartition de l’effort entre recherche privée et recherche publique.
L’Europe doit être un accélérateur de la recherche française, en complément – et non en substitution – des financements nationaux. Des dispositifs comme Horizon Europe (95 milliards d’euros sur 2021-2027) ou les fonds FEDER sont essentiels pour soutenir les projets collaboratifs, favoriser l’excellence scientifique et relever les grands défis globaux. Ces financements doivent être renforcés, sécurisés et pleinement valorisés. Toute baisse ou restriction d’accès serait un affaiblissement stratégique.
Dans un contexte de compétition technologique et de tensions géopolitiques, l’indépendance scientifique de l’Europe repose sur un soutien affirmé à la recherche publique. La France doit peser pour que l’UE reste un moteur d’investissement en matière de science, d’innovation et de savoirs. Cela suppose aussi de mieux accompagner les équipes françaises dans le montage de projets européens, en renforçant les moyens humains et l’ingénierie de projet. Ces financements ne doivent pas rester l’apanage des établissements les mieux dotés.
Enfin, défendre des fonds européens solides, transparents et orientés vers l’intérêt général est aussi un enjeu de souveraineté, à l’heure où la science est de plus en plus instrumentalisée par des logiques commerciales ou géopolitiques.
► Renforcer l’attractivité du doctorat
Il faut revaloriser et contractualiser les doctorants (notamment en sciences humaines et sociales, où plus de la moitié d’entre eux ne bénéficient pas de financements). Les études montrent une désaffection croissante des étudiants pour le doctorat. La raison principale tient à la difficulté rencontrée par les étudiants pour financer leurs travaux de recherche et aussi à une certaine difficulté à se projeter dans une carrière.
L’embauche de docteurs reste encore marginale dans le secteur privé, et limitée dans le service public hors carrières scientifiques, alors même que leurs compétences sont reconnues. Cette situation appelle un changement culturel, pour mieux valoriser le doctorat au-delà du monde académique. Cela implique des actions coordonnées sur la formation, les cadres structurels et la perception des docteurs par l’ensemble des acteurs économiques, sociaux et institutionnels.
Il faut diversifier les financements (CIFRE, COFAR…) et assurer un accompagnement renforcé vers l’emploi. Une véritable politique de valorisation du doctorat est nécessaire, pour rendre visibles les parcours, les réussites et les débouchés qu’il permet.
II - Une gouvernance démocratique et en lien avec les territoires
Le système universitaire a profondément évolué depuis près de 20 ans par un train permanent de réformes. La loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) de 2007 a conduit les universités à développer leur autonomie et à adopter, pour ce faire, de nouvelles approches. Mais cette autonomie reste souvent illusoire, tant l’État conserve une posture injonctive et intrusive. Les marges de manœuvre des établissements sont limitées, notamment dans la gestion des ressources humaines, du patrimoine, de l’organisation interne et de la recherche.
► Sanctuariser les libertés académiques
L’idée d’inscrire la liberté académique (liberté de chercher et d’enseigner) parmi les libertés protégées par le bloc de constitutionnalité fait son chemin. Une telle protection constitutionnelle renforcerait l’indépendance de nos universités vis-à-vis des pressions politiques contingentes.
► Renforcer le rôle des instances représentatives
La gouvernance du système ESR doit reposer sur plus de démocratie, de transparence et de vision à long terme. Les dernières réformes ont instauré un pilotage stratégique autoritaire de l’Etat, affaiblissant les instances élues au profit d’une gestion managériale par objectifs à court terme. L’organisation interne des établissements, historiquement fondée sur une logique démocratique, constitue une force. Il ne s’agit pas de les isoler du reste de la société, mais bien de renforcer la démocratie universitaire, en redonnant du pouvoir aux représentants des enseignants, chercheurs, personnels et étudiants. Les grandes orientations en matière de pédagogie, de recherche ou de vie étudiante doivent faire l’objet de débats structurés au sein des communautés académiques, et non être imposées de manière descendante.
Par ailleurs, la formation des équipes de direction (présidents, vice-présidents, directeurs d’UFR ou de laboratoires) est aujourd’hui indispensable, tant les responsabilités et la technicité de leurs missions se sont accrues. Cet accompagnement renforcé est une condition de la qualité et de la cohérence des décisions au sein des établissements.
► Revoir l’organisation nationale de l’ESR
Le pilotage de la politique nationale, aujourd’hui dispersé et complexe (rôle politique du Ministère, place de France universités, de l’ANR, du SGPI) doit être rénové. Il faut recentrer le pouvoir sur le ministère et redéfinir la notion de pilotage « stratégique ».
► Renforcer le rôle de l’enseignement supérieur et recherche sur l’ensemble du territoire et en lien avec les collectivités
L’État doit assumer pleinement son rôle de stratège dans la répartition des formations et des centres de recherche, pour corriger les déséquilibres territoriaux et éviter la formation de « déserts académiques ». Une présence équitable de l’enseignement supérieur sur tout le territoire est un levier essentiel de démocratisation, notamment pour les jeunesses rurales et des quartiers populaires.
Cette offre doit reposer sur un maillage équilibré de formations de proximité, en particulier jusqu’à bac+3 (BTS, BUT, licences générales ou pro), tout en garantissant l’accès aux masters et aux filières longues. Cet ancrage territorial ne doit pas se traduire par une assignation résidentielle : il faut préserver la mobilité étudiante et la liberté des trajectoires, y compris pour les enseignants-chercheurs. Une attention doit aussi être portée aux zones périurbaines, et rurales où l’autocensure reste forte.
Dans cette perspective, les collectivités territoriales – régions, intercommunalités, villes – doivent être pleinement associées à la gouvernance de l’ESR. Dotées de compétences clés (aménagement, mobilité, logement, orientation, innovation), elles doivent jouer un rôle structurant dans le dialogue stratégique avec les établissements, à travers des outils de contractualisation rénovés, au-delà des seuls CPER. Cette participation ne remet pas en cause l’autonomie académique, mais renforce l’ancrage territorial du service public de l’ESR.
Penser l’ESR comme service public du savoir sur les territoires, c’est l’ouvrir à toutes et tous : formation initiale, continue, reprise d’études, reconversions, culture scientifique. Cela suppose une meilleure intégration dans les politiques éducatives,urbaines et rurales, un lien renforcé avec les lycées, les services d’orientation, et une action coordonnée pour garantir l’attractivité des campus (logement, transport, santé, culture) ainsi que l’accès à une information claire sur les formations et les parcours.
L’État doit fixer le cap, mais il ne peut piloter seul : une gouvernance partagée, concertée est indispensable pour faire de l’ESR un levier d’égalité, d’émancipation et de développement pour tous les territoires de la République
Conclusion
Nous, socialistes, pouvons impulser une nouvelle ambition pour l’enseignement supérieur et pour la recherche. Redonnons du sens et des moyens au service public de l’enseignement supérieur et de la recherche. En mobilisant la communauté universitaire, les pouvoirs publics et l’ensemble des citoyens autour de cet idéal, la France peut construire un ESR d’exception, véritable moteur de son développement économique, social et culturel pour les décennies à venir.
Contributeurs :
Alexane Riou – Secrétaire nationale adjointe à l’ESR (75), Gulsen Yildirim – Secrétaire Nationale à l’ESR, 1ère Fédérale et Conseillère départementale de la Haute-Vienne (87)
Laurent Beauvais (61), Michel Bessière (24), Louis Bichebois-Delhief (89), Pauline Collet (31), Gwenaël Cuny (75) Thomas Fagart (92), Gabriel Galvez-Behar (59), Feriel Goulamhoussen (93), Jéremy Henriot (59), Arnaud Hillion (82), Mirina Mammeri (75), Sébastien Maron (75), Bruno Peran (31), Marine Ribals (76), Maxime Rodrigues (87), Pierre Rouillard (92), Camille Salinesi (93), Emmanuel Thomé (54) et les membres de la commission nationale enseignement supérieur et recherche du Parti Socialiste.
Thème : Connaissances scientifiques émancipatrices pour changer la Vie
Anna Pic