Un monde en mutation : La nécessité d’adapter nos grilles de lecture


Thème : International


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Préliminaires : Contraint par les règles de longueur des signes en matière de contribution thématique, certains aspects ne pourront être développés. La contribution vise à prendre conscience de notre place dans le monde. Je prie mes lecteurs de bien vouloir m’en excuser.

Louis XIV, Napoléon Bonaparte, Charles De Gaulle ou d’autres chefs d’État français ont pensé la France à la lecture des mouvements mondiaux. Comment ne pas percevoir qu’à l’extérieur de nos frontières européennes, la désoccidentalisation du monde est en marche depuis plusieurs années ? Comment ne pas percevoir qu’à l’intérieur de nos frontières européennes chacun joue sa partition pour défendre son propre intérêt national ? Enfin, comment ne pas percevoir que la France, tant sur le plan stratégique qu’économique, est défiée tous les jours ?

À titre d’information, le terme « France » sera compris dans son acception large. Autrement dit, la France n’est pas qu’hexagonale.

Après avoir analysé le monde tel qu’il est (I), on pourrait envisager quelques pistes pour retrouver notre influence (II) tout en tirant quelques enseignements (III)

 

I - La nécessité de poser le bon diagnostic.

A. La désoccidentalisation du monde.

Les discours qui tendent à promouvoir l’humanisme, l’internationalisme, la démocratie, les droits de l’homme ou la liberté partout dans le monde ne sont voués à rester que des mots eu égard à la cruelle réalité suivante : la France n’est plus un acteur majeur des relations internationales.

Depuis la fin du 18e siècle, incarné en haut lieu par nos alliés américains, l’Occident domine le monde contrairement aux autres puissances (Ottomane ou Chinoise par exemple).

Mais la fin de l’Occident dans le monde a pour cause l’Occident elle-même ! Le premier exemple est la guerre en Irak en 2003 en violation totale de la Charte des Nations Unies. Le deuxième exemple réside par l’abolition des outils de régulation de l’économie internationale et financière tout au long des années 90. Autre exemple aussi, en ayant accepté la Chine de rentrer dans l’OMC en 2005. On pourrait

aussi citer les règles de double standard et biens d’autres exemples qui illustrent les dérives de l’Occident

La France est un pays singulier dans le concert des nations. Pays occidental certes, mais pays qui, avant de parler à tout le monde, comprenait le monde jusqu’à l’élection en 2007 de Nicolas Sarkozy en tant que Président de la République. La violation du droit international avec la guerre en Lybie a été fatale pour l’influence de la France.

Quitter l’Occident ne veut pas dire rompre nos liens d’amitiés avec les États-Unis. Depuis la guerre d’indépendance américaine face à l’Angleterre (notamment avec le siège de Yorktown en 1777 où nous avons contribué à l’indépendance de la jeune République américaine), nos destins sont liés. Cela dit, la politique américaine à notre égard est problématique. On aurait pu croire que les coups américains proviendraient uniquement du parti Républicain avec notamment un Donald Trump sans pitié. Mais qui aurait pu penser que l’affaire afghane (2022) ainsi que celle des sous-marins australiens proviendraient du parti démocrate et de Joe Biden ? Sachant aussi que l’arme de l’extraterritorialité du droit américain a été utilisée sous la présidence Obama (Alstom, BNP entre autres). La relation France-États Unis s’est déséquilibrée au cours du temps. La France est en pleine guerre économique.


B. La réalité de la guerre économique.

Si le terme peut s’avérer trop fort pour certains, d’aucuns ne pourront contredire, à minima, que la France doive faire face à des affrontements économiques. Tous les jours, à chaque instant nos entreprises françaises internationales ou stratégiques sont l’objet de déstabilisations. Attaqués de part et d’autre, nous devons comprendre que les puissances plus ou moins proches de nos frontières privilégient leurs intérêts nationaux plutôt que les nôtres, quitte à nous ébranler.

Sans compter l’explosion de notre déficit sur la balance commerciale ou bien encore la désindustrialisation, la France est clairement en train de subir un très net recul sur le plan économique. Alors, bien sûr, on nous objectera qu’il y a de très grandes sociétés françaises qui sont présentes à l’international. Certes, mais combien ont un actionnariat majoritairement français ? Quel est l’impact de ces sociétés françaises sur l’ensemble du territoire français ?

Enfin, il est assez alarmant, pour ne pas dire effrayant, de constater que notre dette est en partie détenue par des acteurs privés étrangers (49% selon l’Agence France Trésor).

Concurrencée âprement sur le volet économique, la France est aussi challengée par les autres puissances.


C. La fin du droit international et l’avènement d’un monde mélien ?

En – 414 av. J.-C., durant la guerre du Péloponnèse, l’ile de Mélos voulait rester neutre. Athènes ne l’entendait pas de cette oreille. Athènes l’attaqua et exécuta tous les hommes en âge de faire la guerre, venda les enfants et les femmes et colonisa l’ile. Autrement dit, lorsque nous parlons d’un monde mélien, nous l’entendons par le fait que la force reprend le dessus sur le droit international et la charte des Nations Unies qui avait pour but de pacifier les relations entre États. La Russie avec l’Ukraine ou la Chine avec Taïwan en sont de parfaits exemples. Cela dit, n’oublions pas que le début de 21e siècle a aussi été marqué par la violation du droit international par les Occidentaux.

N'oublions pas non plus le fondamental : l’érection de la Charte des Nations Unies est le fruit de la sagesse des nations à la suite des atrocités de la Seconde Guerre Mondiale afin de pacifier les relations entre États.

Le retour de la force dans les relations internationales n’est pas le seul risque pour la paix et la sécurité internationales. La dégradation de l’environnement et des conditions climatiques entraine aussi des risques mondiaux pour l’humanité. C’est la raison pour laquelle nous devons penser et agir vers une société internationale de la protection. Le premier échelon international pertinent pour ce faire est européen. Mais il n’est pas sûr que nos partenaires partagent le même intérêt partagé ...


D. Une divergence d’intérêt des États de l’Union européenne.

Nous partageons tous l’idée d’une Union européenne plus forte et plus souveraine vis-à-vis des autres puissances. Cela dit, il est intéressant de noter que bien des pays jouent leurs propres partitions, quitte à mettre à mal la construction de l’Union européenne.

Entre partenaires, l’idée principale est de pouvoir se soutenir, s’entraider, se développer de telle sorte à avoir des retombées positives pour notre Union. Plusieurs questions se posent : comment se fait-il que certains pays achètent du matériel militaire chez nos alliés américains et pas chez nous ? Sur les 100 milliards d’investissements du gouvernement allemand, combien iront vers les industries françaises ? Ou encore pourquoi la Pologne, pourtant si réticente au nucléaire, a décidé d’acheter les solutions de construction de leurs centrales nucléaires chez les américains ? On pourrait encore citer les ports européens concédés à la Chine dans le cadre de leurs stratégies de la route de la soie. Il y a pléthore d’exemples.

Il est important, voire crucial, de regarder le monde tel qu’il est et non pas tel que nous voulons qu’il soit ou pire, tel que nous pensons qu’il est. Partant de cela, rien ne nous empêche de proposer des pistes d’actions pour la France à l’aune de ces bouleversements internationaux.

 

II - Des pistes à envisager.

A. Agir d’abord au niveau européen.

Les affaires européennes sont dans le portefeuille ministériel des affaires étrangères. Erreur stratégique dans la mesure où l’Union européenne revêt des affaires internes qui modèlent notre propre droit. Par conséquent, il serait utile d’avoir une organisation interministérielle placée directement sous Matignon pour coordonner les relations avec l’Union européenne et surtout avoir une pensée transversale des dossiers et non pas un fonctionnement cloisonné.

Comme évoqué précédemment, l’échelon européen doit être le premier à organiser la mutation vers une société de la protection. Alors que l’un des premiers émetteurs de CO2 est la Chine, et malgré la volonté de l’Union européenne d’être neutre en carbone à l’horizon 2050, les importations- exportations de certains pays de l’Union européenne contribuent à la production de biens issus de l’électricité carbonée en Chine. Ainsi, à la lumière de ces éléments, il est important, pour migrer vers une société de la protection, de convaincre l’ensemble des citoyens européens de l’intérêt à mettre des barrières environnementales aux frontières de l’Union européenne. Il y a quelques années, nous parlions, au sein du Parti Socialiste, de Juste Echange en y mettant des écluses douanières pour sauver nos industries et nos emplois notamment. Faisons-le aussi pour l’environnement.

La neutralité carbone en 2050 est un bel objectif, mais il faudrait alors ne pas exporter la production du C02 dans d’autres pays pour in fine les avoir sur notre territoire si notre tarif extérieur commun ne change pas (biens issus de l’économie carbonée ou bien de l’extraction sauvage de minerais, dont des terres rares).

Échelon européen et aussi échelon international pour agir. En effet, la France est devenue le premier territoire maritime mondiale.


B. La France : premier territoire maritime mondial.

Lors d’une réunion de la commission des limites du plateau continental de l’ONU en 2022, le domaine maritime français est devenu le plus grand du monde. En considérant que l’eau recouvre au moins 70% de la planète, ceci nous place en situation d’exploitation des fonds marins dont nous ne connaissons que 20 à 30%. Ceci nous donne une responsabilité où il nous incombe d’agir pour la protection de la biodiversité marine d’une part et, d’autre part, des océans qui sont des puits à carbone importants. Et ceci conformément au cadre du multilatéralisme et de la Convention de Montego Bay.

La construction de navires pour la protection de l’environnement, mais aussi, dans un monde à nouveau régi par la force, pour faire respecter le droit de la Mer (notamment en Mer de Chine) est cruciale.

Cela dit, la France n’est pas qu’un territoire terrestre ou maritime. C’est aussi sa Francophonie.


C. La Francophonie comme axe de développement.

Selon l’Organisation Internationale de la Francophonie, il y aura plus de 715 millions de locuteurs français dans le monde à l’horizon 2050. Cela en fait un puissant levier de rayonnement de la France dans le monde. À condition cependant d’investir dans nos Instituts Français ou dans la culture populaire (diffusé notamment grâce au digital). Et ceci spécialement en Afrique dans la mesure où nos concurrents directs (Russie, Chine, Royaume-Uni, USA et pays du Moyen-Orient) investissent massivement sur ces territoires soit pour nous attaquer (Russie avec Wagner), soit pour universaliser l’anglais (on retrouve par exemple l’utilisation de l’anglais dans les nouveaux billets de banque algériens) !

Par conséquent, l’enjeu géopolitique de ce siècle est situé sur notre rive sud. À noter que la francophonie s’accompagne aussi par le respect des droits humains des diasporas d’Afrique sur notre territoire. Les actes racistes et islamophobes à leurs égards nous desservent notamment dans un contexte mondial de guerre économique.


D. S’armer en matière de guerre économique.

Nous devons transmettre à nos entreprises, fonctionnaires et personnels politiques la notion de guerre économique et de la guerre informationnelle qui en est un outil, leur faire comprendre que nous sommes en plein dedans.

Il est clair que nous ne savons pas vendre à l’international. Nous ne comprenons plus le monde et nous n’avons pas conscience de notre propre image dans le monde. Nos concurrents le savent et jouent de cela.

Pour tenter de regagner des parts de marchés, j’en appelle à la création de la Société France pour l’Export qui permettrait aux sociétés françaises de mieux attaquer le marché international (voir : https://www.epge.fr/architecteur-dun-nouvel-outil-dexport-la-societe-francaise-pour-lexport/).

Pris par la nécessité de respecter la longueur maximale de la contribution, je coupe volontairement des idées, analyses, et projets. Mais je souhaite avant tout parler de géo-ingénierie à échelon international.


E. Pour la création d’une organisation internationale de la géo-ingénierie.

La géo-ingénierie est un ensemble de procédés techniques qui vise à modifier le climat et qui se résume à trois types de procédés : précipiter la pluie, capter le carbone et enfin introduire dans la haute atmosphère des particules pour notamment réfléchir les rayons du soleil. On est aujourd’hui dans un

vide juridique international qui pourrait conduire à des conséquences géopolitiques inquiétantes. C’est la raison pour laquelle les Etats ont besoin de s’entendre en matière de géo-ingénierie voir de favoriser l’innovation pour rendre nos conditions climatiques beaucoup plus supportables pour l’humanité.

 

III - Quelques enseignements pour conclure.

La France n’a jamais été aussi grande que lorsqu’elle respecte le droit international. Quand bien même nous vivons le retour de la force au détriment de la diplomatie, il n’en demeure pas moins que nous avons pour devoir de pacifier le monde. On entend souvent dans nos chancelleries que « la France est un pays qui parle à tout le monde ». Mais comprenons-nous le monde actuel ?

Enfin, on a souvent pour habitude de relayer les questions internationales et de défense au dernier rang ou « à part ». Processus politique intellectuel désastreux puisque nous vivons dans un monde d’interdépendances et qu’il suffit qu’un élément dans le monde change pour être déstabilisé (Telle que lors de la fermeture d’une usine de microprocesseurs à Taiwan à la suite de la reprise économique post-covid ainsi que due à l’activité croissante de la blockchain et de la cryptomonnaie demandant un besoin en matériel informatique considérable). L’interdépendance ne doit absolument pas se transformer en une perte de souveraineté pour la France (énergétique, alimentaire, technologique avec les terres rares...).

La problématique du pouvoir d’achat est importante. Combien savent que si nos produits alimentaires augmentent c’est aussi parce que le prix des engrais augmente. Prix qui, depuis la reprise, ont au minimum doublé (pour le phosphate). Il y a sans doute des actions spéculatives, mais ne pas avoir dans la matrice de réflexion « l’international » nous conduit à donner des solutions nationales inefficaces.

Merci pour votre lecture.


Signataires :

Mohamed Gareche, Juriste droit international public et Union européenne Consultant en relations internationales, Consultant en intelligence économique à échelon international


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