Les socialistes et les institutions de la Vème République - Vers un nouveau paradigme institutionnel

Contribution présentée par la section de Washington.

« Je pense qu’il est possible de convaincre que nos institutions sont à bout de souffle, et qu’il faut les changer. Que dans ce rapport nouveau à la présidentielle et aux législatives, il y a de quoi nouer un rapport nouveau avec nos partenaires. »
Discours d’Olivier Faure au Conseil national du Parti socialiste – 13 septembre 2020)

Le Parti Socialiste n’a pas de doctrine sur les questions concernant le fonctionnement de nos institutions politiques. Certes, il s’affirme toujours comme un ardent défenseur des droits du Parlement face aux empiètements du pouvoir exécutif. Mais quand les socialistes sont au pouvoir, ils semblent s’accommoder fort bien du présidentialisme à la française, et de cette domination du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif qui caractérise tant le fonctionnement de nos institutions. Selon nous, plus qu’un comportement opportuniste, il s’agit d’un embarras, voire d’un malaise profond par rapport à une situation qu’ils ont largement contribué à créer.

Pourtant, il y a urgence à reconsidérer la question. Le système tel qu’il fonctionne actuellement, apparaît à bout de souffle. Le « présidentialisme à la française », c’est- à-dire le pouvoir quasi-absolu donné à un homme (ou une femme) seul, est désormais contesté de toutes parts. Cette hyperprésidence a une conséquence qui se présente désormais à nous dans toute son évidence : l’affaiblissement de la fonction présidentielle. Emmanuel Macron est maître de tout, mais il ne maîtrise plus grand-chose, sauf peut-être les rouages de l’État. Cela ne suffit pas pour gouverner un peuple. Dans ce débat, c’est la qualité même de la gouvernance du pays qui est en jeu.

Pour avancer sur cette question, les socialistes doivent d’abord faire leur examen de conscience, et regarder lucidement ce qu’est devenue la démocratie française au cours de ces vingt dernières années, suite à une évolution dont ils ont été hélas ! - les principaux initiateurs. En effet, les socialistes ont (1) décidé le quinquennat présidentiel, (2) inversé le calendrier électoral, et (3) inventé la primaire pour l’élection présidentielle. En d’autres termes, ils ont opté pour la présidentialisation à outrance de nos institutions. Emmanuel Macron représente, en quelque sorte, l’achèvement ultime et quasi paroxystique de ce processus : un mouvement politique créé autour d’un homme, et pour ce seul homme ; un homme quasi providentiel, venu de (presque) nulle part, et qui se prend ouvertement pour Jupiter ; un homme seul qui décide de tout, et qui communique seul à propos de ce qu’il décidé seul, avec un seul interlocuteur véritable : les médias. Voilà où nous en sommes arrivés.

Pour les socialistes, la perspective d’un retour au pouvoir est maintenant bien lointaine, ce qui devrait nous permettre de réfléchir calmement à ces questions, et de la façon la plus sereine qui soit. Avec une seule ligne de conduite : le respect de nos valeurs, et l’affirmation de nos convictions. Mais pour avancer, il faut surtout commencer par avoir des idées claires et savoir dans quelle direction nous voulons aller.

Commençons par nous poser la seule question qui vaille, et qui commande tout le reste : quel type de régime institutionnel correspond le mieux à notre idéal démocratique ? Les autres questions (le calendrier électoral, le droit de dissolution, l’article 49.3, la représentation proportionnelle, etc.), pour importantes qu’elles soient, sont subordonnées, et découlent en fait de la réponse à cette première question. Que veulent les socialistes ? Qu’est-ce qui correspond le mieux à (ou se rapproche le plus de) leur idéal démocratique ? Voilà la question première, la seule question qui compte. Pour commencer, on citera cette phrase de Pierre Mendès-France dans son livre, La République Moderne : « pour un peuple, confier son sort à un seul homme, fût-il le meilleur d’entre tous, est une démission. » En écrivant ces lignes, Mendès- France avait évidemment en tête la personne du Général de Gaulle. Aujourd’hui, nous sommes bien obligés d’avoir en tête la personne du jeune et sémillant Macron. Ce n’est plus une démission, c’est un naufrage démocratique.

Selon nous, il ne fait guère de doute que les socialistes, dans leur immense majorité, partagent le point de vue de Pierre Mendès-France. Le peuple confie son sort non pas à un individu, mais à ses représentants qui eux-mêmes désignent, par un vote d’investiture, le gouvernement de la France. Ce gouvernement n’est politiquement responsable que devant ceux qui l’ont investi. On vient de donner la définition d’un régime parlementaire. Ce n’est ni une vue de l’esprit, ni une utopie, ni une uchronie : c’est le régime qui existe dans tous les pays européens, ... sauf la France.

Sauf la France ? En fait, les choses sont un peu plus compliquées. En effet, la Constitution de la Vème République est d’inspiration parlementaire. Elle est même strictement d’essence parlementaire, si on s’en tient à la lettre : le Gouvernement est investi par l’Assemblée nationale, et il n’est politiquement responsable que devant l’Assemblée nationale. Ce caractère parlementaire est le principe même qui a présidé à la naissance de la Vème République, et il a été énoncé par le Général de Gaulle lui-même dans son discours dinvestiture du 1er juin 1958 où il précise le caractère de la future constitution : « le gouvernement doit être responsable vis-à-vis du Parlement. » Ce nétait pas forcément ce quil pensait, puisque cétait une concession majeure par rapport à son discours de Bayeux en 1946 (où il se prononçait pour un exécutif procédant directement du chef de lEtat), mais ce fut la condition de son retour au pouvoir dans les formes légales en 1958. Tel est le caractère fondamental de la Constitution de la Vème République, qui est en fait issue dun compromis entre les conceptions propres du général De Gaulle et la tradition parlementaire française. Nous le savons bien, puisque nous avons connu au cours des trente dernières années trois expériences de cohabitation (1986-88, 1993-95, 1997-2002) où les institutions ont fonctionné dans une configuration strictement parlementaire. Au demeurant, lors de chacune de ces trois périodes, le gouvernement, fort d’une majorité qui le soutenait à l’Assemblée nationale, a parfaitement pu mener les affaires de la France, et mettre en œuvre sa politique, sans que le Président puisse s’y opposer.

Malheureusement, ces périodes - dites de cohabitation - apparaissent aux yeux de beaucoup comme une anomalie ou, du moins, comme une occurrence à éviter si possible, car elles introduiraient une dualité antagoniste au niveau de l’exécutif entre le Président et son Premier ministre. Mais pourquoi cet antagonisme, puisque les rôles respectifs du Président (qui arbitre) et du Premier ministre (qui gouverne) sont parfaitement définis par la Constitution de manière précisément à éviter les conflits de compétence ? Tout simplement parce que la Droite a voulu imposer, dès le début de la Vème République, un paradigme politique (que l’on peut appeler « paradigme gaulliste ») selon lequel les institutions ne sont supposées fonctionner correctement, et efficacement, que s’il existe une majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, c’est à dire une majorité qui se constitue à l’Assemblée nationale non pas sur un programme de gouvernement porté par un ou plusieurs partis politiques, mais pour soutenir l’action du Président de la République. Tout le reste en découle, notamment cette pratique non écrite dans la Constitution, mais parfaitement logique dans cette configuration, qui fait que le Premier ministre devient politiquement responsable devant le Président de la République.

Il se trouve que les socialistes ont, dans leur pratique du pouvoir, adopté ce paradigme gaulliste. Ainsi, par la dissolution de l’Assemblée nationale en 1981 et 1988, François Mitterrand s’est construit une majorité présidentielle, et a fonctionné selon cette configuration (avec notamment un Premier ministre responsable politiquement devant lui seul, et non pas devant l’Assemblée nationale). De même, Lionel Jospin, en mettant en œuvre la réforme du quinquennat et l’inversion du calendrier, a achevé de verrouiller le système, l’élection législative n’étant plus qu’une queue d’élection présidentielle, destinée à donner une majorité au Président nouvellement élu. Au bout du compte, un tel système donne à un seul homme un pouvoir « quasi absolu », selon la propre expression de François Hollande qui sait de quoi il parle.

Il faut donc que les socialistes reviennent aux sources de leur engagement politique, et retrouvent les valeurs qui étaient les leurs au début de la Vème République quand ils s’opposaient au « pouvoir personnel » du Général de Gaulle. Pour cela, il leur faut affirmer leur propre paradigme institutionnel, que l’on qualifiera de socialiste et républicain : le retour à une application strictement parlementaire des institutions de la Vème République. A l’Assemblé nationale, il ne peut se former qu’une majorité de gouvernement (et non une majorité présidentielle), et le Président de la République est confiné au seul rôle qui lui est dévolu par la Constitution : arbitre et « clé de voute » du système. Contrairement à une idée trop largement répandue, l’élection du Président de la République au suffrage universel n’est nullement incompatible avec une pratique parlementaire de nos institutions, car elle ne modifie en rien l’équilibre des pouvoirs. François Hollande a écrit dans son récent livre (« Les leçons du pouvoir ») que la Constitution a cessé d’être parlementaire depuis que le Président est élu au suffrage universel (page 43). C’est une absurdité : les épisodes de cohabitation montrent que la Constitution peut fonctionner de façon strictement parlementaire avec un Président élu au suffrage universel. C’est le cas au Portugal, démocratie parlementaire dont la Constitution présente de grandes similitudes avec la nôtre. Au demeurant, on ne voit vraiment pas pourquoi, à une époque où il est considéré comme hautement souhaitable de consulter les citoyens sur les questions qui les concernent (voir l’idée très en vogue des « référendums citoyens »), on ne les consulterait pas directement pour désigner le chef de l’Etat sans pour autant modifier la nature parlementaire du régime.

Mais comment procéder ? Dans cette affaire, il faut faire simple, faire simple, faire simple. Il faut donc éviter toute tentative de réforme de notre Constitution. Surtout ne revenons pas sur ce qui a déjà été décidé par le peuple souverain en 1958 (la Constitution), en 1962 (l’élection du Président au suffrage universel) et en 2000 (le quinquennat). Ce serait trop difficile à expliquer, et les socialistes iraient à l’échec. Dans le même ordre d’idées, proscrivons absolument le thème de la VIème République, qui dramatise inutilement le débat et qui n’est qu’une invocation rituelle et une excuse pour ne rien faire. Nos institutions, telles qu’elles sont, permettent une pratique parlementaire ; il faut seulement faire en sorte qu’il en soit ainsi. Pour cela, il n’y a qu’une seule solution : remettre l’élection législative au centre de la vie politique française, et affirmer haut et fort que le concept de « « majorité présidentielle » est nul et non avenu pour les socialistes : à l’Assemblée nationale, il ne peut y avoir qu’une « majorité de gouvernement ». En d’autres termes, il faut ré-inverser le calendrier électoral. L’élection présidentielle intervenant dans la foulée d’une élection législative qui aura déjà décidé de la façon dont sera gouvernée la France ne pourra plus prétendre déterminer le cours de la politique française. Elle se limitera à désigner un Président de la République, dont la fonction d’arbitrage sera en quelque sorte sacralisée, mais sans prétendre donner l’orientation de la politique française qui reste du seul domaine du Gouvernement.

Depuis quelque temps, cette idée fait son chemin, car elle peut être facilement mise en œuvre par une loi organique. Elle a déjà été présentée au Congrès de 2012 par le biais d’une contribution thématique (signée par environ 50 militants de la FFE). Elle a été développée par le constitutionnaliste Pierre Avril, dans un article remarqué dans le Monde du 18 septembre 2014 (« Pourquoi on doit revenir sur l’inversion du calendrier électoral »). Elle a été reprise par un groupe de travail du Parti Socialiste lui-même, au mois de juin 2016, dans ses propositions pour une réforme des institutions (proposition 19) ; excellent travail de réflexion, malheureusement largement passé inaperçu. On retrouve cette même proposition dans les conclusions du Groupe de travail institué par l’Assemblée nationale et présidé par Claude Bartolone et Michel Winock (« Refaire la démocratie », 2015). Citons la page 84 de ce rapport (qui se prononce pour le retour au septennat présidentiel) : « en cas de maintien du quinquennat, le groupe de travail souhaite donc que le calendrier électoral soit ré-inversé pour que les élections législatives aient lieu avant l’élection présidentielle. »

Il ne s’agit pas de rabaisser la fonction présidentielle, mais de la remettre à sa place, qui est et restera - éminente : le président arbitre, mais il ne gouverne pas. Il est la « clé de voute » de nos institutions. Il fait en sorte que notre système politique tienne debout en toutes circonstances (qui sont parfois chaotiques). Surtout, cette réforme serait conforme à l’essence parlementaire des institutions de la Vème République, qui s’est manifestée notamment lors des différents épisodes dits de « cohabitation » : c’est l’élection législative qui dicte, en dernier ressort, la façon dont le pays sera gouverné. C’est encore vrai aujourd’hui : si les députés LaRem se révoltaient contre Macron et rejetaient sa politique, celui-ci perdrait le pouvoir. Raison de plus pour donner à cette élection la prééminence qui lui revient de droit.

Ayant réglé cette question première, il faudra bien sûr aborder les autres questions qui se posent de façon récurrente sur le fonctionnement de nos institutions. Par exemple l’article 49.3, le droit de dissolution, le mode de scrutin (uninominal et/ou proportionnel). Ces questions sont évidemment cruciales, et ne sauraient être ignorées : il faut qu’un gouvernement ait les moyens de gouverner ; il faut que le Président ait les moyens d’exercer sa fonction d’arbitrage ; il faut que les élections législatives dégagent une majorité de gouvernement. Mais nous pensons que ces

questions doivent être examinées à l’aune de notre choix fondamental en faveur d’un régime parlementaire. Et pour l’heure, « first things, first », remettons l’élection législative au centre de la vie politique française.

Outre sa justification sur le fond, qui se suffit à elle-même, l’affirmation de cette doctrine institutionnelle viendrait à point nommé pour accompagner la ligne politique actuelle du Parti socialiste. Nous sommes en effet engagés dans une démarche de rassemblement et d’union avec les autres forces de gauche, notamment dans la perspective des prochaines élections présidentielles. Dans son dernier discours au Conseil national (13 septembre 2020), le 1er secrétaire a indiqué une méthode : la discussion sur le fond, dans la perspective d’un accord politique, préalable au choix d’un candidat commun. Nous ne voyons pas comment les discussions avec nos partenaires de la gauche pourraient passer à côté de ces questions institutionnelles. Et puisque nous souhaitons un accord sur le fond, que nous recherchons l’union plutôt que la désunion, nous sommes persuadés que les positions institutionnelles que nous préconisons sont de nature à rapprocher les points de vue.

 

Signataires :

Morgane Rolland, secrétaire de section - membre du secrétariat fédéral FFF ;

Laure Pallez, membre du secrétariat fédéral FFE ;

Monique Curioni, Conseillère des Français de l’étranger aux Etats-Unis;

René Fiévet, militant FFE, rédacteur de la motion,

Gabriel Richard-Mollard, Section de Bruxelles, membre du bureau fédéral FFE.

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