Une recherche innovante grâce à l'enseignement supérieur


Thème : Recherche


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À une période charnière où la contrainte écologique va exercer sur l’humanité un poids de moins en moins soutenable, il s’avère urgent de réorienter l’innovation dans le but de lui faire produire des biens et des services non seulement durables, économes en ressources et interopérables, mais aptes à répondre à l’ensemble des nouveaux défis environnementaux. Cette urgence impose plusieurs inflexions dans la recherche scientifique publique, qui produit de nouvelles connaissances constituant un bien commun à toute l’humanité.

« L’expérimentateur se trouve sans cesse aux prises avec des faits qui ne sont pas encore manifestés. L’inconnu dans le possible et aussi dans ce qui a été, voilà son domaine. Le charme de nos études, l’enchantement de la science, consiste en ce que, partout et toujours, nous pouvons donner la justification de nos principes et la preuve de nos découvertes. » Louis Pasteur

 

INCITER À L’INNOVATION ET À L’EXPÉRIMENTATION DE RUPTURE

Cesser de créer de nouveaux besoins et trouver le meilleur compromis entre la performance et le défi de la soutenabilité, via l’innovation et l’expérimentation de rupture, avec pour critères de rupture : robustesse, durabilité, interopérabilité, modularité, réutilisabilité, réparabilité, économie en matériaux rares et en énergie fossile…

Plutôt que d’inventer de nouveaux services pour quelques-uns, inciter à l’innovation de rupture afin que chaque avancée constitue une amélioration réelle et durable pour toute l’humanité.

Intégrer les critères de rupture dans les cahiers des charges pour la commande publique, tout en simplifiant les procédures pour y donner accès aux structures industrielles et artisanales de taille modeste.

Accorder de l’investissement et des soutiens publics aux seuls entreprises, startups, incubateurs, etc. qui présentent un « Business Plan Durable » : il s’agit d’intégrer les externalités positives et négatives, ainsi que les critères de rupture listés ci-dessus, dans les nouveaux modèles d’affaires et les nouvelles pratiques de comptabilité.

 

DANS TOUS LES DOMAINES, FAVORISER LES COMPORTEMENTS COOPÉRATIFS

Réduire, du fait de l’urgence écologique, les gâchis d’énergie et de temps induits par un contexte général de concurrence, que ce soit dans le domaine des innovations matérielles et logicielles ou dans ceux des savoir-faire et des données. Cette urgence écologique impose désormais de faire activement régresser la culture de la compétition et de favoriser la coopération car un écosystème coopératif bien interconnecté est plus économe en ressources et en temps, donc plus efficace pour innover.

Favoriser l’interopérabilité, capacité que possède tant un système qu’un produit, matériel ou immatériel, à fonctionner avec d’autres systèmes ou produits existants ou futurs, et ce sans restriction d’accès ou de mise en œuvre.

L’interopérabilité est capitale pour la coopération car elle permet l’arrivée d’acteurs innovants, souvent nouveaux, pouvant jouer un rôle complémentaire de l’existant ou se substituer à un acteur moins efficace pour la grande transition systémique – écologique, politique, socio-économique et culturelle – que nous promouvons par ce programme.

Favoriser en particulier cette interopérabilité via les leviers publics, en contraignant, pour tout nouveau bien ou service acquis en utilisant de l’argent public, la publication de ses interfaces avant acquisition. Dans le cas où il existe pour les interfaces de ce produit un standard ouvert s’appliquant notamment à des produits équivalents existants, les interfaces du produit acquis devront respecter ce standard ouvert.

Passer de la culture des brevets à celle des licences libres, dans la mesure où les divers services de l’État, centraux ou déconcentrés, ainsi que les innombrables collectivités locales, ont des besoins en partie comparables.

Révoquer les contrats « open-bar » afin de dégager des financements pour favoriser et développer des logiciels libres et plus largement le numérique en France.

Utiliser les leviers publics pour favoriser les licences libres. Aujourd’hui, un acteur public qui doit prendre seul une décision d’innovation penchera rationnellement vers la solution la moins onéreuse à court terme, et non en fonction du coût total à long terme. Pour changer ce paradigme, nous mettrons en place un fonds de soutien au développement ou à l’amélioration d’une solution sous licence libre dès lors qu’une solution soumise à la propriété intellectuelle ou au droit d’auteur sera moins onéreuse. Ce fonds sera alimenté par les économies réalisées dans les situations inverses où l’acteur public, bénéficiant d’une solution sous licence libre, reversera une fraction de la somme qu’il aurait dépensée pour une solution équivalente soumise à la propriété intellectuelle ou au droit d’auteur.

Trop souvent, l’argent public paie plusieurs fois des innovations identiques ou similaires, toutes soumises à des brevets ou au droit d’auteur. Ces mêmes innovations, à l’inverse, acquises sous licence libre, coûtent plus cher sur le moment, mais une seule fois. Une innovation sous licence libre judicieusement choisie constitue un véritable investissement puisqu’elle est réutilisable sans surcoût pour des innovations ultérieures. Ainsi, globalement, le coût total d’innovations sous licence libre est moindre.

Favoriser les produits véritablement libres. Certains produits (biens ou services) sont juridiquement sous licence libre mais sont peu réutilisables en pratique. Les critères de choix et le prix consenti dans la commande publique prendront en compte, au-delà de la seule sécurité juridique procurée par une licence libre, la véritable interopérabilité et la véritable réutilisabilité de l’innovation convoitée, afin de décourager les descriptions peu claires, que ce manque de clarté soit volontaire ou résultant d’un manque de moyens.

 

FAVORISER LA COOPÉRATION DANS L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET LA RECHERCHE

Du fait de l’urgence de soutenabilité, lever les freins à la coopération dans les activités scientifiques et regarder les investissements consentis dans ces activités comme une contribution aux efforts mondiaux face aux enjeux. Y associer davantage les citoyens.

Le progrès scientifique est par essence une construction coopérative. Chaque avancée doit être conçue comme une coopération avec l’avenir, de même qu’elle bénéficie des avancées du passé.

Libérer la publication scientifique, en publiant sur les serveurs de prépublication les travaux financés au moins en partie par l’argent public, soit dans les laboratoires publics soit sous forme de mise à disposition de personnel, et ce dès leur soumission aux revues scientifiques.

Les publications scientifiques, produites pour l’essentiel par la recherche financée par l’argent public, sont revendues au prix fort par des éditeurs privés. Certes, la mise à disposition publique est obligatoire dans un délai de 12 à 18 mois, mais l’urgence écologique comme l’exigence de libre accès à la connaissance, bien commun à l’humanité, imposent d’aller plus loin.

Stopper la course à la publication, aujourd’hui nourrie par une gestion compétitive des carrières et une recherche compétitive de financement. Cela a pour conséquences :

  • La médiocre qualité de nombreuses publications (et la fraude scientifique dans de rares cas)
  • La tendance à tenir secrets les résultats intermédiaires plutôt qu’à les partager pour coopérer
  • La position oligarchique de quelques éditeurs scientifiques privés

L’urgence de soutenabilité impose de réorienter plus utilement l’énergie aujourd’hui investie dans la course à la publication et de stopper ses conséquences délétères, par une embauche sur des critères plus qualitatifs et une évolution de carrière mieux encadrée.

 

REDONNER DES MOYENS À LA RECHERCHE

Rehausser le taux de financement de la recherche à 3 % du PIB, rattrapant ainsi le retard en nombre de chercheurs par rapport aux pays d’Europe du Nord.

La France consacre actuellement 2,1 % de son budget à la recherche, bien moins que les États-Unis, le Canada, le Japon et l’Europe du Nord.

Ce qui conditionne et oriente fortement la recherche publique française est le financement du fonctionnement et de l’investissement des équipes de recherche ainsi que du salaire des étudiants en thèse ou en post-doctorat. Or ce financement provient aujourd’hui d’une part d’une dotation à périodicité annuelle d’autre part des contrats sur programme avec des agences publiques ou des opérateurs privés. Cette organisation gâche beaucoup de ressources, s’avère parfois source de conflits d’intérêts et associe très peu les citoyens.

Attribuer désormais le Crédit Impôt Recherche (CIR) sur un critère de vérification simple et favorisant l’innovation : la formation par la recherche, en le calculant par exemple annuellement au prorata du nombre de personnes embauchées dans l’entreprise dans les cinq années précédentes et ayant obtenu leur doctorat dans les dix années précédentes.

Le dispositif du CIR a été épinglé par la Cour des comptes comme bénéficiant en pratique aux seules grosses entreprises, sans réelle exigence d’augmenter leur effort de recherche. Or il représente actuellement environ 5,5 milliards d’euros par an, soit environ un quart du budget alloué à la recherche publique.

Ajuster le calcul de manière à ce que le volume du CIR soit ramené entre 2 et 3 milliards. Affecter les sommes dégagées au financement des laboratoires et des étudiants en thèse ou en post-doctorat.

Décharger les laboratoires de la recherche de financements, et passer la dotation des laboratoires de 10 % à au moins 50 % des besoins, évoluant à terme vers 100 % du financement d’origine publique. L’urgence climatique et écologique, la nécessité d’inventer et d’instaurer un nouveau rapport au monde naturel et une nouvelle manière d’y trouver nos ressources et d’y déverser nos déchets, comptent parmi les raisons majeures pour lesquelles les chercheurs doivent chercher avec les moyens qui leur sont alloués plutôt que de gâcher leur temps à rechercher ces moyens.

Aujourd’hui, la dotation annuelle représente 10 % des besoins (contre 70 % il y a trente ans) et les chercheurs consacrent beaucoup de temps à chercher (ou à octroyer) les 90 % restants via des contrats sur programme.

Renforcer les personnels d’accompagnement à la recherche, dont le travail est essentiel pour que les chercheurs effectuent un travail de qualité sans s’épuiser et se disperser dans des tâches qu’ils maîtrisent moins bien.

Nous soutenons enfin les recommandations de l’association Sciences citoyennes :

  • Intégrer des programmes de recherche participative dans tous les programmes régionaux et nationaux de recherche et d’innovation
  • Créer et reconnaître des critères d’évaluation pour les chercheurs engagés dans des projets de recherche participative
  • Soutenir la mobilité professionnelle des chercheurs vers des organisations de la société civile à but non lucratif

 

FLUIDIFIER LE FONCTIONNEMENT DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET SES INTERACTIONS AVEC LA RECHERCHE

Conserver des universités à taille humaine, en stoppant la politique de fusion d’universités. En effet, la course à la visibilité selon certains indicateurs inadaptés a conduit à une politique autoritaire d’autonomie financière et de fusion des universités, après la fusion des laboratoires il y a quelques années. Les financements attribués sur projet par chaque gros ensemble créent des barrières artificielles et freinent les collaborations, si nécessaires à la pratique scientifique, entre équipes appartenant à des ensembles différents. Ces gros ensembles obèrent également le fonctionnement démocratique qui est un fondement de la communauté scientifique.

Faciliter la mobilité des chercheurs, car la fluidité des échanges entre laboratoires et la mobilité des acteurs sont un facteur important de vitalité scientifique. Élaborer des mesures visant à faciliter la mobilité géographique des agents, quel que soit leur statut, à faciliter les changements de thématique ainsi que les changements d’activité ou de métier.

Abolir, dans le cadre des LabEx et IdEx, les financements contraints par un périmètre de collaboration limitatif.

Développer les passerelles entre les organismes de recherche, l’enseignement supérieur et les autres administrations, afin qu’il soit possible par exemple d’alterner facilement des périodes consacrées totalement à la recherche, à l’enseignement ou à l’administration. Étudier la faisabilité d’un statut unique accompagné d’un système de points à acquérir au cours d’une carrière.

La complexité actuelle du système français (organismes de recherche, universités, etc.) entrave dramatiquement la mobilité des chercheurs.

Mettre en place un groupe de travail rassemblant le ministère (cabinet, DGESIP, DGRI), les universités signataires et les territoires (maires ainsi que présidents d’agglomération, de conseils départementaux et régionaux) pour discuter, à la demande de 23 présidents d’universités, des 12 propositions qu’ils ont formulées en juillet 2015 mais qui sont toujours autant d’actualité pour le développement d’un modèle politique inclusif, d’un modèle académique simplifié et d’un modèle économique pérenne pour l’Enseignement Supérieur et la Recherche français : https://blogs.mediapart.fr/edition/les- invites-de-mediapart/article/010715/les-12-propositions-des-universites-de-recherche-et-de- formation


Premier signataire :

Mathieu GITTON, secrétaire de section de Belgique


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