Travailler moins pour travailler mieux et travailler tous.tes ! Plaidoyer pour la semaine de 4 jours !


Thème : Travail


 

Dans le cadre de la lutte pour l’émancipation des travailleurs, la réduction du temps de travail a toujours été un combat central du mouvement socialiste depuis ses origines, au XIXe siècle. C’est une composante essentielle des luttes sociales, que les socialistes ont pu transposer dans le droit par la conquête du pouvoir. Aujourd’hui, la question de la réduction du temps de travail se pose avec une acuité nouvelle, à un moment où la crise sociale et économique appelle de nouvelles solutions pour répondre aux défis du chômage, de la qualité de vie au travail, de l’équilibre entre vie personnelle et professionnelle, de la compétitivité et de la productivité de nos entreprises, de l’efficience de nos services publics, comme de l’équilibre de notre modèle social. Nous devons changer de paradigme en n’agissant non plus seulement sur le volume horaire hebdomadaire de travail mais en repensant totalement l’organisation du travail en généralisant progressivement la semaine de 4 jours !

Depuis la fin du XIXe siècle, le mouvement socialiste a fait de la réduction du temps de travail un levier pour la transformation sociale. Au-delà des améliorations immédiates des conditions de travail, l’objectif était de rendre le travail plus humain, plus juste et de garantir une meilleure répartition des richesses. Ces principes ont guidé les premières victoires en matière de réduction du temps de travail. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, alors que la journée de huit heures est devenue l’une des principales revendications du mouvement ouvrier, le ministre socialiste du Travail du gouvernement de Georges Clémenceau, Pierre Colliard, fait voter la durée hebdomadaire du travail de 48 heures, instaurant de fait le repos dominical. C’est en 1936 ensuite que la durée hebdomadaire du travail est de nouveau réduite à 40 heures, sous le gouvernement de Front Populaire de Léon Blum qui y adjoint une réduction annuelle du temps de travail avec l’instauration des congés payés. La réduction de la durée du travail s’impose comme une manière de redistribuer la richesse, en libérant du temps pour que les travailleurs puissent profiter pleinement des fruits de leur travail.

Alors que le gouvernement de Pierre Mauroy, sous le premier septennat de François Mitterrand, avait porté la durée hebdomadaire du travail à 39 heures, en 1998 le gouvernement de Lionel Jospin – et sa ministre du Travail Martine Aubry - a franchi une étape déterminante avec la loi sur les 35 heures, qui a permis de créer des centaines de milliers d’emplois tout en maintenant les salaires. Parce qu’elle a symbolisé le progrès social, cette loi a rencontré de nombreuses résistances et la droite en a fait un véritable épouvantail politique, sans ne jamais oser les supprimer pour autant. Cependant, elle a également prouvé qu’une gestion du temps de travail plus équitable pouvait non seulement améliorer les conditions des travailleurs, mais aussi permettre un meilleur partage des bénéfices économiques. Les 35 heures jouissent en réalité d’un bilan très positif. C’est l’un des derniers exemples d’une politique structurelle véritablement créatrice d’emplois, et un exemple marquant de la capacité des socialistes à conduire des réformes d’envergure pour améliorer la vie des travailleurs, avec un impact positif sur l’emploi, le bien-être au travail et, indirectement, sur le pouvoir d'achat des salariés.

La Semaine de 4 Jours : Des expérimentations probantes à l’étranger

L’idée d’introduire la semaine de 4 jours fait aujourd’hui l’objet de nombreuses expérimentations dans le monde entier. Ces tests, souvent portés par des entreprises volontaires, montrent que réduire le temps de travail sans diminuer les salaires n’affecte pas la productivité, bien au contraire.
En Espagne, le projet pilote soutenu par le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez depuis 2021 a montré que la semaine de quatre jours n’avait pas seulement un impact positif sur le bien-être des salariés, mais contribuait également à la création d'emplois. Une étude menée par la Fundación Alternativas a révélé que 70% des entreprises participantes ont constaté une augmentation de la satisfaction des employés et que la productivité est restée stable ou a même augmenté dans plus de 60% des cas.

L’Islande est la seule à avoir mené une expérimentation à grande échelle. Entre 2015 et 2019, un projet pilote a permis de réduire le temps de travail de 40 à 35 heures par semaine, sans perte de salaire, pour environ 2 500 travailleurs dans le secteur public. Cette expérience a été un succès retentissant, avec des résultats très positifs sur le plan de la productivité et de la qualité de vie au travail. Une étude commandée par la municipalité de Reykjavik et le gouvernement islandais a révélé que 86 % des travailleurs étaient plus heureux et moins stressés après la mise en place de la réduction du temps de travail. Une fois cette expérimentation étendue au secteur privé, les entreprises, quant à elles, ont noté une meilleure productivité, car les employés étaient plus concentrés et motivés. De plus, ces gains de productivité ont permis de compenser la réduction des horaires de travail, ce qui a favorisé l'embauche de nouveaux salariés.

Ces expérimentations internationales montrent qu'il est possible de mener cette réforme d’envergure à une plus large échelle, sans perte de productivité et avec des effets positifs sur la qualité de vie des travailleurs. Elles révèlent également à quel point la semaine de quatre jours n’est pas seulement une nouvelle réduction du temps de travail mais une refonte de l’organisation générale du travail.

Une idée qui fait son chemin aussi en France

Depuis 2023, la semaine de quatre jours a été expérimentée par diverses entreprises en France, visant à améliorer l'équilibre entre vie professionnelle et personnelle tout en maintenant, voire augmentant, la productivité.
Une étude du Crédoc d'avril 2024 indique qu'un actif sur deux en France est favorable à la semaine de quatre jours sans réduction de salaire. Les avantages perçus incluent un meilleur équilibre vie professionnelle-vie personnelle et plus de temps pour la famille. Certaines entreprises ont décidé de pérenniser cette organisation. Par exemple, depuis le 7 février 2025, la RATP a généralisé la semaine de quatre jours comme possibilité pour l'ensemble de ses agents de stations et de gares des transports parisiens.

Parallèlement, des initiatives régionales ont été menées. En Occitanie, le Centre des jeunes dirigeants (CJD) a accompagné 12 TPE et PME dans l'expérimentation de la semaine de quatre jours. Cette étude a permis aux dirigeants d'évaluer la faisabilité de ce modèle, d'en mesurer les impacts sur le bien-être des collaborateurs, l'attractivité des talents et la performance économique. Les résultats ont toutefois montré que repenser l'organisation du temps de travail nécessite une réflexion approfondie sur le fonctionnement global de l'entreprise.

Dans le cadre des expérimentations, des inconvénients ont évidemment été relevés, selon les formules choisies, tels que l'allongement des journées de travail, source de fatigue et de complexité organisationnelle, notamment pour les familles monoparentales, les personnes en situation de handicap et les cadres en charge de la gestion des plannings. Cela démontre la nécessité d'une mise en œuvre volontaire et d’un accompagnement du législateur, d’une adaptation des services publics et d'une anticipation des évolutions de l’organisation et des risques psychosociaux.

Une réponse partielle aux enjeux du pouvoir d'achat

La semaine de 4 jours est également un levier direct pour améliorer le pouvoir d'achat des travailleurs, un enjeu fondamental dans le contexte actuel de forte inflation et de pression sur les salaires. Par la création d'emplois supplémentaires et la possibilité d'augmenter la productivité, cette réforme permet de redonner du pouvoir économique aux travailleurs.

En réduisant la durée du travail et en en modifiant l’organisation globale à travers une semaine de quatre jours, on peut créer plus de postes tout en maintenant les niveaux de production. Une étude de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) a estimé qu'une réduction générale du temps de travail pourrait créer jusqu'à 5 millions d'emplois supplémentaires dans l'Union Européenne, ce qui aurait un effet direct sur la diminution du chômage et la redistribution de la richesse.

Le maintien des salaires pour les heures réduites permettrait à de nombreux travailleurs de conserver un revenu stable, voire d’augmenter leur pouvoir d'achat grâce à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle. En Belgique, certaines entreprises ont même observé une amélioration de la rentabilité grâce à des employés plus concentrés et plus motivés, entraînant ainsi des bénéfices réinvestis dans l'augmentation des salaires.

Moins de jours travaillés signifie également moins de dépenses liées au transport, aux repas, et à la garde d’enfants pour de nombreux travailleurs. Cela allège le budget familial, augmentant ainsi le pouvoir d'achat de ceux qui bénéficient de cette réduction du temps de travail.
La semaine de quatre jours n’a toutefois pas vocation à épuiser la question de la revalorisation des salaires dans certaines professions. Mais toutes les expérimentations menées jusqu’alors en France comme à l’étranger démontrent en tout cas que le passage à quatre jours hebdomadaires travaillés ne nuit ni à la compétitivité ni à la productivité, réduit au contraire l’absentéisme et permet aux salariés d’être mieux impliqués, n’alourdissant ainsi pas la charge financière pour l’entreprise.

Travailler moins, travailler tous pour financer la protection sociale et les retraites

L’introduction de la semaine de 4 jours aurait également un impact direct sur le financement de notre protection sociale et de nos retraites. En favorisant la création de nouveaux emplois, cette mesure permettrait d’augmenter les recettes sociales tout en réduisant la pression sur les dépenses publiques. Avec plus de travailleurs cotisant à la sécurité sociale, on renforcerait les bases de financement des retraites et des prestations sociales.

Une étude de la CNAV (Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse) a montré que chaque réduction du temps de travail génère des cotisations supplémentaires qui aident à financer le système des retraites. Si cette réduction s'accompagne de créations d'emplois dans des secteurs en tension, comme celui des services à la personne ou de l’éducation, cela pourrait aussi avoir un impact bénéfique sur l'équilibre financier des régimes de retraite.

En Suède, la réduction du temps de travail a été accompagnée d’une réforme du système de financement de la protection sociale. Le pays a réussi à maintenir une couverture sociale de qualité tout en réduisant le temps de travail de ses salariés. Les gains de productivité ont permis de financer une partie des réformes, en assurant à la fois un meilleur service public et une meilleure couverture des risques sociaux.
La réduction du temps de travail contribue enfin à une répartition plus équitable des bénéfices économiques. En distribuant mieux les heures de travail, on permet à davantage de personnes de participer à la production, réduisant ainsi les inégalités. Ce modèle a également des effets positifs sur l’égalité entre les sexes, en permettant une meilleure répartition des responsabilités professionnelles et domestiques, souvent inégales entre hommes et femmes.

Le principal défi dans la mise en œuvre de cette transformation radicale réside dans l’adaptation de certains secteurs à cette nouvelle organisation du travail. Par exemple, dans des industries nécessitant une présence continue, comme les soins de santé ou la logistique, la mise en place de la semaine de 4 jours peut sembler complexe. Toutefois, des solutions existent, telles que la mise en place de roulements ou la réorganisation des horaires de travail. Elle a le mérite de rendre le travail nécessairement plus collaboratif, plus collectif et moins individuel, puisqu’un même poste ne peut plus être assuré par un seul travailleur.

Si la puissance publique est en capacité d’accompagner dans un premier temps les entreprises volontaires, le déploiement de la semaine de 4 jours peut tout à la fois créer des emplois mais également modifier le rapport au travail tant au sein de l’entreprise que dans la société. Le secteur public, en particulier, devra être accompagné dans cette transition par des mesures adaptées pour garantir une continuité du service tout en permettant aux employés de bénéficier des avantages d’une réduction du temps de travail.

Pour qu'une telle réforme soit efficace et juste, l'État devra intervenir pour soutenir les entreprises dans la mise en place de la semaine de 4 jours, notamment par des incitations fiscales, des subventions pour les PME et une aide à la formation des salariés. En conditionnant les incitations à un objectif de création d’emplois, l’effort sera moindre pour l’État qui récupérera des cotisations supplémentaires et versera moins de prestations.

En conclusion, la semaine de 4 jours représente non seulement une avancée significative dans la lutte pour de meilleures conditions de travail, mais aussi une réponse aux enjeux du pouvoir d'achat et de la réduction des inégalités économiques. Comme l’ont montré les expérimentations nationales et internationales, cette réforme a des effets bénéfiques tant sur la qualité de vie des travailleurs que sur la compétitivité des entreprises. En réduisant le temps de travail, nous pouvons non seulement créer plus d’emplois, mais aussi améliorer la répartition des richesses et garantir le financement de notre protection sociale. Les expérimentations existent. Il faut maintenant les porter à un stade supérieur. En tant que socialistes, nous devons faire de cette réforme un horizon politique afin de construire une société plus équitable et plus durable.


Contributeurs : DUCHAUSSOY Vincent (76), DESTRUHAUT Stéphane (87), HEROUIN-LEAUTEY Florence (76), BESNARD Antoine (76), BRASSE Matthieu (76), CHOUAN Hubert (76), CLAUDEL Guillaume (76), DUNET Christine (76), FADAT Cécile (87), GISSINGER Alban (76), LABAYE Elizabeth (76), LEBROZEC Monique (76), LE MOEL RAFLIK Annaïg (56), LEVY Yoann (13), MAUGE Claudie (76), RASSE LAMBRECQ Valentin (76), VAISSE Brigitte (57)


 

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