Contribution thématique présentée par la section de Montrouge (92)
La recherche publique en France souffre de nombreux problèmes, mais aucun n'est plus important que la question du financement. Celui-ci est aujourd'hui critique et souffre de la comparaison avec les pays équivalents. Cet état de fait est décrit dans le contre-projet socialiste à la loi de programmation pluriannuelle de la recherche. Notons toutefois que cet état de fait est présenté de façon macro-économique, et cache une vraie disparité entre les conditions de la recherche en école d'ingénieurs et en institut, où les conditions sont à peu près comparables au niveau international, et les conditions de la recherche à l'université, qui sont aujourd'hui préoccupantes.
Cette contribution thématique présente quelques pistes de réflexions complémentaires au contre-projet à la loi de programmation de la recherche. L'aspect rapidement technique des questions relatives à la recherche nous permet de rappeler l'importance de se préparer afin de mener une politique de recherche ambitieuse en cas de changement de gouvernement.
La création d'un secrétariat national à l'enseignement supérieur et la recherche, ou tout du moins d'une commission ad hoc sur ce sujet nous apparaît extrêmement pertinent moins de deux ans avant les élections présidentielles.
- Limiter l'impact négatif du financement privé de la recherche
Face au manque de financement direct des laboratoires, les chercheurs français passent une part de plus en plus importante de leur temps à rechercher des financements extérieurs. Si une certaine partie de ses financements proviennent de l'ANR (Agence nationale de la recherche), la majeure partie du reste est financée par le secteur privé.
Le financement de la recherche public par le secteur privé apporte de nombreux avantages, permettant d'aiguiller la recherche publique sur des problématiques à fortes valeurs ajoutés pour les entreprises. Il comporte aussi des risques, dont le principal est d'influencer la décision publique lorsque cette dernière se base sur les travaux de recherche dans un champ particulier.
La norme scientifique peut être en effet biaisé par la provenance des financements lorsque ceux-ci proviennent majoritairement du privé; soit parce que les chercheurs écartent certains de leurs résultats ou simplement orientent leur présentation de manière à satisfaire leurs financeurs, soit parce que les sujets sont abordés avec un certain angle, qui devient la "bonne" façon d'étudier la question. C'est le cas des tests sur la toxicité des additifs des cigarettes de Phillip Moris, directement financé par le fabricant de cigarettes, ou pour les études sur le Roundup, qui s'intéressent à la nocivité d'une molécule plutôt que celle du produit en lui-même...
Ces influences négatives du financement de la recherche par le secteur privé ne sont pas toujours souhaitées, ni forcément comprises de la part des acteurs du secteur. Lorsque Orange décide de financer des travaux sur l'efficacité de l'entrée d'un nouveau concurrent dans les telecoms, cherche-t-il à influencer les régulateurs ou à s'informer des impacts potentiels auxquels il devra faire face?
Proposition 1 : Rendre public l'ensemble des contrats privés actuels et passés des chercheurs payés par l'argent public (montants, sujets et conditions). Ces informations doivent pouvoir être accessibles facilement par tous, et doivent inclure l'ensemble des contrats, et pas seulement les contrats de recherche.
Informer le lecteur de l'origine des financements ayant permis la production de travaux de recherche semble être le minimum pour lutter contre les influences privées, mais ce n'est malheureusement pas toujours le cas.[i]
Proposition 2 : Créer un intermédiaire entre les financements privés et les chercheurs qui vérifiera que le projet de recherche n'a pas de vocation cachée de lobbying. L'institution intermédiaire s'occupera de choisir les chercheurs associés au projet de recherche par appel d'offre. Les comités des directions de cet intermédiaire doivent bien évidemment être indépendants des intérêts privés.
Le principal intérêt de cet intermédiaire est d'agir en tant que "soupape" entre les chercheurs et les financements privés, afin de diminuer les risques d'autocensures, les financeurs n'étant pas ceux qui décident à qui l'argent est alloué. Cette mission peut tout à fait être intégrée dans l'ANR (Agence nationale de la recherche), qui se verrait ainsi dotée d'une nouvelle mission d'interface entre la recherche publique et le secteur privé.
- Lutter contre le pouvoir de monopole des revues scientifiques
Aujourd'hui le système de publication scientifique marche d'une manière bien particulière. Les états/universités financent les chercheurs qui produisent des travaux scientifiques. Ces derniers sont envoyés à des revues, qui les transmettent à d'autres chercheurs pour faire évaluer la qualité du travail soumis.[ii] Les chercheurs, toujours payés par les états/universités, fournissent gratuitement leur évaluation aux revues scientifiques. Ces dernières revendent les travaux de recherche aux états/universités. Ce marché vaut aujourd'hui plusieurs milliards de dollars, alors que la digitalisation a rendu le travail de publication extrêmement simple.[iii]
Proposition 3 : Créer un organisme de négociations entre les revues scientifiques et les organismes de recherche publique. L'organisme négociera pour l'ensemble des organismes de recherche et chaque chercheur aura accès à l'ensemble du catalogue français. En cas de non-aboutissement des négociations, autoriser les chercheurs à trouver et partager les ressources dont ils ont besoin par d'autres moyens.
Cette proposition a pour but de diminuer le coût associé à l'abonnement aux revues à comité de lecture pour les universités, écoles et instituts de recherche publique en France. Permettre aux chercheurs d'accéder aux ressources bibliographiques par d'autres moyens en cas de non-aboutissement des négociations (c'est à dire dépénaliser le piratage des revues privées) permet à l'organisme de s'assurer que le rapport de forces dans les négociations ne soit pas du côté du secteur privé. Au besoin, une clause obligeant à payer les revues au-dessus de leur coût de fonctionnement peut permettre de contrebalancer cet avantage, particulièrement vis à vis des petites revues.
Proposition 4 : Créer un organisme de publication de documents de travail effectué par les chercheurs travaillant pour les organismes de recherche publique. Tout document de recherche devra être publié dans l'organisme. Créer un système de notation interne. Tous les documents de travail pourront être accessible par l'ensemble des chercheurs travaillant dans un organisme de recherche publique.
La création de cet organisme poursuit un objectif de long terme, qui est de transformer le système de publications scientifiques, en supprimant un intermédiaire privé (les revues) qui n'a aujourd'hui plus lieu d'être. La digitalisation a en effet simplifié à l'extrême le travail de mise en forme.
Le système de notation interne, qui peut être multicritère, et adapté à chaque discipline, a pour objectif de permettre une meilleure évaluation du travail du chercheur avec une notation par article plutôt que par revue.[iv] Il a aussi pour but d'encourager la diversité des travaux de recherche.[v] Enfin, le principal avantage de ce système est d'être complémentaire avec le système actuel d'évaluation de la recherche. On peut alors évaluer le système, en particulier sur la question des notations des revues, et le faire évoluer en fonction des retours.
Conclusion
L'objectif de cette contribution thématique est de proposer quelques pistes précises d'amélioration du système de recherche qui soient complémentaires du contre-projet socialiste à la loi de programmation de la recherche. L'ensemble des problématiques du sujet est loin d'avoir été abordé.
C'est le cas de la question de la dualité du système de recherche française entre grandes écoles et universités, et des inégalités qu'il engendre. C'est le cas aussi de la question de la recherche industrielle, à cheval entre recherche fondamentale et innovation, ainsi que de la question des brevets qui en sont issus. C'est le cas aussi de l'adéquation entre enseignement supérieur et recherche, problématique majeure à tous les niveaux d'enseignement (licence - master - doctorat).
Toutes ces questions nécessitent des solutions fortes mais fines, qui n'accroissent pas le mille-feuille administratif mais qui au contraire libèrent les énergies de ceux qui font la recherche française, les chercheurs.
Pour être efficace, ces solutions nécessitent de mener en amont un travail de réflexion important, en coordination avec le monde de la recherche. Dans l'optique d'une victoire de la gauche à la présidentielle dans moins de deux ans, que nous appelons de nos vœux, il nous semble essentiel que le parti socialiste se dote d'un secrétariat national à l'enseignement supérieur et la recherche, ou tout du moins d'une commission ad hoc sur ce sujet.
Signataires :
Thomas Fagart (Montrouge, 92)
Daniel Bruyère, secrétaire fédéral des Hauts-de-Seine et secrétaire de section à Montrouge (92)
Pierre Rouillard (Montrouge, 92)
Joaquim Timoteo, conseiller départemental des Hauts-de-Seine, conseiller municipal de Montrouge (92)
Flora Claquin, conseillère municipale (Montrouge, 92)
Nicolas Gatineau, président du bureau fédéral des adhésions (Montrouge, 92)
Catherine Levert, ancienne conseillère municipale (Montrouge, 92)
Dominique Armano, ancienne conseillère municipale (Montrouge, 92)
Christian Birebent, ancien conseiller municipal (Montrouge, 92)
Fethi Farza (Montrouge, 92)
Paul Beaugeois (Montrouge, 92)
Boris Vallaud, député de la 3ème circonscription des Landes, porte-parole et Secrétaire national au Projet
Fatima Yadani, membre du bureau national, secrétaire nationale adjointe en charge des fédérations
Julie Sommugara, ancienne député des Hauts-de-Seine (92)
Catherine Picard, conseillère départemental des Hauts-de-Seine (92)
Antonio Oliveira, adjoint au maire santé et finances, et secrétaire de section à Malakoff (92)
Gaelle Barré, conseillère des Français de l'étranger élue à l'Assemblée des Français de l'étranger
Alexis Lefranc, secrétaire fédéral à la FFE
Benjamin Micat, membre de la direction collégiale de la fédération des Hauts-de-Seine (92)
Isabelle Dahan, conseillère municipale à Bois-Colombes et membre de la direction collégiale de la fédération des Hauts-de-Seine (92)
Brice Gaillard, trésorier fédéral des Hauts-de-Seine (92)
Michel Canet, secrétaire fédéral aux élections des Hauts-de-Seine (92)
James Ndjehoya, conseiller municipal santé et CMS et secrétaire de section à Bagneux (92)
Morgan Bougeard, conseiller fédéral du Val d'Oise (95)
Arthur Moinet (44)
[i] Si les journaux scientifiques demandent en général la publication des financements liés à un projet particulier, il n'y a aucun moyen de savoir si les chercheurs qui travaillent dessus ont bénéficié de financements passés de la part d'entreprises intéressées par ce sujets, ou bénéficie actuellement de financement autre relié à ce sujet. Ainsi un chercheur qui reçoit un contrat de consulting sur l'effet de la régulation des offres de téléphonies mobiles sur les consommateurs et qui publie ensuite une étude sur le sujet n'aura pas à faire de déclaration d'intérêt car le projet de recherche n'a pas lui bénéficié de ses financements.
[ii] Historiquement, un des objectifs des revues était l'anonymisation des travaux de recherche. A l'heure d'internet où tous les travaux de recherche ont des préversions publiées en ligne, cette anonymisation n'a plus qu'une valeur très théorique.
[iii] La question de la privatisation du marché des publications scientifiques, a été traitée dans la loi du 7 octobre 2016 pour une république numérique. Le comité de suivi de l’édition scientifique, chargé d'évaluer la loi sur les questions de l'édition scientifique a rendu son rapport en décembre 2019. Les objectifs de la loi ne sont pas atteints (https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Edition_scientifique/86/8/Rapport_CSES_12_12_2019_1226868.pdf).
[iv] Actuellement, chaque travail de recherche est caractérisé par la revue dans lequel il est publié, chaque revue étant classée en fonction du nombre de citations de ces travaux.
[v] Dans le système actuel, ces deux types de travaux sont sous-évalués : les travaux trop originaux, qui sont généralement peu cités car n'appartenant pas au "canon" de la recherche sur une question donnée (ou sont cités bien des années plus tard, quand les évolutions du domaine mettent en lumière l'intérêt de l'approche), et les travaux de généralisation, qui sont en général ardus et n'offrent que peu de citations, vu qu'il est alors difficile d'aller plus loin sur le même sujet. Ces deux types de travaux sont pourtant cruciaux pour notre bonne compréhension du monde.