Thème : Europe
Les pionniers de l’Europe, et au premier rang les socialistes tels Léon BLUM ou Paul Henri Spaak portaient une vision : celle d’une Europe unie et prospère, donc pacifiée, donc démocratique.
A l’heure où partout menacent à nouveau le nationalisme, la pauvreté et donc la guerre, les socialistes d’aujourd’hui doivent donc fièrement et opiniâtrement œuvrer à l’approfondissement de la construction européenne et à l’élargissement de l’Union.
“Cette fois les hommes d'Occident n'ont pas manqué́ d'audace et n'ont pas agi trop tard. Le souvenir de leurs malheurs et peut-être aussi de leurs fautes semble les avoir inspirés, leur a donné le courage nécessaire pour oublier les vieilles querelles, bouleverser des traditions désuètes, pour leur permettre de penser et d'agir d'une manière vraiment nouvelle et pour réaliser la plus grande transformation volontaire et dirigée de l'histoire de l'Europe.”
Paul Henri Spaak, socialiste belge, père de l’Europe, s’exprimait ainsi lors de la signature du traité de Rome. Ces mots résonnent aujourd’hui et la solidarité dont ont fait preuve les pays frontaliers dans la prise en charge des malades français de la région Grand Est lors de la crise du Covid permet de garder espoir.
Nous considérons que l’Europe est dans cette situation car elle est bloquée au milieu du gué de sa construction. L’Europe a poussé la coopération économique jusqu’à la création d’un espace de libre échange et d’une monnaie unique, mais l’Eurogroupe est le seul espace de gouvernance de cet espace : les institutions sont à la fois inadaptées, trop limitées dans leurs compétences et trop peu légitimes pour agir efficacement. Si l’Europe va mal aujourd’hui, c’est aussi qu’elle n’a pas approfondi son ancrage démocratique.
L’Europe a poussé la citoyenneté européenne jusqu'à tout faire pour effacer les traces visibles des frontières entre les Etats membres, mais les eurodéputés qui représentent les peuples n’ont pas de pouvoir décisionnel face à la Commission européenne et au Conseil Européen. Les institutions européennes, qui devraient placer le Parlement Européen au centre, continuent à lui donner un rôle subalterne.
La nouvelle situation internationale interdit l’immobilisme. L’invasion de l’Ukraine et l’affirmation des impérialismes russe et chinois remettent en cause certaines dépendances désormais insoutenables pour qui veut maintenir une Europe libre et démocratique, modèle pour tant de peuples encore soumis à la misère et à la dictature.
Le retour de la guerre implique, sauf à s’en remettre indéfiniment à l’OTAN, aujourd’hui indispensable quoique trop dépendante des orientations de la politique américaine, la construction d’une véritable Europe de la défense, et donc une chaîne de commandement sous autorité d’un pouvoir fédéral européen. Ce pouvoir fédéral ne pourra exister que s’il découle de la volonté des peuples, donc d’une légitimité retrouvée.
La dépendance énergétique liée aux importations russes, tout comme l’accélération de la crise climatique, exigent le développement d’une politique européenne intégrée de l’énergie, afin de négocier ensemble de nouvelles sources d’approvisionnement, de développer un service public européen de l’énergie apte à privilégier les énergies renouvelables, les moyens de transports propres et des tarifs n’excluant aucun.e Européen.ne.
Le repli nationaliste de la Chine, vers laquelle les capitalistes européens ont exporté depuis trop d’années unités de production et donc emplois, notamment d’ouvriers et de techniciens, doit nous conduire à amplifier la relocalisation industrielle – également rendue nécessaire par la fragilité et l’insoutenabilité écologique des circuits longs de transport – via un protectionnisme européen assumé. Pourquoi pas ainsi un « Buy european act » semblable à celui pratiqué par les Etats-Unis ? L’Europe ne peut plus être le géant naïf du commerce mondial.
Tout ceci nécessite l’affirmation de notre soutien au transfert de pouvoirs des Etats Nations vers un échelon fédéral européen et donc, pour être accepté par les peuples, une démocratisation et une clarification des instances européennes.
Nous, socialistes, devons assumer la proposition d’un gouvernement fédéral européen, désigné par la majorité du Parlement Européen, représentant des peuples. Celui-ci formerait, avec les Conseils des Ministres Européens concernés, des commissions bilatérales chargées de contrôler ce gouvernement fédéral. Le Conseil Européen représentant les Etats, lui, jouerait le rôle de chambre haute dans l’élaboration des projets de directives et de règlements – tout en gardant la main sur les projets de révision des traités.
Ainsi, le Parlement Européen aurait le dernier mot sur les actes à portée législative, et jouerait pleinement son rôle de contrôle de l’exécutif européen. Celui-ci, qui remplacerait la Commission Européenne d’aujourd’hui, ne serait plus désigné par les Etats mais issu directement de la majorité du Parlement. Quant à l’incarnation de l’Union, elle serait assurée soit par le Président de cet exécutif redéfini, soit pourquoi pas par un Président de l’Union désigné au suffrage universel direct ?
Les peuples européens l’accepteraient-ils ? Cette proposition n’est-elle pas contradictoire avec la montée électorale des nationalismes et des gouvernements autoritaires au sein même de l’Union, alimentée par le rejet du libre-échange et la crainte des migrations ?
On peut faire le pari du contraire : c’est l’absence de pouvoir, de puissance européenne qui crée les conditions du repli national et le retour à des identités largement mythiques, utilisées par les démagogues de tout bord. La crise du Covid, la menace impérialiste russe ont confirmé l’attachement très large des peuples à l’Union, qu’il s’agisse de la monnaie commune ou d’une réponse unitaire aux agressions et menaces du régime de Poutine.
Et puis, où serait l’alternative, sinon dans le chacun pour soi et le recours à une tutelle étatsunienne dont rien ne garantit la permanence à l’avenir ?
Enfin, la promesse de liberté, de justice et de solidarité ne peut rester l’apanage d’un club fermé, d’où la nécessité de l’élargissement. Or celui-ci ne peut se faire sans ce « pas en avant » permettant de légitimer, démocratiser et rendre plus efficaces les décisions européennes.
Si nous sommes fidèles aux idéaux de nos fondateurs, et si nous voulons rester ce que nous sommes, n’en déplaise aux éternels souverainistes à courte vue, c’est à dire un modèle, (certes largement perfectible) politique, économique et social, alors rien ne justifie que nous n’ouvrions pas nos portes aux Etats qui demandent leur adhésion : l’Ukraine d’abord, les Etats balkaniques, demain la Moldavie ou la Géorgie, voire la Turquie. Ces adhésions ne seront soumises qu’à une seule condition préalable : le respect de la démocratie et de l’état de droit.
Ainsi les socialistes, et notamment via le PSE dont l’action est aujourd’hui beaucoup trop inaudible faute d’incarnation et de relais des débats et positions via les partis frères, pourraient porter devant l’opinion publique plusieurs objectifs.
La mise en place des institutions décrites ci-dessus pourrait s’envisager dans une démarche de cercles d’approfondissement concentriques ou de « noyau dur », avec les Etats qui
en ont la volonté, sous la forme d’une véritable Constitution pour une Union fédérale européenne. En ce cas, les pays membres qui resteraient hors de cet espace fédéral continueraient à bénéficier d’un espace de libre-échange et de coopération renforcée sous réserve de respecter les normes de l’état de droit. Ce dispositif pourrait s’appliquer, s’il le souhaite, à un Etat comme le Royaume-Uni.
Quant au noyau dur fédéral, ses compétences seraient certes soumises au principe de subsidiarité, mais auraient vocation à couvrir tous les domaines d’intervention publics traditionnels : pour que l’Europe soit forte, il faut qu’elle puisse intervenir dans tous les domaines. Un modèle de valeurs, fondé sur l’Etat de droit, et des institutions démocratiques ne peuvent incarner la volonté des peuples que s’ils se nourrissent de projets politiques ; ceux-ci, en retour, ne peuvent être contraints de manière limitative. Aujourd’hui, l’Europe n’intervient que si les traités l’y autorisent ; demain, elle interviendra dès lors que ses élus décideront, pour des raisons d’efficacité, de stratégie, d’échelle que l’action publique adaptée doit être menée au niveau fédéral.
Le financement des politiques européennes serait porté par un budget autonome, et assuré par la taxation des échanges financiers de la zone de libre-échange. Et leur objectif devrait sortir du carcan des principes retenus dans les traités de Rome et de Maastricht, certes louables pour le développement d’un marché et d’une monnaie uniques, mais qui doivent être complétés par la prise en compte, dans un débat beaucoup plus politisé qu’aujourd’hui, du bien-être des peuples.
L’un des leviers consistera en une refonte des missions de la Banque Centrale Européenne en lui ajoutant des objectifs humains et environnementaux (bien-être, pauvreté, émission de gaz à effet de serre, état de conservation des espaces naturels, etc.) qui contrebalancent les indicateurs purement économiques comme le PIB et les niveaux de déficits ou d’inflation. La BCE ne serait plus « indépendante » - que signifie au juste cette notion en démocratie, sinon un alignement sur les intérêts financiers capitalistes - mais bel et bien responsable devant les instances qui représentent le peuple européen.
L’Union recherchera l’autosuffisance stratégique, par la création de coordinations européennes ayant le cas échéant compétence dans les domaines de la santé publique, de l’alimentation et de la sécurité numérique.
Les compétences de défense et de diplomatie reviendraient à l’Union, seule capable de peser dans un monde multipolaire, avec la constitution d’un corps européen d’intervention et d’une réserve citoyenne européenne pouvant agir sur tous les territoires sur décision des instances fédérales.
La politique de l’Union, régulièrement redéfinie au sein du gouvernent fédéral, s’inscrira également dans une logique de coopération avec les pays du Sud, à commencer par nos voisins et partenaires africains.
Comme toujours, la guerre est un accélérateur de l’Histoire, une histoire qui s’emballe à nouveau sous nos yeux, pour le pire peut-être, pour le meilleur si nous le voulons.
Pour nous socialistes, profondément internationalistes, attachés à la paix, à la justice sociale, au respect de la démocratie, à la préservation de l’environnement, l’Union est à un tournant : soit elle fait le choix de l’immobilisme, du déclin et de l’échec, soit elle va de l’avant et contribue à fonder un monde d’après-crise plus sûr, plus juste et plus démocratique.
Nous voulons donc aujourd’hui et demain construire l’Europe des peuples face aux dictatures, l’Europe des solidarités face au capitalisme sans frein ni conscience, l’Europe de la transition écologique face à celle du productivisme.l.
Une Europe fédérale, politique : oui, les États Unis d’Europe.
Les signataires :
- Matthieu Leiritz, secrétaire fédéral (54)
- Jérémy Houssay, secrétaire fédéral (54)
- Marie-José Amah, première secrétaire fédérale, vice présidente du conseil départemental (54) - Olivier Jacquin, sénateur (54)
- Anthony Perrin, secrétaire de section, conseiller départemental (54)
- Céline Geismann, secrétaire nationale adjointe à l'Europe
- Gérald El Kouatli, secrétaire fédéral (54)
- Dominique Deviterne, secrétaire de section, conseiller municipal de Pulnoy (54) - Benjamin Claudon, animateur fédéral du MJS54, bureau national des jeunes socialistes - Julien Lefebvre (54)
- Mary Maire (54)
- Estelle Picard, conseil national, secrétaire fédérale (79)
- Stéphane Barbier (54)
- Hélène Dousse (54)
- Laurent Olivier (54)
- Mouloud Merbah (54)
- Skender Hekalo, secrétaire de section (54)
- Christine Minery, secrétaire de section, secrétaire fédérale, conseillère municipale (54) - François Renault, secrétaire fédéral (54)
- Laurent Olivier (54)
- Nicole Samour, première secrétaire fédérale (51)