Thème : Jeu vidéo
Notre contribution a pour objectif de faire prendre conscience de la pertinence d’une réflexion politique d’ensemble, transversale, sur les politiques publiques relatives aux jeux vidéo. En effet, au-delà de son image trop souvent négative et à son assimilation à une « sous-culture » problématique, la prégnance de ce secteur ne peut plus souffrir de contestation.
En 2020, l'industrie du jeu vidéo représente en France un chiffre d'affaires marchand de 3,5 milliards d'euros selon les données publiées par le ministère de la culture. Le jeu vidéo a été le seul secteur culturel à croître durant la crise sanitaire (+21% en 2020). Si les pratiques vidéoludiques sont adaptées au contexte de confinement, ces chiffres ne font que mettre en valeur un phénomène culturel et industriel plus ancien. Entre 2015 et 2018, le secteur a crû de 11% par an selon une étude de la direction générale des entreprises (DGE).
Les chiffres clés 2022 du ministère de la culture confirment la tendance. Le chiffre d'affaires (CA) du secteur du jeu vidéo excède, en 2021, de 12% la valeur du CA de 2019 (41% au quatrième trimestre).
Toutefois, ces chiffres ne prennent pas en compte la distribution numérique, devenue majoritaire. D'après le bilan du marché 2020 du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL), le CA du secteur dans son ensemble représente 5,3 milliards d'euros en 2020 (+11,3% par rapport à 2019). Ce CA progresse de 1,6% en 2021 (5,6 milliards d'euros) et baisse légèrement en 2022 (5,5 milliards d'euros).
À titre de comparaison, le chiffre d'affaires en 2020 du secteur du cinéma en France est de 3,2 milliards d'euros (-33%) selon le bilan 2020 du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). D'après une étude de l'Insee sur l'édition de logiciels, en 2020 le chiffre d'affaires dans l'édition de jeux électroniques a connu deux pics en mars (+50,9% par rapport à janvier) et en décembre (+60,3%), soit au moment des confinements (mais aussi de Noël pour le second).
Selon le baromètre 2021 du jeu vidéo en France du Syndicat national du jeu vidéo (SNJV), en 2021, près de 1 350 jeux étaient en cours de production et 750 jeux ont été commercialisés en France. Cette tendance n'est pas nouvelle, puisque les studios (développement de jeux) et les éditeurs (diffusion et promotion) français ont une grande importance dans l'histoire du jeu vidéo.
Ce qu’il convient désormais d’appeler le 10ème art est désormais une composante actuelle de la pop-culture et est devenu à ce titre un phénomène culturel rassembleur à bien des égards et au-delà même des générations. Pokémon, Candy Crush, FIFA, Gran Turismo, GTA, Zelda, Call of Duty, Tetris, Fortnite, World of Warcraft, etc. La liste pourrait être longue des jeux qui ont non seulement marqué les esprits mais aussi et surtout intégré notre référentiel culturel partagé. On ne peut aujourd’hui plus nier l’importance de ce secteur tant sur le plan économique que culturel.
Dans une perspective plus nationale, ce phénomène touche désormais massivement l’ensemble de la population.
Selon une étude de l'Insee de février 2021, le taux d'équipement des ménages français en ordinateurs (portables, fixes ou tablettes) a doublé en 15 ans. En 2019, 96% des ménages possèdent un téléphone portable et 83% un ordinateur.
Le taux d'équipement en matériel informatique qui, contrairement aux consoles, n'est pas exclusivement ou initialement destiné au jeu vidéo contribue à expliquer l'engouement. Le fait que les jeux gratuits (free to play), avec des achats dans le jeu, soient un modèle économique très présent sur l'écosystème mobile explique aussi le développement de la pratique.
D'après l’enquête « Pratiques culturelles des Français » du ministère de la culture, 53% des Français âgés de plus de 15 ans ont joué aux jeux vidéo en 2020, contre 19% en 1997. L'effet des confinements ne suffit pas à expliquer ces chiffres, puisqu'ils étaient 36% en 2008 et 44% en 2018. Il y a donc une progression continue qui exprime une tendance de fond.
En 2020, 74% des femmes et 93% des hommes nés entre 1985 et 2004 ont joué au jeux vidéo au cours de l'année. Un enfant sur deux et un adulte sur trois jouent quotidiennement. Près de 20% des Français jouent plusieurs fois par jour. On compte 19% de retraités parmi les joueurs français.
Enfin, notons que la France est de longue date positionnée très positivement dans ce secteur, comme en atteste l’image désormais incontestée de la French Tech et les succès obtenus dans le secteur.
Dès les années 1980, studios et éditeurs français sont reconnus pour leur savoir-faire : Delphine Software, Microïds, Infogrames, Lankhor, Loriciel, Silmarils, etc. Souvent ces entreprises commencent par l'édition, pour se lancer ultérieurement dans le développement. Ubisoft, une entreprise familiale d'abord impliquée dans la distribution de jeux, croît jusqu'à devenir une multinationale qui dispose de studios implantés partout dans le monde en 2023.
En 2018, selon l'étude de la DGE, la filière française du jeu vidéo compte 958 acteurs économiques, dont 496 studios et 53 éditeurs.
Signe que la crise sanitaire n'a pas eu d'impact sur la vitalité du secteur, le SNJV estime dans son baromètre 2021 qu'il y a près de 700 studios de développement en France sur 1 200 entreprises de jeu vidéo. Les activités de production y sont majoritaires.
Les plus gros éditeurs internationaux font régulièrement appel à des studios français afin de développer leurs jeux (Asobo, Quantic Dream, Arkane, Focus, Don’t Nod, etc.).
Au-delà de ces succès et de cette importance croissante en tant que phénomène culturel, force est de constater que les pouvoirs publics ne se sont à ce jour que très peu saisis de cette thématique et l’on systématiquement fait de manière très sectorielle alors que la définition d’une politique publique d’ensemble apparait plus que jamais nécessaire du fait de la multi factorialité du jeu vidéo.
Ainsi, notre contribution propose que le Parti Socialiste se dote d’un axe de travail Ces travaux pourraient avec profit être articuler autour de trois axes de travail.
1. Régulation économique et juridique
Il s’agirait en premier lieu de questionner le modèle économique du secteur et d’évoquer les aides financières et extra financière à la création artistique. En toute logique, la place du secteur dans l’enseignement supérieur et le développement des métiers du jeu vidéo dans les formations proposées devra être évoqué. Enfin, on ne saurait faire abstraction des conditions de travail dans ce secteur qui fait l’objet de polémiques récurrentes fortes et légitimes.
En matière de régulation du marché, la question de la définition de prix de références et celle de la tarification des contenus additionnels (DLC ou encore loot boxes) ne saurait être laissé de côté. A partir du moment où le Parti Socialiste prône historiquement la démocratisation de la culture, les prix parfois conséquents pratiqués dans le secteur devront en effet être interrogés et les pratiques abusives comme le contenu additionnel onéreux ou généré aléatoirement ou le « scalping » combattues. La protection des consommateurs doit être primordiale.
Pour ce qui est des travailleurs et travailleuses du jeu vidéo, le parti socialiste doit être en phase avec les revendications syndicales et s’opposer aux pratiques managériales abusives, en particulier le « crunch », ou à la menace pour les emplois du secteur, en particulier dans les tâches d’écriture et de code, que représentent les modèles d’IA générative. Nos positions doivent aussi appeler à renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes au sein des studios de développer et lutter contre toute forme de violences sexistes et sexuelles à fortiori dans des environnements de travail majoritairement masculins.
Enfin, c’est la problématique du e-sport, dont le développement est particulièrement fort aujourd’hui, qui devrait être travaillée, surtout en matière d’encadrement des conditions et rythmes de travail et droits sociaux des e-sportifs et e-sportives. Plus généralement, la pratique du e-sport doit être traitée : problématiques de harcèlement dans les clubs et en compétition, une fédération qui n’arrive pas à trouver sa place, un modèle économique dirigé par les éditeurs de jeu, des clubs qui fonctionnent dans un cadre juridique flou et un monde professionnel uniquement structuré par le haut et qui ne propose pas de cadre suffisant pour former et encadrer la pratique amatrice sont autant de sujets qui méritent une réponse politique.
2. Approche artistique, culturelle et sociale du secteur
La question de la reconnaissance du secteur en tant que tel, alors qu’il est aujourd'hui géré par le CNC devra être posé, tout comme celle de l’engagement d'une structuration des acteurs via des labels artistiques. Cette logique doit contribuer à affirmer le jeu vidéo comme objet culturel et artistique à part entière, connaissant le même travail critique et intellectuel que celui exercé sur les disciplines homologues.
Le monde des streamers, streameuses et vidéastes doit aussi faire l’objet de notre réflexion en ce qu’ils sont aujourd’hui des vecteurs de mobilisation forts à l’instar du Zevent. Si cette mobilisation est en marche, elle reste encore trop lente et doit être renforcée et accélérée.
3. Des enjeux éducationnels forts
Devant les polémiques suscitées, bien souvent de manière très artificielle, on ne saurait faire l’économie d’une réflexion sur l’âge d’accès à différents types de jeux vidéo, de la même manière que la place du jeu vidéo dans l’éducation populaire gagnerait à être questionnée. Dans la même logique, l’accès aux jeu vidéo via les médiathèques et autre équipement public devrait faire l’objet d’une réflexion.
Dans un secteur bien souvent réputé sexiste, à raison à bien des égards, on ne saurait faire l’économie d’une réflexion sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans le jeu vidéo, que ce soit. L’éducation au jeu vidéo doit permettre aux joueurs et joueuses de déconstruire ces représentations sexistes et améliorer en la matière le répertoire à venir, l’objectif final étant d’améliorer tant quantitativement que qualitativement la représentation des femmes tant dans le processus créatif que dans les œuvres crées. Plus globalement, nous souhaitons lutter contre les travers patriarcaux qui structurent la production vidéoludique, luttant conjointement contre les violences sexistes et sexuelles au sein des studios et contre les schémas sexistes qui structurent les scénarios et personnages de jeu.
Dans le même esprit, il faut porter un discours fort de lutte contre le harcèlement en ligne perpétré dans le cadre de jeux vidéo en ligne.
Enfin, il faut aussi porter la création d’une véritable filière de formation publique aux métiers du jeu vidéo et ne plus laisser cette tâche à l’enseignement supérieur privé hors de prix et non encadré. Nous devons répondre à la demande forte de formation pour occuper des emplois qualifiés et prisés.
Contributeur :
Morgan Bougeard, Fédération de Paris, Section du 10ème arrondissement, Conseiller National, Secrétaire National des Jeunes Socialistes
Brice Gaillard, Fédération des Hauts-de-Seine, Section de Châtenay-Malabry, Premier Secrétaire Fédéral, Secrétaire National
Rémi Cardon, Fédération de la Somme, Section de Camon, Sénateur, Conseiller Municipal de Camon, Premier Secrétaire Fédéral, Porte-Parole du Parti Socialiste
Paul Christophle, Fédération de la Drôme, Section de Valence, Député, Premier Secrétaire Fédéral
Emma Rafowicz, Fédération de Paris, Section du 11ème arrondissement, Députée européenne, Membre du Bureau National, Présidente des Jeunes Socialistes
Franck Gagnaire, Fédération de l'Indre-et-Loire, Section de Tours, Adjoint au Maire de Tours, Premier Secrétaire Fédéral, Secrétaire National
Maylis Lavau-Malfroy, Fédération de Paris, Section du 20ème arrondissement
Isabelle Rocca, Fédération de Paris, Section du 12ème arrondissement, Adjointe à la Maire du 12ème arrondissement de Paris, Secrétaire Nationale adjointe
Tarik Zahidi, Fédération de la Seine-Saint-Denis, Section de Villetaneuse, Premier Adjoint au Maire de Villetaneuse, Secrétaire de Section
Karim Ziady, Fédération de Paris, Section du 17ème arrondissement, Conseiller de Paris, Conseiller National
Laure Aourir, Fédération de Paris, Section du 17ème arrondissement, Conseillère Fédérale, Commissaire Administrative
Romain Blachier, Fédération du Rhône, Section du 9ème arrondissement de Lyon
Raphaël Bonnier, Fédération de Paris, Section du 10ème arrondissement, Adjoint à la Maire du 10ème arrondissement de Paris, Conseiller National
Esteban Bougeard, Fédération du Val-d’Oise, Section d’Argenteuil, Président de la Commission Nationale d’Arbitrage des Jeunes Socialistes
Nicolas Bougeard, Fédération du Val-d’Oise, Section d’Argenteuil, Conseiller Départemental du Val-d’Oise, Conseiller Municipal d’Argenteuil, Président de l’UDESR du Val-d’Oise
Stéphane Bribard, Fédération de Paris, Section du 10ème arrondissement, Commissaire Administratif, Président d’une association de solidarité
Benjamin Claudon, Fédération de la Meurthe-et-Moselle, Section du Sud de la Métropole de Nancy, Secrétaire de Section, Secrétaire Fédéral
Vincent Daël, Fédération de Paris, Section du 14ème arrondissement
Raphaël Delage, Fédération de la Manche, Section de Cherbourg-en-Cotentin
Ronan Farnos, Fédération de Paris, Section du 5ème arrondissement
Cyril Galle, Fédération de Paris, Section du 10ème arrondissement
Benjamin Gault, Fédération du Gard, Section d’Uzès
Louis L’Haridon, Fédération du Val-d’Oise, Section de Cergy, Adjoint au Maire de Cergy, Secrétaire de Section, Porte-Parole des Jeunes Socialistes
Arthur Latourte, Fédération des Ardennes, Section de Charleville-Mézières, Secrétaire Fédéral, Animateur Fédéral des Jeunes Socialistes des Ardennes
Delphine Lauricella, Fédération de la Guadeloupe, Section de Saint-François, Membre du Bureau Fédéral
Mathys Leblanc, Fédération de Paris, Section du 13ème arrondissement
Sacha Loizeau, Fédération du Val-de-Marne, Section d’Alfortville, Conseiller Fédéral, Conseiller National des Jeunes Socialistes
Garance Litha, Fédération de Paris, Section du 11ème arrondissement, Membre du Bureau National des Jeunes Socialistes
Sébastien Margotteau, Fédération de la Manche, Section de Saint-Lô, Secrétaire de Section
Romain Mercière, Fédération de la Loire-Atlantique, Section d’Orvault, Secrétaire Fédéral
Caroline Meynet, Fédération de Haute-Savoie, Section d’Annemasse
Estelle Picard, Fédération des Deux-Sèvres, Section de Niort, Secrétaire Fédérale, Conseillère Nationale
Fanny Pidoux, Fédération du Loiret, Section d’Orléans, Conseillère Nationale
Pierre Sokolov, Fédération de Paris, Section du 15ème arrondissement
Claudine Sourisse, Fédération de la Manche, Section de Cherbourg-en-Cotentin, Adjointe au Maire de Cherbourg-en-Cotentin, Conseillère Fédérale