Thème : Recherche
Dans une telle situation d’urgence, la culture actuelle de l’excellence dévoyée en compétition, au service d’intérêts privés ou non, n’est plus de mise et, à moyens égaux, il devient primordial de favoriser les comportements coopératifs. De plus, les moyens alloués à cette recherche publique doivent être hissés à la hauteur des enjeux, et ses rapports avec l’enseignement supérieur se doivent d’évoluer vers davantage de fluidité au service de l’épanouissement des talents des chercheurs. Enfin, la recherche se doit d’être en interaction plus étroite avec les simples citoyens car, pour l’homme de la rue, elle constitue le plus souvent un concept abstrait, consommateur d’impôt et permettant des avancées dans des domaines dont, à l’exception de la recherche médicale, il ne voit pas l’importance pour sa vie quotidienne. Quant au numérique, il fait maintenant partie de notre quotidien, y compris dans ses dimensions vitales de participation sociale et citoyenne. Il est essentiel d’inclure les personnes à l’écart, de favoriser la coopération et son corollaire d’interopérabilité, de mettre en œuvre les conditions de la confiance et de la sécurité, de rénover le droit d’auteur dont la temporalité actuelle est dépassée. C’est le domaine par excellence où l’interopérabilité et la coopération peuvent être mises en œuvre avec une réelle volonté publique.
« Quand on me présente quelque chose comme un progrès, je me demande avant tout s’il nous rend plus humains ou moins humains. » George Orwell
POPULARISER LES NOUVEAUX PARADIGMES INNOVANTS, COOPÉRATIFS ET NUMÉRIQUES
Permettre à l’ensemble de la population de s’engager pleinement au cœur des transitions que constituent d’une part l’innovation et l’expérimentation de rupture, d’autre part la culture de la coopération, en popularisant par un effort soutenu les problématiques, nouveaux outils et savoir-faire de ces domaines :
∙ Créer rapidement ou rénover, avec l’aide d’acteurs associatifs de ces questions et d’artistes engagés dans la médiation, des outils librement réutilisables de popularisation de ces problématiques, de ces outils et de ces savoir-faire
∙ Favoriser l’appropriation rapide de ces outils par les enseignants, à tous les niveaux, ainsi que par les acteurs de tous les lieux accueillant du public
∙ Encourager l’appropriation des problématiques par les élèves de tous niveaux, notamment à travers des projets collectifs utilisant des travaux antérieurs et diffusés de manière à permettre une réutilisation coopérative
DÉVELOPPER L’INTERACTION AVEC LES CITOYEN·NE·S ET LUTTER CONTRE LES CONFLITS D’INTÉRÊT
Allouer un budget pour faciliter les rencontres entre citoyens et chercheurs, tels les « cafés science » et les « cafés citoyens » organisés localement ou la fête de la Science au niveau national. De telles rencontres servent à la fois à découvrir la démarche et la pratique scientifiques, à transmettre le goût des sciences – sciences exactes autant que sciences humaines et sociales – et à discuter de leurs implications éthiques, sociales, politiques et juridiques. Elles permettent aussi de discuter des champs de la recherche et d’exprimer les attentes des citoyens.
Organiser la transparence des financements privés pour que les citoyens puissent les examiner. En effet, les financements privés qui orientent la recherche publique mènent parfois à des conflits d’intérêts, notamment dans le domaine biomédical.
Allouer les financements publics à la recherche selon des priorités définies sous le contrôle de comités d’éthique incluant une participation effective de citoyens tirés au sort. Les avis de ces comités seront régulièrement soumis au Parlement.
Créer un conseil d’évaluation des besoins en recherche translationnelle (c’est-à-dire en recherche de traduction des résultats de la recherche fondamentale en applications concrètes), afin de substituer à la loi du marché un pouvoir de décision citoyen sur les priorités en matière d’applications. Ce conseil sera constitué notamment de représentants de la société civile et du monde associatif, d’acteurs de la recherche publique ainsi que de simples citoyens tirés au sort. Il prendra en compte les suggestions formulées lors des évènements citoyens locaux tels les cafés citoyens. Il orientera une part du financement public vers certains sujets de recherche translationnelle. Les développements auxquels aura participé ce financement seront diffusés sous licence libre afin d’être réutilisables sans restriction et de bénéficier à toute l’humanité.
Il est crucial d’établir un contre-pouvoir aux intérêts que les grandes entreprises défendent par un lobbying actif, qu’elles appartiennent au complexe militaro-industriel ou au monde des « pharmas ».
Aider les espaces ouverts d’expérimentation et de construction de type fab lab. Dans certains domaines (notamment biologiques) aux conséquences épidémiologiques et écologiques considérables, ces espaces seront situés au sein des universités et encadrés par des chercheurs.
Un fab lab (contraction de l’anglais fabrication laboratory, « laboratoire de fabrication ») est un lieu ouvert au public où sont mis à sa disposition toutes sortes d’outils, notamment des machines-outils pilotées par ordinateur, pour la conception et la réalisation d’objets.
Connecter les laboratoires et les TPE et PME en installant un portail de demande mutuelle. Par des protocoles administratifs et numériques, les TPE et PME partenaires pourront proposer des projets de recherche et, dans l’autre sens, les laboratoires pourront proposer aux entreprises d’aider à la réalisation de projets de recherche.
Créer un projet qui vise à faciliter réglementairement et financièrement l’immersion de collégiens et de lycéens volontaires dans le monde de la recherche, sélectionnant les jeunes en fonction de leur motivation et sur critères sociaux, non pas sur leurs résultats scolaires.
FAVORISER L’INCLUSION, LA COOPÉRATION, LA CONFIANCE ET LA SÉCURITÉ DANS LE NUMÉRIQUE
Dans une société où le numérique est devenu un maillon presque nécessaire non seulement pour les démarches administratives mais surtout pour accéder à des espaces d’entraide, de discussion et de citoyenneté, et où les modalités et les comportements évoluent constamment, l’inclusion sociale et l’inclusion dans le numérique doivent désormais être conçues dans un même mouvement :
- Faire de l’accès à internet et à ses ressources essentielles un droit effectif 2. Faire de la littératie pour tous (c’est-à-dire l’aptitude à lire, à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie quotidienne) le socle d’une société inclusive
- S’appuyer sur le numérique pour renforcer le « pouvoir d’agir » de tous les citoyens 4. Réinventer les médiations à l’ère numérique
- Ouvrir la porte aux 900 000 jeunes à la dérive
- Aider les décideurs à embrasser les enjeux sociaux et politiques du numérique
- Disposer d’indicateurs adaptés à l’état actuel des sociétés numériques et des nouveaux objectifs d’e-inclusion
Conseil National du Numérique https://cnnumerique.fr/inclusion
Poursuivre et amplifier la refonte des services publics en ligne avec pragmatisme et en interaction avec les usagers, en fonction tant des principes déjà définis en France que de l’expérience britannique.
Programme de simplification de l’administration française https://www.modernisation.gouv.fr/ Programme de simplification de l’administration britannique https://www.gov.uk/design-principles
Travailler avec le tissu associatif spécialiste de ces questions (notamment l’AFUL, l’April, la FFII, la Quadrature du Net) pour faire évoluer le droit français et européen et assurer son application.
Promouvoir activement les formats ouverts (formats de fichier, API) et imposer leur usage exclusif dans tous les échanges au sein des administrations et entre les citoyens et l’administration, dans le cadre du référentiel général d’interopérabilité.
Présentation du référentiel général d’interopérabilité : https://www.numerique.gouv.fr/publications/interoperabilite/
Afin de valoriser cette interopérabilité, investir dans un passage massif aux logiciels libres au sein des administrations, dans tous les usages où une telle transition a été étudiée, en s’appuyant notamment sur le Socle interministériel logiciels libres.
Présentation du socle logiciels libre : https://www.numerique.gouv.fr/actualites/socle interministeriel-des-logiciels-libres-sill-2020/
Afin d’étendre le bénéfice de cette interopérabilité, lever les freins à l’adoption des logiciels libres par le grand public. Rétablir l’équité commerciale entre les différents modèles économiques de logiciels, en imposant l’affichage du prix des licences logicielles lorsqu’elles sont commercialisées en association avec un autre produit, et en imposant que, pour chaque modèle d’appareil, toutes les informations techniques nécessaires pour concevoir un logiciel adapté soient publiées et librement accessibles.
Afin d’établir et promouvoir confiance et sécurité dans le numérique, prendre les mesures suivantes :
∙ Rendre possible et développer l’usage de la signature électronique dans les échanges internes à l’administration et dans les échanges avec les usagers
∙ Faire la promotion de l’usage du chiffrement de bout en bout dans les correspondances entre particuliers, acteurs économiques et administrations
∙ Bannir et rendre illégales les tentatives d’obtenir des portes dérobées auprès de fournisseurs d’accès, d’hébergement, de matériel informatique ou de services
∙ Encourager l’adoption de systèmes d’exploitation libres. En effet, de nombreux utilisateurs ont perdu confiance dans les systèmes non libres depuis qu’il est avéré que nombre d’entre eux comportent des « portes dérobées »
La confiance est la condition du développement et de la qualité des échanges, qu’ils soient privés, commerciaux ou publics. Elle résulte notamment du secret des correspondances et de la qualité d’authentification de l’auteur d’une information. En l’absence de telles garanties, les acteurs sont vulnérables vis-à-vis de tiers malveillants, et les citoyens peuvent perdre confiance même dans les autorités de leur propre pays, qui contrôlent les infrastructures par où transitent les échanges.
Lancer, avec des créateurs de diverses origines et dans diverses situations, avec des ayants droit, des utilisateurs, des associations, des philosophes, une réflexion ouverte aux citoyens sur la pertinence de la durée et des modalités actuelles du droit d’auteur. En effet, la temporalité actuelle du droit d’auteur se compte en décennies tandis que le monde numérique rend tout instantané et, à l’heure où les coûts de reproduction sont souvent négligeables, les œuvres culturelles ne pourront être connues des nouvelles générations que si leur accès est facilité.
Pour cela il faut :
∙ Réguler l’activité des plateformes numériques pour en faire des acteurs économiques au service de la société
∙ Réformer la propriété et la gestion dans le temps des données personnelles collectées grâce au numérique
∙ Améliorer la protection sociale des travailleurs du numérique, via des coopératives de travail associé
∙ Encourager les démarches prospectives sur les besoins en compétences à venir, en misant sur le numérique, la transition environnementale et les métiers de demain
METTRE EN ŒUVRE UNE POLITIQUE D’ÉTHIQUE DANS LA RECHERCHE
Demander d’exclure du champ des brevets le vivant, les savoirs, les logiciels, les idées et les méthodes, grâce à un texte européen clair et précis visant à clarifier le périmètre d’opération de l’Office européen des brevets.
Créer une Haute Autorité de l’alerte et de l’expertise, et protéger les lanceurs d’alerte.
Mettre en œuvre une charte nationale d’intégrité scientifique, en appliquant à la lettre les propositions du rapport Corvol remis en juin 2016 à M. Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de la recherche et de l’enseignement supérieur et qui est toujours d’actualité. En effet, l’intégrité du système d’organisation et de financement de la recherche est une question majeure. Des dérives sont observées, qui nuisent au bien commun comme au prestige et à la fiabilité des travaux des chercheurs, et il est nécessaire de réagir pour garantir une politique française de recherche propice à l’excellence, à la probité et à la prise en compte de l’intérêt général.
Il parait donc nécessaire de mettre en application à la lettre les 16 propositions dudit rapport, notamment les suivantes :
∙ Établir une nomenclature nationale des inconduites permettant un recensement dans les établissements des cas de manquements à l’intégrité scientifique sur la base d’une typologie commune et univoque
∙ Mettre à disposition des organismes et des universités des ressources nationales en matière d’intégrité scientifique
∙ Inciter à des formations participatives « bottom up ». Permettre à de jeunes docteurs formés à l’intégrité scientifique dans leur école de contribuer à former les générations suivantes ∙ Établir pour chaque établissement la liste des personnes ressources « intégrité scientifique » (nom et coordonnées), s’assurer de la mise en place d’une formation sur l’éthique et l’intégrité scientifique dans les établissements
∙ Demander que l’Association nationale de la Recherche (ANR), à l’instar des agences européennes de recherche, conditionne le financement de projets de recherche à une politique d’éthique et d’intégrité scientifique de l’institution bénéficiaire
∙ Élaborer et mettre à disposition un vade-mecum juridique national retraçant précisément les typologies de sanctions en cas de manquement à l’intégrité scientifique, leurs modalités de traitement administratif et juridique, les textes et la jurisprudence applicables en la matière
∙ Créer l’Office français d’intégrité scientifique (OFIS), structure transversale, indépendante gérant les questions d’intégrité scientifique (expertise, observatoire, lien institutionnel...)
https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Actus/84/2/Rapport_Corvol_29-06- 2016_601842.pdf
Premier signataire :
Mathieu GITTON secrétaire de section de Belgique