Thème : Le congrès à l'épreuve du langage
FAIRE CONGRES, OU L’EPREUVE DU LANGAGE
Un congrès n’est jamais une simple réunion. C’est un moment où une langue se met à l’épreuve d’elle-même, où elle se redéfinit en affrontant les turbulences du temps. Mitterrand, dont l’art du verbe façonnait les rituels du socialisme, disait que le congrès était pour les socialistes ce que Pâques est pour les chrétiens : un moment de fondation et de refondation. Une résurrection possible, mais jamais assurée.
- Faire congrès, c’est donc, d’abord, faire vivre une langue. Or, qu’est-ce qu’une langue vivante, sinon une langue parlée ? Non pas récitée, non pas figée dans les pesanteurs d’un lexique incantatoire, mais une langue qui se pratique, qui se déploie dans l’espace public. Une langue qui dit le travail, la solidarité, l’union ; qui parle des travailleurs et de l’immigration comme chance ; qui ne cède rien à l’imaginaire rétréci de la droite et de l’extrême droite. Faire vivre une langue, c’est refuser la contamination du vocabulaire de l’adversaire, c’est arracher le sens aux forces qui cherchent à le confisquer.
- Mais une langue n’existe que si elle est entendue. Il ne suffit pas de parler, encore faut-il être compris. Et c’est bien là l’épreuve du socialisme contemporain : il s’est fait langue morte. Non pas morte d’avoir été trop dite, mais morte d’être devenue inaudible. Il fut un temps où l’on parlait socialiste dans les bassins miniers, sur les docks, dans les quartiers populaires, dans la fonction publique. Ce temps n’est pas seulement révolu, il s’est fragmenté. Dès lors, faire vivre la langue socialiste, c’est l’alphabétiser à nouveau. C’est lui redonner ses locuteurs perdus.
- Or, alphabétiser suppose une politique. Une stratégie pour retrouver celles et ceux qui se sont éloignés – non pas par trahison, mais par lassitude, par désillusion, par défiance. L’héritage des années Hollande a creusé cette distance, et il faut désormais la combler. Non par de simples discours, mais par un langage qui retrouve la force de l’action. Comme cela a été le cas au moment de l’élaboration de la NUPES ou du NFP.
- Car la langue du socialisme est une langue de rupture. Mais encore faut-il savoir avec quoi rompre. Il ne peut être question d’ambiguïté. Rompre, c’est d’abord s’arracher à la confusion qui nous a fait perdre notre place naturelle dans le débat public. C’est refuser toute compromission avec un gouvernement qui n’a cessé d’abîmer l’idée même de justice sociale et de briser les espoirs de transformation. C’est assumer pleinement notre rôle de cœur battant de l’opposition, car c’est ainsi – et seulement ainsi – que nous redeviendrons le cœur battant de la gauche. Retrouver notre langage, c’est retrouver notre centralité dans le combat politique, c’est réaffirmer que le socialisme n’est pas un entre-deux, mais une force motrice, une boussole, une dynamique de rupture et de refondation. En ce sens nous ne sommes pas des sociaux-démocrates. Nous n’acceptons pas l’ordre établi. Nous sommes là pour transformer la société pas juste pour la réformer gentiment.
- Et cette rupture n’a de sens que si elle débouche sur une langue commune. Il ne s’agit pas seulement de ressusciter la langue d’un parti, mais de retrouver une langue partagée, capable de rassembler toute la gauche et, au-delà, de parler à la société tout entière. Une langue qui répare, qui réconcilie, qui rend possible une autre manière d’habiter le monde. Une langue politique, au sens plein du terme : celle qui permet à une communauté de se reconnaître et de se projeter ensemble vers l’avenir.
Ainsi, faire congrès, c’est bien sur s’accorder sur un programme mais c est surtout refaire le pacte du langage. Dire ensemble, pour pouvoir agir ensemble. Car c’est bien cela, au fond, la politique : une manière de parler qui donne prise sur le réel.
Contributeur : Raphaël BERNARD