Refonder la représentation politique des Français de l'étranger


Représentation des Français de l'étranger


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La représentation politique des Français établis hors de France est assez peu connue du grand public en France, mais un sujet pour nos instances politiques nationales puisqu’il y va d’une forme assez aboutie de démocratie locale dans un contexte international et surtout de 23 sièges de parlementaires (12 Sénateurs et 11 Députés).

1 427 918 Français de l’étranger étaient enregistrés sur les listes électorales consulaires aux élections présidentielles de 2022. Ils ont opté pour le vote hors de France suite à la loi REU de 2016 (Loi 2016-1048 du 1er août 2016) pour tous les scrutins nationaux (présidentielles, législatives, européennes, vote référendaire) et les élections consulaires locales. Ces compatriotes de l’étranger ne votent plus en France à aucune élection. D’autres Français de l’étranger, beaucoup moins nombreux, ont fait le choix inverse, souvent car ils ont souhaité conserver une attache personnelle et citoyenne avec leur région.

 

1. L’élection de parlementaires hors de France…

La plus ancienne et la plus emblématique de cette représentation parlementaire est l’élection sénatoriale concernant les Français établis hors de France, qui se déroule sur le même calendrier que l’élection sénatoriale en métropole et les outremers pour le renouvellement de six mandats de Sénateurs tous les trois ans. Le collège électoral est formé des 443 Conseillers des Français de l’étranger, des 68 délégués consulaires1, des 12 Sénateurs représentant les Français établis hors de France et des 11 Députés représentant les Français de l’étranger, soit 534 grands électeurs. Selon la participation, 55 à 60 voix peuvent suffire pour obtenir un siège, ce qui pose une question de légitimité car c’est une base électorale très restreinte, avec de plus une participation moyenne aux élections consulaires assez modeste.

Le vote à l’urne est centralisé à Paris un dimanche de septembre (bureau de vote présidé par un magistrat). Le vote par procuration et le vote anticipé, sous double pli, auprès du poste diplomatique ou consulaire (acheminement par courrier sécurisé) sont possibles et largement pratiqués. L’élection se tient au scrutin de liste proportionnel dans une unique circonscription d’élection : le monde.

Les Sénateurs sont généralement d’anciens Conseillers des Français de l’étranger ou des personnalités nationales qui ont eu une implication reconnue auprès des Français de l’étranger. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, les Français de l’étranger élisent également, au suffrage universel direct, 11 Députés dans 11 circonscriptions territoriales (pour un seul pays, comme la Suisse, avec forte présence française, ou un groupe de pays) ce qui complète le dispositif de représentation. La première élection législative hors de France a eu lieu en 2012. En 2022 s’est donc tenue la troisième législative qui a confirmé l’ancrage de ce scrutin par une participation en légère hausse, cependant bien plus faible que celle de l’élection présidentielle (à laquelle 38,62% des inscrits consulaires ont participé). Aux législatives, le taux de participation global au premier tour était de 22,51%, pour le second tour de 24,77%2. Ces taux révèlent un déficit démocratique pour les Français de l’étranger.

Nous proposons :

= d’élargir le collège sénatorial pour nous rapprocher de la moyenne des grands départements français (Paris, Bouches-du-Rhône)

= d’instituer la proportionnelle pour les élections législatives hors de France et renforcer les moyens de propagande électorale et les modalités de vote

 

2. Les Conseillers des Français de l’étranger…

La Loi du 22 juillet 20133 a créé les conseils consulaires dans lesquels siègent les Conseillers consulaires appelés aujourd’hui Conseillers des Français de l’étranger4. Le Décret du 18 février 2014 précise leurs rôle et compétences pour ce mandat politique bénévole (indemnités dans budget AFE). Ce dispositif reprend le système préexistant des commissions et comités consulaires.

Selon l’exposé des motifs, il s’agissait de « favoriser le développement de la démocratie de proximité ». Le nombre d’élus a été augmenté, passant de 155 à 443, dans 130 circonscriptions consulaires où la présence française est inégale. C’est une réelle avancée en termes de proximité, même si cette notion est fortement à relativiser à l’échelle de circonscriptions territoriales immenses (une région ou un pays parfois, comme pour la circonscription Australie, Fidji et Papouasie-Nouvelle-Guinée,… ou un groupe de pays).

L’élection de Conseillers des Français de l’étranger (ainsi que les 68 délégués consulaires) se tient tous les six ans au scrutin de liste proportionnel si plus de 3 sièges sont à pourvoir et au suffrage universel direct. Les électeurs inscrits sont appelés à voter à l’urne, par procuration ou par voie électronique. À la dernière élection consulaire (mai 2021) 85% des votants ont choisi le vote électronique, aussi pour des raisons évidentes d’éloignement des centres de vote situés dans les postes diplomatiques et consulaires, agences consulaires ou certains bureaux, parcimonieusement décentralisés. Le taux moyen de participation était de 15%. Faible expression !

Les compétences des conseillers sont uniquement consultatives, sauf pour l’élection sénatoriale. Ce mandat est considéré pour cette dernière raison comme politique par beaucoup d’élus, mais, surtout à droite, on préfère, revendiquer l’apolitisme… Sur le terrain, au quotidien, il est souvent exercé dans un esprit de consensus dans le dialogue avec le poste diplomatique ou même entre élus de tendances différentes. Nos élus de gauche ont pu acquérir une grande expertise sur les principaux sujets concernant les Français établis dans leur circonscription.

Les Conseillers se retrouvent lors de quatre à cinq réunions annuelles du Conseil consulaire, assistés du chef de poste diplomatique ou consulaire, pour traiter des affaires générales, des bourses scolaires, des affaires sociales, de sécurité ou d’autres thèmes faisant partie de leur champ de compétences défini par le Décret du 18 février 20145. Un droit à la formation (art.24 Décret 2014) est prévu.

Depuis 2021, la présidence du Conseil consulaire est dévolue à un élu. Les prérogatives du président consistent à « convoquer les réunions du conseil consulaire et en fixer l’ordre du jour ». Ce point, non prévu en 2013, reste à être évalué sur le moyen terme suite au dernier renouvellement des conseillers car il a pour conséquence de priver le chef de poste diplomatique de son droit de vote.

Nous proposons :

= de revoir la carte électorale des circonscriptions consulaires et améliorer les modalités de vote

= de renforcer le statut et le rôle des Conseillers des Français de l’étranger, de permettre à tous les CdFe de parrainer un candidat à la présidentielle.

 

3. L’Assemblée des Français de l’Étranger…

L’AFE réunit en deux sessions plénières annuelles ses 90 membres et élit désormais parmi eux son président ou sa présidente. Auparavant, le ministre des Affaires étrangères était le président de l’AFE. Il était temps de mettre fin à cette curiosité !

Les 90 membres de l’AFE sont élus par et parmi les 443 Conseillers des Français de l’étranger au suffrage universel indirect dans 15 circonscriptions régionales. Le vote par procuration et le vote anticipé, sous double pli, auprès du poste diplomatique ou consulaire (acheminement par courrier sécurisé au centre de vote) sont aussi possibles. Si cette organisation par circonscription régionale fonctionnait assez bien dans un paysage politique bipolaire (les listes s’organisant dans chaque circonscription peu ou prou en une liste « de gauche » et une liste « de droite ») elle s’avère aujourd’hui beaucoup plus compliquée à mettre en œuvre dans une configuration politique plus morcelée (divisions à droite et à gauche, apparition de nouveaux partis qui proposent leurs propres listes comme LREM, ASFE6, et émergence de nombreuses candidatures « indépendantes » qui sont le plus souvent de centre-droit). Dans certaines circonscriptions AFE, il n’y a même plus assez de Conseillers des Français de l’étranger pour constituer une liste avec alternance homme/femme - notamment si la parité des listes consulaires ne trouve pas d’expression en nombre de conseillers élus - ce qui amène la multiplication de « parachutages » d'élus d’un pays hors circonscription venant compléter une liste, y compris en position éligible.

L’Assemblée des Français de l’Étranger élit son Bureau (Président(e), vice-président(e)s et 6 membres) et son Bureau élargi. Elle détermine son ordre du jour. Le travail se fait en six commissions thématiques. L’avantage est l’échange en transversalité sur les grands thèmes du mandat des élus, et en partie sur les questions internationales. Des auditions d’experts donnent lieu à la rédaction de rapports, d’avis et de questions au gouvernement en séances plénières, et bien sûr à des votes. Mais l’AFE ne vote pas son budget annuel (2,3 M€, PLF2023), ce qui est regrettable alors que c’est ce que la gauche comptait instituer en 2012 dans le cadre de la création d’une région extraterritoriale

Nous proposons :

= de permettre à l’AFE de discuter, de voter son budget prévisionnel et de disposer de ses crédits

= de revoir le mode d’élection des Conseillers AFE

= de donner à l’AFE une capacité d’intervention régionale (projets, crédits)

 

4. La gauche hors de France aujourd’hui…

Affaibli depuis plusieurs années suite aux difficultés du quinquennat de F.Hollande, le PS à l’étranger a perdu un siège de Sénateur sur les deux qu’il détenait avant 2021 (ou 2014). La gauche a perdu tous ses députés en 2017 et n’a réussi qu’à en faire élire un seul dans la 9e circonscription (Afrique de l’Ouest et du nord, proche de Génération.s) en 2022. Ses scores se sont étiolés dans des circonscriptions plutôt favorables, y compris comparés aux scrutins consulaires de 2021.

Que reste-t-il de nos réseaux ?

EELV a conquis des positions nouvelles dans la dynamique des élections européennes de 2019 et a fortement structuré son secteur hors de France. En juin 2022, l’union autour de la NUPES n’a permis l’élection que d’un seul député parmi les candidat(e)s qui se réclamaient de cette alliance car la stratégie centrée sur LFI ne correspondait aucunement à l’électorat hors de France (peut-être à l’exception de la 2ecirconscription, Amérique latine) et que cette stratégie ignorait le terrain. Face aux sortants LREM ces tentatives sur la base des « accords » nationaux ont presque confiné à de la figuration permettant aux dits sortants de réaliser de gros scores (plus de 60%)7.

L’association Français du monde-adfe, d’utilité publique, qui rassemble les forces de gauche (principalement PS, EELV, PRG, divers) à l’étranger et jouit d’une expertise très sérieuse, reste incontournable à bien des échelons mais elle est, elle-même, traversée par les suites de la perte d’influence du PS et par l’appétit d’autres mouvements, LFI en tête, qui n’ont pas réussi à construire leur propre association de Français de l’étranger malgré une tentative avec la CISE8. La situation de Français du monde-adfe présente une certaine précarité, car son existence même dépend de la subvention ministérielle annuelle qu’elle reçoit du MEAE (50% de son budget) mais Français du monde–adfe assure notre présence dans plus de 100 pays du monde. Sa position devient cependant très difficile à maintenir, d’une part en raison de la concurrence accrue avec l’émergence de nouvelles entités (ASFE, micro-parti très actif et financé par un Sénateur de surcroît millionnaire, ou bien encore la nouvelle initiative du parti présidentiel FDE Ensemble9) et d’autre part en raison des tensions internes qui la traversent avec l’arrivée à l’été 2022 de dirigeants exécutifs de partis - EELV et PRG - au Conseil d’Administration de l’association, qui avait jusqu’alors veillé à ne pas autoriser le cumul entre fonctions exécutives dans un parti et dans l’association.

Le PS a cédé du terrain et des adhérents au sein de sa Fédération des Français de l’étranger. Il conserve à peine 14 Conseillers des Français de l’étranger sur 443, 5 ou 6 membres PS au sein du groupe Écologie et Solidarité de l’AFE (sur 31), 3 Sénateurs. L’étiage n’a jamais été aussi bas… Quel projet socialiste, social-démocrate pourrons-nous porter aux prochaines échéances pour reconquérir les positions perdues ?

 

1Les délégués consulaires sont les suivants de liste des conseillers consulaires élus, désignés dans des circonscriptions où les Français sont les plus nombreux, au prorata des résultats, et dans le but unique de renforcer le collège électoral sénatorial. À l’élection partielle de Montréal du 22.10.2022, on doit déplorer la perte de plusieurs délégués, grands-électeurs, proches du PS, par rapport aux élections de 2021, ce qui pourra avoir des conséquences...
2 https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/services-aux-francais/voter-a-l-etranger/resultats-des-elections/article/elections-legislatives-resultats-du-2eme tour-pour-les-francais-de-l-etranger
3 https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000027734839/
4 https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/services-aux-francais/voter-a-l-etranger/les-differentes-elections/
5 https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000028621562/
6 ASFE : https://alliancesolidaire.org/
7 https://www.francais-du-monde.org/2022/06/21/elections-legislatives-resultats-du-2eme-tour-pour-les-francais-de-letranger/ 
8 CISE : https://cise-francaisdeletranger.net/qui-sommes-nous/
9 FDE-Ensemble : https://www.fde-ensemble.org/

Contribution déposée par Refondations

Premiers signataires :

  • Philippe Loiseau (FFE -Conseiller des Français de l’Étranger- Berlin,  Conseiller AFE)
  • Laure Pallez (FFE- CFde – Miami, membre du CA de Français du monde-adfe)
  • Mehdi Benlahcen (FFE- Portugal, membre du CA de Français du monde-adfe)
  • Claudine  Lepage (Fédération de Paris, ancienne sénatrice des Français établis hors de France, membre  du CA de Français du monde-adfe), Florian Bohême (FFE – Cfde – Cambodge, Conseiller à  l’AFE, président de la commission des affaires sociales de l’AFE, membre du CA de Français du  monde-adfe)
  • Gaëlle Barré (FFE-CFde Rome)
  • Raphaël Mazoyer (FFE- Londres)
  • Francisca  Castro (FFE- sec sec Portugal)
  • Eric Mass (FFE- sec sec Barcelone)
  • Monique Dejeans (FFE- sec  sec Luxembourg)
  • Albert Misse (FFE – Pekin)
  • Florence Baillon (Fédération de Paris)
  • Antoine  Lissorgues (FFE – Mexique)
  • Melissa Nachtigal (FFE – Rome)
  • Edmond Aparicio (FFE- Sao  Paulo)
  • Vanessa Gondouin (FFE. Pays Bas)
  • Jean Leviol (FFE- Isolé)
  • Christiane Pecek (FFE Berlin)
  • Boris Faure (FFE- Bruxelles)
  • Bernadette Mallauran (FFE- Berlin)
  • William Omari (FFE Portugal)
  • Gabrielle Siry (Fédération de Paris – Maire adjointe du 18eme arrondissement de Paris)
  • Patrick Kanner (Fédération du nord – Président du groupe socialiste au Sénat)
  • Halima  Delimi (Fédération Haute-Savoie)
  • Arthur Moinet (Fédération Loire-Atlantique – Délégué  national à l’Europe – BN jeunes socialistes)

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