Renforcer l'Europe spatiale

Thème : Le spatial est devenu un champ d'affrontement central


Télécharger la contribution

 

Renforcer l’Europe spatiale
pour répondre aux agressions américaines

« Le spatial est devenu un champ d’affrontement économique sévère et de bataille potentielle auquel nous devons nous préparer »

Le secteur spatial subit un traitement de choc depuis l’élection de Donald Trump sous l’impulsion d’Elon Musk, qui engage des mutations inimaginables avant l’arrivée de ce nouveau pouvoir politique.

La NASA, institution vénérable et respectée dans le monde entier est, elle aussi, frappée par la vague de licenciements lancée par Donald Trump et Elon Musk dans les administrations américaines (environ 200 000 aboutis fin mars 2025). La coopération spatiale avec les Etats- Unis en est directement affectée. Il faut rappeler que l’Europe et les Etats-Unis ont développé ensemble des missions exemplaires dans le domaine spatial, notamment dans le cadre du programme de mesure de la hauteur des mers et océans, TOPEX POSEIDON, lancé il y a plus de trente ans. Ce programme et les suivants permettent d’évaluer de façon continue le réchauffement climatique. Comment va-t-il se poursuivre ? Du fait de ces nombreux limogeages, comme celui de la directrice scientifique, Katherine Calvin, également vice- présidente du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’Europe n’a plus de correspondant compétent en face d’elle aux Etats-Unis.

Nous devons pouvoir accueillir temporairement en France certains scientifiques, victimes de licenciements abusifs de l’administration Trump et obtenir, pour cela, un financement complémentaire du budget de la Recherche.

La NASA va être dirigée par Jared Isaacman, premier astronaute privé à avoir réalisé une sortie dans l’espace en septembre2024à partir d’un vaisseau d’Elon Musk. Cette nomination soulève des interrogations sur de potentiels conflits d’intérêts, en raison des liens financiers d’Isaacman avec SpaceX et des possibles changements d’orientation de la NASA sous l’administration Trump. Quelles inflexions va-t-il donner ?

La place croissante déjà prise par les entreprises d’Elon Musk, SpaceX et Starlink, a commencé à changer les règles du jeu, et cette dérive risque de déstabiliser encore davantage les équilibres fragiles existant jusqu’à maintenant.

Les approches américaine et européenne en matière spatiale étaient différentes sur certains points. Mais les divergences se sont accrues dernièrement. La vision européenne de l’espace repose sur des valeurs de développement raisonnable, en faveur de la connaissance et de la science, au profit des citoyens et des entreprises, pas dans une simple logique de conquête territoriale, comme on le découvre actuellement aux Etats-Unis. Avoir un territoire sur Mars est dérisoire et d’ailleurs, c’est interdit par les traités sur l’Espace. Nous avons préféré jusqu’à maintenant comprendre ce qui se passe sur Mars en allant y prélever des échantillons et en les analysant.

La couverture du globe par des réseaux de télécommunication ou d’observation optique est un objectif louable, mais a-t-on vraiment besoin d’envoyer, comme le fait Elon Musk, des dizaines de milliers de satellites en orbite, qui encombrent de plus en plus l’espace extra- atmosphérique, au point de contrarier l’observation de l’Univers depuis le sol ?

Musk veut avancer de trois ans, à fin 2027, la désorbitation de la Station spatiale internationale [ISS]. Les partenaires des Américains doivent s’y opposer !

Les Etats-Unis ont un rôle majeur dans la gestion de la Station Internationale. S’ils décident d’arrêter ce programme intergouvernemental, ce ne sont pas les Russes seuls ou les Européens qui pourront la maintenir. La française Sophie Adenot prépare son vol spatial à Houston, où elle s’entraîne en ce moment. Aucun signal n’est envoyé pour dire que son vol est arrêté. S’il faut stopper la station plus tôt que prévu, quelles seront les conséquences sur les projets privés qui ont été lancés par la NASA autour de l’ISS et de l’orbite basse, parfois avec des concurrents de Musk ?

De telles remises en cause doivent être évitées par respect pour la parole donnée, pour que les accords juridiques gardent la primauté sur les voltes-faces opportunistes et leur effets dévastateurs. L’Europe doit réagir dans l’unité.

Comment l’Europe peut-elle s’adapter à ce changement radical ?

Nous devons anticiper tout ce qui peut se passer si la coopération avec les Etats-Unis venait malheureusement à se dégrader. Nous aurions alors des difficultés dans nos deux grandes familles de missions, que sont l’exploration et l’environnement.

Nous devons revitaliser au plus vite nos partenariats avec d’autres pays comme l’Inde, le Japon, ou le Canada.

Comment l’Europe peut défendre ses valeurs ? En a-t-elle les moyens ?

Notre modèle peut survivre. Nous avons des capacités de recherche et un écosystème d’industriels, de la grande entreprise à la start-up, d’une très forte compétence et d’une très grande richesse. Nous avons aussi une réglementation qui donne à nos industriels des droits d’utilisation des fréquences que n’a pas Elon Musk. Nous ne sommes pas à la dérive pour autant, car nous avons toutes les cartes en main pour répondre à nos besoins. Mais il faudra se ressaisir pour défendre nos valeurs et notre vision humaniste de l’espace. Il faut réfléchir à des plans alternatifs et nous devons dès maintenant prendre des décisions politiques, car le marché ne sera d’aucun secours.

Le spatial est un élément très important pour la souveraineté et, donc, pour la défense. En matière technique, l’Europe dispose de toutes les compétences, mais il faut augmenter les budgets en cohérence avec nos ambitions. L’écart avec les Etats-Unis est de 1 à 6. Là où les Européens y consacrent 12 milliards d’euros par an, les Américains dépensent 70 milliards de dollars.

Le commissaire européen chargé de la défense et du spatial, le Lituanien Andrius Kubilius, a déjà annoncé qu’il allait demander un triplement pour le prochain cadre financier pluriannuel de l’Union européenne [2028-2035].

Nous devons soutenir cette approche destinée à donner à l’Europe les moyens de son autonomie par rapport aux Etats-Unis. Nous devons donc dès maintenant mettre en place les moyens indispensables

Les temps ont certes changé, on le voit avec le rôle que joue le réseau de communication par Internet Starlink d’Elon Musk en Ukraine, qui a pris la place du réseau terrestre détruit lors des hostilités. En quelques années, le spatial est devenu un champ de bataille potentiel et il faut s’y préparer.

Comment ?

La France a créé un Commandement militaire de l’espace, qui viendra s’installer à Toulouse sur le campus de l’agence spatiale nationale à la fin de l’année. Il y aura à terme 400 militaires. Avec le ministère des armées, il est prévu de développer un démonstrateur appelé YODA [Yeux en orbite pour un démonstrateur agile. Il s’agit de concevoir des guetteurs de l’espace, des satellites qui se déplacent pour surveiller nos satellites, les protéger et identifier les menaces potentielles. L’étape suivante sera de les protéger d’attaques et de pouvoir riposter si on doit en arriver là. Ce que l’on développe doit servir au profit de l’Europe.

L’Europe doit aussi soutenir sans ambiguïté la réalisation de la constellation IRIS2, que l’Italie semble délaisser.

Comment clarifier la gouvernance entre l’Union européenne [UE] et l’ESA qui pèse sur les décisions ?

L’UE monte en puissance dans la défense et le spatial depuis le traité de Lisbonne de 2007. Deux grands programmes sont nés depuis : Galileo, pour le système de guidage équivalent au GPS, mais plus précis), et Copernicus, pour l’observation de la Terre. Un troisième vient d’être lancé, la constellation IRIS2, pour les communications haut débit, pour répondre aux avancées américaines.

Avant que l’Union Européenne n’intervienne directement dans les affaires spatiales, l’ESA (Agence spatiale Européenne), qui est constituée d’un groupement de pays ou d’agences, était seule pour développer le spatial européen. Elle a été très performante et a créé des capacités techniques fortes, en faisant réaliser parfois le même programme par plusieurs pays différents, pour diffuser les techniques et technologies spatiales dans toute l’Europe. Mais le monde a évolué. Aujourd’hui, le temps n’est pas à dupliquer les compétences, mais à économiser nos moyens, pour rendre nos industries spatiales compétitives au plan mondial, là où se trouve l’essentiel du marché. Le système qui servait à développer le spatial, notamment le « retour géographique » [une pratique consistant à réaffecter une charge industrielle à chaque Etat équivalant à sa contribution financière], est devenu source de duplications, et donc, sur certains programmes, pénalisant au plan économique.page3image18108480 page3image18108688 page3image18109312

C’est bien que l’UE monte en puissance, il faut qu’elle travaille mieux en collaboration avec l’ESA pour s’appuyer sur des compétences techniques, mais avec ses propres règles de mise en concurrence. Il faut maintenant éviter de réaliser le même programme dans plusieurs pays afin d’être plus efficace.

La France peut promouvoir cette orientation nouvelle, car elle dispose de toutes les compétences, alors que ses partenaires européens n’en sont pas encore là. Nous devons faire émerger cette nouvelle approche de la compétitivité pour retrouver les positions que nous avions acquises dans le domaine des services de lancement, où plus de la moitié du marché commercial était revenu aux européens dans les années 2000.

Effectivement, c’est ce que disent les autres partenaires. Mais il faut savoir optimiser nos efforts et arrêter de maintenir une atmosphère de défiance mutuelle, car la compétition ne doit pas être intra-européenne. Pendant ce temps, les autres pays, comme les Etats-Unis, la Chine et l’Inde, avancent vite.

Notre parti doit être porteur de ces avancées européennes décisives pour la sauvegarde de notre mode de vie et pour sortir de l’assistanat et de la vassalisation induite dans lesquels nous nous trouvons vis-à-vis des Etats-Unis depuis ....1945. Le désengagement américain en Europe doit nous pousser à conquérir notre autonomie dans les secteurs stratégiques dès maintenant.

page4image18110976


Contributeur :

Membres du bureau de la CNE

  1. Yves BEGUIN,GSE Espace, Ancien directeur de la Fédération Astronautique Internationale

  2. Patrick ARDOIN,Secrétaire du bureau de la CNE

  3. Rémi AUFRERE-PRIVEL, GSE Transports ferroviaires SNCF

  4. Patrick DUCOME, Secrétaire du GSE Métiers de la Culture et des Medias

  5. Jean-Marie MARIANI,GSE Transpor taérien

  6. Michèle PETAUTON, Secteur Education

  7. Pierre SZTULMAN, Secrétaire du GSE Economie Sociale, Solidaire et Ecologique

  8. Rémi THOMAS, Secteur Télécommunications

  9. Christian VÉLY,GSEN Poste

  10. Marcel VILLENEUVE, Secrétaire du GSEN CEA, Secteur Nucléaire


Télécharger la contribution

Veuillez vérifier votre e-mail pour activer votre compte.