Egal accès aux soins : un mirage pour des millions de français

Contribution thématique du Congrès de Villeurbanne 2021

Depuis les grands progrès scientifiques et médicaux, qui sont l’une des grandes conquêtes du XXe siècle, notre pays – et c’est sa grandeur – a toujours fait de la santé des siens l’une de ses principales préoccupations. D’abord, en instaurant l’assistance médicale gratuite, puis l’assistance aux vieillards, infirmes et incurables privés de ressources. Cette préoccupation est donc au fondement de notre pacte social, ce qui a justifiée qu’elle soit confortée en droit jusqu’à se voir consacrée pleine valeur constitutionnelle. S’il s’agit d’un droit relatif (au sens où il ne peut être qu’un droit aux soins et non un droit absolu à une santé parfaite), il ne saurait être un droit non-effectif.

Or, nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à rencontrer de grandes difficultés à accéder à des soins de proximité. Cette fracture, connue de longue date dans les territoires ruraux, s’aggrave et s’étale à de nombreuses communes périurbaines, ainsi qu’à des quartiers populaires pourtant au cœur de territoires métropolitains.

Aujourd’hui, l’accès aux soins pour tous les français, sur tous les territoires, est plus que jamais une priorité. Preuve en est, le terme de « déserts médicaux » s’est aujourd’hui imposé dans le débat public et à l’agenda politique. La crise sanitaire qui secoue notre pays depuis de longs mois a fait de cette nécessité une urgence... vitale.

Ces difficultés concernent aussi bien l’accès au médecin généraliste/traitant qu’à un spécialiste dont ne peuvent se passer les publics malades, fragiles, les personnes âgées, ou en situation de handicap. Elles conduisent, sur certains territoires, à des délais d’attente beaucoup trop longs qui érodent le droit fondamental à la santé dont dispose chacune et chacun d’entre nous. Droit fondamental qui inclut un égal accès aux soins sur l’ensemble du territoire national. Aujourd’hui, dans le meilleur des cas, ce droit souffre d’une application à géométrie variable. Finalement, c’est plus globalement notre modèle de protection sociale qui s’affaisse.

Ces difficultés d’accès aux soins creusent les inégalités déjà ancrées, qu’elles soient économiques, sociales ou territoriales. Alors que notre système de santé et l’ensemble des professionnels de santé sont au front depuis de longs mois face à l’épidémie de Covid-19, il est essentiel de repenser son organisation et l’accès aux soins.

I/ Un état des lieux alarmant des déserts médicaux en France

a) Un phénomène massif aux causes bien connues...

Depuis dix ans et la loi dite « Bachelot » [1], les lois [2] et les plans « Santé » [3] se sont multipliés afin de lutter, entre autres, contre les déserts médicaux. Repeupler les territoires dépourvus de praticiens tout en respectant le principe de la liberté d’installation des professionnels libéraux est un objectif de santé publique pour tous les gouvernements. Sans succès jusqu’ici. Les difficultés et les inégalités d’accès aux soins n’ont eu de cesse de s’accentuer. Il s’agit là d’une préoccupation majeure de nos concitoyens.

Dans certains territoires, obtenir un simple rendez-vous de routine chez un médecin généraliste relève du parcours du combattant. Quand ce n’est pas des dizaines de kilomètres qu’il faut avaler pour obtenir un rendez-vous, ce sont des mois qu’il faut patienter. C’est cela, la dure réalité pour bon nombre de français. Les difficultés d’accès sont en effet multiples et de plusieurs ordres. Qu’elles soient spatiales (temps de trajet), temporels (délais d’attente), ou socio-économiques (coût, lassitude). Ce sont des pans entiers du territoire national qui sont en voie de désertification comme l’a démontré le géographe de la santé, Emmanuel Vigneron.

Au-delà du caractère insupportable que représentent les déserts médicaux en termes d’accès aux soins, l’ampleur du phénomène nécessite un traitement de choc de la part des pouvoirs publics. Entre 6 et 8 millions de français résident dans un désert médical, soit entre 9 et 12% de la population française. S’il ne s’agit pas d’une spécificité française, la situation nationale est bien plus dégradée que celles que connaissent les autres pays de l’OCDE. En effet, ces derniers connaissent, une densité moyenne de 2.8 médecins pour 1 000 habitants dans les zones rurales, contre seulement 2.7 en France. Notre pays est d’ailleurs très en retard sur les pays du nord de l’Europe comme la Suède (3.8) et la Finlande (4.4). Pour un pays qui a inscrit le principe d’Egalité au frontispice de son ordre social et politique, c’est trop peu.

Pire encore, ces difficultés semblent s’accroitre. En effet, la Drees a démontré qu’en 2018, 3.8 millions de français vivaient dans une zone sous-dotée en médecins généralistes. C’est 1.3 million de plus qu’en 2014 (2.5 millions)! Cela traduit bel et bien un décalage croissant entre l’offre et la demande de soins. Les explications sont multiples. Le temps médical diminue du fait de la baisse globale du nombre de médecins en activité en raison de nombreux départs à la retraite des générations de médecins issues des numerus clausus élevés des années 1970 à 1980. La suppression du numerus clausus est encore bien trop récente pour pouvoir pallier ces difficultés eu égard au temps nécessaire de formation des futurs médecins. Aujourd’hui, un médecin généraliste sur deux est âgé d’au moins 60 ans. Les départs à la retraite ont été multipliés par 6 uniquement sur la dernière décennie. En 2024, près de 7 000 généralistes ou spécialistes devraient prendre leur retraite, ne faisait qu’accentuer les difficultés déjà observées.

Pourtant, le nombre total de médecins, salariés et libéraux (toutes spécialités confondues) reste en augmentation. En revanche, les effectifs de médecins généralistes (exerçant en ville ou à l’hôpital) stagnent depuis plusieurs années, entrainant une raréfaction de leur présence sur de nombreux territoires.

Ces difficultés s’ajoutent à l’accroissement des besoins de soins de la population et aboutissent à l’apparition d’un « effet ciseau ». Cet accroissement est notamment dû à la vitalité démographique de notre pays ainsi qu’à son vieillissement.

Plus encore, s’agissant précisément des difficultés d’accès à un médecin généraliste, il semble que le désintérêt croissant des étudiants en médecine pour cette profession ne fasse qu’accroître les difficultés observées. En effet, ceux-ci semblent vouloir de plus en plus se spécialiser, poursuivre leurs études quelques années pour obtenir une meilleure rémunération.

Ainsi, entre 2010 et 2017, le nombre de médecins généralistes a diminué en moyenne de 12%, avec de fortes disparités territoriales. Ainsi, il manquerait aujourd’hui des médecins généralistes dans plus de 11 000 communes, soit une ville sur trois. Alors que notre pays formait 13 000 médecins par an, il n’en forme plus que 8 000 aujourd’hui.

b) ... et inégalement réparti sur l’ensemble du territoire (source DREES)

Si la désertification médicale est un phénomène massif et qui tend à s’accentuer, il est marqué par d’importantes disparités territoriales. Pire encore, en matière de répartition des médecins libéraux, celles-ci se creusent d’un territoire à un autre. Ainsi, par exemple, les écarts entre départements varient de 1 à 3 pour les médecins généralistes, contre 1 à 8 pour les médecins spécialistes. S’agissant de certaines spécialités, les écarts sont encore plus importants. C’est notamment le cas concernant l’accès à un pédiatre. Les écarts varient alors de 1 à 24 d’un département à un autre.

Ces inégalités d’accès aux soins sont d’autant plus inquiétantes et injustes qu’une part croissante de la population vit en zone sous-dense et que la sous-densité médicale s’étend à partir de zones déjà sous-denses.

Régions les plus touchées par la pénurie de médecins généralistes et spécialistes

Territoires connaissant les plus fortes densités de médecins généralistes et spécialistes

Antilles-Guyane ; Corse ; Centre-Val de Loire ; Normandie ; Auvergne Rhône- Alpes ; Bourgogne-Franche-Comté ; Ile- de-France hors Paris

Sud-Est de la France ; Arc atlantique ; départements urbains hospitalo- universitaires, Est de la France

Les territoires ruraux et en périphérie des grandes villes sont les plus frappés par la désertification médicale. Les territoires ruraux abritent un tiers de la population. Ils sont pourtant parmi les territoires les plus sous-dotés, alors que leurs habitants sont globalement plus âgés que dans le reste du pays et que les foyers sont davantage composés de personnes seules. En d’autres termes, là où les besoins et la dépendance sont plus importants qu’ailleurs, la pénurie de médecins est importante. Il s’agit là d’une anomalie de notre système de santé. Les territoires périurbains sont également frappés par la désertification médicale. C’est par exemple très prégnant en Seine-Saint-Denis. Ces difficultés d’accès aux soins sont donc très fortes dans les territoires qui sont souvent les moins bien dotés en services publics et qui connaissent le plus d’injustices et d’inégalités. La difficulté réside dans la difficulté d’attirer de jeunes médecins dans ces territoires peu attractifs, tout en respectant le principe de liberté d’installation.

II/ De lourdes conséquences pour notre pacte social

a) De nombreuses fermetures de structures de proximité

Les conséquences de la désertification médicale sont multiples et nombreuses. Réduire les difficultés d’accès aux soins à la médecine de ville ne permettrait pas de rendre un tableau complet et fidèle de la situation. S’agissant de l’accès aux soins hospitaliers cela peut, par exemple, prendre la forme de fermetures de structures de proximité comme les maternités. Comme le démontre Emmanuel Vigneron, il convient de souligner qu’entre 1997 et 2019, soit 22 ans, 338 maternités sur 835 ont fermé leurs portes.

b) Des délais d’accès sans cesse allongés et des renoncements aux soins croissants

Cela peut également se traduire par un renoncement de plus en plus important aux soins, notamment en raison de l’allongement des délais de rendez-vous et de l’éloignement géographique avec les praticiens. En 2018, les Français ont accès en moyenne à 3,93 consultations par an et par habitant, contre 4,06 consultations en 2015 alors que, nous l’avons dit, les besoins de soins augmentent.

c) Une pression croissante sur les services hospitaliers et les SDIS

Ces difficultés conduisent également à accroitre la pression sur les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) ainsi que sur les hôpitaux et les services d’urgence. Faute de médecins généralistes notamment, ils sont devenus de véritables variables d’ajustement. Cela se caractérise notamment par une explosion du nombre de passages aux urgences, encombrant les services et entrainant un surmenage des personnels hospitaliers. Depuis près de 20 ans, la fréquentation de ces services croît de 3,5% par an en moyenne. Cela entraîne d’ailleurs des restructurations et entraine une double conséquence : dans les territoires où il n’existe pas d’hôpitaux à proximité, les médecins libéraux sont moins enclins à s’installer car cela accroît la difficulté de leur tâche. Concernant le SDIS, cela se manifeste par une explosion du nombre d’interventions au titre du secours d’urgence aux personnes (SUAP).

III/ Des palliatifs insuffisants

Depuis plusieurs années, de nombreuses pistes ont été lancées afin de lutter contre ce fléau que représentent les déserts médicaux. D’abord avec la création de maisons de santé pluriprofessionnelles, qui permettent certes de regrouper les professionnels et de faciliter leur quotidien, mais encore faut-il que des médecins souhaitent venir y exercer, et dans la durée. Ce n’est pas le cas partout, loin de là.

Ensuite, par des mesures consistant à inciter, sous différentes formes, les médecins, particulièrement les nouveaux diplômés, à s’installer, au moins pour un temps, dans ces territoires sous-dotés. Force est de constater que ces incitations se révèlent être sans effet global réel, même si certaines réussites locales (ex : maison de santé pluridisciplinaire de Pontgibaud) ou ponctuelles peuvent toujours exister. Cela ne nous a même pas permis de faire face aux départs en retraite d’une génération de médecins, ni de réduire la progression des inégalités d’accès à la santé, bien au contraire.

La fin du numerus clausus, souvent avancée par les partisans de l’immobilisme comme la clef du succès en matière de lutte contre les déserts médicaux, ne donnera aucun résultat immédiat, car elle concerne des futurs médecins qui seront diplômés dans une dizaine d’années. Et si les règles de libre installation restent les mêmes, il est fort à parier que nombre d’entre eux ne choisiront pas d’exercer en zone sous-dotée.

A travers les propositions de nos groupes parlementaires, nous avons proposé depuis 2018, et malheureusement sans succès, de mettre en œuvre des mesures plus coercitives. Par exemple à travers un conventionnement sélectif territorial. Cela consisterait à limiter les installations dans les zones surdotées, sur le principe d’un départ pour une arrivée. En clair, le médecin libéral (généraliste ou spécialiste) qui voudrait s’installer ne pourrait être conventionné en secteur 1 que s’il s’installe en zone carencée.

Ce serait en effet un premier pas, même si on peut craindre que nombre de praticiens prendraient malgré tout la décision de s’installer hors déserts médicaux.

Je pense, pour ma part, que nous devons aller plus loin, en ouvrant la réflexion sur le principe même de liberté d’installation des nouveaux médecins diplômés. Nombre de professions particulièrement essentielles ne bénéficient pas de cette liberté et, à travers des classements de sortie d’étude ou de concours, se voient désigner une affectation pour les premières années de leurs carrières. C’est par exemple le cas des enseignants et des policiers.

La situation est si urgente que nous ne pouvons plus tergiverser. Car l’efficacité de nos réponses au défi des inégalités territoriales d’accès aux soins doivent participer pleinement à la mise en œuvre d’un aménagement équilibré du territoire.

Le principe de liberté d’installation demeure prééminent par rapport au principe d’égal accès aux soins, alors que les deux devraient être mis au même niveau, dans un but d’intérêt général. Alors que le Code de la santé publique dispose que « Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles», nous n’avons pas encore tout tenté.

En effet, les initiatives locales inventives menées par les collectivités (maisons de santé, recours aux médecins salariés, médecine ambulante, dispositifs incitatifs pour attirer les jeunes médecins comme les aides au logement ou un soutien financier, ne pallient pas entièrement aux difficultés observées. Les français, comme les élus locaux, se sentent démunis et abandonnés. : 87% des français souhaitent obliger les médecins à s’installer dans les zones sous-dense.

Nous devons tirer toutes les conséquences des politiques de santé publiques destinées à lutter contre la désertification médicale. Nous avons besoin de mesures plus coercitives comme nous le demandent les français. Il en va de la survie de notre pacte social et républicain ainsi que de la survie et de l’avenir de notre système de santé.

Signataire :

Christine PIRES BEAUNE, Députée 63, Secrétaire nationale.

 

 

[1] Loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, promulguée le 21 juillet 2009
[2] Loi « Fourcade » (2011), loi « Touraine » (2016), Loi « Buzyn » (2016)
[3] Pacte Territoire-santé (2012), Plan Ma Santé 2022 (2018)

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