Contribution thématique du Congrès de Villeurbanne 2021
Jamais depuis trois ans, en dépit de son affaiblissement considérable après la double défaite de 2017, le groupe des députés socialistes et apparentés ne s’est résigné à abandonner le combat pour la Justice qui est le sien depuis plus d’un siècle à l’Assemblée nationale. Fidèle à la mémoire et aux combats de Jaurès, de Blum, de Mendès-France, ou de Mitterrand, les députés socialistes et apparentés ont tenu. La justice comme réponse aux désordres du capitalisme financiarisé, la justice comme moteur de la grande transformation écologique et sociale à laquelle notre pays est appelé, la justice contre toutes les dominations, les relégations, les discriminations, les inégalités. Dans un contexte inédit de perte de repères et de déstructuration de la vie politique, nous nous sommes rangés dans une opposition ferme à chaque fois qu’il en allait des principes et de la défense des grands compromis républicains patiemment construits.
Mais parce que nous nous vivons comme membres d’un parti qui a vocation à gouverner, notre démarche d’opposition ne s’est jamais abandonnée à la facilité de la seule critique. Inlassablement, méthodiquement, nous avons systématiquement formulé des propositions alternatives. Ces propositions ont été construites sur la base d’un travail de fond, sérieux, nourri par de nombreuses rencontres et consultations, par l’audition de chercheurs, d’ONG, de syndicats, d’associations, de citoyens, d’entreprises, ... Un groupe à l’écoute de la société, à l’écoute des Françaises et des Français dans une époque marquée notamment par la crise des gilets jaunes rappelant à chacun la dureté de la vie de tant de nos compatriotes et la nécessité d’une lutte acharnée contre les inégalités, par l’angoisse climatique d’une jeunesse qui peine à s’inventer un avenir et interpelle les responsables politiques, par une pandémie qui dure et sonne comme un ultimatum sur le plan social, par un attentat (encore) qui ébranle la République et ses promesses et exige de défendre en acte et au quotidien ses valeurs…
Nos deux groupes parlementaires, « Socialistes & apparentés » à l’Assemblée nationale et « Socialistes, écologiste et républicain » au Sénat, représentent la première force d’opposition de gauche au sein du Parlement avec 95 parlementaires. C’est grâce à ce poids politique que nous avons pu porter, députés et sénateurs unis, un certain nombre de combats comme par exemple celui sur le Référendum d’Initiative Partagée qui a au final bloqué la privatisation des aéroports de Paris. A l’aune de ce 79ème congrès, nous souhaitons partager avec vous les 79 propositions que les députés socialistes ont élaborées et défendues à l’Assemblée nationale au cours des 3 dernières années. Ces propositions pourraient être classées en 3 catégories :
* Celles pour lesquelles nous avons été des précurseurs, c’est à dire celles qui n’ont jamais été formulées auparavant et qui visent à transformer la société. Il s’agit par exemple du crime d’écocide, de la création d’un revenu de base et d’une dotation universelle, de la définition d’un nouveau capitalisme, d’une révision de l’imposition des multinationales pour leur faire payer leur impôt sur les bénéfices là où elles font leur chiffre d’affaire, etc.
* Celles qui visent à répondre à une urgence et proposent des solutions pour maintenant. Il s’agit par exemple du plan de rebond économique, social et écologique présenté pendant la crise sanitaire, d’un plan pour sortir de la crise des gilets jaunes, que nous avons été les premiers à mettre en relief avec notre simulateur de taxes énergétiques, d’un plan pour l’hôpital et l’autonomie, d’un plan pour faire face aux déserts médicaux, de notre combat contre la privatisation d’ADP et pour la défense de nos services publics.
* Celles qui visent à démontrer au Gouvernement et à sa majorité, qu’à contexte donné, une autre politique est possible. Il s’agit par exemple de nos contre-budgets où nous proposons des choix fiscaux plus justes avec le rétablissement de l’ISF, de nos propositions pour l’agriculture et l’alimentation, pour le transport et les mobilités, de notre “vrai” projet pour la recherche, de notre plan alternatif à la réintroduction des néonicotinoïdes et de notre défense du dialogue social.
En pièce jointe, vous trouverez une contribution issue d'une intervention en séance publique de Boris VALLAUD en défense du statut de la Fonction publique.
Nous sommes à votre disposition pour en débattre avec vous !!!
Intervention de Boris VALLAUD du 13 mai 2019 au nom du groupe des députés Socialistes et apparentés lors de la discussion générale du projet de loi de transformation de la Fonction publique.
L’histoire de la fonction publique est une histoire longue, avec ses tergiversations, ses zigzags et ses hoquets ; une histoire équivoque, complexe, fertile, qui passe la République et ses principes au gueuloir, qui la forge, qui doit nous convaincre qu’aucune réforme ne saurait être placée sous le signe de l’évidence et que le pragmatisme, dont bien souvent l’exécutif se drape, est une science un peu courte pour traiter de problèmes complexes.
Car qui l’eût cru, notre histoire républicaine commence par une « utopie libérale, celle d’un gouvernement à bon marché », selon l’expression de Pierre Rosanvallon, à rebours de l’administration pléthorique d’Ancien régime suspectée de faire obstacle au gouvernement direct de la volonté générale. Vive fut alors la critique des funestes « bureaux », dénoncés par Saint-Just comme une survivance masquée du monarchisme, brutale la dénonciation du parasitisme comme entreprise de domination au travers de laquelle les puissants oppriment les peuples.
C’est dire si, intrinsèquement, dès l’origine, la fonction publique a quelque chose à voir avec la volonté générale et la souveraineté populaire, contre sa confiscation, contre l’absolutisme.
La jeune Troisième République, née de la défaite de Sedan, celle de Gambetta, de Ferry ou de Favre, se construisit aussi contre l’État bonapartiste, contre la « supermonarchie administrative » napoléonienne, les soldats, les trésoriers généraux, les curés, incarnations de la réaction et du cléricalisme honnis.
Quant au Conseil national de la Résistance, à ses inspirateurs comme à ses serviteurs, après Vichy – de sinistre mémoire –, ils aspirèrent à faire de l’État une force incarnant l’esprit de la Résistance et de la fonction publique son bras armé. C’est le sens et l’essence même de la grande loi de 1946 et des principes qui fondent le statut général de la fonction publique, dont la loi de 1983 est, au fond, l’aboutissement – un statut, d’ailleurs, qui n’avait rien d’une évidence, ni d’une conquête sociale : il comporte des droits, mais surtout des devoirs, des obligations. La République, comme les syndicats eux-mêmes, l’ont tour à tour combattu, espéré, revendiqué, défendu.
C’est dire, une fois encore, si la fonction publique telle que nous la connaissons aujourd’hui a quelque chose à voir avec l’émancipation individuelle, avec le progrès politique, avec l’intérêt général, avec les libertés publiques, avec la conception française du service public, conception solidariste, duguiste. C’est la raison d’être du statut et des principes qui la fondent.
Le premier d’entre eux, c’est l’égalité. L’entrée dans la fonction publique se fait par la voie du concours, qui garantit l’égal accès aux emplois publics et la sélection par la compétence. Le concours comme moyen conciliant la sélection des plus aptes et la démocratisation de la fonction publique, le concours comme meilleur rempart au copinage, au favoritisme et au clientélisme.
Le deuxième principe, c’est l’indépendance. Les fonctionnaires doivent être protégés de la conjoncture et de l’arbitraire politiques. La fonction publique française repose donc sur le système dit de la carrière, où le grade est distinct de l’emploi.
Le troisième principe, c’est la citoyenneté. Les fonctionnaires sont des citoyens qui disposent des mêmes droits que les autres citoyens : liberté d’opinion, droit syndical et droit de grève, tout cela se conciliant avec des obligations propres à la fonction publique en matière de neutralité, de déontologie, de discrétion ou d’information du public.
L’administration, la République, selon les époques, s’en est défiée ou s’y est confiée. Elle s’est défiée d’une administration sur laquelle pesait, ici, le soupçon de la réaction, là, celui de la collaboration, toujours, celui de la confiscation du pouvoir étatique et de l’expression démocratique. Elle s’est confiée à une administration de hussards envoyés en mission dans la France des terroirs – jusqu’en Ardèche ! – avec en son cœur l’instruction publique comme ciment du « parti républicain ».
L’histoire de la fonction publique est républicaine, faite de compromis patiemment construits. La fonction publique, pour reprendre les mots forts justes de Georges Labazée, est « partie prenante d’un puissant mouvement séculaire d’organisation et de socialisation de la société ». Elle a une place singulière en France dans l’ordre politique et social.
C’est la raison pour laquelle il n’y a pas de réforme de la fonction publique qui ne contienne, intrinsèquement, une réforme de l’État.
La réforme conduite par le Gouvernement et sa majorité en 2018 n’y fait pas exception car on ne saurait sérieusement, fondamentalement, penser la fonction publique sans penser, fût-ce en creux, l’action publique et la place de l’État. Sans doute eût-il été préférable, sur le plan du débat démocratique et de la cohérence, que le Gouvernement rende public le rapport Action publique 2022, de faire, d’une certaine manière, les choses dans l’ordre et d’assumer ainsi, devant les Français, sa vision de l’action publique et ses intentions.
À défaut, c’est dans son projet de « transformation de la fonction publique » que nous avons lu sa conception de l’État, du service public et, disons-le, de l’intérêt général. Sans doute, pour ne prendre que deux exemples, la suppression de postes dans la fonction publique – jusque dans l’éducation nationale –, la privatisation d’Aéroports de Paris – un monopole de fait et un service public national – nous disent quelque chose de sa conception de l’action publique, de ce que devrait être son périmètre, de son rapport avec le marché, l’entreprise, de ses aspirations et, même, de ses inspirations. Il y a dans son projet du Frédéric Bastiat et du Georges d’Avenel – si l’on tient à donner quelque filiation historique à cette politique –, du new public management anglo-saxon, à l’évidence.
Cette loi manque de culture, de profondeur historique et, du même coup, de clairvoyance et de vision. Elle fragilise un édifice patiemment construit et passe à côté de l’essentiel.
Le principal stigmate, on le trouve dans la multiplication des possibilités de recourir aux agents contractuels dans toutes les catégories d’emplois de la fonction publique. Le Gouvernement en fait un parangon de modernité, le pivot de l’efficacité de l’action publique. Nous y voyons, à trop l’étendre, le risque de sa corruption. Le statut n’est pas d’abord protecteur des agents : il est avant tout protecteur de l’ordre républicain et de l’intérêt général, surtout au moment où il se trouve discuté, parfois attaqué, dans des formes radicalement nouvelles.
Au fond, nous sommes face à une étape nouvelle de la sécularisation. Il ne s’agit plus tant de soustraire l’intérêt général, l’action publique, l’État à l’influence de l’Église – encore que… – qu’à la tyrannie du temps court qui dévore l’avenir, aux intérêts particuliers qui sapent jusqu’aux solidarités les plus établies en tenant l’intérêt général pour un simple compromis social entre intérêts divergents, ou aux abus de pouvoirs de la puissance privée dans des formes inédites à la faveur, notamment, de la révolution numérique.
En ouvrant très largement le recours au contrat, le Gouvernement n’abolit certes pas le statut, mais fait le choix de la banalisation de la fonction publique, de l’exercice de l’État et, in fine, de l’affaiblissement de l’action publique. Il y a quelque chose de fondamentalement anachronique dans cette réforme.
Avec le contrat, le Gouvernement fait le choix du court terme alors que l’urgence climatique commande la continuité de l’action publique et appelle à reconsidérer le temps long, l’avenir, comme espace de projets. Le contrat, de ce point de vue, c’est l’antithèse de la fonction publique de carrière et de la logique de gestion prévisionnelle des emplois et de compétences.
Avec le contrat ouvert à la très grande majorité des emplois de direction des trois versants de la fonction publique, le Gouvernement prend le risque de la confusion entre intérêts publics et intérêts privés, à la faveur du pantouflage ou du rétro-pantouflage, au moment même où les Français réclament plus de déontologie et de transparence.
Avec le contrat et ses avatars, avec la possibilité de recourir aux ruptures conventionnelles ou de déplacer d’office certains fonctionnaires dans le privé en cas d’externalisation, le Gouvernement ouvre la voie au rétrécissement de l’action publique, là où se pose de façon inédite celle de son extension.
Le Gouvernement pose les bases du transfert de certaines missions au secteur privé, sans d’ailleurs que l’on sache de quoi il pourrait s’agir, quand se posent plutôt aujourd’hui de graves questions sur ce qui doit lui être soustrait, soustrait au marché et à ses règles, parce que l’intérêt général est atteint. C’est tout l’enjeu des biens communs qui surgissent avec force dans le débat public, de l’accaparement des terres, par exemple, d’un rapport renouvelé avec la propriété privée ou avec la liberté d’entreprendre.
Avec le contrat, le Gouvernement affaiblit les principes d’égalité, d’indépendance et de responsabilité qui commandent la fonction publique dans un moment inédit de contestation de la puissance publique et de l’autorité de l’État.
La fonction publique, dans sa forme républicaine, s’est aussi construite dans une tension entre libertés publiques et puissance publique. La grande affaire du XIXe et du XXe siècles a été de construire des États de droit garants des libertés publiques, de contenir la puissance publique dans ses excès et, parfois, dans sa violence, de prévenir ses abus de pouvoir. La grande affaire de notre temps, notre affaire à tous, consiste aujourd’hui à contenir les abus de la puissance privée et ses excès de pouvoir, en particulier du côté des multinationales. Dans ces conditions, peut-on sérieusement la confier à des agents dont la protection serait allégée ?
Enfin, avec un contrat concurrent du concours, le Gouvernement prend le risque de l’arbitraire, de la rupture d’égalité, du clientélisme dans le recrutement. Le risque de faire primer la complaisance sur la compétence, de signer le retour de l’agent public sujet contre le fonctionnaire citoyen, et de faire triompher l’autoritarisme hiérarchique que la loi pour une école de la confiance de M. Blanquer – est-ce un hasard ? – a remis au goût du jour, comme ses incessants rappels à l’ordre à la moindre voix dissonante et, parfois, au plus mince des tracts syndicaux, comme s’il n’était pas que les petits hommes pour craindre les petits écrits.
Cette loi aurait pu chercher à répondre à certains des enjeux que nous venons d’évoquer – imaginer le service public de demain, la fonction publique du XXIe siècle – plutôt que de désarmer subrepticement l’action publique en tenant pour pas grand-chose une histoire longue et riche. Mais le Gouvernement et sa majorité en ont-ils même conscience ? Ils prétendent que leur loi modernise le statut et permet son adaptation à la société et à ses attentes, ce que nous ne croyons pas une seconde. Elle esquive l’essentiel des grandes questions de notre temps et, pourtant, la République a encore besoin de tant de hussards !
Aujourd’hui comme hier – les mots sont d’Anicet Le Pors –, on ne sert pas l’État comme on sert une entreprise privée. Avec son projet, le Gouvernement semble penser l’inverse et considérer même que l’on doit désormais gérer l’État comme on gère une entreprise – et encore, pas selon les meilleures pratiques du capitalisme éclairé par la codétermination ou par la prise en compte des parties prenantes. Non, cette loi s’inspire trait pour trait du modèle rétrograde du dialogue social tel que formulé dans les ordonnances de Mme Pénicaud.
Voilà pourquoi ce projet de loi affaiblira de manière inédite le dialogue social au sein de la fonction publique. D’une part, il fusionne certaines instances au détriment de celles compétentes en matière d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail, alors même que la santé au travail est un enjeu primordial dans un contexte de restructurations. D’autre part, il réduit les attributions des commissions administratives paritaires, les CAP, qui sont aujourd’hui consultées sur toutes les décisions individuelles. Selon le Gouvernement ces instances sont sources de rigidité alors qu’elles n’ont aucun pouvoir décisionnel, qu’elles garantissent la transparence des décisions et qu’elles permettent souvent de renforcer leur acceptabilité auprès des agents.
En affaiblissant ainsi le dialogue social, en affaiblissant les CHSCT, les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions du travail, qui sont dans le public, comme ils l’étaient dans le privé, une des instances qui fonctionnaient le mieux ; en réduisant à pas grand-chose les CAP et en laissant l’arbitraire s’immiscer dans l’avancement des agents publics, le Gouvernement affaiblit de fait les protections statutaires qui sont là pour garantir l’impartialité des agents et la bonne exécution de l’intérêt général.
À ceux qui pensent être modernes en proclamant qu’il y a trop de fonctionnaires, que le contrat vaut mieux que le statut, que ses règles sont un anachronisme, nous disons qu’il n’y a rien de mieux partagé dans l’histoire que la caricature du fonctionnaire rond-de-cuir, la critique de la bureaucratie, la dénonciation de la marée montante du fonctionnarisme, ou les poncifs gestionnaires, rien de mieux partagé que les évidences de comptoir.
Signataires :
Boris VALLAUD, député des Landes, porte-parole du groupe socialistes et apparentés à l'Assemblée
Valérie RABAULT, députée du Tarn-et-Garonne, présidente du groupe socialistes et apparentés à l'Assemblée