Réinventer la politique de la ville, une urgence pour les socialistes


Thème : Politique de la ville


Télécharger la contribution

 

Une urgence pour les socialistes

La banlieue et les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) sont en train de sortir du récit national. Passées les premières mesures sur le dédoublement des classes, les maisons France service et les promesses d’investissement pour la rénovation urbaine, les gouvernements successifs d’Emmanuel Macron ont rapidement tourné le dos aux QPV et à leurs presque 6 millions d’habitants. La réponse aux émeutes de 2023 a été exclusivement sécuritaire. L’action régalienne dans les quartiers populaires sur la lutte contre les narcotrafics est importante, mais elle ne peut appréhender à elle seule la complexité des enjeux, la richesse humaine de ces territoires et la nécessité d’y investir sur le temps long.

Sur fond de coupes budgétaires, tant les moyens consacrés au droit commun que ceuxspécifiques à ces quartiers sont inexorablement en érosion alors même que la paupérisation continue d’y progresser. Le tout à bas bruit, puisque ces quartiers urbains etpopulaires ne semblent plus être dans l’agenda politique. C’est le discours de l’extrême droite qui se distille ainsi dans l’option publique : la banlieue est désormais réduite dans l’imaginaire au communautarisme et aux trafiquants.

Un tel récit contribue à diviser les classes populaires entre celles du monde rural etcelles des banlieues, alors que l’essentiel les unit : elles contribuent par leur force de travail à un système économique qui les relègue. Sans offre politique forte, de gauche, sociale et républicaine, les premières votent largement pour l’extrême droite, les secondes se tournent de plus en plus vers les discours enfermants et démagogiques de l’extrême gauche.

Pourtant, le parti socialiste a été pionnier en matière de politique de la ville. En 1983, Hubert Dubedout, maire PS de Grenoble, en jette les bases à la tête d’une Commission nationale pour le développement social des quartiers. En 1990, Michel Delebarre, maire de Dunkerque, devient sous Michel Rocard le premier ministre de la Ville.C’est la gauche qui a fait de la politique de la ville une politique puissante : mélange d’action sociale, d’autonomisation citoyenne et de refonte du bâti, spécifiquement dédié aux banlieues et autres ensembles urbains. Avant qu’elle soit reprise, avec talent et ambition reconnaissons-le, par Jean-Louis Borloo au sein d’une droite sociale qui a aujourd’hui disparu de la scène politique.

Pourtant, les 6 millions de Français des QPV ont des aspirations et une consciencequi les placent clairement à gauche. Ils aspirent à une politique sociale juste et redistributive, une ligne claire sur la régulation de l’immigration et l’intégration républicaine, une politique éducative et un dynamisme économique qui irrigueraient ces quartiers pour réellement accomplir la promesse de réussite républicaine.

La reconquête de la banlieue par le socialisme est donc urgente.

C’est un impératif de bien commun, pour lequel l’appel d’Epinay-sous-Sénart du 13 mars 2025, accueilli par son maire socialiste, Damien Allouch, a réussi à engager les principales associations et confédérations de maires et d’intercommunalités sur des propositions trans-partisanes et des attentes légitimes pour une politique de la ville plus équitable.

 

Notre ambition : amplifier et compléter les grands axes de développement des quartiers populaires

Les dispositifs déployés ces 30 dernières années ne dysfonctionnent pas, ils sont insuffisants. Ils ont produit leurs effets, notamment grâce à l’ANRU, les zones franches, les contrats de ville et les réseaux d’éducation prioritaire. Mais ces dispositifs produisent les effets pour lesquels ils ont été calibrés. Or, la situation économique et sociale dans les QPV s’est dégradée.

D’une part, les inégalités ont cru au détriment de l’ensemble de la classe populaire, inégalités systémiques accentuées au gré des crises financière, sanitaire, énergétique. Le taux de pauvreté dans les quartiers prioritaires est désormais 3 fois supérieur à lamoyenne nationale et touche près d’un habitant sur deux. La répartition des logements sociaux entre les villes est profondément inéquitable, logement social qui abrite des personnes toujours plus en difficulté, essentiellement des travailleurs précarisés par le système.

D’autre part, plusieurs conflits mondiaux mettent sous tension la cohésion sociétale en particulier dans les villes riches de leurs diversités ethniques et culturelles. Laguerre entre Israël et ses voisins arabes et l’offensive réactionnaire du projet oligarchique trumpiste poussent certains de nos compatriotes au questionnement identitaire. Au risque d’en perdre leur boussole républicaine.

 

Axe 1 : amplifier l’action de l’Etat en matière de renouvellement urbain pour mieuxlutter contre l’enclavement des banlieues et la consommation d’énergies fossiles

La première urgence est la résorption par la politique de logement des fractures territoriales qui sont la cause d’une spirale d’appauvrissement des quartiers populaires, d’usure précoce du patrimoine bâti et de désintérêt des acteurs économiques.

De nombreuses villes, au mépris de la loi, maintiennent un entre-soi de classesmoyennes et supérieures, empêchant ainsi de lutter contre la ghettoïsation sociale et ethnique d’autres quartiers. En Ile-de-France, 5 % des communes abritent 50 % du parc social ; sur la France, ce sont près de 54% des villes qui ne respectent pas leur obligation.

La solution ne viendra pas du contournement de la loi SRU mais de son renforcement : enconditionnant les dotations publiques aux communes au respect de cette loi, en intégrantle pourcentage de logements sociaux comme critère de majoration de ces dotations, en renforçant le pouvoir de sanction et de substitution des préfets, en supprimant les droitsd’attribution de logements aux maires hors-la-loi. Un plafond de 50 % de logements sociaux compléterait les planchers pour limiter les écarts de mixité d’une commune à l’autre.

A l’appui et en complément de cette politique de mixité sociale par le logement, les grandsplans d’investissement dans le renouvellement urbain devront connaître un nouveau souffle.

L’enjeu le plus immédiat consiste en la préservation des moyens financiers de l’ANRU pour honorer les engagements pris sur les prochaines années. Les récentes défaillances dans le pilotage budgétaire du pays mettent en péril ce programme, dont il faut réaffirmer qu’il est un prérequis à toute ambition en matière de politique de la ville.

Il faudra ensuite planifier la poursuite de la politique de renouvellement urbain, au-delà des plans de 2014. Jean-Martin Delorme, Anne-Claire Mialot et Cédric Van Styvendael, maire PS de Villeurbanne, viennent de publier leur rapport « Ensemble, refaire ville » dans lequel ils réaffirment le besoin d’une intervention de la puissance publique pour lutter contre une ségrégation socio-spatiale persistante. Cette mission préfigure de nouvelles modalités de travail, pour une urbanité plus ambitieuse, inclusive et intégrée à la lutte contre le changement climatique.

Nous reprendrons ces préconisations et pourrons pousser d’un cran notre ambition, d’abord en changeant de paradigme : là où nous parlions de renouvellement urbain, nous défendrons le renouvellement de la ville comme un écosystème complet. La ville doit se penser comme un tout dans ses dimensions urbaines, sociales, de mobilité, d’attractivité des commerces, de mixité sociale et culturelle et de maîtrise dans la consommation de ses ressources.

L’Etat devra être plus efficace dans la conduite des grandes opérations ainsi programmées, à l’image des moyens et organisations déployés pour les opérations d’intérêtnational. Les décisions d’engagement prises devront inclure de facto les modalités definancement aujourd’hui dispersées dans divers fonds de concours, et l’Etat mobiliseradavantage son arsenal réglementaire, fiscal et financier pour réduire les durées d’instruction, faire baisser les coûts financiers de réalisation et piloter les programmes urbains.

Enfin, parce que le renouvellement de la ville est un formidable terrain d’expérimentationssociologiques et technologiques, les pouvoirs publics gagneront à associer plus étroitement les nombreux entrepreneurs, experts, intellectuels et artistes qui travaillent sur la ville de demain. Expérimenter pour innover.

L’objectif est de renouer avec l’état d’esprit et la capacité de la puissance publique àagir que nous avons connue dans la période de reconstruction de la France durant les trente glorieuses, et qui fait cruellement défaut aujourd’hui.

 

Axe    2 :    redynamiser    les    quartiers    prioritaires    en    incitant    les    acteurséconomiques à y investir et en régularisant des travailleurs clandestins

Notre pays n’est pas autosuffisant en main d’œuvre depuis plus de 100 ans. Il a vu des travailleurs d’Europe, d’Afrique ou d’Asie venir contribuer à son développement entravaillant sur les chantiers, dans les mines, dans les usines, dans ce que l’on appelledésormais par euphémisme les métiers en tension, souvent les plus pénibles et lesmoins valorisés, qu’il s’agisse du ceux du BT (dont les chantiers pour les JO ont fait la fierté de la France cet été), de la restauration, des récoltes agricoles ou de l’aide à domicile.

Une nécessité pour nos PME et notre industrie – tous les experts et organisations patronales l’affirment. Une nécessité qui, à l’évidence, a besoin d’être régulée. Les quartierspopulaires accueillent nombre de ces travailleurs, régularisés ou non.

Nous devons reconnaître que le système économique des métropoles est en partie fondé sur l’exploitation économique de ces populations. Sans elles, des services essentiels de la vie quotidienne n’existeraient pas, ou pas à ce prix.

Il nous faut déprécariser ces emplois et prendre à bras-le-corps les problèmes posés par une immigration non maitrisée en posant le bon diagnostic et mettant en œuvre les actions pertinentes : distribuer moins d’OQTF mais mieux les appliquer, mettre en place une véritable politique publique d’intégration républicaine.

Une telle clarification permettra aux individus concernés de s’inscrire dans un parcours de citoyenneté et de lien positif avec la collectivité. Cette étape est nécessaire pour redynamiser à l’échelle de la ville les interactions économiques : moins de marchands de sommeils, davantage d’implantation sur le long terme des travailleurs et de leurs familles.

Les équipements favorables aux entreprises seront l’autre pilier d’attractivité et d’autonomie des QPV : réseau de transport performant pour éviter toute assignation à résidence ; hubs d’accueil d’entreprises intégrés à des centres de formation et d’innovation ; mise à disposition de foncier industriel ou de bureaux pour des métiers de prestationintellectuelle à forte valeur ajoutée. L’Etat mobilise encore trop peu ses agences de développement économique en ce sens.

 

Axe 3 : au sein de la ville, œuvrer à la cohésion sociale et la promesserépublicaine par l’éducation, l’accès à la culture et au sport, le faire-ensemble

La politique de la ville en matière éducative s’appuie sur plusieurs dispositifs visant à améliorer ou renforcer les apprentissages : le Programme de Réussite Éducative (PRE) pour les élèves en légère ou grande difficulté ; la scolarisation des enfants issus de famillesdéfavorisées dès l’âge de 2 ans ; les classes dédoublées de la grande section jusqu’au CE1 ; les Cités éducatives, avec leurs actions pédagogiques innovantes facilitant l’acquisition des savoirs.

Ces outils aident des dizaines de milliers d’élèves en France chaque année dont le parcours civique et citoyen serait à l’évidence plus difficile sans ces accompagnements spécifiques. Ils doivent être priorisés dans les arbitrages budgétaires, systématisésdans tous les quartiers populaires et pérennisés. On ne s’exonèrera pas non plus d’un investissement significatif dans l’accompagnement à la parentalité quand autant de jeunes sont à la dérive.

Les QPV gagneraient à accueillir plus de professeurs expérimentés et la carte des Réseaux d’éducation prioritaires (REP), qui n’a pas été revue depuis 10 ans, comme si les besoins n’avaient pas évolué depuis, est un chantier à rouvrir sine die.

Une telle politique éducative renforcée est au cœur de l’inclusion, de la réussite républicaine et la cohésion sociale. Le scolaire y trouve son prolongement éducatif dans le périscolaire, la culture et le sport en particulier, par la capacité à apprendre ensemble sur tous les territoires.

Ces liens sont précieux et doivent être renforcés face aux nouveaux médias déstabilisateurs : négation de la science, surtout quand elle a trait au climat, purges confinant au népotisme, détournement des médias avec le concours de milliardaires pour lesmettre au service d’une pensée simpliste, sexiste et suprémaciste… sont les dérives actuelles des pouvoirs de Vladimir Poutine et de Donald Trump, auxquelles les usagers des réseaux sociaux sont exposés. Les villes sont, par leur capacité à faire ensemble, des bastions de résistance face aux tentatives d’ingérence réactionnaires, mais elles ne peuvent pas tout sans ambition éducative nationale.

Enfin, face à la montée des extrêmes, la reconquête socialiste de nos banlieues passera par une politique structurelle antiraciste.

Dans nos villes, milieux ruraux comme banlieues, il faut mener une lutte incessante, implacable et intégrale contre toutes les formes de racisme, d’antisémitisme et de discrimination. Terrain particulièrement sensible car si chacun se sent menacé pour ce qu’il est ou pour ce à quoi il croit, les conséquences sont le repli sur soi et une vulnérabilité accrue face aux thèses extrémistes. Au contraire, si chacun s’estime compris et protégé par la République, il adhérera plus facilement à ses valeurs et sera disponible à son tour pour les défendre.

 

Conclusion : le récit de la cohésion contre le récit de la sécession

La question du récit est centrale pour la cohésion de notre pays. Ce récit commence par le dépassement des oppositions factices des classes populaires entre l’urbain et le rural. Les socialistes ont laresponsabilité de réinscrire ces réalités sociales dans l’agenda politique et mettre en évidence les combats qui leur sont communs. Notre projet de réconciliation s’applique aussi, et certainement d’abord, aux deux visages de la France populaire et laborieuse, polarisée comme jamais autour de deux votes extrêmes, alors qu’au fond rien ne les oppose.

La politique de la ville sera clé dans cet objectif. Héritage du socialisme de gouvernement depuis les années 1980, elle constitue le vecteur d’action publique par lequel se réaffirment nos valeurs d’égalité et de fraternité. Égalité dans l’accès aux services publicset dans la juste redistribution des richesses produites, fraternité par la réhabilitation du lien à l’autre, promesse républicaine tenue y compris pour nos habitants les plus défavorisés. S’ils réussissent, la France réussira.


Contributeurs : Patrick Haddad, maire de Sarcelles,
Patrick Kanner, sénateur du Nord, ancien ministre de la Ville
Rachid Temal, sénateur du Val d'Oise
Romain Eskenazi, député du Val d'Oise
Pierre Pribetich, député de la Côte-d’Or
Stéphane Troussel, président du conseil départemental de la
Seine-Saint-Denis
Damien Allouch, maire d'Epinay-sous-Sénart
Jean-Pierre Blazy, maire de Gonesse
Jean-Pierre Bouquet, maire de Vitry-le-François
Clovis Cassan, maire des Ulis
Christian Dupessey, maire d'Annemasse
Thierry Falconnet, maire de Chenôve
Audrey Gatian, adjointe au maire de Marseille
Charlotte Goujon, maire de Petit-Quevilly
Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis
Eric Houlley, maire de Lure
Jean-Paul Jeandon, maire de Cergy
Philippe Kemel, maire de Carvin
Christophe Rouillon, maire de Coulaines
Cedric Van Styvandael, maire de Villeurbanne
Frederic Wallet, maire de Haisnes
François Briançon, conseiller municipal à Toulouse
Malika Bonnot, conseillère municipale à Lyon
Katy Bontinck, 1ère adjointe au maire de Saint-Denis
Grégoire Chapuis, adjoint à la maire de Fleury-les-Aubrais
Djamila Hamiani, conseillère municipale à Sarcelles
Christophe Lavialle, adjoint à la maire de Jean-de-Braye
Sylvain Lassonde, adjoint au maire de Sarcelles
Eric Quénard, conseiller régional du Grand Est
Cédric Sabouret, conseiller départemental du Val d'Oise
Joaquim Timoteo, conseiller départemental des Hauts-de-Seine
Jean-Claude Maurin, militant
Estelle Picard, militante
Maïeul Tellier, militant


Télécharger la contribution

Veuillez vérifier votre e-mail pour activer votre compte.