Contribution thématique du Congrès de Villeurbanne 2021
Notre pays fait actuellement face à une conjonction de crises sans précédent. A la crise sanitaire que nous traversons, avec son cortège de drames humains et de décès tragiques, s’ajoute malheureusement une crise économique, social qui frappe de plein fouet nos concitoyens les plus fragiles. Elle est encore plus marquée et encore plus dure dans les quartiers dits « populaires », « défavorisés », « en difficulté », ceux que d’aucuns appellent « les banlieues ».
Il n’est pas admissible en République de ne pas être au rendez-vous de l’égalité pour celles et ceux qui en ont le plus besoins. En tant que socialistes, nous ne pouvons nous satisfaire de cette situation, qui, au contraire, doit nous appeler collectivement au sursaut.
Une relégation sociale et économique...
En France, les quartiers populaires ont été bâtis à l’occasion du développement industriel des 30 Glorieuses et ont été marqués par la construction de grands ensembles d’habitat social, avec comme objectif initial louable de fournir un « habitat digne au coût abordable » à chacun. Plusieurs décennies plus tard, ils symbolisent aujourd’hui au contraire la concentration des difficultés économiques et sociales, ainsi que les phénomènes de ghettoïsation voire d’exclusion. Mal construits ou mal entretenus malgré les plans successifs de « politique de la ville », ils sont devenus de véritables îlots de pauvreté, abritant une population aux réalités de vie très diverses (ouvriers, employés, chômeurs, jeunes, retraités, immigrés...) mais unie dans sa fragilité sociale et son sentiment d’isolement, d’abandon, de ségrégation.
Si l’on prend l’exemple grenoblois, force est de constater que ces quartiers sont ceux dans lesquels on retrouve la plus forte concentration de HLM (de 68 à 100% du patrimoine bâti), où habitent une forte proportion de familles monoparentales (15 à 20%), aux revenus souvent très modestes voire inexistants (avec un taux de pauvreté supérieur à 40%), liés à un taux de chômage qui explose (supérieur à 30 voire 40%, et encore plus chez les jeunes) et à une très forte précarité/instabilité professionnelle pour celles et ceux qui ont la chance d’avoir un travail.
Au-delà de ces seules données sociologiques, ces quartiers se caractérisent également par un urbanisme dense, refermé sur lui-même et marqué un fort taux de précarité énergétique, de trop nombreuses situations d’échec ou de décrochage scolaire, des difficultés d’insertion professionnelle plus fortes qu’ailleurs, une tendance au repli sur soi ou dans l’entre-soi, un risque de désaffiliation sociale, la recrudescence de problèmes identitaires, la tentation du communautarisme et le développement de certaines formes de violences, allant de pair avec celui d’une économie souterraine liée au trafic de drogues.
... qui devient de plus en plus politique
Lorsque l’ascenseur social ne fonctionne plus, les habitants de ces quartiers sont tentés de se détacher d’une société qui semble les avoir abandonnés. Les cruelles réalités auxquelles ils sont quotidiennement confrontés les conduit malheureusement à ne plus avoir foi en la capacité des politiques à répondre à leurs aspirations, si légitimes soient elles, à changer concrètement leur quotidien. Ils se réfugient alors massivement et dramatiquement dans l’abstention.
Nous en avons toutes et tous fait la douloureuse expérience au printemps dernier : les élections municipales ont été marquées par une abstention record. S’établissant nationalement à 55,3% au premier tour, et même à 58,4% au second, celle-ci a été encore plus forte dans les quartiers dits « populaires », avoisinant voire dépassant bien trop souvent les 70%. En tant que socialistes, nous ne pouvons nous satisfaire de cet état de fait, et surtout de son aggravation au fil du temps, élection après élection.
Le Parti socialiste et les quartiers populaires : un rôle et une responsabilité particulière
Interpellations des GAM au milieu des années 60, rapport Dubedout et mise en place du « développement social des quartiers » au début des années 80, création de la Délégation interministérielle à la ville et du Conseil national des villes en 88, création d’un Ministère de la ville en 1990, lois LOV en 1991 et SRU en 2000, politiques publiques locales de désenclavement et de mixité sociale ... depuis des décennies les socialistes ont tenté d’améliorer la situation des quartiers populaires.
Et pourtant, certains comme le politiste – et ancien élu socialiste – Rémi Lefebvre accusent notre famille politique de ne se poser la question de son rapport aux catégories et quartiers populaires « que de manière intermittente, quelques mois avant chaque élection, lorsqu’il redécouvre la sociologie électorale et construit une stratégie électorale, croyant que l’électorat des banlieues est captif, se tournant mécaniquement vers le candidat socialiste en réaction à l’ultra-droitisation de ses adversaires ».
Charge à nous, camarades, de montrer et de démontrer que nous portons au contraire une vision et une aspiration continues en direction de ces quartiers et de leurs populations, pour recréer les conditions d’une vraie cohésion territoriale permettant de « faire ville ensemble ». Pour cela, il nous faut être en capacité de mener de manière volontariste et dans une conjugaison organisée tout un ensemble de politiques publiques.
Investir prioritairement dans l’éducation et l’émancipation de la jeunesse
La jeunesse des quartiers populaire est une chance : nous devons fortement investir dans son avenir. Nous devons accompagner les jeunes, de la crèche jusqu’au premier emploi stable, en leur donnant les moyens de leur autonomie et de leur émancipation, tout en valorisant leurs engagements et leurs initiatives.
Nos propositions :
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porter l’ambition de garantir localement un service public de la petite enfance, accessible au plus grand nombre, fédérant l’ensemble des acteurs concernés au sein d’un réseau coordonné par les communes,
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recréer les conditions d’une mixité réelle à l’école comme au collège en révisant profondément la carte scolaire (avec par exemple des secteurs multi-collèges), voire l’implantation géographique des collèges, lorsque c’est nécessaire,
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accompagner la dynamique de dédoublement des classes,
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intensifier l’accompagnement éducatif des enfants par le renforcement de la coordination entre les institutions publiques et les associations d’éducation populaire, en lien étroit avec les familles,
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soutenir les élèves et les établissements défavorisés, en révisant les mécanismes d’affectation des moyens aux établissements, en allouant prioritairement les ressources là où elles sont nécessaires via l’accroissement des fonds sociaux des établissements et insérer obligatoirement d’un volet social dans tous les projets d’établissements,
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permettre l’égalité dans l’accès à ’une l’offre périscolaire de qualité et gratuite dans tous les quartiers, en lien avec les associations et acteurs de l’éducation populaire,
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renforcer et généraliser la pratique artistique, culturelle et scientifique dans le milieu scolaire, au cœur des programmes éducatifs,
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renforcer le service public de l’orientation et de l’insertion pour que chacun trouve un débouché professionnel,
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remettre la culture aux cœur des dispositifs de mixité en matérialisant un nouveau rapport entre les artistes et la population, entre l’art et la société, via une définition plus large de laculture (artistique, scientifique, technique, populaire...) et en faisant des partenariats entreacteurs la règle,
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renforcer l’accompagnement des jeunes dans leurs projets culturels, civiques, sportifs ou deloisirs, via un soutien renforcé aux structures d’éducation populaire
Renforcer les services publics de proximité
Pour agir concrètement et durablement sur la vie quotidienne des habitants, il faut rétablir la confiance dans l’action publique. Nous refusons donc la logique de quartier ségrégé d’où se retireraient les services publics, à commencer par ceux chargé d’assurer la sécurité. Au contraire, les services publics de proximité doivent être au cœur des solutions permettant d’accompagner chacun de manière adaptée, avec dignité et humanité. C’est le socle d’un système visant à lutter contre les replis sociaux et l’entre-soi, tout en offrant une corde de rappel à ceux qui en ont ponctuellement ou durablement besoin.
Nos propositions :
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l’exemple grenoblois des « Maisons des Habitants » qui quadrillent chacun des 6 secteurs de la ville mériterait d’être amélioré (en en faisant des points d’accueil uniques permettant l’accès aux droits par un regroupement de tous les services publics et sociaux, mais également des lieux de vie sociale et de lutte contre l’isolement) et expérimenté dans d’autres villes françaises,
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promouvoir un meilleur accès à la santé, via des Centres de santé implantés dans les quartiers, surtout dans le contexte de COVID que nous connaissons,
expérimenter la mise en place d’un bouclier social en créant, comme nous l’avions proposé pendant la dernière campagne municipale, un Revenu de Base Local pour celles et ceux qui sont en dessous du seuil de pauvreté les privant durablement de l’accès à un bien ou service essentiel (eau, électricité, alimentation, transports, santé, numérique...), versé par la commune sous forme monétaire ou en nature, après avoir diffusé une large information sur l’accès aux droits, en collaboration avec les bailleurs sociaux et privés, ainsi que les organismes sociaux et institutionnels,
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recréer du lien et réinstaurer un climat de confiance entre les habitants et les polices (municipale et nationale),
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agir dans le cadre d’une collaboration police nationale / police municipale (et plus globalement de tous les acteurs concernés) autour du triptyque « Prévention / Dissuasion / Sanction »,
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mettre en place une police nationale de proximité formée et présente sur le terrain au quotidien, de jour comme de nuit, renforcer la police municipale autour de ses missions de tranquillité publique, de prévention et de médiation,
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mettre en place la vidéosurveillance de l’espace public, avec un comité d’éthique associé, avec une visée sécuritaire mais également de gestion en temps réel de l’espace public avec un centre de supervision urbain,
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affecter des agents expérimentés et aguerris de la police (municipale et nationale) dans ces quartiers, via des bonifications salariales,
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renforcer la présence des professionnels de la prévention et du lien social,
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généraliser les dispositifs de cameras piétons pour les policiers, municipaux comme nationaux.
Refuser l’existence de territoires ségrégés voire « abandonnés de la République »
Trop souvent, les habitants des quartiers se vivent comme abandonnés par la République, faute de réponse adéquate à leurs problématiques concrètes en matière de logement, d’espace public, de mobilité, d’emploi, d’accès aux commerces de première nécessité... Alors que les quartiers populaires risquent de peu bénéficier des effets du plan de relance présenté par le gouvernement, il nous faut intensifier nos efforts sur ces problématiques sont autant de conditions indispensables au vivre ensemble.
Nos propositions :
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favoriser la mixité dans l’habitat et la mixité d’activités socio-économiques, voire les créer lorsqu’elles sont inexistantes,
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abonder massivement les fonds de dotation de l’ANRU en fléchant les crédits vers les rénovations énergétiques et améliorations écologiques de l’ensemble de l’habitat,
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œuvrer en faveur d’une dédensification, voire d’une forme de résidentialisation, en ouvrant les quartiers sur le reste de la ville, par des démolitions précédées du nécessaire relogement des familles en respectant leurs droits (ce qui implique une construction de logements sociaux dans toutes les communes, en appliquant la loi ALUR),
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diversifier l’offre de logement social sur le territoire, en implantation, nombre et taille pour permettre une réelle mixité et éviter les phénomènes qui ajoutent de la misère à la misère, et diversifier les statuts de l’habitat en favorisant l’accession sociale à la propriété,
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accompagner systématiquement les opérations de rénovation de l’habitat par une action forte de remise à niveau de l’espace public et la prise d’initiatives fortes sur la propreté et l’embellissement urbain,
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accompagner à l’installation et au maintien sur le long terme des commerces de proximité et des entreprises PME/TPE traditionnelles,
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pendant la période de crise, mettre en place des dispositifs incitatifs pour que les entreprises, hors PME/TPE convertissent une partie des dividendes en créations d’emplois en direction des jeunes, en particulier issus des quartiers populaires
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désenclaver ces quartiers souvent périphériques par des réseaux de transports traversant,
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généraliser dans les quartiers populaires les dispositifs « Zéro Chômeur de longue durée »,
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trouver les voies et moyens de lutter contre toutes les formes de discrimination, mais aussi contre la radicalisation en promouvant les principes et valeurs républicaines de la laïcité.
Redonner le pouvoir d’agir aux citoyens pour rétablir la confiance
Les forts niveaux d’abstentions évoqués plus haut, de même que le désintérêt pour de nombreux dispositifs de participation citoyenne, démontrent si besoin était la très forte distance prise par les habitants des quartiers populaires avec l’action publique et plus globalement les enjeux démocratiques. La clé de la réussite des politiques publiques dans les quartiers, quelles qu’elles soient, tient dans notre capacité collective à inventer de nouvelles formes d’échanges réguliers et nourris entre élus, citoyens et acteurs locaux, avec une forte dimension d’évaluation participative tout au long des processus mis en œuvre.
Nos propositions :
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renforcer les dispositifs d’accueil et d’intégration des nouveaux arrivants dans le quartier pour favoriser la cohésion sociale,
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favoriser toutes les initiatives qui concourent au dialogue entre les habitants et les institutions de proximité, entre des groupes qui co-existent sans jamais se rencontrer, pour réduire l’isolement, le repli sur soi, les incompréhensions et même parfois les rejets,
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réinstaurer un respect réciproque entre les habitants et les autorités publiques, notamment les élus locaux, par la concertation et la co-construction des politiques publiques,
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soutenir et valoriser l’engagement associatif, très riche dans ces quartiers, en suscitant toujours plus leurs initiatives ouvertes à toutes et tous, ouvertes à la mixité de genre et d’origine
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démocratiser réellement et ouvrir plus largement l’accès aux dispositifs de participation citoyenne, aujourd’hui désertés par les habitants des quartiers, si ce n’est par quelques « professionnels de la participation » déjà très intégrés dans les réseaux associatifs et parapublics,
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expérimenter des référendums locaux annuels permettant aux habitants de se saisir d’un sujet qu’ils jugent non traité par leurs élus municipaux.
Ces dernières années, la politique de la ville a permis que des situations locales ne deviennent pas explosives. Nous devons revoir notre approche de ces sujets pour créer les conditions d’une vraie cohésion territoriale. Les quartiers populaires doivent devenir des quartiers à part entière au cœur des villes qui les abritent. Cela exige des moyens aussi exceptionnels qu’innovants, avec un urbanisme réinventé, mais aussi des politiques et des dispositifs puissants pour y favoriser le développement économique et commercial, la réussite éducative, l’émancipation, l’accès aux services publics, la tranquillité, la mixité sociale, l’animation culturelle, associative et sportive, le pouvoir d’agir des citoyens, la laïcité, le vivre ensemble...
Alors que la France compte désormais 80% d’urbains, ces questions sont autant d’enjeux politiques centraux. On ne peut la subdiviser en silos autonomes : elle impose une réflexion partagée et largement coordonnée. Elle suppose bien évidemment l’expérimentation locale, car il ne peut y avoir de remède unique face à l’extrême diversité des situations rencontrées.
On le voit bien, la tâche est immense, mais le succès – pour nous socialistes – est impératif !
Les adhérentes et adhérents socialistes de la section de Grenoble
Signataires :
Thibaud PIKORKI, secrétaire de section