Thème : Éducation Populaire
À l’heure où la société se fragmente, où l’extrême droite gagne du terrain, le Parti socialiste doit replacer l’éducation populaire au cœur de son projet. Trop longtemps reléguée, elle incarne pourtant une vision radicalement opposée à celle de l’extrême droite : émancipation, égalité, lutte contre les déterminismes et les discriminations.
Cette vision continue de vivre, discrète mais puissante, il est temps de lui rendre sa pleine dignité pour rebâtir la fraternité.
Une société en délitement, une fraternité à reconstruire
Le récent rapport de la Fondation Jean Jaurès dresse un constat alarmant du délitement de la société française. Quatre dynamiques sont particulièrement inquiétantes : la solitude qui touche des millions de personnes, le séparatisme social qui fragmente la société en groupes isolés, l'effondrement des corps intermédiaires qui affaiblit le dialogue citoyen et la diminution du sentiment d’appartenance à la Nation. Dans ce contexte, la fraternité doit redevenir une boussole politique, non pas comme un simple principe moral, mais comme une politique publique structurante. Il faut pour cela que l’éducation populaire retrouve l’esprit de la déclaration de Condorcet “d’une instruction tout au long de la vie” apporté par les Lumières et concrétisé par la Révolution qui mit fin à l’organisation de la société par ordres et permit de faire de l’éducation un projet social, chemin vers une société démocratique, humaniste et fraternelle.
En 1881, Jean Macé, fondateur de la Ligue de l’Enseignement eut ces mots : “Pour ceux qui veulent la République, la vraie, celle de la liberté, il est bien évident que notre peuple n'en sait pas assez, et que le premier besoin de ce pays est d'être couvert de sociétés d'instruction”, rappelant la nécessité de voir exister aux côtés de l’école, que les lois Jules Ferry allaient rendre obligatoire et laïque, de grandes oeuvres permettant la mise en mouvement des individus, le développement de leur capacité à agir, de leur pouvoir de construire ensemble. C’est avec Léon Blum, Léo Lagrange et Jean Zay que l’État et l’éducation populaire ont pu réellement travailler de concert et que nous avons vu naître toutes ces grandes fédérations, ces fabriques du commun qui ont été mises en sommeil, marginalisées par des choix budgétaires et politiques depuis maintenant plus de 50 ans.
Il est temps de leur redonner leur place légitime comme levier central de la cohésion sociale et nationale. Cette "fraternité du coin de la rue", est une fraternité concrète et active, une fraternité du quotidien qui doit retrouver son rôle de levier pour préserver notre société démocratique, humaniste et fraternelle, aujourd’hui menacée par le retour des régimes autoritaires qui distinguent leurs citoyennes et leurs citoyens, selon leur religion, leur origine, leur orientation sexuelle ou leurs convictions politique. Nous devons redonner toute leur place à ces “sociétés d’instruction” pour que, comme l’affirme Philippe Mérieu, l’éducation populaire puisse être “l'affirmation que le « faire ensemble » fonde le « vivre ensemble.”
Pour redonner toute sa place à l’éducation populaire, il faut accepter un fait simple : elle n’est pas au service de l’État. Elle est au service de la sauvegarde et de la diffusion du savoir au plus grand nombre, au service de la construction de l'individu, au service de la construction du collectif qui permet de faire société, au service de l’engagement, par le rôle actif qu’elle confère à chacun, en dehors de toute considération d’origine, de classe, de condition et pourrait demain être un lieu de résistance.
Nous proposons dans cette contribution de développer la manière dont l’éducation populaire peut répondre aux défis de la lutte contre l’isolement, contre le séparatisme social et contribuer à renouer avec la promesse républicaine de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.
Sanctuariser l’éco-système éducatif ; l’école, les parents, l’éduc’pop’ !
Nos écoles ont besoin d’exister au sein d’un éco-système éducatif, aux côtés des parents et de l’éducation populaire pour former ensemble l’alliance éducative. Il n’est pas question d’introduire de notion de hiérarchies entre les uns et les autres, parce que pour se construire en liberté, les individus ont besoin que les plus larges espaces soient ouverts. Cela pose la question, par exemple, de l’ouverture de lieux durant le week-end et les vacances scolaires, pour que cette complémentarité vive tout au long de l’année, aux côtés et avec les parents.
L’émancipation passe aussi par l’apprentissage de l’autonomie, parce que partir c’est grandir. Aux belles heures des colonies de vacances, ce sont 5 millions d’enfants qui chaque année partaient en colonie ou en camp de vacances. 5 millions d’enfants qui avaient l’opportunité d’éprouver le sens du collectif, l’altérité, la découverte d’environnements inhabituels et des rythmes de vie différents en dehors du quotidien, ouvrant des champs de possibles. Aujourd’hui ils ne sont plus qu’un million, et plus de 4,5 millions d’enfants sont privés de vacances. Pour que notre jeunesse ait la capacité de s'émanciper, il est urgent de renouer avec ces expériences du départ, de vie collective, de brassage et de mixité sociale.
Le temps scolaire (864 heures dans le premier degré) dans la vie de l’enfant est moins important que le temps passé hors de l’école (plus de 3500 heures). Il nous faut activer les leviers pour un accès réel aux loisirs qui reste emprunt de beaucoup trop d’inégalités, territoriale, sociale. Les pratiques sportives, culturelles, artistiques, citoyennes contribuent à émanciper les individus, et nourrissent la réussite scolaire. Depuis 2017 rien n’a été impulsé pour massifier les possibles sur ces temps de mercredi, de week-end, des vacances scolaires.
Lutter contre les fractures scolaires et sociales implique de favoriser la mixité sociale dès l’enfance. Il est essentiel de permettre aux élèves de milieux divers de se rencontrer et de partager des expériences communes. C’est le club de théâtre ou de sport, l’activité au centre social, c’est aussi les colonies de vacances ou les classes de découvertes qui font se rencontrer des enfants de différentes écoles, autant d’occasions de tisser des liens entre jeunes de divers horizons. Il est tout aussi primordial de développer des projets scolaires associant plusieurs établissements d’un même territoire. En impliquant les mouvements d’éducation populaire et les associations locales, ces initiatives permettraient de créer un dialogue entre élèves et enseignants issus de milieux variés, contribuant ainsi à réduire le cloisonnement social et territorial.
Cette ambition mérite un pilotage assumé, où chacun soit autour de la table. Une version rénovée du Projet Éducatif de Territoire (PEDT) doit pouvoir offrir une meilleure cohérence éducative entre les tous les temps scolaires, périscolaires et extrascolaires. Les Maires sont les chefs d’orchestre naturels de cette nécessaire complémentarité et continuité éducative. Par des PEDT 2.0 ils doivent être en capacité de mobiliser tous les acteurs et redonner aux associations d’éducation populaire la place qu’elles n’auraient jamais dû perdre, au cœur du projet éducatif. Elles ne sont surtout pas de simples prestataires, elles sont de véritables partenaires. Ce projet doit également renforcer l’éducation artistique et culturelle dans tous les parcours éducatifs, en mobilisant les acteurs culturels locaux. Loin d’être une addition périphérique aux apprentissages académiques, ces pratiques artistiques et culturelles, favorisent l’ouverture, la curiosité et la capacité à vivre ensemble. Dans cette perspective, les pédagogies coopératives et actives doivent être encouragées afin de placer les enfants au centre de leurs apprentissages, en leur permettant de développer des compétences de coopération et de solidarité.
Démultiplier des lieux fraternels : recréer des espaces de socialisation, de rencontre, de faire-ensemble !
L’éducation populaire a toujours eu pour vertu de créer du lien social. Cependant, les associations manquent parfois de locaux, souvent de moyens pérennes pour mener à bien leurs missions, et se retrouvent assignés à mettre en œuvre des dispositifs pré établis et descendants. Dans ce secteur comme dans d’autres, retrouvons la confiance réciproque et favorisons l’émergence de projets citoyens. Un moyen pour redonner à chacun son pouvoir d’agir, et non seulement d’être usager d’un service.
Maisons pour toutes et tous, MJC, centres sociaux, culturels ou encore Tiers-Lieux, nous avons besoin d’espaces ouverts et accessibles pour fabriquer du commun. Ces lieux doivent mêler plusieurs fonctions pour répondre aux besoins de la population et s’assurer que chacun puisse véritablement venir, participer. La question de la garde d’enfants est essentielle, car elle conditionne la possibilité d’un engagement des parents dans la vie associative et citoyenne, parents dont une part croissante assume aujourd’hui seul.e la charge des enfants.
En redonnant corps et en renforçant ces “Maisons de la fraternité et de l’éducation populaire” qui sont encore nombreuses dans nos villes et nos villages, il est possible de recréer des espaces de sociabilité qui favorisent le “faire ensemble pour vivre-ensemble”.
Donner les moyens aux associations et aux bénévoles pour faire vivre la fraternité au coin de la rue
Avec la création du SNU, l’éducation populaire a été marginalisée et transformée en simple prestataire de services dans une logique de mise en concurrence en particulier pour mettre sur pied une vision militariste de la jeunesse. Ce dispositif a depuis 2019 fait la preuve de son échec. Qu’il s’agisse des conditions d’accueil des mineurs, du recrutement des encadrants, ou encore de l’identification des missions d’intérêt général qui ont un caractère obligatoire pour les jeunes ayant suivi le séjour de cohésion, le SNU est très loin de remplir ses objectifs. Le volontariat n’a pas convoqué la mixité sociale et l’engagement obligatoire s’est invité, à rebours de ce qui constitue le sel et le sens de l’engagement, dans sa dimension active au service de la société.
Il est urgent de faciliter l’engagement bénévole en soutenant les structures qui organisent et accompagnent cet engagement. Reconnaître et valoriser les métiers de l’animation, qui sont de véritables ingénieurs du lien social, est une étape incontournable. Aujourd'hui, trop d'associations peinent à mobiliser salariés et bénévoles faute de reconnaissance institutionnelle et de moyens financiers. La valorisation de l’engagement doit passer par une meilleure reconnaissance des compétences acquises dans le cadre associatif. Offrir des crédits de formation aux bénévoles permettrait de rendre leur engagement socialement et professionnellement utile, en leur garantissant un retour en termes d’apprentissage et de qualification. C’est toute la relation des pouvoirs publics aux associations qui est à repenser, pour retrouver la confiance partagée et tracer des chemins émancipateurs. Cela impose de renouer avec des conventions pluriannuelles, assises sur un diagnostic co élaboré (issus des PEDT), et des objectifs partagés. Redonner du sens et du souffle aux missions des salariés et des bénévoles, par un temps plus fécond auprès des publics, aujourd’hui altéré par la lourdeur des multiples appels à projets à chercher, lire, traiter. Pour recréer cette dynamique du bénévolat, le Service Civique constitue un levier majeur, mais qui reste encore perfectible, notamment pour éviter qu’il ne déguise des emplois. Il a démontré son efficacité comme dispositif d’engagement et d’émancipation, mais il doit désormais être rendu véritablement accessible aux jeunes les plus éloignés et les plus en difficulté. Une politique volontariste de démocratisation de l’accès au Service Civique s’impose, en levant les freins sociaux, financiers et territoriaux qui limitent encore l’égalité d’accès au dispositif.
Le Service Civique est d’ailleurs très étroitement lié aux organisations d’éducation populaire, qui en constituent l’un des piliers fondamentaux. À elles seules, ces structures accueillent plus de 20 % des volontaires, et 35 % des missions proposées relèvent du thème “éducation pour tous”. Ce lien naturel entre Service Civique et éducation populaire doit être renforcé et amplifié. Il faut soutenir les capacités d’accueil des associations, simplifier leurs démarches administratives et reconnaître pleinement leur rôle structurant dans l’accompagnement des jeunes volontaires.
Il s’agit aussi de faire du Service Civique un outil de mixité sociale et territoriale, en favorisant la rencontre de jeunesses diverses autour de missions communes. Pour cela, une meilleure répartition géographique des missions est nécessaire, notamment dans les quartiers populaires, les zones rurales et les territoires isolés. Le développement de formes de “mobilité interne” à l’échelle nationale doit être encouragé : un jeune devrait pouvoir s’engager pour sa mission dans une autre région que celle où il réside, afin de découvrir un nouveau territoire, de nouvelles réalités et enrichir son parcours de vie, contribuer à sa construction.
L’éducation populaire, moteur de fraternité et de résilience
Face aux fractures qui minent notre société, l’éducation populaire rend concrète la fraternité. Il est urgent de lui redonner une place centrale, non seulement pour lutter contre la solitude et le séparatisme social, mais aussi pour revitaliser nos institutions et renforcer l’appartenance à la Nation. C’est dans l’expérience quotidienne de la rencontre et du faire ensemble que se construit une véritable fraternité républicaine.
Notre choix est donc clair : pour renforcer la cohésion nationale et sociale, nous devons remettre l’éducation populaire au cœur de nos politiques publiques.
C’est là que se forge la fraternité. C’est là que la République se vit, non comme un slogan, ni comme une série d'interventions de sensibilisation, mais comme une pratique quotidienne et vivante.
L’éducation populaire est aujourd’hui politiquement invisibilisée. La dernière ministre ayant l’éducation populaire dans son intitulé était Valérie Fourneyron, en 2012. Nous appelons de nos vœux que les futures équipes municipales intègrent cette dimension dans les délégations comme une composante sérieuse, utile et efficace des politiques éducatives et associatives.
Investir dans l’éducation populaire, c’est faire le pari d’une République plus juste, plus solidaire, plus fraternelle.
Contributeurs :
Florence HEROUIN-LÉAUTEY, Députée de Seine-Maritime
Mamadou DIALLO, Conseiller municipal, Seine maritime
Laurent MARIE, Militante, Seine maritime
Hervé PRITRSKY, Conseiller municipal et communautaire, trésorier fédéral, membre du bureau de la CNCF, Moselle
Patrick JAQUET, Conseiller municipal, Seine-Maritime
Cécile FADAT, Adjointe au Maire de Condat-sur-Vienne, Haute-Vienne
Guillaume CLAUDEL, Secrétaire de section, Seine-Maritime
Nicolas ROULY, Maire et Conseiller départemental de Grand Quevilly, Seine-Maritime
Christelle BERENGER, Adjointe au Maire, Loir-et-Cher
Yannick TRIGANCE, Conseiller régional Île de France, Seine-Saint-Denis
Alexis ANQUETIL, Militant, Seine-Maritime
Guillaume FARAUT, Militant, Seine-Maritime
Antoine BESNARD, Conseiller National des Jeunes Socialistes, Seine-Maritime
Antoine POTOR, Militant, Seine-Maritime
Abdelhafid BELHANI, Militant, Seine-Maritime
Adrien, NAIZET, Conseiller municipal de Rouen, Seine-Maritime
Mamadou NDIAYE, Militant, Seine Maritime
Éva GÉRAUD, Conseillère Départementale, Tarn
Marc AVENEL Militant, Seine-Maritime
Valentin RASSE LAMBRECQ, Conseiller départemental, Seine maritime
Ninuwé DESCAMPS, Conseillère municipale d’opposition, CN, SN, Var
Ibtissam MADI, Militante, Seine Maritime
Fatiha KELOUA HACHI, Députée, Seine-Saint-Denis
Caroline DUTARTE, Conseillere départementale et1ère Adjointe au Maire de Rouen, Seine-Maritime
Caroline MENDY, Militante, Seine-Maritime
Christine DUNET, Adjointe au maire, Seine Maritime
Jean-Francois TIMMERMAN, Conseiller municipal et métropolitain, Seine maritime
Sylvette TIMMERMAN, Militante, Seine maritime
Georges GOMIS, Militant, Seine-Maritime
Elisabeth SALINÉ, Militante, Seine-Maritime
Pascal Le CLEC'H, Militant, Seine-Maritime
Lucien DELAUNAY, Militant, Seine-Maritime
Roland MARUT, Adjoint au Maire, Seine-Maritime
Quentin MEUX, Militant, Eure-et-Loir
Bénédicte LANGLOIS, Militante, Seine Maritime
Philippe CASAERT, Militant, Seine-Maritime
Ludovic DELESQUE, Conseiller regional, Seine-Maritime
Corinne GOBIN, Adjointe au Maire,Seine-maritime
Christine AZAÏS, Militante, Seine-Maritime
Dominique AUPIERRE, Militante, Seine maritime
Barbara GUILLEMIN, Adjointe au Maire, Seine Maritime
Edwige PANNIER, Adjointe au Maire, Seine-Maritime
Patricia SALLUSTI, Secrétaire fédérale éducation, Moselle
Alexandre RIOU, Conseiller municipal, Bas-Rhin
Françoise DECAUX-TOUGARD, Conseillère municipale, Seine-Maritime
Loïc DUBREIL, Militant, Rouen
Monique Le BROZEC, Militante, Seine Maritime
Romain CHÉRON, Militant, Seine-Maritime
Claudie MAUGÉ Thommerel, Conseillère municipale, Seine-Maritime
Agnès LAHARY, Militante, Seine-Maritime
Luc CHARPENTIER, Secrétaire de section et fédéral, Aveyron
Valérie QUINIO, Conseillère Municipale, Seine-Maritime
Vincent DECORDE, Conseiller municipal, Seine maritime
Céline HERVIEU, Députée, Paris
Julien FAVRE, Conseiller Municipal, Seine-et-Marne
Emmanuel GRÉGOIRE, Député, Paris
Florence MARTIN, Militante, Seine-Maritime
Vincent DUCHAUSSO, Conseiller municipal, Seine-Maritime
Fanny DOMBRE COSTE, Députée, Hérault
Matthieu BRASSE, Conseiller régional de Normandie, Seine-Maritime
Colombe BROSSEL, Senatrice, Paris
Valérie DUMONTET, VP Département Aude, Aude
Lucas MELINAND, Militant, Paris
Clément THEODORE, Adjoint au Maire, Seine-Maritime
Adrien DELPIROUX, Militant, Puy-de-Dôme
Christian LAINE, Militant, Pyrénnées atlantiques
Alexane RIOU, Secrétaire nationale à l'Enseignement supérieur et à la recherche, Paris
Patrick BLOCHE, Premier adjoint à la Maire de Paris, ancien président de la commission des Affaires culturelles et de l'Éducation de l'Assemblée nationale, Paris
Ahlem GIRARD, Secrétaire de section, Paris
Julien LESINCE, Militant, Loiret
Rémy LEGER, Militant, Seine-Maritime
Alban GISSINGER, Militant, Seine-Maritime
Claudie LEMOINE, Militante, Seine-Maritime
Christophe MARTIN, Conseiller municipal, Pyrénées-Atlantique
Philippe BRUN, Député, Eure