Contribution thématique du Congrès de Villeurbanne 2021
Le groupe Socialiste, Écologiste, et Républicain du Sénat face à la crise :
De nouveaux outils pour reconvertir écologiquement nos modes de production et de consommation, revivifier la démocratie et favoriser le bien-être ensemble
Une crise qui appelle à de profonds changements pour répondre à l’urgence sociale et écologique
La crise sanitaire de 2020 et les crises sociales et économiques qui lui sont liées sont l’une des plus graves en temps de paix que nous ayons connue depuis l’entre-deux-guerres.
Elles mettent en évidence les défaillances de notre modèle de croissance, et invite à rompre avec l’illusion d’une régulation confiée aux seules lois du marché. Les conséquences économiques, sur l’emploi notamment, contraignent déjà les gouvernements à rompre avec l’orthodoxie budgétaire et en Europe à relaxer les critères de convergence du traité de Maastricht et du pacte de stabilité et de croissance. Cette situation n’est pas sans rappeler la crise financière de 2007-2008 qui avaient néces- sité des plans de relance vigoureux de l’économie.
Verdir la finance et la réorienter vers le financement de l’économie réelle sont des conditions préalables à la reconversion écologique de notre économie.
La monnaie, au même titre que d’autres besoins de premières nécessités, constitue un bien commun.
Cette crise de la Covid 19 est en réalité une crise bien plus profonde et plus globale qu’une simple crise sanitaire, ce qui devrait nous inviter à repenser globalement notre manière de produire. Ses racines sont écologiques (mise en danger de la biodiversité, des écosystèmes disparition d’espèces animales et végétales...) et révèlent la perte de résilience de notre économie et de notre société. Il serait illusoire de croire que quelques plans de relance verte puissent seuls suffire à reconvertir écologiquement nos modes de production et de consommation. Comme il serait illusoire d’attendre des plans de relance qu’ils parviennent à construire des digues contre les suppressions massives d’emplois. On le mesure déjà, à l’occasion des nombreux plans sociaux qui se multiplient. Certaines entreprises violemment touchées par la crise cherchent par tous les moyens à réduire leurs coûts et à rationaliser leur outil de production. Dans ce contexte de crise économique, la reconversion écologique de leur mode de production n’est pas la priorité, et cela peut se comprend aisément. Mais, il faut éviter que l’emploi ne devienne la variable d’ajustement.
Nous considérons qu’il est de la responsabilité des pouvoirs publics de répondre à l’urgence écologique et sociale via des dispositifs de conditionnalité des aides publiques (éco- conditionalité, gestion prévi-sionnelle de l’emploi, politique de reconversion sociale et de formation...) et des macrodécisions publiques donnant l’impulsion aux investissements verts et aux mesures d’urgence sociale (qui inclut un grenelle des bas salaires, notamment pour les professions dont la crise a mis en lumière la grande utilité sociale).
Il nous semble tout aussi important de se réinterroger sur les écarts de revenus dans la répartition de la richesse créée. D’un côté, les écarts de revenus ne cessent donc de s’accroître et de l’autre une partie des bénéfices alimentent les dividendes des actionnaires. Sur fond de globalisation financière et de domination du capitalisme actionnarial, les dividendes versés atteignent des records : en 2019, plus de 60 Mds d’euros ont été redistribués par les grands groupes du CAC 40 aux actionnaires, dont 49,2 Mds sous formes de dividendes.
In fine, les inégalités sociales se sont creusées sur fond d’affaiblissement de nos services publics et de remise en cause de l’État social ou « providence ».
Or, les populations les plus pauvres sont aussi celles qui sont les plus exposées aux effets de cette crise sanitaire et aussi les plus vulnérables aux changements climatiques...
La réponse écologique ne peut être que socialement inclusive.
Repenser le social et l’écologique dans le même mouvement
Nous pensons que l’économique, le social et l’écologique doivent être pensés dans un même mouvement ; ce qui signifie d’abord que l’impact social des mesures écologiques doit être pris en compte et compensé pour les personnes modestes.
Nous considèrons qu’il est urgent de mettre fin à l’autonomisation croissante de l’économie par rapport à la société.
Des intérêts économiques sont en jeux. Des rapports de force et de pouvoir sont en jeux. Ils préexistaient à la crise sanitaire de la Covid-19.
Il peut s’agir d’un pouvoir de marché, d’un pouvoir de domination, d’un pouvoir de prédation (sur la nature par exemple), de pouvoir auxquels il faut donc être en capacité d’opposer des limites, de réglementer pour en restreindre sa capacité de nuisance. Il faut pouvoir identifier ces acteurs dont le pouvoir est tel qu’ils sont responsables de la destruction des écosystèmes, de l’érosion de la biodiversité... Et cela revient sans doute à limiter le droit de propriété et la liberté d’entreprendre pour préserver l’intérêt général.
Pointant les défaillances de nos modes mondialisés de production et de consommation, cette crise globale exige des solutions autrement plus radicales pour repenser et reconvertir écologiquement notre économie et notre société...
Si nous ne mesurons pas à quel point les inégalités économiques sociales se sont creusées ces dernières années, nous ne serions pas à la hauteur des enjeux que la sauvegarde de notre démocratie impose.
Répondre concrètement à l’urgence écologique et sociale
C’est un grand plan de reconversion écologique, socialement inclusif, c’est-à-dire aussi s’appuyant sur une politique de formation volontariste et favorisant l’émergence de nouveaux métiers (dans le domaine de l’écologie, du numérique, du bâtiment, etc.) qu’il nous faut aujourd’hui élaborer.
Nous devons réussir cette conversion écologique de nos modes de production et de consommation pour éviter que le monde d’après renoue avec ses valeurs productivistes, ses émissions de pollutions (gaz à effet de serre, notamment), un mal être et une perte de sens au travail qui ne cessent de s’accroître.
Cette approche, suppose de rompre avec une conception purement quantitativiste de la richesse des nations évaluée à la seule aune de la croissance du PIB, au profit d’une évaluation qualitative axée sur le bien-être et le développement collectif et individuel.
Mesurer et prendre en compte le bien-être des populations devient une « ardente obligation »
Des indicateurs de l’état de cohésion ou de décohésion de notre société (éducation, santé, sécurité, logement, notamment), de la soutenabilité environnementale doivent être particulièrement mobilisés aujourd’hui. Ils doivent aussi permettre une évaluation des politiques publiques, raison pour laquelle nous proposons d’intégrer les indicateurs alternatifs dans les études d’impact des projets de lois.
Nous avons proposé d’évaluer de manière plus qualitative les projets de loi en intégrant dans les études d’impact de nouveaux indicateurs de richesse.
Nous proposons aussi que l’étude d’impact – dans ses aspects économiques, financiers, sociaux et environnementaux –, des projets de loi soit réalisée par des organismes publics indépendants et pluriels afin d’en assurer son objectivité.
Nous notons avec satisfaction que la convention citoyenne pour le climat, mise en place par le Président de la République en 2019 est sur la même ligne.
Parmi les propositions rendues publiques fin juin 2020, elle réclame en effet ce type d’évaluation : « l’efficacité même des lois et règlements en vigueur doit pouvoir être remise en question, faire l’objet de mesures correctives et ainsi permettre d’atteindre les objectifs fixés. Nous pensons que cette évaluation est une condition essentielle de succès. Celle-ci doit pouvoir se faire de manière indépendante de l’État mais aussi de tous les lobbies et en dispo- sant de moyens conséquents pour réaliser ces missions ».
La convention citoyenne est également favorable à la mise en place d’une évaluation des politiques publiques, elle donne néanmoins la priorité à l’évaluation environnementales. L’éva- luation des politiques publiques est très utilisée dans certains pays européens. Mais elle n’est toujours pas une pratique courante en France.
Or, spécialement en matière environnementale, nous pensons absolument fondamental de pratiquer l’évaluation afin de quantifier l’impact des mesures prises pour répondre aux objectifs fixés par l’Accord de Paris et, à défaut, les faire évoluer ou mettre en place des mesures correctives ».
Elle recommande ainsi « la création d’un nouvel organisme de toute pièce ou à partir de l’existant afin d’évaluer, de coordonner l’évaluation et de suivre l’application des politiques publiques en matière environnementale à l’échelle nationale et territoriale ».
Nous pensons que l’évaluation doit aussi porter sur les inégalités sociales ; leur réduction étant le garant de notre démocratie. Leur réflexion s’appuie sur la problématique du développement durable formalisée par le rapport de la commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’organisation des Nations Unies, rapport au nom évocateur, s’il en est, Notre avenir à tous.
Le modèle de développement doit être écologiquement et socialement inclusif, il doit répondre aux besoins des populations et « plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis » et garantir le bien-être des générations présentes et futures.
Associer directement les populations sur la définition du bien- être, du vivre ensemble
Dans cette perspective, nous souhaitons créer un organisme indépendant pour d’évaluation des politiques publiques et du bien-être ayant pour mission d’informer le Parlement sur les conséquences des politiques publiques sur le bien-être des populations et sur leur soutenabilité.
Cet organisme aurait pour mission de mettre en place une plateforme participative numérique relative aux nouveaux indicateurs de richesse afin que les citoyens s’approprient les indicateurs alternatifs au PIB et fassent vivre le débat démocratique.
À cet effet, il est encore proposé que soit organisée chaque année une conférence citoyenne sur l’état des inégalités en France.
Les populations doivent être, en effet, directement associées pour construire de manière républicaine une mesure des souhaits concernant le bien-être en société.
Évaluer les plans de relance
En ce sens, les plans de « relance verte » actuellement élaborés et mis en œuvre dans la plupart des pays européens doivent pouvoir être évalués en fonction des changements qualitatifs qu’ils sont censés apporter et non en fonction du niveau de croissance économique en points de PIB qu’ils impliqueraient.
Le gouvernement a lancé plusieurs plans de soutien aux secteurs particulièrement impactés par la crise (aéronautique, auto- mobile, etc.). C’est aussi dans ces secteurs que les plans de suppression d’emplois sont massifs.
En tenant compte de la gravité de la crise que traversent ces industries, il est nécessaire de conditionner les aides à la reconversion écologique et au maintien de l’emploi. Les plans de relance doivent inclure ces dimensions sociales et écologiques, s’appuyer sur le potentiel des nouveaux métiers, prévoir des plans de formation et de reconversion des salariés.
Le gouvernement a décidé des plans de relance sans consulter les français sur leur nature ou les élus locaux. Or, cela aurait sans doute soulevé des questions. Par exemple, le plan de relance du secteur automobile doit-il comporter des mesures de soutien pour l’achat de véhicules thermiques ?
La suppression de certaines petites lignes aériennes peut- elle se faire sans repenser l’aménagement du territoire, renforcer la décentralisation, favoriser l’emploi local, revivifier les territoires loin des métropoles, déployer les modes de déplacements propres ?
Les plans de soutien ne doivent-ils pas être conditionnés au maintien d’emplois, via un plan de reconversion des emplois devenus obsolètes ou en surplus du fait de la crise ? De même, ne doivent- ils pas être conditionnés à de consistantes mesures de reconversion écologiques ?
Favoriser le monde d’après en subordonnant la défense de la liberté d’entreprendre et de la propriété privée à la défense de l’intérêt général
Pour construire un « monde d’après » plus écologique et socialement plus juste, nous proposons de modifier la Constitution pour subordonner la défense de la liberté d’entreprendre et de la propriété privée à la défense de l’intérêt général.
Les dispositifs actuels (RSE, ODD, engagements nationaux des Etats dans le cadre des accords de Paris...) s’ils permettent de réorienter écologiquement les modes de production et de consommation, ne sauraient seuls suffire à reconvertir écologiquement notre société alors que le changement climatique nécessite une réponse plus radicale. Il faut compléter les dispositifs incitatifs par des disposions contraignantes pour accélérer la reconversion écologique de notre société.
Comme nous le soulignons dans notre proposition de loi constitutionnelle, divers progrès impulsés notamment par les Nations Unies – dans le cadre des 17 objectifs de développement durable, et par les Conférences des parties (COP), ou par la mise en œuvre de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE / reporting) ont été réalisés.
Nous considérons qu’il y a encore beaucoup d’efforts à faire pour répondre à l’échelle globale aux nécessités d’un développement durable, respectueux des populations humaines.
S’inscrivant dans l’esprit même des propositions de la Conven- tion citoyenne pour le climat, la proposition de loi constitutionnelle recommande de modifier l’article 1er de la Constitution afin que la France garantisse la préservation de l’environnement, de la diversité biologique, du climat et des autres biens communs mondiaux ».
Face à une artificialisation de plus en plus poussée des sols, à l’utilisation intensive de pesticides qui les appauvrissent et aux risques d’une intensification des spéculations foncières qui pourraient remettre en cause notre souveraineté alimentaire nationale, elle propose de modifier la Constitution pour établir un nouvel équilibre permettant de réconcilier la liberté d’entreprise avec la protection du sol, le partage du foncier agricole et la souveraineté alimentaire. Enfin, elle propose de modifier l’article 34 de la Constitution afin que l’exercice du droit de propriété et de la liberté d’entreprendre respecte l’intérêt général.
Patrick KANNER, Président du groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain
Nicole BONNEFOY, Sénatrice de Charente
Maurice ANTISTE, Sénateur de Martinique
Viviane ARTIGALAS, Sénatrice des Hautes-Pyrénées
David ASSOULINE, Sénateur de Paris
Joël BIGOT, Sénateur du Maine-et-Loire
Florence BLATRIX-CONTAT, Sénatrice de l’Ain
Denis BOUAD, Sénateur du Gard
Hussein BOURGI, Sénateur de l’Hérault
Isabelle BRIQUET, Sénatrice de la Haute-Vienne
Rémi CARDON, Sénateur de la Somme
Marie-Arlette CARLOTTI, Sénatrice des Bouches-du-Rhône
Catherine CONCONNE, Sénatrice de Martinique
Hélène CONWAY-MOURET, Sénatrice des Français établis hors de France
Thierry COZIC, Sénateur de la Sarthe
Michel DAGBERT, Sénateur du Pas-de-Calais
Marie-Pierre DE LA GONTRIE, Sénatrice de Paris
Gilbert-Luc DEVINAZ, Sénateur du Rhône
Jérôme DURAIN, Sénateur de Saône-et-Loire
Vincent EBLE, Sénateur de Seine-et-Marne
Frédérique ESPAGNAC, Sénatrice des Pyrénées Atlantiques
Rémi FERAUD, Sénateur de Paris
Corinne FERET, Sénatrice du Calvados
Jean-Luc FICHET, Sénateur du Finistère
Martine FILLEUL, Sénatrice du Nord
Hervé GILLE, Sénateur de Gironde
Laurence HARRIBEY, Sénatrice de Gironde
Jean-Michel HOULLEGATE, Sénateur de la Manche
Olivier JACQUIN, Sénateur de Meurthe-et-Moselle
Victoire JASMIN, Sénatrice de Guadeloupe
Eric JEANNSANNETAS, Sénateur de la Creuse
Patrice JOLY, Sénateur de la Nièvre
Gisèle JOURDA, Sénatrice de l’Aude
Eric KERROUCHE, Sénateur des Landes
Jean-Yves LECONTE, Sénateur des Français établis hors de France
Annie LE HOUEROU, Sénatrice des Côtes d’Armor
Claudine LEPAGE, Sénatrice des Français établis hors de France
Jean-Jacques LOZACH, Sénateur de la Creuse
Monique LUBIN, Sénatrice des Landes
Victorin LUREL, Sénateur de Guadeloupe
Jacques-Bernard MAGNER, Sénateur du Puy-de-Dôme
Didier MARIE, Sénateur de Seine-Maritime
Serge MERILLOU, Sénateur de Dordogne
Michelle MEUNIER, Sénateur de Loire-Atlantique
Jean-Jacques MICHAU, Sénateur de l’Ariège
Marie-Pierre MONIER, Sénatrice de la Drôme
Franck, MONTAUGE Sénateur du Gers
Sébastien PLA, Sénateur de l’Aude
Emilienne POUMIROL, Sénateur de Haute-Garonne
Angèle PREVILLE, Sénatrice du Lot
Claude RAYNAL, Sénateur de Haute-Garonne
Christian REDON-SARRAZY, Sénateur de Haute-Vienne
Sylvie ROBERT, Sénatrice d’Ille-et-Vilaine
Gilbert ROGER, Sénateur Seine-St-Denis
Laurence ROSSIGNOL, Sénatrice de l’Oise
Lucien STANZIONE, Sénateur du Vaucluse
Jean-Pierre SUEUR, Sénateur Loiret
Rachid TEMAL, Sénateur du Val d’Oise
Jean-Claude, TISSOT Sénateur de la Loire
Jean-Marc TODESCHINI, Sénateur de Moselle
Mickael VALLET, Sénateur de Charente-Maritime
André VALLINI, Sénateur de l’Isère
Sabine VAN HEGHE, Sénatrice du Pas-de-Calais
Yannick VAUGRENARD, Sénateur de Loire-Atlantique