Contribution thématique du Congrès de Villeurbanne 2021
Introduction
Deux phénomènes dramatiques nous interpellent avec force : l’attentat terroriste de Conflans Saint Honorine qui a coûté ma vie à un enseignant, un acte odieux contre la liberté d’expression, contre les fondements d’éducation de notre République et la reprise de l’épidémie, sa propagation qui dure et soumet les populations et les territoires à des restrictions de liens sociaux inédits. Nous avions donc oublié que la paix durable avait construit un quotidien autour de l’avenir de chaque individu en négligeant les bienfaits de l’action collective et certains se sont même laissés aller à critiquer allègrement le fonctionnement républicain : l’impôt, le service public, la dépense publique, la protection sociale, le statut des fonctionnaires...
Cette fois encore, il faut saluer ceux qui par l’exercice de leur métier se retrouve plongés au cœur des valeurs républicaines (santé, sécurité, éducation, culture, propreté, production...).
Dans cette période difficile, le constat est clair : ce sont les collectivités territoriales et leurs représentants qui assurent les premiers gestes de secours, de protection, puis l’État central. Considérons que nous sommes tous l’État. L'organisation de la République est territoriale au plan administratif (décentralisée et déconcentrée) mais quasiment « fédérale » au plan des responsabilités nationales. Ce que la pandémie et aussi le terrorisme (même s’il doit être géré au plus au niveau) confirment et amplifient est le nécessaire déplacement fondamental du curseur républicain tel qu'énoncé dans préambule et article 72 de la Constitution.
Les collectivités territoriales en premières lignes : quel curseur républicain ?
La République
L’État, c’est nous tous ! Cette idée née dès la Révolution française n’a toujours pas vu son aboutissement par une véritable décentralisation assumée car l’État central et son administration freinent sans cesse cette évolution pour ne pas lui donner trop d’amplitude. Les derniers actes législatifs de cette organisation portent toujours des notions généreuses : « Droits et libertés de communes, des départements et des régions » en mars 1982, puis « libertés et responsabilités locales » en août 2004 et encore « Modernisation de l’action publique » en janvier 2014 et enfin « Nouvelle organisation de la République » en août 2015... sans oublier la fusion des régions .... Mais dans le même temps on met en place un encadrement accru des recettes des collectivités locales (exemple: 2009-suppression de la taxe professionnelle), l’obligation de maîtriser les dépenses ; on durcit les conditions de versement des dotations ou on vote au niveau national l’obligation de mettre en œuvre des politiques sur les territoires sans que leurs élus aient eu la possibilité de se prononcer sur celles-ci. Tout aujourd’hui restreint les libertés locales.
Et pourtant « Liberté, égalité, fraternité » la devise de notre République toujours affirmée est encore mise à l’épreuve dans cette période: liberté d’agir pour tous nos territoires- égalité de l’accès à la santé et aux services publics pour tous – et fraternité, sans doute l’item le plus questionné quand les richesses sont détenues majoritairement par une partie de la population au détriment de la plupart des classes sociales les plus défavorisées comme nous le constatons souvent. Parce que les collectivités répondent toujours présentes, elles se doivent de revendiquer une plus grande considération.
La décentralisation
Qu’est-ce qu’une décentralisation à l’heure des réductions budgétaires, de la nationalisation de l’impôt, de l’obligation de baisses de fonctionnement assujettie à une contractualisation, toujours aussi léonine. La décentralisation ? quand les services publics disparaissent de plus en plus de nos territoires : santé, école, sécurité́, justice, poste, transport ...
Des paroles loin des actes : la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et la proximité de l’action publique avait un objectif clairement annoncé, celui de redonner confiance aux élus en facilitant leur action mais le gouvernement Philippe n’a pas souhaité retenir les amendements positifs du Sénat ; quant à la loi de finance 2020, elle relevait avant la crise, d’une différence accrue entre les discours et la réalité : là où le gouvernement dit stabilité, les collectivités subissent régression [1].
Aussi, le curseur républicain doit être déplacé car la déconcentration n’est pas la décentralisation. C’est lorsque la liberté entre en résonnance avec la responsabilité qu’il est possible de choisir une autre voie. C’est aux élus qui sont en capacité d’affirmer leurs convictions, de construire des majorités plurielles soucieuses du lien social, de la transition écologique et de l’environnement, de la qualité de vie, de la sécurité, et du développement territorial, à eux de revendiquer toute leur place dans l’après de cette crise sanitaire qui bouleverse notre système.
A eux de porter la solidarité dont nous avons besoin au sortir de cette période.
Situation nouvelle, organisation nouvelle
Les deux alertes sociétales
La pandémie nous rappelle avec violence que notre organisation, sociale, économique, culturelle et démocratique n’est pas une situation fiable puisqu’elle laisse une partie de nos territoires, de nos populations, les plus vulnérables, face au drame.
Non, ce n’est pas une guerre ; c’est une lutte contre un ennemi invisible dont on ne connaît pas toutes les armes et qui bouleverse notre système économique ; ce virus inquiète et met la société face à une évidence : revenir à l’essentiel afin que chacun puisse retrouver sa place, sa dignité, sa valeur, et la possibilité de circuler et de travailler librement.
Le terrorisme répété toujours présent atteint aujourd’hui notre République à la travers la barbarie qui a enlevé la vie à un enseignant de l’école publique et laïque. Autorisons nous d’associer ces deux peurs qui hantent toutes les sociétés dont l’économie est mondialement intégrée. C’est probablement la fin d’un cycle, souvent dénoncé pour son libéralisme, son consumérisme, ainsi que son productivisme. Et qui a conduit à des fractures sociales en augmentant la misère financière et la misère intellectuelle, le lit de tous les populismes et de tous les extrêmes.
Où en sommes-nous ?
Est-ce une crise du pouvoir ? la capacité de résilience est interrogée, on peut s’en inquiéter car elle touche aussi à l’exercice du pouvoir, à la garantie des libertés publiques et à la légitimité des autorités, en particulier dans les démocraties.
Est-ce seulement une crise économique ? Elle est si particulière car la récession qui s’annonce mêle un choc sur l’offre et un autre sur la demande.
Une crise de la souveraineté ? elle interroge l’autonomie des États dans un monde où les institutions multilatérales peinent à organiser les prises de décisions collectives et désintéressées à l’échelle globale.
Ou une crise de la représentation ? car notre modèle démocratique, issu de la révolution industrielle, est fondamentalement un modèle de démocratie représentative : il repose sur le consentement à déléguer le pouvoir que donne le droit de vote à des hommes et des femmes qui l’exerceront en notre nom et pour le bien de tous. On choisit des représentants dont on pense qu’ils sauront mettre en œuvre la politique à laquelle on aspire, et cela dans un rapport de confiance partagé qui devrait reposer sur la bienveillance et l’altérité.
Ce consentement, comme cette confiance, sont de plus en plus battus en brèche, l’air du temps étant moins à l’intérêt général qu’à l’accumulation des intérêts particulier [2].
Le moment des territoires
Tous les regards se tournent vers l’État, vers les États membres de l’Union Européenne qui sont aujourd’hui les seuls décideurs.
Mais qui se trouvent réellement confrontés au quotidien à nos concitoyens ? Ce sont les collectivités territoriales, les femmes et les hommes qui les représentent. La capacité de la résilience des territoires : ce n'est pas seulement intégrer, réparer c’est aussi dépasser. La société comme tout un chacun est littéralement traumatisée, on ne peut pas réparer à l'identique. Oui à la proximité, l’écoute, la confiance, les itérations mais non aux contraintes toujours plus nombreuses, non au mépris.
Le moment des territoires est venu. Retrouvons, par une décentralisation réelle des pouvoirs et des moyens, le respect de nos concitoyens et la fierté des élus d’agir au plus près du terrain. Comment ne pas constater que ce sont les pouvoirs locaux, qui peuvent apporter le soutien le plus concret si on leur redonne les moyens pour y parvenir en les renforçant car quitte à augmenter la dette, il faut rétablir les services publics et leur développement local à proximité sur des critères exclusivement du mieux disant écologique, sanitaire, éducatif; il faut financer la reconversion, l’innovation et une politique d'investissement simplifiée ; et oser des mesures contraignantes en faveur des mêmes urgences : l’écologie, la santé, l’éducation (la culture étant dans éducation). Cette période montre avec force et sans ambiguïté que l’échelon territorial est indispensable à la cohésion et au fonctionnement de notre République.
La prise en compte des personnes vulnérables (personnes âgées, handicapés, migrants) - le soutien à l’activité économique, au secteur culturel sont autant de gestes de secours et de protection que les collectivités ont effectués avec efficacité. C’est ce que cette crise nous révèle.
La force territoriale
La réactivité affirmée des collectivités territoriales se confirme, elles restent à la manœuvre malgré leur manque de moyen et leur réorganisation récente. Jamais les derniers mandats locaux n’ont été si difficiles à remplir avec des contraintes qui s’accumulent depuis plus d’une dizaine d’années avec la restriction des moyens y compris ces deux dernières années.(Pacte de Cahors) , l’augmentation des missions, lesréformes institutionnelles (loi MAPTAM – loi NOTRe- Réforme des régions), le resserrement des tutelles (répartition des compétences, suppression de la clause de compétence générale, pouvoir préfectoraux...), les exigences croissantes des citoyens (demande de participation, gilets jaunes...) et tout cela couronné par le barbarisme du terrorisme et les incivilités répétées envers les élus .
Au-delà des difficultés vécues, les pouvoirs locaux répondent toujours présents, encore une fois on doit faire front commun contre le terrorisme. Une unité que les collectivités savent faire valoir chaque fois que les circonstances l'exigent. Pour rappel, toutes les associations d’élus se sont unies pour une expression commune lors du Congrès des régions à Marseille en septembre 2018 autour de « Territoires unis » [3].
Le pouvoir central leur donne aujourd’hui le statut de « piliers de la République ». Et on nous parle de décentralisation, mais comment y croire alors que c'est l'inverse que nous vivons ?
L'enjeu est majeur pour notre pays et en cette période de crise il est renforcé : la réactivité de la France, sa souveraineté au niveau européen dépendent pour une part déterminante de la dynamique des territoires qui ne peut se résumer aux seules métropoles et à un illusoire ruissellement. La transition écologique, la santé, l’éducation, le logement, la mobilité, la sécurité sont des politiques partagées qui ne peuvent réussir que par une action commune et concertée. La solidarité, la culture, le sport, les services du quotidien sont massivement portés par nos collectivités et réclament des moyens nouveaux.
Pour être juste, pour être performante, la France a besoin d'une démocratie de proximité renforcée. Ce contrat rénové entre l'administration centrale et les territoires nécessite une nouvelle étape de décentralisation.
Conclusion et préconisations
En conclusion
Cette nouvelle étape de la décentralisation, il faut la penser avec audace et les collectivités sont prêtes à y travailler. Elle doit libérer les énergies par une plus grande liberté et des moyens adaptés. Le projet des socialistes doit s'engager dans une démarche indispensable pour notre pays, nécessaire pour revivifier la démocratie impérative.
La relance de notre organisation peut se fonder sur des valeurs plus engagées de partage, de justice sociale et d’écologie à la fois de l‘échelle micro (agglomérations, communautés de communes, ou communes nouvelles (dont les créations doivent être aujourd’hui systématiques pour une commune a minima de 1000 habitants), macro (métropoles, conseils départementaux et régionaux -parcs naturels régionaux- SCOT avec abandon des frontières administratives si nécessaire) autant qu’à l’échelle nationale et européenne.
Les préconisations [4]:
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Inscrire la transition énergétique et le changement climatique comme compétence majeure des collectivités territoriales.
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Protéger constitutionnellement l'autonomie fiscale et financière si outrageusement réduite aujourd'hui.
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Respecter la libre administration et l'autonomie de gestion des collectivités.
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Définir les compétences qui, au-delà du régalien, doivent être assumées par l'État central, tout le reste ayant vocation à être décentralisé, le principe de subsidiarité trouvant ainsi enfin sa pleine application. (Construire un service transversal de la culture et de l’éducation au niveau national en partage avec les collectivités)
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Préserver et renforcer les services publics et augmenter les moyens en milieu rural et périurbain sensible.
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Garantir par la Constitution la place de la commune et sa clause générale de compétence.
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Réduire la fracture numérique
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Favoriser la mobilité (transport en commun et réouverture et/ou création de ligne)
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Normaliser (normer ?) les relations entre l'État et les collectivités5.
Cette vision territoriale du projet de la gauche socialiste et écologique doit constituer le socle d’un nouveau « système providentiel » sur lequel asseoir une confiance et un pacte citoyen renouvelé.
Signataire :
Karine GLOANEC MAURIN, présidente de la Communauté de Communes des Collines du Perche.
[1] André Laignel-Maire d’Issoudun , premier vice-président de l’Association des Maires de France -Discours au Congrès des maires 2019
[2] DSK - L’être, l’avoir, le pouvoir dans la crise... tribune du 7 avril 2020
[3] www.territoiresunis.fr › l-appel-de-Marseille
[4] Vincent Aubelle et Nicolas Kada, « Pour une nouvelle décentralisation de la République » Note Fondation Jean Jaurès