Retrouver le courage de parler d'une République pour tou·te·s


Thèmes : Antiracisme et discriminations


« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir. »

Et venant je me dirais à moi-même :

« Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l'attitude stérile du spectateur, car la vie n'est pas un spectacle,car une mer de douleurs n'est pas un proscenium, car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse... »

Aimé Césaire, Cahier d'un Retour au pays natal (1939)

 Socialistes gardons-nous de rester les bras croisés, d’adopter l’attitude stérile du spectateur, l’attitude de ceux qui dénoncent sans agir, de ceux qui observent la violence et restent atones devant celle-ci. Socialistes, nous sommes profondément anti-racistes, et partisans d’une République bienveillante et inclusive, qui accueille la diversité comme une force, qui aspire à la représentation de tous.tes les citoyen.ne.s dans la richesse de leurs histoires et de leurs origines. Aussi ce congrès qui réunira pour la 80ème fois les socialistes, doit nous permettre de retrouver le courage des actes comme celui des discours, le courage de renouer avec la promesse d'une République pour toutes et tous. Alors que par millions, nos concitoyen.ne.s font l’expérience quotidienne du racisme et de la haine, il est temps de sortir du piège de la seule réaction aux discours de haine, pour imposer de nouveau dans l’agenda politique notre vision d’une République qui n’accepte aucune discrimination, aussi minime soit-elle. Pour y parvenir, nous devons retrouver le courage de dire les blessures et les humiliations, de dire les torts et les violences du passé comme celles du présent. Pour y parvenir, nous devrons refaire notre ces concepts, occultés, négligés, desquels nous sommes détournés que sont ceux de la diversité et de la représentativité. Pour y parvenir nous devrons transformer nos discours en actes concrets, pour réaffirmer notre combat sans faille pour la dignité et contre la haine sous toutes ses formes.

Parce que la question de l’identité, la question des identités dans leur pluralité, ne doivent pas être l'apanage de celles et ceux qui en font un outil de haine et de divisions, nous socialistes avons la responsabilité de réinvestir ce terrain politique, et d’y imposer un autre agenda.

Parce que nous croyons au multiculturalisme et ses richesses, nous socialistes devons retrouver le courage de réécrire un roman national, dans lequel tous les enfants de la République sans exception se retrouvent.

Parce que derrière la question de l’identité se cache la question de l’avenir de nos institutions et de la pratique du pouvoir politique, nous socialistes devons concilier le courage de mots avec l’ambition d'œuvrer concrètement pour valoriser la diversité, et viser une véritable représentativité dans notre organisation comme dans nos institutions.

 

1. Reprendre la main dans l'agenda politique sur les questions d’identité

L’extrême-droite n’est plus une lointaine menace, elle est devenue aujourd’hui une réalité. La profusion de ses discours identitaires et réactionnaires, plus que nous alerter, nous oblige, nous socialistes. Elle nous oblige à clamer haut et fort un autre discours qui combat avec vigueur la haine, qui dit la violence pour mieux la combattre, avec une responsabilité particulière envers celles et ceux qui en sont victimes. Pire encore, sa rhétorique pernicieuse s’immisce dans les discours officiels, son vent mauvais, souffle là où il n’avait jamais soufflé auparavant, alors que les digues du barrage républicain s'écroulent les unes après les autres.

Désormais banalisée, en passe d’être normalisée, la haine que l’extrême-droite distille doit être combattue sur son terrain favori, celui de l’identité. Pourtant à gauche, nous avons parfois fait preuve de faiblesse, abdiqué même, en allant jusqu’à adopter le vocable de ceux qui prêchent la division et la haine de l’autre. La déchéance de nationalité qui a fracturé, déchiré notre famille politique nous l’a appris douloureusement. Alors dans les discours comme dans les actes, nous devons à gauche, utiliser nos propres mots sans jamais emprunter aux rhétoriques mortifères et au répertoire de l’extrême-droite. Nous devons imposer de nouveau un agenda politique de gauche courageux sur l’identité, qui redit notre croyance profonde dans l’égalité de toutes et tous, notre attachement à une République universaliste mais consciente de ses richesses et de sa diversité.

Aussi, aux discours patriotiques réducteurs, qui opposeraient la France de la “race” et celle des papiers, nous devons opposer, les discours courageux, des pères fondateurs du socialisme, et retrouver l’ambition qu’ils portaient pour une République qui affranchit, quelle que soit l’origine. Jaurès parlant de la patrie disait ainsi “Elle n’est pas le but ; elle n’est pas la fin suprême. Elle est un moyen de liberté et de justice. Le but, c’est l’affranchissement de tous les individus humains.” (Socialisme et liberté, 1898). Renouons donc avec cette promesse d’affranchissement de la République, quelle que soit l’origine, quelle que soit la couleur, quelle que soit la religion réelle ou supposée.

Car la République, n’est pas le carcan étroit d’un patriotisme revanchard, une maison fermée où n’auraient de place que celles et ceux dont la lignée hypothétique remonterait aux Gaulois ou aux Francs, nous devons retrouver le courage de redire qu’elle est bien la maison de toutes celles et ceux qui en partagent les valeurs fondatrices. À ceux qui nous opposent les velléités moralisatrices de l’antiracisme, nous devons redire que c’est bien parce que la République voit au-delà des origines, qu’elle est par essence anti-raciste, en ce qu’elle constitue cette promesse d’émancipation pour tous.tes.

 

2. Redonner la place aux historiens pour enfin écrire un roman national pour tous.tes les Français.e.s

Alors que des millions de nos concitoyen.ne.s sont les enfants de l’histoire d’impérialisme et de colonialisme, douloureuse de la France, nous avons la responsabilité de nous saisir de nouveau de celle-ci, pour que plus jamais elle ne serve d’instrument de divisions dans notre pays. Aimé Césaire, dans son Discours sur le colonialisme (1950) disait ainsi : “On me parle de progrès, de « réalisations », de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d'eux-mêmes. Moi, je parle de sociétés vidées d'elles-mêmes, de cultures piétinées, d'institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d'extraordinaires possibilités supprimées”. Ce courage, de nommer les violences, de dire l’impérialisme, la domination, la violence et la colonisation, l’esclavage et l’oppression, nous devons le retrouver pour espérer un jour panser les blessures du passé, et faire société tous.tes ensemble. Socialistes, nous devons retrouver le courage d’un devoir de mémoire ambitieux, qui brave les visions parcellaires d’une histoire trop souvent instrumentalisée.

Comment faire nation si le roman national n’est pas partagé par tous.tes les Français.e.s ? Comment faire société ensemble, si l’on nie le droit même d’appartenir à la Nation à certain.e.s enfants de la République ? Il aura fallu attendre 1999 pour que la Guerre d’Algérie prenne enfin le nom de Guerre. Il aura fallu attendre 2001 pour que l’esclavage soit enfin reconnu dans la loi comme un crime contre l’humanité. Et il faudra encore du temps pour nommer toutes les blessures et tous les drames du passé. Parce qu’il faut nommer les faits historiques, pour les comprendre, parce qu’il faut les dire pour les expliquer, nous avons la responsabilité de nous faire porte-voix des historiens qui avec minutie tentent d’établir une vérité des faits, loin de toute instrumentalisation politique. Parce que tant de nos concitoyen.ne.s portent dans leur chair, les stigmates de cette histoire française, nous devons leur dire que cette histoire est la nôtre, et qu’ensemble nous écrirons un roman national lucide du passé et confiant dans un avenir partagé.

Dans une société dont les fractures et les blessures sont approfondies par les prêcheurs d’une réécriture malsaine de l’histoire, de notre histoire, nous, socialistes, devrons militer pour que toute l’histoire soit dite, dans son entièreté, fusse-t-elle douloureuse ou honteuse. Nous devrons tout faire pour qu’elle soit avec soin, expliquée dans les programmes scolaires, sans illusions, ni tabous. Ainsi retrouverons nous le chemin pour parler à toute la France, dire à toutes et tous qu’ils y ont toute leur place, leur raconter de nouveau une histoire dans laquelle tous.tes enfin se reconnaissent.

 

3. Pour parler identité et intégration, osons parler représentativité et diversité

Alors que l’extrême-droite, et le camp conservateur ont fait de leur chasse gardée le terrain de l’identité, nous devrons, nous, socialistes, reprendre ce concept à bras le corps, et redire que pour parler identité et intégration, nous devons aussi parler représentativité et diversité dans la société, dans les institutions comme dans notre parti. De la même manière que nous militons pour la parité, l’égalité des droits, nous devons tout autant lutter pour faire place à la diversité, ethnique, sexuelle ou encore sociale, faire advenir le temps d’une représentativité réelle. Sans œuvrer pour une meilleure représentation de tous.tes les citoyen.n.es dans nos institutions, sans changer les réflexes excluants d’une vie politique bien trop souvent parcourue par les privilèges et les barrières à la pénétration des élites politiques, nous ne trouverons nulle issue à la crise profonde de la représentation qui mine une Vème République désormais à bout de souffle.

Pour protéger une démocratie fragile et fragilisée, nous devrons donc plus que jamais casser les barrières qui excluent tant de nos concitoyens de la politique, des institutions, et finalement des urnes, en réaffirmant notre combat pour une meilleure représentation de tous.tes les citoyen.ne.s. Cela passera nécessairement par regagner la confiance de celles et ceux, qui exclus du champ de la représentation, et pourtant citoyen.n.es à part entière de notre pays, se sont détournés de la chose politique. Nous y parviendrons en refaisant notre, des combats que nous avons par le passé abandonnés, comme le droit de vote des résidents étrangers non-européens. Cela passera aussi par une volonté réaffirmée d’élargir la participation de tous.tes les citoyen.ne.s, de développer la consultation citoyenne locale comme nationale, pour vaincre la verticalité d’un pouvoir, incompatible avec l’ambition de la représentation.

Enfin pour valoriser la diversité, et viser une véritable représentativité dans notre organisation, nous devrons aussi vaincre la sous-représentation des « Français.e.s issus de l'immigration » dans les mandats comme dans les fonctions de cadres et les fonctions électives de notre parti. Nous devrons donc avec ambition, inscrire dans nos statuts la nécessité d’une meilleure représentativité de la diversité dans l’attribution des investitures, comme dans la composition de nos instances. Nous devrons aussi œuvrer pour que les partis politiques, quels qu’ils soient, soient plus transparents sur la réalité de la diversité et de la représentativité en leur sein.

C’est à ces conditions que nous pourrons, nous socialistes, faire en sorte que cette représentativité, que nous appelons de nos vœux, devienne une réalité dans l’ensemble de nos institutions politiques. C’est à ces conditions que le socialisme pourra de nouveau parler à tous les enfants de la République sans exception. C’est ainsi que nous pourrons enfin être à la hauteur de notre ambition d’émancipation et d’égalité des droits au cœur de notre combat socialiste.

C’est ainsi que socialisme sera de nouveau synonyme de lutte farouche contre la haine.

C’est ainsi que socialisme signifiera de nouveau, « promesse d’une République pour tous·tes »


Signataires :

Ryad SELMANI (75, SF des JS Paris)

Laura GANDOLFI (69, Maire-adjoint)

Marie CAVALIÉ-NOUA (82, Conseillère municipale de Moissac)

Luc CHARPENTIER (12, SF et Secrétaire de section)

Daniel ADOUE (32, SF)

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