Thème : Justice sociale et territoriale
L’ère du temps semble être au bruit et à la fureur.Les dépositaires du national-populisme semblent triompher partout pour constituer une internationale de la haine qui sape les fondements de nos démocraties, du multilatéralisme et du droit international. Cette poussée de fièvre s’appuie toujours sur la même stratégie et les mêmes leviers. La préférence nationale par le rejet de l’étranger et la pratique d’un capitalisme colonial de prédation. Projet politique pourtant contredit par la réalité de la construction plurielle de nos nations modernes, qui ne sont pas des groupes ethniques ou religieux mais de véritables communautés civiques de destin. Projet économique contredit par les faits de l’inefficacité industrielle et sociale dont l’Espagne, qui puise de l’immigration une part significative de sa croissance, et le risque de récession aux Etats-Unis sont des illustrations implacables. |
La dénonciation tartuffienne des élites au profit du « peuple véritable » alors que les représentants de l’extrême droite nous offrent une illustration de leur projet de société lorsqu’ils s’opposent à toute mesure de justice sociale à l’Assemblée nationale ou dans nos collectivités territoriales. Cependant, le terreau le plus fertile de la réaction semble être la fracturation de la société en parties antagonistes. La nébuleuse MAGA aux Etats-Unis, le RN en France, les nationaux- populistes de tous les pays utilisent le même levier de la stigmatisation qui fait porter la responsabilité de tous les maux de la société sur une catégorie de la population : les travailleurs contre les « assistés », les français contre les étrangers, les classes moyennes contre les plus précaires... Notre société est marquée par des fractures sociales et territoriales. Une grande diversité de nos concitoyens, issus de catégories sociales différentes, vivent au quotidien les inégalités, les discriminations, une impression de mépris de la part des pouvoirs publics et un sentiment de déclassement. Des fractures sociales avec la constitution d’un halo de pauvreté qui pèse comme une chape de plomb sur nos concitoyens les plus précaires mais également les classes moyennes. Sur le plan national les associations de solidarité estiment qu’un million de personnes s’ajouteront prochainement aux 9,1 millions de Français vivant sous le seuil de pauvreté. Certaines catégories de la population sont plus particulièrement impactées. Les jeunes, les femmes, les parents isolés, les ménages les plus modestes, ou encore les personnes âgées doivent faire l’objet d’une attention particulière et exigent une réflexion profonde sur nos dispositifs de solidarité. |
Nous constatons également des fractures territoriales au sein des ruralités et des quartiers de la politique de la ville qui souffrent souvent des mêmes maux : inégalités économiques, sociales, d’accès à l’emploi, aux formations et aux services publics. Notre contrat social, qui a très longtemps garanti la possibilité de la mobilité sociale, semble grippé devant la réalité de l’assignation que subissent certains de nos concitoyens. L’école de la république, outil central de la promotion sociale, souffre des contraintes budgétaires et ne semble plus en mesure d’assurer son rôle émancipateur. L’ascenseur social semble limité à de trop rares exceptions. Notre modèle de société, historiquement basé sur un fort niveau de prestations sociales et des services publics de qualité semble aujourd’hui incapable de réduire les inégalités et d’éradiquer la pauvreté. A l’heure où le changement climatique est à l’œuvre, et que nous ne pouvons plus regarder ailleurs, les efforts nécessaires pour engager les chantiers de l’atténuation et de l’adaptation semblent trop souvent peser sur les plus précaires. Alors que les classes populaires sont les premières impactées par le dérèglement climatique, nous devons penser un horizon souhaitable pour tous. Imaginer un ensemble solidaire où chacun contribue équitablement à l’effort. Devant ces défis, où peut se situer l’espoir de nos concitoyens ? Quel projet politique peut empêcher notre république de plonger dans le gouffre ? La start-up nation du Président de la République a basculé dès les premiers jours vers la vieille recette de l’extrême centrisme qui combine le programme éculé de l’ultralibéralisme et de l’autoritarisme centralisateur. La gauche populiste semble se satisfaire de la fracturation de la société après l’avoir théorisée. Elle revendique l’instrumentalisation de ces fractures pour mieux segmenter son marché électoral, miser sur l’état pré-insurrectionnel et risquer la stratégie du pire. Devant ces périls nous avons une responsabilité historique. Seuls les socialistes, avec les autres forces de la gauche républicaine, sont en capacité de défendre et de renforcer notre république sociale. Nous devons contribuer à redéfinir un projet de société qui intègre, protège, réassure et réconcilie nos concitoyens vers un idéal commun de bien vivre durable. Il s’agit de construire un bouclier social pour protéger ceux qui souffrent, accompagner leur émancipation et lutter contre toute assignation sociale et territoriale. Nous devons porter une vision de progrès et d’équité territoriale qui assurera aux français des perspectives et redonnera confiance en l’avenir. Il est essentiel d’apporter une réponse et une espérance à toutes celles et ceux qui se sentent isolés, au bord du chemin et exclus de notre pacte républicain. Ce bouclier social doit garantir le mieux vivre partout et pour tous en assurant l’accès aux besoins fondamentaux et en renforçant les outils de l’émancipation. Assurer l’accès aux besoins fondamentaux : L’énergie : la flambée des prix de l’énergie impose une approche globale de l’accès abordable à une énergie décarbonée. La transformation énergétique des logements semble être l’un des défis majeurs pour les plus précaires et les classes moyennes. L’eau : le changement climatique menace l’accès universel à l’eau en qualité et en quantité. Des collectivités territoriales ont engagé des expériences de tarification sociale de l’eau qui méritent d’être dupliquées. La santé : l’enjeu de la santé recoupe une grande diversité de sujets tels la formation des médecins et des professions sanitaires et sociales, le bien vieillir et l’accès à des soins de qualité avec l’enjeu des déserts médicaux. Les réflexions engagées par nos parlementaires autour de l’interdiction de l’installation des professionnels de santé dans les zones déjàsaturées doivent être appliquées. L’alimentation de qualité : environ 4 millions de français font appel tous les ans à l’aide alimentaire. Défi de santé publique majeur, l’accès à une alimentation de qualité pour tous fait l’objet de réflexions de certaines associations qui revendiquent une sécurité sociale de l’alimentation. Des collectivités territoriales engagent des programmes d’autonomie alimentaire par le biais de ceintures maraichères, d’ateliers de transformation et de circuits courts pour la restauration scolaire. Les expérimentations des territoires « zéro faim » démontrent des résultats. Le défi alimentaire renvoi également aux transitions de notre modèle agricole et à la qualité de vie de nos agriculteurs pour garantir des revenus dignes, leur santé et le renouvellement des générations. Renforcer les outils de l’émancipation : La réussite éducative : les socialistes doivent s’interroger sur ce défi, élément structurant de l’émancipation et de l’ascenseur social. Dès 2015, le rapport « Grande pauvreté et réussite scolaire » de Jean-Paul Delahaye, Inspecteur général de l'Éducation nationale, faisait état de l’aggravation du décrochage en matière de réussite éducative pour les élèves issus des catégories sociales les plus défavorisées. Les expérimentations de communes socialistes autour du soutien scolaire public, gratuit et laïc doivent être dupliquées. Accès à l’enseignement supérieur : dans le contexte d’une démocratisation apparente de l’enseignement supérieur, l’observatoire des inégalités estimait en 2021 qu’à l’université les enfants de cadres sont trois fois plus nombreux que les enfants d’ouvriers et que cette différence s’aggrave en fonction des niveaux de diplômes (9 % seulement des étudiants en master sont des enfants d’ouvriers). Au-delà de l’accès à l’enseignement supérieur, qui semble corrélé aux inégalités sociales, la réussite des études supérieures est durement impactée par la précarité de certains jeunes (logement, mobilités, alimentation...) comme révèlent les enquêtes des syndicats étudiants sur les conditions de vie étudiante. Nous devons garantir l'équité d'accès à l'enseignement supérieur pour tous les jeunes avec une attention plus particulière pour ceux issus des ruralités et des quartiers populaires. Mobilités : première source de gaz à effet de serre, les transports constituent un levier structurant de transition écologique et de justice sociale. Au regard de la hausse constante de la fréquentation ferroviaire, les Français semblent plébisciter le train, outil de mobilité décarbonée et d’aménagement du territoire. A rebours de cette aspiration de nos concitoyens, l’Etat est totalement défaillant concernant la politique ferroviaire. Le réseau des lignes Intercités et des petites lignes du quotidien étant particulièrement dégradé et parfois contraint à la fermeture par manque d’investissements. Les projets de RER métropolitains restent à quai malgré les annonces des premiers ministres successifs. Seule une véritable loi de programmation ferroviaire budgétée garantira un rattrapage des investissements. Revaloriser le travail : la question du travail et de son rôle dans la société a toujours été au centre de la pensée progressiste et de la gauche depuis la révolution. Le travail a longtemps été pensé comme un outil d’émancipation individuelle, d’organisation et de solidarité collective, de progrès et d’ascenseur social. De nouveaux défis émergent : nouvelles formes de travail, uberisation, nouvelles pénibilités, aspiration des jeunes à travailler différemment, prise en compte et valorisation des métiers dits essentiels, émergence d’un précariat qui remplacerait le prolétariat. Les derniers résultats électoraux établissent un constat terrible pour la gauche qui ne semble plus en position de proposer un horizon d’espoir et de progrès concrets pour les travailleurs. Les socialistes doivent contribuer à revaloriser le travail comme un outil d’émancipation. Le travail doit mieux payer : l’INSEE chiffre à 1,5% la perte de pouvoir d’achat des salariés en 2022, et encore à -0,5% en 2023, soit -2% au cumul de ces deux années. L’OCDE note que le pouvoir d’achat salarié est au même niveau en 2023 qu’en 2019. Une conférence sociale sur les salaires doit constituer l’une de nos priorités. Les travailleurs doivent être mieux protégés alors que la France se distingue par un fort taux d’accident du travail et une forte pénibilité au travail. Les travailleurs doivent avoir plus de poids dans la gouvernance de l’entreprise : une plus grande participation des salariés aux conseils d’administration est un atout pour le dialogue social et la pérennité des stratégies des entreprises. Les entreprises doivent valoriser le travail : par des mesures incitatives sur la qualité de l’emploi et les avantages sociaux accordés aux salariés (logement, transport, crèches...) et les parcours de formation en entreprise. Logement : selon le rapport annuel de la Fondation pour le Logement des Défavorisés, plus de 4 millions de personnes sont non ou mal logées en France. D'après l'Union sociale pour l'habitat, 66% des Français ont le droit à un logement social. Cependant, seulement 5,5 millions de logements sociaux dont 150 000 vacants étaient recensés au 1er janvier 2022. Cette même année, plus de deux millions de demandes ont été formulées, pour seulement 410 000 attributions. Au-delà du manque de logements sociaux, la situation du logement indigne et des passoires thermiques est particulièrement préoccupante. Le logement constitue le premier poste de budget des jeunes (étudiants, apprentis, jeunes actifs, saisonniers...). La France ne compte que 380 000 places en résidences étudiantes publiques ou privées pour plus de 2,5 millions d’étudiants. Nombreux sont celles et ceux qui doivent travailler pour pouvoir se loger. Devant cette situation certaines collectivités territoriales de gauche s’investissent (construction de logements sociaux, permis de louer, lutte contre l’habitat indigne...). Ces solutions doivent être dupliquées. Afin de réduire les écarts de patrimoine, une défiscalisation des intérêts d’emprunt pour les primo accédants constituerait une véritable respiration. *** Si nous entendons réparer la société, protéger et réconcilier nos concitoyens nous devons aussi réenchanter nos moyens d’action. La constitution d’un bouclier social ne saurait oublier le renforcement de l’engagement citoyen. Le mouvement des gilets jaunes a marqué une rupture avec les modes de militantismes classiques. Au-delà des dérives populistes et violentes qu’il convenait de dénoncer, cette mobilisation exprimait une contestation sociale de français qui se sentaient exclus du pacte républicain. Une part significative de nos concitoyens ne participe pas aux rendez-vous de la démocratie représentative. Selon le centre d’observation de la société très peu de cadres s’abstiennent à tous les scrutins (6,8 % en 2022) alors que la part d’abstentionnistes systématiques est passée de 13,3 % en 2002 à 19,7 % en 2022 chez les ouvriers. Par ailleurs, certains de nos concitoyens ne mobilisent pas davantage les outils de la démocratie sociale en adhérant à aucun parti, syndicat ou association. Si nous entendons convaincre les classes populaires et les classes moyennes, les socialistes doivent s’interroger sur les moyens de réengager notre tradition d’émancipation démocratique par la participation à la vie du monde associatif, mutualiste ou le coopératisme et de renouer avec notre combat pour l’éducation populaire. Nous ne croyons pas à l’émergence d’une élite éclairée qui guiderait la destinée de nos concitoyens mais à l’émancipation collective d’une société fraternelle. Nous ne croyons pas au grand soir mais aux petits matins radieux. « Ce n'est pas la demande d'un « tout » tout de suite auquel personne ne croit plus. Ce n'est pas la croyance naïve à des promesses qui ont été, à plusieurs reprises, démenties dans le passé. C'est une exigence raisonnée et pressante de progrès réels dans la durée pour les Françaises et les Français, en particulier pour les moins favorisés d'entre eux. » - Lionel Jospin - 1er juin 1997. |
Contributeurs : Guillaume FOURGEAUD, Haute-Vienne, membre du BNA, Laurence ROUEDE, Gironde, Vice-présidente du Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, Membre du BN, Nicolas MAYER-ROSSIGNOL, Seine-Maritime, Maire de Rouen, 1er secrétaire délégué, Laurence HARRIBEY, Gironde, Sénatrice, Jean-Claude LEBLOIS, Président du Conseil départemental de la Haute-Vienne, Frédéric ZORY Haute-Savoie, Maire et conseiller départemental honoraire, Vincent DUCHAUSSOY, Seine-Maritime, 1er secrétaire fédéral, Brigitte VAISSE, Moselle, Conseillère municipale, JULIEN PARELON, Paris, membre du BNA, Sandrine DERVILLE, Pyrénées-Atlantiques, Vice-présidente de la Région Nouvelle-Aquitaine, Conseillère municipale d’Anglet, Sylvie PRADELLE, Hérault, Vice-présidente au Conseil départemental de l’Hérault, Christian REDON-SARRAZY, Haute-Vienne, Sénateur, Xavier MARTIN, Gironde, Membre du Conseil National, Christophe VIANDON, Gironde, Conseiller Départemental, Annick AGUIRRE, Gironde, ancienne élue, Thierry GODARD, Gironde, Secrétaire fédéral à l’éducation populaire, Jean-Christophe COLOMBO, Gironde, Conseiller municipal, Sandrine FIAULT, Gironde, militante, Marie-Hélène DALIAI, Gironde, Militante, Annie MUREAU LEBRET, Gironde, Adjointe au Maire, Agnès JUANICO, Gironde, militante, Bernard GARRIGOU, Gironde, Maire, Conseiller Départemental, Inès BERNARD-LAUCOURNET, Gironde, militante, Jean Philippe LEBRET, Gironde, militant, Jean Étienne DHERSIN, Gironde, militant, Stéphane PERES DIT PEREY, Gironde, Maire-Adjoint, Patrice FAUCHER, Haute-Vienne, militant, Alain AUTHIER, Haute-Vienne, Conseiller municipal, trésorier fédéral, Christophe BREUIL, Haute-Vienne, Conseiller municipal, Virginie LEBRAUD, Charente, Maire, Conseillère régionale, Stéphane DESTRUHAUT, Haute-Vienne, Vice-Président Conseil départemental de la Haute-Vienne, Thibault BERGERON, Haute-Vienne, Conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine, Conseiller municipal, Bruno DE LA ROCQUE, Gironde, Trésorier de section, Catherine PITOUS, Lot-et-Garonne, Secrétaire fédérale, Chaza GUILLEMINOT, Gironde, Militant, Annick MORIZIO, Vice-présidente du Conseil départemental de la Haute-Vienne, Benoît FERRE, Nord, membre du BNA, Anne DURAND, Loire Atlantique, membre du bureau fédéral et du BNA, Maya AKKARI, Paris, Conseillère de Paris et membre du BNA, Imane MANIANI, Marne, Membre du BNA.