Renouer avec le socialisme originel


Thème : Monnaie locale


Un nouveau récit pour une nouvelle espérance

Permettre à la Gauche de reconquérir le pouvoir au niveau national : telle est l’ambition qui doit être la nôtre, loin de toutes les postures strictement tribuniciennes, et telle est bien aussi l’espérance que nous nous devons d’offrir à nos concitoyens au moment où l’extrême droite n’a jamais été aussi menaçante.

Mais encore faut-il, pour que cette ambition et cette espérance puissent se concrétiser, que le Parti Socialiste, compte tenu de son positionnement sur l’échiquier politique, de son ancrage territorial et de son expérience de l’exercice du pouvoir, parvienne à s’affirmer et à occuper de nouveau une place cardinale au sein de la Gauche.

Force est cependant de constater que des obstacles de taille se dressent devant cette ambition, dont le brouillage de l’image du PS aux yeux d’un grand nombre de français·es et la déliquescence du débat public, où le primat est systématiquement donné à la polémique et, partant, à l’outrance et à la caricature.

Le défi que nous avons collectivement à relever s’avère donc aussi titanesque que stimulant, puisqu’il s’agit de redonner une visibilité et une lisibilité à l’offre socialiste, sans céder à la facilité de la démagogie, mais tout en formulant des propositions ambitieuses, à la hauteur des nombreuses problématiques structurelles que connaît notre pays.

Dans cette perspective, la priorité pour notre Parti doit consister à refondre un récit auquel nos concitoyens puissent spontanément l’associer, récit porteur d’un nouvel horizon sens.

Ce texte se veut une tentative de contribution à l’élaboration d’un tel récit, à partir de la présentation d’un projet concret que nous essayons de promouvoir dans le Gard. Il s’agira ensuite, en s’appuyant sur les enseignements inhérents à ce projet, de « monter en généralité » et de dégager le narratif susceptible d’en être tiré.

 

Le projet : la création d’une Monnaie Locale Complémentaire (MLC) départementale

Ce projet trouve son origine et sa motivation dans le constat du gâchis que représente l’écart abyssal entre les fortes potentialités que recèlent les MLC et la modestie des résultats générés par la plupart des expériences ayant vu le jour dans notre pays.

 

Qu’est-ce qu’une MLC ?

Comme l’indique l’adjectif « Complémentaire », il ne s’agit pas d’une monnaie destinée à se substituer à la devise officielle, l’Euro, mais d’un dispositif adossé à cette dernière : les unités de MLC s’obtiennent en échange d’unités de la devise officielle, généralement sur la base d’un taux de conversion de 1 contre 1.

Les unités monétaires ainsi obtenues peuvent être utilisées uniquement pour acquérir des biens ou services répondant à des critères précis, énoncés dans une charte à laquelle les « offreurs » (producteurs et commerçants) se doivent d’adhérer, ayant trait au caractère local de la production ou au respect par les entreprises de normes environnementales ou sociales.

En cela, toute MLC constitue un levier particulièrement puissant  pour favoriser l’avènement d’un modèle de développement économique durable et solidaire à l’échelle d’un territoire, et d’autant plus puissant que cette monnaie agrège un plus grand nombre de ses habitants, lesquels prennent ainsi mieux conscience du fait que l’acte d’achat est un acte éminemment « Politique ». Les MLC permettent donc de transformer les consommateurs en « consom’acteurs », tout en ayant un effet

 

Des échecs quasi généralisés

Mais en dépit de ces multiples potentialités, il est clair que celles-ci peinent à se concrétiser, du moins lorsqu’on se réfère aux MLC existantes dans notre pays. Plusieurs raisons peuvent expliquer ces échecs quasi généralisés¹ :

  • La méfiance que ces initiatives suscitent auprès de nombreuses personnes : d’aucuns peuvent craindre d’y perdre de l’argent ou estimer que le pouvoir monétaire doit demeurer une prérogative exclusive de l’Etat². Ceci nous rappelle que la monnaie est avant tout une affaire de confiance.

  • La difficulté à faire connaître et partager par le plus grand nombre l’intérêt que présentent les MLC, ce qui renvoie, entre autres, au fait qu’elles sont généralement portées par des collectifs citoyens aux moyens et à l’audience limités.

  • La faible variété des biens et services auxquels donnent accès la plupart des MLC actuelles, qui s’explique, en partie, par le caractère restreint de leur assise géographique et les rend assez peu attractives pour les consommateurs.

 

Des atouts pour relever un triple défi

Toute MLC se trouve donc confrontée à un triple défi : de confiance, de notoriété et d’attractivité, que le projet de MLC d’envergure départementale³ a pour objectif de relever. Il s’agit de faire en sorte, d’une part, que les Collectivités territoriales, au premier chef le Département du Gard et la Région Occitanie, s’impliquent fortement dans son développement et, d’autre part, que son fonctionnement donne lieu à l’instauration de multiples et solides alliances, en particulier avec les milieux économiques locaux.

Ce dispositif présenterait de multiples atouts :

  • La forte implication des Collectivités territoriales, y compris en termes de portage politique de la MLC, permettrait d’en asseoir la crédibilité et contribuerait à lever la méfiance que suscitent souvent de telles initiatives.

  • Cette implication devrait également s’accompagner d’un important soutien « matériel », notamment financier, ce qui permettrait de lancer une vaste campagne de communication et de promotion de la MLC auprès de l’ensemble des habitants du département. Il s’agirait ainsi d’« embarquer » dans le projet une « masse critique » de citoyens, au delà du cercle habituel des militants convaincus.

  • L’envergure départementale du projet garantirait une grande diversité de biens et services susceptibles d’être acquis, ce qui renforcerait son attractivité. Celle-ci serait encore accrue si d’autres MLC départementales, que l’on pourrait qualifier de « sœurs », devaient voir le jour en Occitanie (cf. note n° 3).

  • Un aspect relativement novateur du projet consisterait à faire de cette MLC départementale un outil de solidarité entre les habitants du territoire : sur la base du volontariat, des taux de conversion différenciés pourraient être instaurés en fonction du niveau de revenu des utilisateurs, de sorte que les plus aisés recevraient, par exemple, 0,9 ou 0,8 unité de MLC contre 1 euro, permettant ainsi aux moins favorisées d’en recevoir 1,1 ou 1,2. Un tel mécanisme solidaire contribuerait donc à favoriser l’accès du plus grand nombre à une consommation de qualité.

Au plan des modalités pratiques, la mise en œuvre de ce projet pourrait opportunément donner lieu à la création d’une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (Scic). En tant qu’outil de développement local fondé sur le multi-sociétariat, une telle entreprise permettrait de réunir toutes les parties prenantes au fonctionnement de la MLC : Collectivités territoriales ; consommateurs, au travers de leurs associations ; producteurs et commerçants, au travers des différentes Chambres consulaires et autres réseaux économiques ; MLC existantes ; partenaires techniques, notamment financiers…

 

Le récit : renforcer le pouvoir d’agir de nos concitoyens

Le récit que nous conte le projet présenté s’articule autour de deux idées-forces :

  • Il est fondamental et urgent de faire en sorte que nos concitoyens trouvent des possibilités tangibles d’accroître leur pouvoir d’agir. Le malaise démocratique et le mal-être que ressentent beaucoup de français·es se nourrissent en effet de ce qu’ils ont le sentiment de n’avoir quasiment plus de prise sur leur destin, d’être la proie de phénomènes de grande ampleur (mondialisation des échanges, réchauffement climatique…) qui les dépassent. Ces sentiments sont encore aggravés quand ils constatent que leurs dirigeants politiques sont, eux aussi, soumis aux mêmes contraintes et ne disposent plus que de marges de manœuvre restreintes.

Multiplier les dispositifs qui, à l’instar du projet de MLC départementale, permettent à nos concitoyens de s’investir au sein d’espaces de délibération et d’action concrètes constitue une condition sine qua non pour qu’ils recouvrent une certaine confiance en l’avenir et que la Politique retrouve du sens à leurs yeux.

  • En tant que l’Homme est « animal social », le pouvoir d’agir de chaque individu est étroitement conditionné par celui des autres. C’est pourquoi, comme pour la MLC départementale, les formules collectives, associatives, coopératives ou mutualistes, constitutives de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), nous semblent particulièrement appropriées pour mettre en œuvre les différents dispositifs que nous appelons de nos vœux.

D’autres ressorts narratifs sous-tendent le projet dont nous sommes partis. Ils partagent une caractéristique commune, celle de faire voler en éclats les alternatives binaires et réductrices dont le débat public se repaît trop souvent :

  • Ainsi, il pourrait être tentant d’interpréter notre propos comme un éloge de la démocratie participative, dont les mécanismes seraient appelés à remédier à la crise de la démocratie représentative touchée de plein fouet par la défiance que manifestent un nombre croissant de nos concitoyens vis-à-vis des élus et, plus largement, du « système ».

Mais comme l’a bien montré le projet de MLC départementale, cette dernière a absolument besoin, pour se développer et prospérer, de s’appuyer sur les instances et ressources de la démocratie représentative, qui demeure le cadre structurant de notre vie collective. Démocratie participative et démocratie représentative ne s’opposent donc aucunement, chacune de ces deux formes servant en quelque sorte d’étai à l’autre.

  • Ce que ce projet raconte également, c’est que nous sommes tous « embarqués dans le même bateau » et que pour éviter qu’il ne « chavire », c’est-à-dire pour parvenir à surmonter les difficultés auxquelles notre pays est confronté, il est indispensable que nous « ramions tous dans la même direction » (pour reprendre l’exemple de la MLC : consommateurs et producteurs ; utilisateurs ayant des revenus élevés et ceux disposant de ressources plus réduites).

Il ne s’agit toutefois pas ici de faire preuve de naïveté et d’ignorer que des intérêts antagonistes traversent et traverseront toujours la société. Il ne nous en apparaît pas moins possible, et même souhaitable, de multiplier les dispositifs concourant à la construction d’une convergence des intérêts autour d’actions concrètes.

Le récit que nous entendons promouvoir se veut donc résolument positif, mettant l’accent sur ce qui rassemble nos concitoyens et les amène à oeuvrer de concert, aux antipodes des trop nombreux discours qui cherchent à les opposer les uns aux autres, soit sur le registre de la haine envers tous ceux qui sont jugés « différents », soit sur celui de la colère et du ressentiment vis-à-vis des « nantis ».

  • S’il est évident que l’approche défendue ici revient à valoriser l’échelle locale et les relations de proximité, nous rejetons néanmoins tout « localisme » exacerbé, qui serait d’ailleurs illusoire, car les défis qui s’imposent à nous revêtent, pour leur part, une dimension globale.

La perspective envisagée revient donc plutôt à (ré)articuler entre eux le local et le global, le « glocal » : c’est à cette seule condition que les actions entreprises dans les territoires prendront tout leur sens et que les habitants seront incités à résolument y participer et à adopter les comportements individuels que réclame l’intérêt général.

 

Les domaines d’application

Les domaines d’application dans lesquels est susceptible de se décliner le récit proposé sont potentiellement illimités. Beaucoup, du reste, sont déjà investis au travers d’initiatives remarquables, qu’il s’agirait donc d’aider à « changer d’échelle » :

  • Le développement socioéconomique local est au cœur du projet de MLC départementale : bien entendu, tous les secteurs d’activité ne sont pas concernés par un tel dispositif, mais ce dernier contribuerait tout de même, en cas de généralisation, à consolider un important tissu d  TPE et PME, tout en favorisant leur transition vers des pratique durables et responsables.

  • La transition énergétique : on pense ici aux coopératives énergétiques citoyennes, qui produisent à partir de sources renouvelables et d’installations décentralisées.

  • L’éducation : relever le défi éducatif et œuvrer à l’égalité des chances exige de rétablir un lien organique puissant entre l’École et l’Éducation populaire, à l’échelle  des territoires, de manière, notamment, à favoriser une multiplication des méthodes pédagogiques utilisées. Ceci passe aussi, à notre sens, par une profonde réforme des rythmes scolaires.

  • La sécurité : peut-être moins attendu, ce sujet peut, et doit, également être concerné, comme le montre l’exemple du dispositif « Voisins Vigilants et Solidaires ».

Bien d’autres domaines (santé, transports, gestion de l’eau…) pourraient être évoqués. D’une manière générale, la quasi-totalité des activités relevant des  services publics locaux peuvent servir de supports à de tels dispositifs. C’est la raison pour laquelle la Scic, qui repose sur le principe du multi-sociétariat et est le seul type de société permettant une participation au capital des collectivités publiques, nous apparaît comme la formule juridique idoine pour assurer leur mise en oeuvre.

D’aucuns estimeront peut-être que cette approche revient à accompagner le désengagement de la puissance publique et à demander aux citoyens de s’y substituer. Il y aurait là un contresens particulièrement dommageable : l’insistance avec laquelle nous avons réfuté l’existence d’un quelconque antagonisme entre démocratie participative et représentative, et souligné la nécessité de voir s’instaurer, au niveau des territoires, de solides alliances entre l’ensemble des acteurs, privés comme publics, devrait permettre de prévenir une telle mésinterprétation.

 

Pour conclure

En guise de nouveau récit pour notre Parti, nous préconisons donc, apparent paradoxe, de renouer avec l’esprit du socialisme originel, dont les penseurs ont tous cherché, certes selon des modalités diverses, à rendre les gens acteurs et, dans cette optique, à faire en sorte qu’ils se rassemblent au sein d’initiatives collectives ou communautaires.

Loin d’être obsolète, cette dimension intrinsèque du socialisme nous semble en effet n’avoir rien perdu de sa pertinence ni de sa puissance suggestive.


¹ Une seule expérience présente des résultats quelque peu conséquents, L’Eusko, MLC du Pays Basque Français.

² Objection révélatrice d’une mécompréhension du mécanisme des MLC qui s’apparentent aux chèques-déjeuner ou aux chèques-vacances.

³ En cas de succès, on pourrait imaginer que ce projet gardois donne lieu à un essaimage dans d’autres départements de l’Occitanie, sur la base d’une convergence des chartes et critères des différentes MLC.


Signataires :

Laurent BASTIDE, Secrétaire Fédéral à l'économie,

Christiane THOMAS, Secrétaire de Section d'Alès,

Arnaud BORD, Premier Secrétaire Fédéral du Gard, CN titulaire


 

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