Contribution thématique du Congrès de Villeurbanne 2021
Cette contribution a été adoptée en Assemblée générale de section PS Paris 17ème Daniel Sérus.
Si la problématique de la place des femmes au sein de notre société continue à paraître anecdotique pour certain.e.s, il est indéniable que le débat de la condition féminine a bien émergé au cœur de l’ouragan Covid-19. Partage des tâches domestiques et charge mentale, précarité féminine et dévalorisation des métiers traditionnellement féminins, violences sexistes et sexuelles...autant de sujets qui nous apparaissent comme décuplés à l’aune de cette crise sanitaire, économique, et sociale sans précédent. Au delà de ces constats qu’il nous faut dresser, notre appareil politique doit être en mesure d’en tirer les enseignements nécessaires pour inventer et contribuer à bâtir un futur plus égalitaire.
Partages des tâches au sein du foyer
Ce n’est un mystère pour personne de bonne foi, la répartition des tâches domestiques reste largement inégalitaire au sein des couples hétérosexuels les femmes continuant à effectuer la majorité des tâches ménagères et parentales - respectivement 71 % et 65 % [1].
Le confinement au sein de nos foyers, loin d’aplanir cette disparité, a au contraire eu un effet aggravant, les femmes se retrouvant souvent contraintes de jongler entre les tâches ménagères et parentales habituelles, suivi de l’école à distance pour leurs enfants et le télétravail [2]. La lecture du compte Instagram “T’as pensé à” [3] est à ce titre édifiante : la “double journée” semble s’être triplée pendant le confinement.
Loin des discours béats d'optimisme et du mythe de l’homme moderne toujours plus impliqué au sein de la sphère domestique, la problématique de la répartition des tâches apparaît donc aujourd’hui encore comme un éternel serpent de mer du débat sur l’égalité femme-homme. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les déséquilibres fondamentaux du foyer ont été somme toutes très peu bousculés au cours de la période récente : c’est bien simple, au rythme où nous progressons actuellement, il nous faudrait encore des décennies pour atteindre l’équilibre [4].
Quelles solutions pour inverser durablement la vapeur ? L’instauration d’un congé paternité digne de ce nom, à l’instar du modèle suédois (un congé parental de 480 jours, réparti équitablement) apparaît comme un outil indispensable pour redéfinir l’équilibre au sein du foyer autour de la prise en charge des enfants : il est d’autant plus essentiel qu’on sait que l’arrivée d’un enfant renforce les inégalités au sein du couple [5. ]De manière plus générale, il est impératif de faire évoluer les mentalités et us et coutumes au sein de la sphère du travail pour qu’il soit tout aussi normalisé pour un homme que pour une femme de prendre des congés pour s’occuper de ses enfants malades, de limiter pour les deux parents les obligations de présence et les réunions passées une certaine heure [6]...Les vœux pieux et autre labels ayant leurs limites, l’heure est peut-être venue de penser une politique plus incitative dans le domaine de l’égalité professionnelle dans sa globalité, dont les modalités restent encore à définir précisément : intensification de la politique de name and shame, déjà amorcée par le gouvernement, qui permet de dénoncer les entreprises les plus en retard sur l'égalité femmes-hommes ; fiscalité incitative avec un système de bonus/malus...
Précarité féminine et dévalorisation des métiers traditionnellement associés au féminin
Derrière l’inégalité de répartition des tâches domestiques se cache une explication toute simple : les écarts de rémunération femmes-hommes, qui pousse pour des raisons rationnelles les couples hétérosexuels à préserver le temps de travail et la carrière de l’homme, qui est dans la grande majorité des cas le partenaire le mieux rémunéré. Si on parle très souvent de cet écart, on tend encore trop souvent à oublier la partie cachée de cet iceberg, résultat évident de cette logique poussée à son paroxysme : la précarité, voire la pauvreté, féminine. La surreprésentation des femmes dans les métiers peu qualifiés et/ou à temps partiel, les interruptions de carrières, ou encore les situations de monoparentalité en sont autant de facteurs explicatifs. Aurore Lalucq et Nicolas Matyjasik résumaient de façon incisive et efficace cet état de fait en déclarant en 2018 au Parisien que “L’homme pauvre est une femme seule” [7]. Voilà de quoi en finir une bonne fois pour toutes avec l’opposition puérile “social” versus “sociétal”, derrière laquelle se réfugie certains ténors de la gauche pour nous expliquer que parler féminisme nous éloigne par trop de nos véritables combats.
Pour en revenir à la crise sanitaire, il est intéressant de constater que si les femmes se sont retrouvées en première ligne de la lutte contre le Covid-19, notamment dans le secteur médical, ce sont majoritairement à des postes peu rémunérés et valorisés : rappelons que 88% des infirmièr.e.s et 90% du personnel travaillant en EHPAD sont des femmes, alors qu’elles ne sont a contrario que 47% chez les médecins [8]. Parmi les autres professions habituellement peu considérées et mises en lumière de façon exceptionnelle au cours de cette crise, on pensera également aux hôtes de caisse, dont les femmes constituent 90% des effectifs [9]. Il est intéressant que ces métiers traditionnellement associés aux femmes appartiennent souvent au champ du soin ou des services aux personnes, et que le dévouement dont font preuve celles qui les exercent a tendance à être considéré comme naturel ou allant de soi.
Il va de soi qu’il nous faut investir le champ de l’éducation pour équilibrer les effectifs de ces métiers et s’assurer également de leur revalorisation, et ce sur le long terme, mais nous devons également prendre de la hauteur et nous interroger de façon plus globale sur la meilleure façon d’éviter à ces femmes des situations de précarité et d'incertitude économique. Pour cette raison comme pour d’autres, la piste du revenu universel, ou à défaut dans un premier temps du revenu de base, mérite d’être davantage explorée et approfondie.
Violences sexistes et sexuelles
La blague a émergé sur les réseaux sociaux, avant même l’annonce officielle du confinement : notre liberté de circulation allait être drastiquement réduite, mais au moins, peut-être que les harceleurs de rue nous laisseraient tranquille. Des espoirs qui ont très vite été douchés par de nombreux témoignages, à retrouver notamment sur la page Facebook “Paye ton confinement” [10], laissant émerger une réalité toute autre : non, même pour une heure, même dans un périmètre d’un kilomètre, il n’est pas possible pour une femme d’évoluer à son aise dans l’espace public.
Toujours dans le large spectre des violences sexistes et sexuelles, le confinement faisait en revanche redouter un autre phénomène : une hausse des violences conjugales, et de son corollaire direct, les féminicides. Enfermement au sein du foyer et crispations en résultant, difficultés pour les femmes victimes de sortir pour solliciter de l’aide...Une crainte fondée, puisque les violences conjugales représentent l’essentiel des gardes à vue depuis le début du confinement [11]. Un début d’année noir, qui succède à une année 2019 marquée par une hausse dramatique des féminicides (149, si l’on s’en tient au décompte réalisé par le collectif «Féminicides par compagnon ou ex»).
Notre parti doit être irréprochable dans ce domaine. En ce qui concerne nos éléments de discours, déjà : il doit être entendu par toutes et tous que ces violences ne sont pas l’apanage des classes populaires mais concernent l’ensemble des catégories sociales, qu’elles ne sont pas des faits divers tragiques mais une réalité brutale et systémique, alimentée par un état d’esprit délétère qui consiste encore et toujours à relativiser l’ampleur de ces violences et à remettre en question la parole des femmes victimes. Nous devons clamer haut et fort l’impératif de moyens à la hauteur de cette réalité, loin des augmentations infinitésimales et très symboliques derrières lesquelles le gouvernement actuel se réfugie. Il est nécessaire, enfin, dans ce domaine comme dans d’autres, de s’assurer par de véritables outils de contrôle et de sanction que nos forces de l’ordre sont bien à la hauteur des enjeux et ne reproduisent pas dans leurs pratiques les mécanismes de violences et de domination symbolique auxquels les femmes sont confrontées par ailleurs.
Place des femmes dans la sphère publique
Au mois d’avril, en plein cœur de la crise, le magazine Forbes se demandait dans un article au ton proche de l’autosatisfaction si les pays dirigés par des femmes avaient mieux réagi face à la pandémie, en citant sept pays en exemples, dont l’Allemagne et la Nouvelle-Zélande [12]. Problème, comme le souligne la féministe Rebecca Amsellem dans sa newsletter les Glorieuses du 15 avril, les raisons mises en avant pour expliquer leur succès sont au mieux douteuses, au pire essentialistes - l’une des qualités évoquée pour ces leaders n’étant autre que...l’amour. Parce que femmes, ces personnalités publiques seraient plus à même de faire preuve d’empathie et d’attention, ô combien nécessaires en cette période de crise [13]. Une analyse pour le moins problématique, qui met en lumière un stéréotype encore trop présent dans l’inconscient collectif : si nous avons intérêt à mettre des femmes au pouvoir, c’est pour qu’elles puissent mettre en œuvre une fois en poste des qualités considérées comme féminines (gentillesse, sens de l’écoute, douceur...). Pour que les femmes dirigeantes puissent être analysées sous le seul prisme de leurs compétences, et non des stéréotypes de genre qui leur sont associés, il apparaît plus que jamais indispensable d’intensifier les politiques existantes de parité dans la sphère politique. Au delà de la législation actuelle, qui mériterait sans nulle doute d’être étendue à davantage de scrutins, nous devons également repenser nos pratiques en tant que parti et être exemplaires en la matière, en arrêtant, entre autres, de réserver les territoires réputés ingagnables, parfois évoqués plus pudiquement “territoires de conquêtes”, aux femmes. Le choix des têtes de liste pour les élections municipales parisiennes révèle à lui seul combien le chemin est encore long à parcourir.
Signataire :
Estelle NAUD
[1] Clara Champagne, Ariane Pailhé et Anne Solaz. Le temps domestique et parental des hommes et des femmes : quels facteurs d'évolutions en 25 ans ? [en ligne]. Insee, publié le 29/10/2015. Disponible sur : https://www.insee.fr/fr/statistiques/1303232?sommaire=1303240
[2] Émilie Massemin. Cuisine, ménage, enfants... Le confinement exacerbe les inégalités femmes-hommes [en ligne]. Reporterre, publié le 21/04/2020. Disponible sur : https://reporterre.net/Cuisine-menage-enfants-Le-confinement-exacerbe-les-inegalites-hommes-femmes
[3] Compte “T’as pensé à” [en ligne]. Instagram. Disponible sur : https://www.instagram.com/taspensea/?hl=fr
[4] L’inégale répartition des tâches domestiques entre les femmes et les hommes [en ligne]. L’observatoire des inégalités, publié le 29/04/2016. Disponible sur : https://www.inegalites.fr/L-inegale-repartition-des-taches-domestiques-entre-les-femmes-et-les-hommes
[5] Arnaud Régnier-Loilier. L’arrivée d’un enfant modifie-t-elle la répartition des tâches domestiques au sein du couple ? Ined, publié en 11/2009. Disponible sur : https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/19129/popetsoc_461.fr.pdf
[6] Michèle Ferrand, sociologue de la famille [en ligne]. Fondation des femmes, publié le 08/06/17. Disponible sur : https://fondationdesfemmes.org/michele-ferrand-la-charge-mentale/ 7
[7] Aurore Lalucq et Nicolas Matyjasik. Aurore Lalucq et Nicolas Matyjasik : «L’homme pauvre est une femme seule». Le Parisien, publié le 03/06/2018. Disponible sur : http://www.leparisien.fr/societe/aurore-lalucq-et-nicolas-matyjasik-l-homme-pauvre-est-une-femme-seule-03-06-2018-7750332.php
[8] La démographie des autres professions de santé (RPPS et ADELI) [en ligne]. Drees, publié le 08/04/2015. Disponible sur : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/etudes-et-statistiques/open- data/professions-de-sante-et-du-social/la-demographie-des-professionnels-de-sante/la-demographie- des-autres-professions-de-sante-rpps-et-adeli/? fbclid=IwAR0arhxzLj0QOwbS00q7E5Nx0D7F6E6pTpkiqheaqwEfZ8jiswabiXkwIjY
[9] Philippe Bertrand. Pourquoi les caissières vont complètement disparaître. Les Echos, publié le 05/12/2019. Disponible sur : https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/pourquoi-les-caissieres-vont-completement-disparaitre-1154038?fbclid=IwAR1FrQXmqPzY2V1xLY_0-FEgAIkrVKU9N6h4IxHdOkiwZhrYPGdAiV34p3A
[10] Page “Paye ton confinement” [en ligne], Facebook. Disponible sur : https://www.facebook.com/payetonconfinement/
[11] Yann Bouchez et Zineb Dryef. Violences conjugales : « Le confinement est devenu un instrument supplémentaire pour les agresseurs ». Le Monde, publié le 05/04/2020. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/04/25/violences-conjugales -le-confinement-est-devenu-un-instrument-supplementaire-pour-les-agresseurs_6037722_3224.html
[12] Avivah Wittenberg-Cox. Les Pays Dirigés Par Des Femmes Ont-Ils Mieux Réagi Face À La Pandémie ? Forbes, publié le 16/04/2020. Disponible sur : https://www.forbes.fr/femmes-at-forbes/les-pays-diriges-par-des-femmes-ont-ils-mieux-reagi-face-a-la-pandemie/?cn-reloaded=1
[13] Rebecca Amsellem. Les femmes sont-elles vraiment des meilleures "leaders" que les hommes [en ligne]. Les Glorieuses, publié le 15/04/2020. Disponible sur : https://lesglorieuses.fr/meilleures-leaders/?utm_medium=email&utm_campaign=Les+Glorieuses+-%20+Saison+V+-+numro+31&utm_content=Les+Glorieuses+-+Saison+V+-%20+numro+31+CID_7a170d10370fde1bcc876bdd776ebdc4&utm_source=Email+marketing+software&%20utm_term=Lire+la+mme+chose+en+ligne&v=11aedd0e4327