Thème : Réconciliation mémorielle entre la France et l'Algérie
Nous venons de commémorer les 63 ans du cessez-le-feu issu des accords d’Évian qui mirent fin à la guerre d’Algérie. Entre la remise en cause par le gouvernement de l’accord franco-algérien de 1968, la détention arbitraire de Boualem Sansal par le régime algérien et sa condamnation inique, la polémique autour des propos de Jean-Michel Apathie dénonçant les crimes de la France lors de la colonisation de l’Algérie, il n’est pas un jour sans que la question de la relation de la France à l’Algérie ne fasse l’actualité.
La droite française, de Bruno Retailleau à Gabriel Attal, en passant par Edouard Philippe qui, le premier, avait mis sur la table la renégociation des accords de 1968 sur l’immigration des Algériens en France, cède ainsi à une vieille lune de l’extrême-droite française.
Le Front national, fondé entre autres par des membres de l’OAS, s’est constitué en partie sur l’obsession de l’Algérie française et demeure fortement marqué par cette question, qui alimente leur logiciel raciste, nostalgique de la colonisation. C’est ainsi qu’en mars 2024, les députés du RN ont voté contre la résolution condamnant le massacre par la police française, sous l’autorité de Maurice Papon, de centaines d’Algériens qui manifestaient pacifiquement à Paris le 17 octobre 1961. Le député RN Franck Giletti, dénonçant des « mensonges », expliquait alors à la tribune : « ce rassemblement était interdit et la police n’a fait qu’appliquer les ordres qui lui avaient été donnés ». Comprendre : « ils l’avaient bien mérité ».
Si l’opposition du RN à toute démarche de réconciliation mémorielle est constante et bien connue, il est désespérant de voir les responsables de la droite dite « républicaine » s’engouffrer dans cette brèche en stigmatisant les Algériens et en faisant de la révision de ces accords – déjà révisés trois fois à la baisse depuis 1962 – une priorité absolue de politique publique. Oui, il y a un problème d’exécution des OQTF (obligations de quitter le territoire français) avec l’Algérie, comme avec de nombreux autres pays, mais non, la remise en cause de ces accords n’est pas la solution pour remédier à cette situation. La « méthode forte » a déjà été tentée par le gouvernement en 2021 sur le même sujet en réduisant drastiquement l’accord de visas aux Algériens, sans aucun effet sur l’exécution des OQTF, si bien que cette politique a été rapidement abandonnée. Et malheureusement, aujourd’hui, les visées électoralistes et sondagières ont repris l’ascendant de manière spectaculaire sur l’impérieuse réconciliation des mémoires entre deux nations qui partagent tant historiquement et qui jouent un rôle majeur dans le bassin méditerranéen en termes culturel, économique, éducatif et sécuritaire ; autant de domaines qui pâtissent grandement de cette dégradation accélérée de leur relation.
Plus que jamais, c’est de vérité historique et de réconciliation mémorielle dont les populations ont besoin – les citoyens, non les régimes – pour avancer face à ce « passé qui ne passe pas ». On pourrait par exemple rappeler que ces accords, au moment de leur signature, faisaient suite à plus d’un siècle de domination coloniale et d’immigration algérienne, provoquée notamment par la violence et la misère créée par la colonisation en Algérie et qui est venue nourrir les usines en particulier du bassin lyonnais, de Marseille et surtout de région parisienne.
La réconciliation mémorielle, qui reste un enjeu majeur notamment pour une jeunesse qui cherche à composer avec cette identité complexe, demande plus qu’une politique d’à-coups telle que la mène Emmanuel Macron. Le Président de la République a certes reconnu l’assassinat par la France de militants et combattants de l’indépendance algérienne : Maurice Audin, Ali Boumendjel et, dernier en date, le co-fondateur du FLN Larbi Ben M’hidi, dont l’exécution sans jugement par l’armée française a été reconnue officiellement par le Président le 1er novembre dernier. Mais le fait que celle-ci intervienne une semaine après le changement de pied diplomatique de la France sur la « souveraineté marocaine » sur le Sahara occidental a pu donner l’impression d’une simple « compensation » envers l’Algérie dans ce qui ressemble plus à du saupoudrage qu’à une politique mémorielle globale.
Les crimes de masse commis par la France en Algérie, qui illustrent une guerre d’extermination coloniale ayant fait des milliers de victimes civiles, sont loin d’avoir été reconnus officiellement, qu’il s’agisse des enfumades en 1845 des grottes du Dahra lors de la colonisation de l’Algérie ayant vu périr quasiment toute une tribu berbère, ou de la répression féroce en 1871 du soulèvement kabyle qui a conduit à la confiscation de 500 000 hectares de terre et à l’exil des Kabyles. De même, l’utilisation à grande échelle par l’armée française d’armes chimiques interdites pendant la guerre d’Algérie, qui auraient tué entre 5000 et 10000 combattants algériens, n’a jamais été reconnue officiellement par l’État, par ailleurs très réticent à donner accès aux archives afférentes.
Pire, comme en témoigne la récente déprogrammation d’un documentaire sur ce sujet par France 5, ou la sanction de RTL à l’encontre de Jean-Michel Apathie, c’est même un climat de censure qui semble s’installer dans cette période marquée par les vociférations de plus en plus racistes de la droite, de l’extrême-droite et des chroniqueurs de CNews.
Dans ce climat délétère, il est au contraire d’autant plus urgent de reprendre le travail de mémoire et d’encourager le travail historique : ouvrir les archives, partager celles-ci ainsi que les savoirs académiques entre la France et l’Algérie et multiplier les reconnaissances et les commémorations mémorielles sur tout le territoire comme le recommande Benjamin Stora, notamment celle du massacre du 17 octobre 1961 qui donne déjà lieu depuis 2001, à l’initiative de la Mairie de Paris, à une commémoration au bord de la Seine où les corps des Algériens furent jetés par dizaines.
C’est le rôle de la gauche que de défendre la liberté de la recherche à une époque où la réalité de l’histoire cherche à être occultée par des responsables politiques. C’est le rôle de la gauche de faire progresser ce travail de vérité et de mémoire, à l’heure où l’obscurantisme ressurgit pour imposer un récit tronqué servant les thèses racistes de l’extrême-droite. Une grande Nation assume son passé, reconnaît ses erreurs et sait tourner son regard vers l’avenir. Et c’est en œuvrant à un apaisement par la voie diplomatique que nous pourrons sortir de l’impasse actuelle.
Nous serons d’autant plus fiers d’être Français quand notre pays regardera enfin son histoire en face et contribuera ainsi à apaiser, des deux côtés de la Méditerranée, les mémoires collectives et individuelles tourmentées par ce déni qui n’a que trop duré.
Contributeurs :
Gabrielle Siry-Houari
Adel Ziane, sénateur de Seine-saint-Denis
Rémi Féraud, sénateur de Paris
Nadia Benakli, Adjointe au Maire du 18e arrondissement de Paris
Fadila Taieb, Adjointe au Maire du 12e arrondissement de Paris
Marie-Pierre de la Gontrie, sénatrice de Paris
Kévin Havet, membre du Conseil national, adjoint au Maire du 18e arrondissement de Paris
Nathalie Riquier, membre du Bureau fédéral PS Paris
Mehdi Benlahcen, FFE, Lisbonne
Jean-Philippe Berceau, FFE, sec sec de New-York
Julien Lesince, membre du Conseil national
Etienne Allais, membre de la CNC
Eva Géraud, conseillère départementale du Tarn
Philippe Loiseau, conseiller des Français de l'étranger
Manon Lebatteux, militante PS à New York
Ghaddari Wassim, militante
Yamanda Mekki, militante
Yanis Mekkid, militant
Haekel Bekka, militant
Franck Hernandez, militant 18e arrondissement de Paris
Yoan Levy, membre du Conseil national
François Hoelinger, militant 18e arrondissement de Paris
Jean Wahrer, militant 20e arrondissement de Paris
Yakoub Saadia, cadre fédérale PS Paris
Rémy Haddad, militant 18e arrondissement de Paris
Romain Vilaud, membre du Conseil national
Christophe Joie, militant 20e arrondissement de Paris
Gilles Ménède, membre du Conseil fédéral
Nadia Mekkid, première adjointe de Latoue
Morad Mekkid, militant