Socialistes, rassemblons-nous dans le respect de notre diversité


Thème : Démocratie interne


Mes camarades,

Notre parti a ses codes, sa culture et ses pratiques et nous baignons dans cette culture souvent pour le meilleur, mais aussi parfois pour le pire.

Nos proches quelquefois, si ce n'est souvent, souffrent de notre engagement. Nombre d'entre nous sont presque tous les soirs en réunion, quittant leur conjoint.e ou leurs enfants à 19h00, parfois bien plus tôt, pour aller servir le parti. Nous en revenons parfois euphoriques, parfois révulsés mais la plupart du temps épuisés: nos proches nous écoutent, compatissants mais aussi et souvent incrédules.

Ceux-ci, à moins d'être également militants (et ce n'est pas forcément toujours souhaitable), nous demandent régulièrement pourquoi nous passons autant de temps pour finalement n'en retirer souvent que fatigue et frustration. Nous trouvons souvent des raisons.

Il y a cependant au moins deux sujets sur lesquels il est plus difficile de se justifier.

Tout d'abord rien ou presque ne remonte plus de la base au « sommet ».

Nos « chefs », toutes tendances sensibilités confondues, semblent évoluer dans une autre dimension que la nôtre.

Combien de motions adoptées par les camarades en section ou dans les conseils fédéraux se sont perdues dans les courroies de transmission vers le haut ? Combien d'avertissements de la base se sont égarés dans des sables mouvants en essayant d'aller vers le sommet ? La liste pourrait être très longue…

Faute de décourager tou.te.s celles et ceux qui s’investissent sincèrement dans l’élaboration de propositions par un travail collectif, il nous faut être particulièrement attentifs à ce que ce travail soit réellement pris en compte.

Ensuite, il y a la culture de la brutalité.

Le dicton « Si tu n'es pas avec moi, alors que tu es contre moi. » est aussi absurde que répandu dans le fonctionnement du parti.

Combien de fois avons-nous vu des camarades être traités en fonction du texte d'orientation qu'ils avaient signé et non en fonction de ce qu'ils disaient réellement ? Combien de fois avons-nous assisté à des échanges d'une violence inouïe entre camarades ? Combien de fois avons-nous subis, ou pire fait subir, des procès en moralité sur le fait de savoir si tel ou telle était vraiment de « gauche » ou au contraire trop « gauchiste » ? Combien de fois avons-nous entendu la phrase « La porte, elle est là ! » lancée uniquement par désaccord ?

Cette violence en politique et singulièrement au Parti socialiste est aussi présente que nocive. Qui peut sincèrement croire qu'un parti politique démocratique peut se renforcer en s'épurant?

Poser ce tableau, un peu sombre, est indispensable pour se dire les choses, donner à tou.te.s les militant.e.s socialistes une véritable raison de rester, et à de nombreux autres l’envie de nous rejoindre.

Le vivre ensemble.

Il est issu d'un choix simple: celui de l'apaisement et du bien-être. Évidemment les désaccords demeurent et nous enrichissent. Mais en faisant évoluer notre logiciel et surtout nos pratiques, être heureux dans son engagement doit être plus important qu'avoir l'illusion d'avoir raison.

Nous avons tellement de progrès possibles. Et les périodes de Congrès, celles des élections et des alliances en vue de la victoire ne sont pas les plus propices à l’apaisement et à l’écoute mutuelle. Voici donc quelques pistes pour renouer avec l’envie et la joie de militer ensemble.

Sortir de la culture du « chef » et de la verticalité en renforçant notre démocratie interne

Le parti socialiste a longtemps été le parti de la République parlementaire, a longtemps refusé la présidentialisation de la 5ème République (ce « coup d’état permanent ») et promu l’idée d’une 6ème République. Mais notre organisation et nos pratiques interne ont reproduit cette dérive présidentialiste en instaurant l’élection au suffrage universel direct du 1er secrétaire (National, Fédéral ou secrétaire de section). Nous socialistes, n’avons pourtant pas de Présidence ou de Vice-Présidences mais des 1ers secrétariats et des secrétariats. En attendant d’envisager de réformer notre organisation interne et/ou le mode d’élection, il semble indispensable de redéfinir le rôle de l’exécutif dans nos instances.

L’exécutif (le secrétariat national, fédéral ou de section) ne dirige pas le parti, la fédération ou la section mais anime, organise, représente les militant.e.s ou leur représentant.e.s démocratiquement élu.e.s au Conseil National, Bureau National, Conseil Fédéral, Bureau Fédéral, Commission administrative de Section ou Bureau de Section, met en œuvre les décisions ou orientations décidées par ces instances représentatives ou par l’assemblée générale des militant.e.s et rend compte régulièrement de ses actions et de leurs résultats en toute transparence auprès des adhérent.e.s. Il est nécessaire de préciser dans nos différents règlements intérieurs, les cas où l’exécutif a mandat pour agir, les cas dans lesquels il doit consulter préalablement les adhérent.e.s directement, les cas où la décision revient à leurs représentant.e.s élu.e.s. C’est ainsi que nous établirons réellement la démocratie représentative et participative que nous prônons et que notre exemplarité dans nos pratiques internes confortera notre crédibilité à exercer le pouvoir de cette manière.

Renforcer et favoriser l’expression de la diversité d’opinion

Le congrès fondateur du Parti socialiste, congrès d'Épinay, officiellement congrès d'unification des socialistes, a été à la fois celui du rassemblement de toute la famille socialiste (hors PSU) et celui de l’affirmation des sensibilités qui la composent (7 motions). Déjà à cette époque, deux tendances s’affrontaient durement sur le sujet des alliances (avec le PCF). Et déjà la question de la radicalité était posée : Pour François Mitterrand partisan de l’union de la Gauche et élu 1er secrétaire avec seulement 51,2% des voix, « la révolution, c'est d'abord une rupture avec l'ordre établi. Celui-qui n'accepte pas cette rupture avec l'ordre établi, avec la société capitaliste, celui-là ne peut pas être adhérent du Parti socialiste ». En 50 ans, à quelques très rares exceptions près, entre 3 et 7 motions ont été présentées aux suffrages des militant.e.s lors des congrès du Parti socialiste.

Le congrès de Villeurbanne l’a révélé et les élections législatives l’ont confirmé, la présence de seulement deux Textes d’orientation, de deux courants face à face, conduit à l’affrontement permanent, à un manichéisme artificiel et délétère qui ne permet pas la synthèse (mot banni du vocabulaire socialiste d’après Libération en avril 2017), y compris sur des sujets sur lesquels tou.te.s les socialistes pourraient ou devraient se rassembler.

Aussi, il parait au moins souhaitable, sinon nécessaire voire indispensable, de favoriser l’émergence et l’expression de plus de sensibilités organisées, de plus de courants, de plus de Textes d’orientation. Cette diversité des sensibilités qui composent la famille socialiste, permet seule, après des débats éclairés et basés sur la rationalité, de dégager des « majorités de projet » et de rechercher une synthèse qui rassemble, au lieu d’un affrontement permanent et public (puisqu’aujourd’hui tout est public). C’est aussi le meilleur moyen que les minorités ne se sentent pas écrasées et méprisées par les majorités et que chaque militant.e perçoive que son opinion est reconnue et respectée.

Établir des règles de débat apaisé aussi bien dans nos réunions que sur les boucles d’échange internes

Bien trop souvent nos réunions ressemblent plus à des foires d’empoigne qu’à un travail collectif de camarades pour la construction d’une société meilleure pour nos concitoyen.ne.s. Et que dire de nos échanges sur les réseaux sociaux, bien trop réducteurs, rarement étayés par des arguments rationnels et trop souvent mettant en cause des camarades intuitu personae, voire mêmes insultants ?

Pourtant l’établissement de règles simples, qui s’imposeraient à tou.te.s parce qu’adoptées démocratiquement et connues de chacun.e, devraient nous permettre de retrouver la sérénité et la joie de militer et de construire ensemble. Ces règles devraient donc être inscrites dans les règlements intérieurs des différentes instances.

En réunion :

  • Un ordre du jour fixé démocratiquement, chaque membre devant pouvoir faire des propositions, avec peu de points pour permettre d’approfondir et de débattre quitte à se réunir plus souvent au besoin.
  • Des points communiqué suffisamment à l’avance pour permettre une communication écrite préalable de chacune des sensibilités (organisées ou non) présentant les principaux arguments.
  • Une présidence de séance tournante élue en début de réunion avec une alternance des sensibilités. Celle-ci inscrit les interventions, fixe les temps de parole en fonction du temps global alloué et du respect de l’équité, est garante de la bonne tenue et de la sérénité des débats, du respect des règles et de la régularité des votes et s’abstient de participer aux débats.
  • Un secrétariat de séance collectif représentatif des différentes sensibilités, chargé d’établir les comptes-rendus qui doivent être adoptés en début de séance suivante.
  • Des temps de parole respectés sans interruption intempestive.
  • Des règles de prise parole éthiques et respectueuses : pas d’interpellation nominative (on s’adresse à l’assemblée, on ne répond pas à un.e camarade en particulier), argumentation basée sur la rationalité et pas sur l’émotion, recherche de compromis.
  • Des tours de table, organisés quand cela est possible pour les points essentiels, afin de donner la parole à celles et ceux qui n’osent pas la demander.

 Sur les boucles internes :

  • L’objet des boucles doit être défini et des modérateurs représentatifs de chaque sensibilité afin de supprimer les posts sans rapport avec l’objet, dans un esprit de consensus.
  • Pas d’interpellation nominative (on s’adresse au collectif, on ne répond pas à des camarade en particulier), argumentation basée sur la rationalité et pas sur l’émotion, éviter les jugements péremptoires sans argumentation.

Promouvoir la décentralisation et le fédéralisme à tous les niveaux

Le Parti socialiste est le parti de décentralisation, celui qui l’a mis en œuvre dans la sphère publique. Ainsi, François Mitterrand, alors Président de la République, lors de la séance du Conseil des Ministres du 15 juin 1981 déclarait : « la France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire. Elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire ». Mais nos processus et notre organisation internes sont de plus en plus en contradiction avec ce que nous prônons pour tous. Comment peut-on nous faire confiance dans ce cas, comment les militant.e.s peuvent-iels être à l’aise dans cette schizophrénie politique et promouvoir à l’extérieur l’inverse de ce qu’iels observent des pratiques internes ?

Alors, plutôt que recentraliser en supprimant la possibilité pour les fédérations d’établir leurs propres Statuts ou en réduisant leur autonomie financière par l’adoption d’un tarif unique de cotisations des militant.e.s, favorisons leur autonomisation et celles des sections, encourageons les expérimentations en matière de démocratie ou de pratiques politiques en veillant à ce que celles-ci soient conformes aux principes contenus dans nos textes (Déclaration des principes, Charte des Socialistes pour le progrès humain, Statuts nationaux).

Inscrire dans nos textes les principes essentiels de notre fonctionnement interne

L’élaboration d’un projet, les combats que nous menons, sont et doivent rester le fruit d’un travail collectif, élaboré de façon ouverte et transparente, à la manière dont nous concevons l’exercice de la démocratie. Il nous faut donc adopter les principes de fonctionnement suivants, tant en interne que dans le travail des élu.e.s ou dans notre participation à des mouvements citoyens. Ces principes doivent être inscrits dans nos textes statutaires pour les rendre opposables par tout.e adhérent.e.

  • Egalité des adhérent.e.s sur la base d’une personne, une voix.
  • Respect du principe d’exemplarité dans le fonctionnement.
  • Affirmation de la démocratie à tous les niveaux : fédéralisme, subsidiarité, représentativité des élu.e.s, séparation des pouvoirs. Respect du pluralisme dans le cadre de majorités au consensus ou qualifiées avec respect des minorités.
  • Parité hommes/femmes au niveau interne et externe pour les postes à responsabilité et les candidatures avec adoption de modes de scrutin appropriés et parité des exécutifs.
  • Reconnaissance de la (des) diversité(s) de la société à tous les niveaux de responsabilité interne et externe.
  • Droit de retrait: Un.e militant.e ou un groupe en désaccord avec une décision a le droit de ne pas participer à sa mise en œuvre, sans toutefois permettre d’agir publiquement contre.
  • Limitation stricte du cumul des mandats, internes et externes, occupés simultanément ou dans le temps.
  • Transparence des comptes et indépendance : budget transparent pour tou.te.s et comptes publiés en interne.
  • Droit à l’expérimentation de nouvelles formes d’action collective et de militance.
  • Droit à l’information et à la formation.
  • Résolution non violente des conflits par des organes ad hoc.

En guise de conclusion

Notre vivre-ensemble peut être, doit être, notre plus belle réussite et le signe indéniable de notre exemplarité. Ce fut et cela reste la raison essentielle pour nous de « remettre une pièce dans la machine » et la manière de donner envie à d’autres de nous rejoindre.

Ici, ce qui nous réunit est infiniment plus fort que ce qui nous fracture.

Ici, nous accueillons avec bienveillance tous les désaccords et laissons dehors les procès en inquisition.

Ici, nous sommes tous égaux quelle que soit la diversité de nos opinions.

Ici, nous sommes chez nous, heureux de nos différences.

Ici, nous sommes tous socialistes…


Premier signataire :

Pierre Sztulman - Commission Nationale Entreprises, Louis Chambaudu - Commission Nationale des Conflits

 

Veuillez vérifier votre e-mail pour activer votre compte.