Thème : Culture
Socialistes, notre bataille culturelle pour la culture
Alors que le monde se dérègle et que la logique marchande continue de s’étendre sans relâche, la culture apparaît une fois de plus dans le débat public comme la dernière roue du carrosse. Un objet de divertissement qui, aux yeux des libéraux et des réactionnaires, ne serait que la pointe avancée d’un gâchis d’argent public ou d’une prétendue gauchisation des esprits.
La gauche sait ce que la culture apporte à notre nation et à l’Europe : un ciment collectif qui fédère autour d’une identité faite d’influences multiples. A l’échelle individuelle, la culture constitue un formidable levier d’émancipation, offrant à chacun une ouverture sur le monde, un accès au savoir et la capacité de forger un esprit critique, fidèle à l’héritage des Lumières.
Dans un contexte de crises multiples et de progression des autoritarismes et des totalitarismes, la culture se dresse comme un rempart essentiel pour nos valeurs démocratiques. La culture, constituant un élément central de notre quête de souveraineté européenne, doit être remise au centre des débats dans un contexte de destruction de la création, opérée par les puissances révisionnistes, et de “guerre des contenus culturels” imposée par la puissance américaine qui souhaite inonder l’Europe, qu’elle considère comme un simple marché, au mépris de la diversité culturelle qui nous est chère.
Face au marché tout puissant, l’exigence de l’exception culturelle
Pourtant parfois, la gauche, trop heureuse de proposer un contre-narratif à la doxa libérale, tombe dans une justification purement économique de l’importance du soutien au secteur culturel. Bien sûr, la culture crée de la valeur. Bien sûr, la culture génère des emplois. Mais elle ne sera jamais une marchandise comme une autre. Elle ne peut pas être seulement, comme le souhaite la Commission européenne, un instrument au service de la compétitivité économique.
Ce refus de la marchandisation est d’autant plus nécessaire à l’heure où la culture a été phagocytée par la logique industrielle comme l’ont théorisé Adorno et Horkheimer. Ce sont au final deux dangers qui continuent de guetter le secteur culturel.
D’une part, le rouleau-compresseur capitaliste, obsédé par la quête incessante du profit tend à assimiler consommation et culture et exploite l’augmentation du temps libre pour proposer des biens culturels factices. Ces produits, conçus pour alimenter ce que Hannah Arendt décrit comme “la réceptivité passive de la distraction, un métabolisme qui se nourrit des choses en les dévorant”, contribuent à une standardisation culturelle sans précédent. L’objectif ? Attirer un maximum de consommateurs par une offre de produits uniformisés et interchangeables, au détriment de la diversité et de l’authenticité.
D’autre part, le snobisme culturel constitue une menace tout aussi pernicieuse. Ce mépris pour les nouvelles formes d’expression – qu’il s’agisse des cultures populaires, des jeux vidéo ou de toute création en dehors du canon traditionnel – perpétue une domination culturelle marquée par une violence symbolique inédite. Ce phénomène porte un nom : le philistinisme cultivé. La culture y est réduite à un marqueur de distinction sociale, entretenu par une élite qui confond raffinement et exclusion, jusqu’à aboutir à une “intellectualisation du kitsch” dénuée de véritable profondeur.
Dans ce contexte, la politique culturelle française et notre précieuse “exception culturelle” doivent continuer à être des boussoles. Héritage socialiste que nous devons notamment à Jacques Delors, l'exception culturelle repose sur deux principes fondamentaux : d’une part, le refus de donner une valeur strictement économique à la culture; d’autre part la conviction que l’Etat doit intervenir massivement pour la culture. Le prix unique du livre, le géo-blocage pour le cinéma, l’impossibilité d’inclure la culture dans les traités de libre-échange : voici quelques exemples, perpétuellement attaqués par la droite, de ce qu’a produit et continue de produire l’exception culturelle en Europe et en France.
Le réengagement de la gauche pour la culture, une nécessité à l'heure du désengagement de la droite dans tous nos territoires
En Auvergne-Rhône-Alpes, dans les Pays-de-la-Loire, à Berlin, partout où la droite passe, elle attaque la culture dans ses financements ou dans l’indépendance de ces acteurs. Si dénoncer ces offensives demeure indispensable, il nous faut désormais aller au-delà de la simple protestation : il est urgent de bâtir des outils de protection et de soutien plus robustes, garantissant à la culture et à ses acteurs des financements pérennes et une véritable liberté d’expression. Il nous faut assumer que la culture est une priorité et que demain, au pouvoir, nous soutiendrons la culture, empêcherons le désengagement budgétaire des collectivités territoriales de droite, et donnerons à toutes les moyens de leurs ambitions.
La démocratisation culturelle repose avant tout sur les territoires et le travail acharné d’élus locaux qui se battent pour que la culture soit partout, dans la lignée des politiques ambitieuses initiées par André Malraux et Jack Lang. Dès le plus jeune âge, les citoyens français et européens doivent pouvoir bénéficier d’un enseignement artistique de qualité. Les visites des musées et établissements culturels doivent pouvoir être systématisés et constituer un droit effectif pour tous, quel que soit le milieu social ou géographique. Afin de lutter contre les déserts culturels, il est également nécessaire de réduire les inégalités de financements abyssales entre les différents territoires.
La culture face aux plateformes et au défi de l'intelligence artificielle
Au terme de cette contribution, il nous est impossible d’ignorer les grandes mutations technologiques qui ont un impact direct sur la culture : l’intelligence artificielle et la plateformisation.
Sans être technophobe, jamais, il nous faut assumer que les oligarques qui sont aujourd’hui propriétaires ou actionnaires des plateformes ou des grandes entreprises d’IA, la Big Tech si il faut les nommer, sont aujourd’hui la première ligne de front d’une guerre hybride faite à notre modèle social comme démocratique. Dans cet esprit, il nous faut assumer l’affrontement.
La grande spoliation d'œuvres culturelles orchestrée par les modèles d’IA générative doit être condamnée et combattue. Alors que les IA peuvent mettre désormais au point des œuvres créatives, l’Union européenne doit s’affirmer comme une puissance culturelle capable de dompter les déstabilisations que pourrait susciter l’intelligence artificielle pour le monde créatif. La priorité doit aller à la préservation du droit d’auteur et à la rémunération des créateurs en s’assurant que le modèle de résumé qui doit être rendu public par les fournisseurs de modèles d’IA à usage général soit suffisamment détaillé et que le code de bonnes pratiques élaboré par le bureau européen de l’IA inclut des licences d’utilisation des oeuvres pour entraîner les modèles. De manière plus ambitieuse, il serait nécessaire de retourner la charge de la preuve et d’obliger les fournisseurs d’IA à rémunérer les artistes sur la base des œuvres utilisées.
L’intelligence artificielle n’est pas un ennemi pour les créateurs mais elle pourrait le devenir. A nous Européens, de sortir de notre naïveté, pour protéger nos artistes et inspirer le reste du monde dans le développement d’une intelligence artificielle éthique et responsable tenant compte de la diversité culturelle.
L’impact des algorithmes de recommandation des plateformes qui façonnent les préférences culturelles des utilisateurs causent aussi, dans le même temps, des dommages sans précédent pour la création, victime d’une standardisation sans précédent ; et à l’écosystème vertueux des artistes, aujourd’hui privés pour une grande partie de rémunération juste.
Enfin, il nous est impossible d’ignorer la montée en puissance des plateformes qui ont un rôle d’intermédiation culturelle, pour le meilleur mais souvent pour le pire. Nous devons ainsi réfléchir sérieusement à la montée de ce que l'on peut qualifier de techno-féodalisme ou de techno-capitalisme. En façonnant de plus en plus nos préférences, en nous encourageant à travailler pour une forme de « cloud capital » et en faisant pression sur les artistes pour qu'ils se conforment aux tendances dominantes dans le but d'obtenir un engagement maximal de la part des consommateurs ; il est aujourd’hui primordial d’assumer que deux modèles se font face, celui du tout-marché des plateformes, et celui de la liberté de création et de la diversité culturelle des socialistes.
Demain, un protectionnisme culturel européen et la bataille culturelle pour la culture des socialistes
La création de plateformes européennes mais aussi la mise en place d’un protectionnisme culturel européen doivent nous permettre de répondre à ce nouveau défi. A cet égard, nous devons prendre exemple sur la formidable architecture de protection du cinéma et de l’audiovisuel européen. Les quotas et obligations d’investissement imposés aux diffuseurs et aux services de vidéo à la demande, y compris les plateformes de streaming américaines, afin de soutenir la production indépendante et préserver la diversité culturelle, sont un véritable atout qui devra être renforcé lors de la révision de la législation européenne en 2026.
Pour les socialistes et la gauche, la culture a toujours été au cœur de notre projet politique pour la France, l’Europe et le monde. Demain, face aux réactionnaires, aux illibéraux et aux ultralibéraux, il nous faut reprendre le chemin de la lutte pour l’émancipation et la liberté de chacun, la culture au centre de nos combats socialistes.
Contributeurs :
Première signataire : Emma Rafowicz, députée européenne, vice-présidente de la Commission CULT du Parlement européen (Culture, Education, Sport et Jeunesse) et présidente des Jeunes socialistes
Signataires :
Garcia Abia
Fatiha Aggoune
Jean-marc Aguerre
Marie Anne
Cyprien Asseh
Maxime Ayrault-Barjou
Sylvie Baguelin
Sullivan Berthier
René Bokobza
Alexis Bouchard
Morgan Bougeard
Yvain Bourgeat-Lami
Charles Bozonnet
Arthur Balossier Merchan
Ahmed Baltagi
François Briançon
Luc Broussy
Pierre Yves Calais
Rachel Capron
Franck Charlier
Martin Cousin
Paul Cruz
Louis Daumal
Sylvie Dariosecq
Arthur Delaporte
Matthieu Delmestre
Ninuwé Descamps
Françoise De Percin
Danielle Desguées
Clément Deixonne
Clément Delage
Alia Enard
Olivier Faure
Febvrel
Anna Fregonese
Cyril Galle
Valentin Guenanen
Catherine Guien
Franck Guillory
Marie Louise Gonzales
Emmanuel Grégoire
Olivier Goasampis
Laure Laurya
Alexandra Jardin
Pierre Jouvet
Nadia Kharfallah
Sarah Kerrich
Louis L’Haridon
Luc Lebon
Mathys Leblanc
Karl Légeron
Camille Leprieur
Yves Le Pape
Louis L’Haridon
Raoul L'Herminier
Garance Litha
Hugo Longeas
Brigitte Marciniak
Aurélie Ortiz
Yannick Ohanessian
João Martins Pereira
Poursin
Michel Marty
Emmanuelle Morel
Mireille Massin
Baptiste Maurin
Catherine Muller
Michèle Muratore
Aurélie Ortiz
Anna Pic
Estelle Picard
Michel Puzelat
Caroline Racine
Thomas Roller
Thibaud Rosique
Sabin Ridel
Alexane Riou
Sylvie Robert
Jérôme Saddier
Lorenzo Salvador
Charles Silvain
Cyrille Stevand
Fabienne Stochement
Anzil Tajammal
Adam Taieb
Joachim Taieb
Yannick Trigance
Alexandra Tzatchev
Pierre-Emmanuel Vidal
Maxime Vuidel
Karim Ziady