LA COMMUNICATION POLITIQUE À L’HEURE DE TWITTER ET DES CHAÎNES EN CONTINU

CONTRIBUTION THÉMATIQUE CONGRÈS DE VILLEURBANNE ASSOCIATION NOVALLIA

L’actualité nous montre les effets considérables et non maîtrisés de certaines campagnes ou emballements médiatiques sur les sujets les plus divers, amplifiés généralement par les réseaux dits sociaux. Les emballements en question se déclenchent d’ailleurs souvent tout seuls, sans qu’il soit nécessaire d’y rechercher quelque “complot” que ce soit.

Facebook, avec son côté “journal intime”, ses réseaux “d’amis” (de quelle amitié s'agit-il ?), en mélangeant les relations familiales, les relations politiques, les nouvelles locales et les grands sujets planétaires, en permettant l’expression à distance (donc presque anonyme) et les réactions instantanées, souvent irréfléchies, exacerbe les échanges, amplifie les accords comme les désaccords, favorise les prises de position extrêmes et accentue les clivages sans leur donner un quelconque “débouché”. C’est un outil dont il faudrait faire usage avec parcimonie et méthode. On en est loin.

Twitter, quant à lui, a révolutionné le débat politique aux États Unis. Déjà utilisé, avec “un coup d’avance”, par Barack Obama en 2008 pour ringardiser ses concurrents, Twitter a grandement aidé Donald Trump dans sa lutte “seul contre tous” au moment des primaires comme ensuite dans sa campagne contre Hillary Clinton. Cet outil percutant (“perforateur” diraient les militaires) permet d’entraîner les citoyens les moins réfléchis, de soulever leurs passions, au détriment de celles et ceux qui s’adressent davantage à la raison de leurs concitoyens-électeurs.

Cela a fonctionné pendant la campagne victorieuse de Donald Trump et cela a continué de fonctionner pendant l’exercice de son mandat.

Le caractère instantané de l’information, déjà développé par les chaînes d’information en continu depuis de nombreuses années place les lecteurs-auditeurs-téléspectateurs, mais aussi les autres médias, en situation de dépendance.Tout va de plus en plus vite, une réaction en déclenche une autre, et le seul moyen d’exister dans ce processus consiste à créer la polémique, le buzz ou le scandale. Tout est donc amplifié, exagéré, déformé, caricaturé, sinon inexistant! Un débat en chasse un autre, se mêle à un autre, tout a la même importance, on ne sait plus clairement de quoi on parle, mais on a un point de vue !

Alors certes rien de tout cela n’est entièrement​ ​nouveau. Dans les batailles d’opinion, politiques, culturelles ou sociales, il y a toujours eu des “informations de dernière minute”, des rumeurs, des fausses nouvelles, des manipulations, des calomnies. Sans aller rechercher la Dépêche d’Ems ou l’affaire Dreyfus, le premier tour de l’élection présidentielle de 2002 en

France a probablement été impacté par l’agression d’un vieillard à Orléans, et on ne compte plus les normes forcément néfastes, sur le statut des apprentis ou la taille des robinets, dont “on” attribue la responsabilité à la Commission européenne qui pourtant n’en peut mais.

En réalité, ce qui est nouveau et dommageable, à notre époque où une proportion de plus en plus importante de nos concitoyens s’informent par internet, c’est la rapidité, l’instantanéité de la propagation, ainsi que son caractère planétaire, rendant impossible tout démenti, toute relativisation, ni même toute nuance. Ce qui est dit est dit, partout et pour toujours. Ces réseaux à diffusion générale et instantanée rendent également possibles et redoutablement efficace des processus d’endoctrinementcomme ceux qui ont été organisés par Daesh en leur temps.

Le gouvernement français, motivé à l'origine par les manœuvres dont a (aurait) été victime l’actuel Président de la République pendant sa campagne électorale, a tenté de traiter par la loi la question des “fake news”. Procédures accélérées, délais raccourcis, certes, mais le débat bute inévitablement sur les limites posées par la nécessaire liberté de la presse.

Dans le monde réel les nouveaux outils de communication mentionnés plus haut existent. C’est un fait. Apprenons donc à les maîtriser pour ne pas en être victimes. Après tout la radio, moyen de communication nouveau à l’époque, a bien porté l'Appel du 18 Juin.

Un certain nombre de mesures législatives ou​ ​réglementairesseront opportunes : pour assurer la neutralité du net, pour interdire enfin à tel moteur de recherche de “pister” ses utilisateurs, pour accélérer (sans les affaiblir) les procédures judiciaires en cas d’abus, pour empêcher la concentration dans les médias, ou encore pour créer par exemple un statut de média indépendant à but non lucratif.

Il s’agit en particulier de permettre aux citoyens de trouver des médias, des lieux où ils seraient sûrs de trouver des informations vérifiées, hiérarchisées et placées dans leur contexte, des débats non tronqués et non biaisés. Des médias qui aideraient à sortir de l’émotionnel, à se situer dans le moyen et long terme, à s’émanciper (tout de suite les grands mots !). Il semble que cela puisse s’appeler le “service public”.

Mais bien sûr, comme en tous domaines, il faut commencer par la prise de conscience, poursuivre par l’éducation et prolonger par la déontologie.

À l’école primaire puis au collège, des cours d’utilisation des réseaux sociaux et des médias en général trouveraient utilement leur place. Le climat général et les comportements qu’ils contribueraient à créer compenseraient largement le temps consacré. Sans parler de l’apport au développement de l’esprit critiqueet à la construction du (de la) citoyen(ne) éclairé(e).

En parallèle tout journaliste pourrait se voir de temps à autre incité à relire la Charte de déontologiequi s’applique à sa profession, à vérifier systématiquement une information, sa source et les intentions des auteurs avant de reprendre à son compte ladite information.

Quant aux responsables politiques, sauf à prendre le risque que leur goût de la manipulation médiatique ne se retourne un jour contre eux (les exemples abondent), ils feraient bien de réfléchir avant de parler ou avant de répondre à une question en direct, et de prendre une dizaine de seconde de réflexionavant d’appuyer sur la touche “twitter” en se demandant, pour chaque message, si le jeu en vaut vraiment la chandelle.

Les deux “corporations” pourraient également apprendre à éviter les “points Godwin” et utilement s’astreindre à lire un livre d’Histoire par mois (on est modéré dans l’ambition !) de façon à parfaire leur culture générale. Ils éviteraient ainsi de s’embarquer dans des formules inappropriées, voire de se laisser emporter dans des comparaisons hasardeuses par tel ou tel “expert”, blogueur, ou twitteur.

Dans ce monde où “tout le monde est journaliste” reprenons nos esprits et retrouvons les fondamentaux de l’esprit des Lumières.

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