Thème : Ruralités
Territoires ruraux : pour une égalité républicaine réelle
Les territoires ruraux sont trop souvent perçus comme des territoires conservateurs, éloignés de la modernité et de toute vie culturelle, en perte de vitesse économique et démographique. Même si la fracture territoriale n’est pas un mythe, les habitants de ces territoires souffrent souvent d’une image dégradée d’eux-mêmes alors qu’ils sont le lieu de solidarités profondes et de dynamiques réelles. Ce sentiment de déclassement, couplé à de réelles inégalités d’accès à l’emploi, à la culture et aux services publics, ont peu à peu éloigné les populations rurales des partis politiques de gauche ou tout simplement des bureaux de vote.
Le Parti socialiste lui-même s'est progressivement éloigné des problématiques des territoires ruraux et les programmes que nous défendons lors des campagnes nationales sont trop éloignés de leurs préoccupations. L’abandon de ces territoires serait une erreur et leur désaffection pour le vote de gauche n’est pas une fatalité. De nombreux territoires ruraux ont longtemps voté à gauche. Nous devons à la fois repenser les problèmes rencontrés par des ruralités diverses, mettre mieux en avant les réponses que nous entendons y apporter et nous réancrer dans des zones où nous peinons à mobiliser électeurs et militants.
Nos territoires ruraux ne sont pas que de simples lieux de vie secondaires : ils incarnent l'égalité républicaine. Nous ne devons pas opposer banlieues et zones rurales, comme le fait systématiquement un Jean-Luc Mélenchon qui sert à la droite et au bloc central d’épouvantail préjudiciable à l’ensemble de la gauche chez les électeurs ruraux (le taux d’abstention au second tour en est le témoin éloquent). Sans ignorer leurs différences, nous devons au contraire afficher les convergences de préoccupations des campagnes et des quartiers populaires urbains : sentiment de déclassement et d’exclusion, difficulté d’accès à l’emploi, aux services publics, aux études supérieures...
L'objectif central de cette contribution est de repositionner le Parti socialiste comme défenseur actif et sincère de tous les territoires, sans distinction ni hiérarchie.
Maintenir et renforcer les services publics
La République doit revenir concrètement dans les territoires ruraux par le maintien et la modernisation effectifs de tous les services publics essentiels : écoles, poste, santé, sécurité, ainsi que la réduction significative de la fracture numérique des seniors par des programmes ambitieux de formation et d’équipement. Les points d’accueil France Service pourraient être les lieux d’aide au numérique.
• Santé : agir contre les déserts médicaux
Les politiques menées pour attirer les médecins dans les zones sous-dotées en personnels soignants et en équipements médicaux ont malheureusement démontré leur insuffisance. Le Parti socialiste doit mener à son terme le processus engagé avec l’adoption partielle à l’Assemblée Nationale de la « loi Garrot » et continuer à promouvoir l’adoption
de son article 1, visant à la création d’une autorisation d’installation, afin de flécher les nouvelles installations des jeunes médecins vers les territoires sous-dotés. Il serait possible d’instaurer une obligation temporaire d’installation des jeunes médecins en zones sous- dotées et déserts médicaux pour une période minimale de trois ans après leur sortie d'études, sans mettre fin à la liberté d'installation après cette période.
Cette mesure s’accompagnera d’un soutien accru aux structures médicales existantes, notamment par l'aide à l'équipement, à la rénovation ou à la création de nouveaux pôles de santé pluridisciplinaires afin d’assurer des conditions d’exercice attractives. Les collectivités locales soutiendront l’ouverture de maisons de santé en veillant à la pluralité des spécialités proposées. Les généralistes ne sont pas les seuls à faire défaut et les soins dentaires font notamment partie des plus inaccessibles en zone rurale.
On portera également une attention particulière à ce qu’une maternité soit accessible à toutes les mères à moins d’une demi-heure de leur domicile.
• Éducation et égalité des chances
L’éducation rurale doit bénéficier d’un soutien renforcé en termes de moyens humains, financiers et matériels.
Lorsque des écoles rurales présentent un IPS (Indice de Position Sociale) faible, le dispositif « Plus de maîtres que de classes » pourrait apporter une réponse en renforçant les moyens humains au service des apprentissages. Aussi, face à la difficulté d’accès aux professionnels de santé tels que les orthophonistes et les ergothérapeutes, nous pourrions imaginer de telles professions reliées aux écoles et collèges ruraux à faible IPS.
La mise en place de classes à horaires aménagés en théâtre ou en musique dans les collèges ruraux constituent une véritable ouverture à la culture.
L’ouverture de classes spécialisées pour les enfants dyslexiques, neuro-atypiques, en lien avec les hôpitaux, alliant les enseignements adaptés et les soins serait une réponse efficace aux difficultés d’apprentissage et de suivi de ces enfants. Les ULIS (Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire) ne sont pas suffisantes, de longues listes d’attente perdurent et des enfants en difficulté sont scolarisés en classe ordinaire faute de place en ULIS. Leur développement en milieu rural œuvrerait pour l’égalité des chances.
Pour favoriser l’inclusion des enfants porteurs de handicap, les AESH doivent pouvoir agir en classes, mais aussi sur les temps périscolaires (restauration, animation...), en incluant la totalité de la vie de l’enfant au sein de l’école.
• Encourager la coopération intercommunale et les regroupements de communes pertinents
Les plus petites communes (moins de cinq cents habitants) sont trop souvent prises entre deux échelons mal proportionnés du mille-feuilles territorial. Trop petites pour avoir les moyens de développer de véritables services publics locaux mais insérées dans des communautés de communes trop grandes. Les avantages accordés à la création de communes nouvelles sont trop peu incitatifs, notamment en terme de dotation et d’accompagnement, pour faire bouger les conservatismes et lever les craintes de perte d’identité et d’autonomie qui se manifestent souvent. Il faut donc développer les incitations au regroupement de communes afin de parvenir à la taille d’échelon pertinente pour pouvoir développer les services locaux.
Revitaliser le tissu économique des zones rurales
• Renforcer et rendre visible l’aide à la création d’entreprises dans les petits villages
Beaucoup de petits villages, en particulier ceux de moins de cinq cents habitants, souffrent encore trop de l’absence de tout commerce. Les aides récentes à l’installation de commerces multi-services vont dans le bon sens mais ne sont pas suffisantes. Les aides publiques et exonérations de charges doivent s’étendre, dans les plus petites communes, à une plus grande diversité de commerces.
• Aider les petites entreprises et les auto-entrepreneurs
Le relèvement récent des seuils de TVA pour les auto-entrepreneurs lors du vote du budget 2025 au parlement a suscité beaucoup d’émoi dans les petites communes rurales. Ce sont souvent de jeunes entrepreneurs locaux qui ont trouvé ce seul moyen pour se créer un emploi sur place et ne pas avoir à quitter le territoire pour trouver du travail, ou des néo- ruraux qui ont décidé de quitter les villes et ont ainsi contribué à revitaliser le tissu entrepreneurial des petits villages. Il est essentiel de continuer à les aider et, éventuellement, les accompagner vers un changement de structure, plus protecteur et pérenne au bout de quelques années d’exercice. Des aides ciblées sur les villages de moins mille habitants pourraient être envisagées. Les PME doivent elles aussi être accompagnées, et une réflexion sur l’absence de concurrence entre les différents types de structures doit être menée.
Mobilité : un droit pour toutes et tous
• Services de transports publics
Face à la disparition progressive des transports ferroviaires en ruralité, le maintien et la rénovation des petites lignes ferroviaires locales doivent être une priorité absolue. Le remplacement systématique des trains par des bus ne constitue pas une solution à long terme, étant donné que les bus sont plus polluants, moins confortables, ne sont pas accessibles aux personnes à mobilité réduite, aux poussettes, aux vélos et ne disposent pas de toilettes. Des lignes régionales de bus complémentaires et du transport à la demande peuvent être développés (notamment pour les publics fragiles, sans véhicule, âgés ou à mobilité réduite), mais ne doivent jamais se substituer au ferroviaire.
La SNCF développe déjà des solutions innovantes, à moyen et long terme de trains légers, telles que DRAYSI ou TELLi, pour relancer efficacement l'exploitation des petites lignes. Il est impératif de soutenir ces initiatives et de les mettre en œuvre rapidement.
• La voiture, moyen de déplacement encore indispensable en ruralité
La transition vers des véhicules décarbonnés est indispensable, mais elle doit bénéficier d’un accompagnement clair pour les territoires ruraux. Les populations rurales font face à un double dilemme, du fait de l'utilisation indispensable de la voiture : cette population est asphyxiée par l'inflation et la montée des prix des carburants, mais aussi, par l'incapacité financière, pour une proportion non négligeable, d'achat d'un véhicule électrique ou hybride.
En effet, les trajets quotidiens en zones rurales sont bien plus longs qu'en zone urbaine. Il faut parfois faire 10km pour chercher son pain ou avoir accès aux services de santé. La consommation de carburant est donc plus importante et l'achat d'un véhicule électrique endurant est financièrement hors de portée.
Nous proposons également l’instauration d'un chèque carburant ciblé sur les ménages à revenus modestes en territoires ruraux ne disposant d'aucune autre alternative de transport, ainsi qu’une obligation d’alignement tarifaire des véhicules électriques sur les prix des véhicules thermiques. La prime à la conversion doit être maintenue particulièrement pour les territoires ruraux, tout comme la multiplication du réseau des bornes de recharge lentes (dans l'ensemble des villages et lieux de consommation courante) et des bornes de recharges rapides sur les pôles économiques et les bassins d’emplois.
• Favoriser la mobilité des jeunes
La mobilité des jeunes est essentielle à leur insertion professionnelle. Les Régions pourront aussi généraliser une aide de 500€ pour le permis aux jeunes, issus de familles modestes, en échange de leur investissent dans des associations locales, favorisant leur autonomie et leur implication citoyenne.
• Mobilités douces : priorité au vélo
L’apprentissage généralisé du vélo dès l'école primaire en zone rurale (généralisation du dispositif « savoir rouler »), la reconversion des voies ferrées désaffectées et voies agricoles en véloroutes et la création d’un véritable réseau régional cyclable favoriseront la mobilité douce. Le vélo-train doit être privilégié, rendant obligatoire la possibilité de voyager avec des vélos dans tous les trains régionaux.
Promouvoir les solidarités intergénérationnelles
• Isolement des seniors et personnes en situation de handicap
Nous défendons la généralisation progressive d'habitats sociaux intergénérationnels en zone rurale afin de briser l'isolement des personnes âgées et de favoriser l’entraide. L’adaptation aux normes PMR des logements en ruralité devra être mise en œuvre progressivement avec des obligations à la construction plus élevées que pour l’urbain pour pouvoir s’adapter au vieillissement de la population. La construction de résidences séniors par les bailleurs sociaux est un véritable enjeu de maintien à domicile des populations séniors.
De plus, la création d’un guichet unique regroupant l'ensemble des associations et entreprises d'aide à domicile facilitera l'accès aux services de maintien à domicile et améliorera la qualité de vie des seniors.
• Une jeunesse accompagnée et reconnue
La jeunesse rurale ne peut plus être le parent pauvre des politiques publiques. Il est urgent de développer, avec l’appui de la CAF, une politique jeunesse complète destinée aux adolescents ruraux âgés de 12 à 18 ans, incluant culture, loisirs, sport, prévention et citoyenneté. La politique jeunesse pourrait se décliner en territoires ruraux, au niveau des communautés de communes, en proposant des animations itinérantes, pour toucher les jeunes de chaque village.
• Violences conjugales : ne laisser aucune femme isolée
Les violences conjugales en milieu rural nécessitent des réponses adaptées à la spécificité territoriale : généralisation immédiate des dispositifs d’alerte (type « Mon Chérif »), du dispositif « Demander Angela » chez les commerçants ruraux, et déploiement systématique dans les brigades de gendarmerie, de gendarmes relais spécialement formées à ces violences. Nous proposons aussi la création de réseaux associatifs et institutionnels de prévention et de protection, visant à éliminer toute zone blanche en termes d’accompagnement des victimes.
Aujourd’hui, les enfants sont les grands oubliés des violences intrafamiliales. A ce titre, nous défendons la reconnaissance du droit des enfants, avec reconnaissance systématique du préjudice moral subi par les enfants exposés à ces violences.
Promouvoir et accompagner la transition vers une agriculture durable et responsable
• Une réforme ambitieuse de la PAC, au service des petites exploitations et du développement des filières locales
Nous devons défendre une réforme ambitieuse de la PAC, priorisant clairement les petites exploitations familiales et bio, au détriment des grands groupes agro-industriels. Les petites exploitations de maraichage et de polyculture élevage doivent être favorisées par les aides de la PAC.
Un accompagnement spécifique pour la prévention du suicide et du burn-out des agriculteurs doit être mis en place sur tout le territoire.
• Préservation de l'environnement rural et des forêts
Nous proposons l'arrêt progressif et encadré des coupes rases dans les forêts publiques et privées, en favorisant des plantations multiculturales adaptées au changement climatique et en interdisant les monocultures afin de protéger durablement la biodiversité.
La ruralité doit être pleinement intégrée à la politique de la ville, dans une logique d’inter-territorialité équitable, où chaque citoyen, peu importe où il vit, bénéficie du même traitement républicain.
Par ces propositions, nous affirmons que le Parti Socialiste doit prendre toute sa place dans l’élaboration et la mise en œuvre de politiques volontaristes et ambitieuses pour une ruralité digne, dynamique, et inclusive, symbole vivant d'une République pleinement égalitaire.
Contributeur.ices : Isabelle Houé-Huberdeau (Avallon) et Axel Rabourdin (Puisaye-Forterre)
Mani Cambefort, 1er secrétaire fédéral de l’Yonne, Gilles Demersseman (conseiller régional BFC), Julien Jacquet (AF MJS 89), Thomas Lebret