Contribution thématique du Congrès de Villeurbanne 2021
Les inégalités de revenus entre hommes et femmes s’élèvent aujourd’hui, en France, à 42%. La dépendance matérielle des femmes est le facteur principal de leur domination. Profondément liée à leur enfermement dans les rôles de mère et d’épouse, à la sacralisation du dévouement maternel et de la disponibilité sexuelle, la condition des femmes a toutefois progressé ces dernières décennies.
Après que le 19e siècle a consacré “l’invention de la ménagère” et organisé le retour des femmes au foyer pour assurer la reproduction de la force de travail et l’entretien du foyer d’hommes amenés à passer leurs vies à l’usine, le 20e siècle a vu les femmes revenir sur le marché du travail, sous la double influence des mouvements féministes de la 2ème vague et des Trente Glorieuses. Mais ce retour s’est accompagné du phénomène des “doubles journées” (travail salarié et travail gratuit à la maison), tandis que les écarts de salaires et de patrimoine restent élevés.
Les femmes sont plus souvent à temps partiel, elles ont peu accès aux postes à responsabilité et travaillent dans des métiers moins valorisés, d’où des écarts considérables de retraite. La crise du Covid-19 a mis en lumière leur surreprésentation dans les métiers surexposés et peu valorisés : elles représentent ainsi 90% des infirmier-e-s, aides médico-sociales, caissier-e-s, en 1ère ligne pendant la crise du Covid. Ces chiffres doivent nous interroger sur les stéréotypes de genre qui contribuent à orienter d’abord des femmes vers les métiers du care puis affectent leurs carrières, plus souvent interrompues au moment des naissances notamment, avec le décrochage des revenus qui en découle.
Nos institutions jouent un rôle déterminant : jusqu’à la mise en place des 35h, le temps partiel coûtait moins cher aux employeurs, encourageant un travail réduit des femmes (Hélène Périvier). De même, l’ouverture du congé parental dès le deuxième enfant dans les années 90 a eu un effet important sur le temps de travail des femmes. Aujourd’hui, la revendication d’un congé 2ème parent correctement rémunéré et suffisamment long est susceptible de prévenir le creusement des inégalités de carrière en répartissant mieux les tâches parentales, et, partant, de lutter contre la dépendance économique des femmes.
Ces inégalités de revenus sont prolongées par les inégalités patrimoniales : ainsi, l’écart entre le capital détenu par les hommes et les femmes est passé de 9 % en 1998 à 16 % en 2015. Pendant que les femmes travaillent gratuitement à la maison, les hommes accumulent du capital. Et lors des séparations ou des héritages, de nombreux biais favorisent encore les hommes : les biens structurants leur sont systématiquement transmis. L’entreprise familiale ne saurait être menacée en cas de séparation par un partage équitable des parts, si bien que la femme se trouve souvent désavantagée. Et lorsqu’il y a peu ou rien à se partager, les prestations compensatoires ne viennent pas entamer les faibles revenus du mari, si bien que la femme, qui assume souvent la charge des enfants, devra se débrouiller avec une faible prestation et prendre en charge les demandes d’aides sociales. Certaines absurdités institutionnelles demeurent également : ainsi, les pensions alimentaires sont déductibles des impôts pour le débiteur, mais imposables pour le (la) bénéficiaire. Les hommes gèrent la richesse pendant que les femmes gèrent la misère.
N’oublions pas que lutter pour l’égalité économique F/H, c’est défendre la moitié de l’humanité, rendre concrète la promesse républicaine d’égalité, mais c’est aussi renforcer la cohésion sociale en empêchant que de nombreuses de nos concitoyennes et leurs enfants ne tombent dans la pauvreté.
1. Pour un vrai congé deuxième parent
Nous affirmons la nécessité que les deux parents puissent accueillir leur(s) enfant(s) ensemble et appelons ainsi à la mise en place d’un vrai congé deuxième parent, obligatoire, garanti en rémunération, allongé sur 16 semaines - dont 8 obligatoires - et pris en même temps que le congé maternité.
La société française évolue : 64 % des femmes et hommes de moins de 35 ans sont favorables à l'allongement du congé paternité. La France est loin derrière certains de ses voisins : 8 semaines à compter de 2019 et 12 semaines en 2020 en Espagne, 6,5 mois en Finlande à compter de 2021.
Le congé paternité existant depuis 2002, et modifié en 2012, donne 3 jours de naissance obligatoire et jusqu’à 11 jours ouvrés de congés paternité. Seuls 67% des pères les prennent.
La commission des «1000 premiers jours» a préconisé de repenser le congé paternité, notamment d’allonger sa durée et de le rendre plus flexible, pour qu’il puisse par exemple être pris à la naissance, mais aussi à la fin du congé maternité. Le rapport du comité souligne en effet qu’un congé plus long que la durée actuelle favorise les interactions et la formation d’un lien d’attachement avec le second parent, mais également la coparentalité et un partage équitable du travail et de la vie de famille entre parents.
Le gouvernement Macron propose aujourd’hui un congé paternité de 28 jours, dont 7 jours de congé obligatoires. Ce sujet mérite une ambition renforcée.
● Plus d’égalité entre les femmes et les hommes
L'obligation pour tous les hommes comme pour toutes les femmes de s'absenter du lieu de travail à l'occasion de la naissance d'un enfant est la seule façon de garantir une égalité entre tous les parents, qui fasse évoluer les mentalités et les pratiques professionnelles.
45 % des femmes âgées de 25 à 49 ans et ayant des responsabilités familiales déclarent qu’être parent a des conséquences sur leur situation professionnelle, soit près de deux fois plus que les hommes. Ces inégalités se traduisent par une plus fréquente réduction du temps de travail à l’occasion de l’arrivée d’un enfant, mais aussi par une moindre progression des carrières professionnelles des femmes.
Pendant les premiers mois de l’enfant se créent en effet les automatismes qui définiront le fonctionnement parental. Faire assumer aux seules femmes les soins et tâches domestiques durant cette période maintient le statu quo : les femmes réalisent toujours 71% du travail domestique et passent en moyenne 95 minutes par jour aux tâches parentales quotidiennes vs 21 min pour les hommes.
Enfin, la crise du COVID-19 nous a montré combien certaines professions étaient exposées au risque financier en cas de baisse de l’activité : ce droit au congé 2e parent doit être ouvert à tou.te.s, salarié.e.s comme aux indépendant.e.s.
● Un congé deuxième parent pour une question de santé publique
10 à 13% des femmes sont victimes d’une dépression post partum. L’allongement du congé de paternité représente ainsi une mesure de santé publique : le parent qui n’accouche pas doit pouvoir soutenir la femme qui a accouché.
Il ne faut cependant pas penser que la présence du 2e parent est toujours synonyme d’aide pour la mère. Durant le confinement, 58% des femmes en couple ont estimé assurer la majorité des tâches ménagères et éducatives, alors que 34% des hommes étaient en télétravail à domicile (contre 28% des femmes) et 23% en chômage partiel (même part que les femmes). Malgré une présence plus importante des hommes au domicile, 28% des femmes continuaient de dédier entre 2 et 3 heures de leur temps au travail domestique, contre 18% des hommes.
Il faut donc continuer à lutter contre le sexisme ordinaire et à déconstruire les stéréotypes de genre qui rendent plus difficile l’atteinte de l’égalité de fait entre hommes et femmes. Bourdieu soulignait que, si la bataille du droit est gagnée, la bataille des esprits est toujours à mener pour remettre en cause la domination masculine, et ce notamment à l’école.
2. Donner les moyens à l’école de ne plus être un lieu d’apprentissage du virilisme
Les textes fondateurs sur l’implication de l’école pour lutter contre le sexisme sont anciens :la circulaire « Action éducative contre les préjugés sexistes » de 1982, rédigée sous l’impulsion d’Yvette Roudy, ministre déléguée aux Droits de la femme, la convention interministérielle pour l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif, initiée en 2000, sous le gouvernement Jospin.
Après presque 40 ans, on constate que ces textes ne sont appliqués que très partiellement et souvent grâce à la conviction et l’implication de quelques membres du personnel éducatif. La dernière réforme du lycée général renforce les biais sexistes de l’orientation, qui reste très genrée dans les filières du professionnel en fonction des rôles implicites de la société, ce qui les renforce. La formation obligatoire initiale du personnel éducatif sur ce thème est faible et la formation continue quasi-inexistante.
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La lutte contre les violences sexistes doit devenir une priorité :
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L’éducation des filles et des garçons au consentement
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Le travail avec les groupes classes sur le refus des violences sexistes
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Le soutien aux personnels éducatifs quand les jeunes ou leurs parents réagissent en transgression avec les fondamentaux de l’égalité
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Dans tous les établissements, un protocole permettant aux élèves victimes de violences de parler à des adultes formés, en toute confiance
L’école a un rôle fondamental à jouer pour déconstruire les stéréotypes de genre qui inscrivent les inégalités dans les corps eux-mêmes et reproduisent les schémas sociaux de dépendance économique des femmes, qui sont en outre encore victimes de discrimination de genre. Il convient de :
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Lutter contre les stéréotypes genrés qui influent sur l’égalité réelle entre filles et garçons (orientation, carrières politique ou professionnelle)
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Lutter contre l’apprentissage du virilisme chez les garçons et contre les agressions sexistes et sexuelles dans les établissements scolaires du secondaire.
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Soutenir aux jeunes filles et garçons qui choisissent des voies dans lesquels ils et elles seront minoritaires
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Réaliser une formation initiale et continue obligatoire pour que tout le personnel éducatif ait conscience des mécanismes liés aux stéréotypes et au virilisme et de l’importance de lutter contre.
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Remettre en route des ABCD de l’égalité conçus pour un parcours progressif de sensibilisation des élèves à l’égalité
3. Vers une véritable égalité salariale femmes-hommes ?
En France, si l’écart salarial moyen femme-homme s’est réduit de manière encourageante entre 1973 et 1995, le rattrapage s’est considérablement ralenti depuis. Il est aujourd’hui de 25 % sur l’ensemble de la carrière et de 9% à travail égal, à poste égal (effet de la discrimination).
Cet écart augmente en même temps que les niveaux de qualification : pour les salariés disposant d’un Bac+3, le salaire net moyen annuel en équivalent temps plein est de 50 851 euros pour les hommes et seulement de 35 896 euros pour les femmes. Seules 6% des entreprises verseraient un salaire égal à poste égal selon une étude réalisée auprès de 40 000 entreprises de plus 25 salariés (étude INSEE du 18 juin 2020).
Une stricte égalité permettrait de mettre fin à de nombreuses autres discriminations (logement, santé, transports, etc) et de contribuer à équilibrer les comptes de la sécurité sociale, notamment ceux de la branche “assurance retraite”. D’un point de vue sociétal, il légitimerait enfin, sur ce sujet, la promesse républicaine d’égalité pour la moitié des Français.es.
Il conviendra ainsi d’agir, à la fois sur les discriminations de genre, mais aussi sur les inégalités en matière d’emploi et de carrière :
- sur la structuration genrée du marché de l’emploi (secteurs, temps partiels, répartition CDD/CDI, emplois peu qualifié, etc).
- sur un rattrapage accéléré de la répartition des postes à responsabilité, et à salaire égal, pour atteindre entre 2025 et 2030 une part de 40% pour les femmes, comme en Islande, via l’instauration de quotas tels que déjà prévus par exemple en France pour les conseils d’administration ou dans les collectivités publiques.
- sur le manque de transparence des entreprises pour lutter contre les discriminations.
4. La structure de la fiscalité est également importante et peut dissuader les femmes d'accepter un emploi rémunéré.
Tout d’abord, tandis que des pays individualisent l’impôt, le nôtre demeure patriarcal, organisé autour du “ménage” - l'imposition de l'homme augmente si la femme travaille tandis que les prestations sociales ne sont pas individualisées et donc partagées. Le principe général du quotient conjugal - l'imposition commune des membres d'un couple et l'application du barème progressif à la moyenne de leurs revenus - augmente le taux marginal d'imposition du "deuxième" revenu (généralement la femme) et décourage sa participation au marché du travail. Ensuite, les crédits et réduction d’impôt peuvent jouer un rôle : des réductions d'impôts liées aux frais de garde d'enfants peuvent aider les femmes à accéder au marché du travail.
La progressivité de la fiscalité est aussi un point déterminant : plus le système d'imposition sera progressif et sur le patrimoine, plus il sera favorable aux femmes, aux revenus et patrimoines moindres. De plus, la part du revenu consacrée à l'achat de produits pour la famille (biens de première nécessité, produits pour bébés, etc.) étant plus élevée pour les femmes que pour les hommes, les socialistes doivent porter la diminution de la TVA sur les produits de première nécessité en particulier sur les produits d’hygiène féminine au niveau européen.
5. Mieux connaître pour mieux lutter contre les violences économiques
Dépendance économique des femmes et violences faites aux femmes sont liées. Écarts de revenus et de patrimoines sont parfois synonymes pour les femmes de grandes difficultés à quitter le domicile conjugal, même en cas de violences intra-familiales. Et quand le départ est précipité, cela signifie aussi parfois laisser au mari la main sur le patrimoine familial.
Les violences économiques désignent désormais une notion à part, celle des actes de contrôle du comportement d’une femme en la privant de ressources économiques, en l’empêchant d’avoir un travail et des recettes financières personnelles ou de les utiliser selon sa volonté, ce qui a longtemps été légal : les Françaises ont dû demander l’autorisation de leurs époux pour ouvrir un compte en banque jusqu’en 1956 et jusqu’en 1965 pour pouvoir travailler.
La France a ratifié en 2014 la Convention d'Istanbul qui inclut dans la définition des violences domestiques (conjugales) les violences économiques. En 2018, le HCE déplore le manque “de crédits disponibles et de moyens/leviers pour mener une telle étude, en particulier si elle concerne le champ du logement ». Enfin, en novembre 2019, le GREVIO pointe le besoin de mesures pour « établir des dispositifs juridiques aptes à protéger les femmes des violences économiques ».
Le féminisme n’est pas une question sociétale, mais éminemment sociale.