Une vraie politique de mieux vivre ensemble


Thème : Politique sociale


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Favoriser la paix sociale, la compréhension mutuelle et le vivre ensemble... quel beau programme !  Mais comment faire ? Comment restaurer la primauté de la communauté citoyenne sur les  communautarismes restrictifs ainsi que celle des principes républicains universels sur les  particularismes ? 

Il est pour nous évident qu’en complément d’une action corrective aux problèmes actuellement posés  s’impose une action préventive capable, sur le long terme – voire le très long terme – de remédier à la  banalisation de la violence. Pour ce faire, en complément de politiques socio-économiques plus  égalitaires décrites par ailleurs, nous optons pour des actions socio-éducatives réaffirmant nos valeurs  communes et les appliquant sur le terrain ainsi que des pratiques de réinsertion de ceux qui s’en sont  écartés. 

Ainsi que le proclame le titre du livre de Thomas d’Ansembourg et David Van Reybrouck, la paix, ça  s’apprend. Et son sous-titre « Guérir de la violence et du terrorisme » constitue un précieux fil  conducteur. Les auteurs font remarquer que c’est toujours en s’attaquant à leurs conséquences mais  jamais à leurs causes qu’on cherche à régler les conflits, y compris ceux qui empoisonnent les rapports  entre les membres de notre société et qui ont, hélas, tendance à se radicaliser. 

« Toujours votre société violente et chaotique, même quand elle veut la paix,  même quand elle est à l'état d'apparent repos, porte en elle la guerre, comme la  nuée dormante porte l'orage. Messieurs, il n'y a qu'un moyen d'abolir enfin la  guerre entre les peuples, c'est d'abolir la guerre entre les individus, c'est d'abolir la  guerre économique, le désordre de la société présente, c'est de substituer à la  lutte universelle pour la vie, qui aboutit à la lutte universelle sur les champs de  bataille, un régime de concorde sociale et d'unité. » Discours prononcé à la chambre des députés de l'Assemblée nationale le 7 mars 1895, de Jean Jaurès 

ENSEIGNER COMMENT CONNAÎTRE L’AUTRE ET LE RESPECTER 

Comment enseigner les valeurs de civilité et de respect, et permettre l’apprentissage de la discussion  et du débat serein et respectueux de l’autre ? 

La plupart des conflits sont liées à des malentendus, combinaisons de mal-exprimé et de mal-écouté.  À l’origine de cette situation se trouvent les problématiques liées à la prime enfance, mais aussi  l’absence, dans le cursus éducatif, d’apprentissages de base primordiaux qui, surtout s’ils sont  précoces, peuvent nous permettre d’éviter de rentrer dans un mécanisme de violence : quelles sont  nos peurs ? Comment gérer nos émotions ? En quoi l’autre est-il différent de nous ? Comment  exprimer nos ressentis sans agresser autrui ? 

En effet, on ne peut pas changer le monde dans lequel nous vivons, mais uniquement changer notre  façon d’être dans ce monde, grâce à des outils de connaissance de soi. Les faire connaître, les faire  appliquer au niveau national devient une priorité quand tant de gens souffrent, ne pas le faire devient  non-assistance à personnes en danger: un problème globale santé publique, car nombre de médecins  observent le rapport entre la maladie et l’existence d’émotions rentrées et d’idéaux de vie muselés.

Parmi les raisons qui poussent certains jeunes à s’engager dans de mauvaises voies figure  l’insatisfaction du besoin de se sentir exister, de laisser une marque, d’être reconnu, d’appartenir à un  groupe humain. Cette insatisfaction les pousse à la révolte et, dans les cas extrêmes, au terrorisme. La  violence naît lorsque soi-même ou son besoin n’est pas reconnu par l’autre. Dans un tel cas, la plupart  des personnes retiennent leur colère ou font preuve de méchanceté, alors qu’une colère peut  s’exprimer avec bienveillance et assertivité, c’est-à-dire en défendant ses droits sans empiéter sur ceux  des autres. 

Pour remédier à cet état de fait en s’attaquant à la racine de la difficulté, voici nos propositions : 

À partir de la classe de seconde, donner aux adolescents des cours de psychologie élémentaire. En  effet, à qui d’entre nous a-t-il été donné, durant sa scolarité ou même en famille, l’enseignement  que son propre système de valeurs, sa propre vision du monde, sa propre manière de réagir aux  évènements, ne sont pas partagés par tous et que l’autre est fondamentalement différent de nous même ? Afin de donner aux adolescents une grille de lecture adaptée, parmi les approches  possibles, celle des cinq structures de l’ego de Reich est simple et performante. L’analyse  transactionnelle, plus schématique et s’intéressant aux effets plutôt qu’aux causes, peut s’avérer  complémentaire 

Comprendre le profil psychologique de l’autre est une manière de mieux se comporter vis-à-vis de lui,  de ne pas le juger et de ne pas vouloir le faire se plier aux exigences de notre propre schéma mental. 

Enseigner dès l’école primaire la communication non-violente (CNV) 

La CNV permet de contenir l’expression de la violence, de vivre plus sereinement les conflits, en  entraînant notre esprit à considérer différemment ce qui se passe en cas de tension avec l’autre. C’est  non seulement un outil relationnel performant, fiable et pertinent dans la gestion de nos relations à  l’autre, mais c’est aussi un outil de connaissance de soi, de discernement, d’élargissement du champ  de compréhension de ce qui se passe autour de nous dans un contexte d’échanges sociaux. Via un  apprentissage de la CNV et à un entraînement à l’utiliser, l’enfant acquiert tôt un outil permettant de  vivre sereinement les conflits. 

Maria Montessori, créatrice des écoles portant son nom, affirmait : « Si on élevait les enfants  autrement, le monde changerait. » 

Créer des espaces de parole collectifs permettant l’expression des jeunes sur leurs questions  existentielles, animés par de jeunes professionnels dotés d’un matériau audiovisuel non normatif,  à l’image de l’initiative lancée par l’APSN, Centre de ressources départemental de la prévention  spécialisée du Nord Les jeunes ont grand besoin de trouver des espaces où déposer les questions  existentielles fortes qui leur traversent l’esprit. L’évolution récente de l’actualité précipite les  choses, impliquant chez certains un malaise identitaire profond, voire un rapport conflictuel avec  l’État. Seuls face à une absence de réponses, certains se tournent vers la religion, d’autres vers le  groupe où ils vont le plus souvent trouver des réponses simplistes, manichéennes, liées à l’effet de  groupe et à son poids, d’autres encore vers des réponses toutes faites qui entraînent souvent au  rejet de l’autre. 

Renforcer le service civique et étudier l’opportunité et la possibilité de le rendre obligatoire, afin  de permettre aux jeunes de rencontrer d’autres jeunes d’autres catégories sociales dans une  organisation structurée, favorisant la reconnaissance de l’altérité L’une des grandes difficultés  rencontrées par une majorité des membres du corps social est la peur de l’autre, de ses  comportements, de son jugement vis-à-vis de nous et, de manière plus générale, de l’inconnu qu’il  représente, surtout lorsqu’il appartient à une catégorie sociale très différente de la nôtre. Or nous évoluons en général dans une catégorie sociale déterminée dont nous sortons peu. Un service  civique obligatoire peut remédier à cet état de fait. Il peut en outre permettre à de jeunes citadins  de milieux défavorisés de quitter l’univers de béton dans lequel ils sont, d’une certaine manière,  prisonniers et de retrouver le contact avec la terre, la nature et les activités associées, ce qui peut  puissamment contribuer à des changements d’attitude, via le ressourcement. 

Richard Wilkinson estime que la principale cause de stress dans nos sociétés est liée à la crainte d’être  évalué socialement. 

Généraliser la pratique de la médiation des conflits en milieu scolaire, de préférence par les pairs  et à défaut par les adultes, en se basant sur l’acquis des associations qui la promeuvent L’institution  scolaire a toujours craint le conflit et impose à tous un contrôle social. Alors qu’une réponse trop  ferme à la violence ne fait que légitimer la violence initiale, la médiation scolaire réintroduit le  conflit comme élément normal et fondateur de la vie collective et non comme une menace contre  l’institution. Elle ne l’affronte pas comme un problème et le transforme en opportunité  pédagogique, en apprentissage de la citoyenneté, en occasion de diffuser une culture de tolérance  et de respect. Cette éducation à la non-violence prépare les jeunes à une vie d’adultes  responsables, dans un esprit d’ouverture et de tolérance. 

Alors que la punition impose une souffrance pour expier la transgression et « le mal », les pratiques  restauratives font émerger la nécessité d’agir vers « le bien ». Certains pays (Belgique, Argentine,  Finlande) ont déjà instauré une politique nationale qui institutionnalise l’usage de la médiation scolaire,  et des expérimentations se développent en France : Génération médiateurs à Paris, Amély à Lyon,  Alternative médiation à Bordeaux… 

FAVORISER L’ÉPANOUISSEMENT DU PETIT ENFANT 

Si l’environnement du très jeune enfant, pour diverses raisons, ne perçoit pas ou ne comprend pas les  signaux qu’il émet pour exprimer ses besoins (de nourriture, de soins, mais aussi d’amour, d’attention,  de fiabilité, de disponibilité, de continuité) et le laisse seul face à ses ressentis, la violence commence  là. C’est seulement lorsqu’il grandit et parce qu’il a expérimenté que ses besoins sont satisfaits au bon  moment et de façon régulière, que le petit enfant peut progressivement attendre quand un besoin se  fait sentir car il comprend qu’il sera satisfait tôt ou tard. Si les parents sont démunis, s’ils ne sont pas  en capacité de comprendre ce que vit leur enfant (pour différentes raisons, leur propre histoire de vie,  leur situation de vie, etc.), cela impacte le développement affectif de l’enfant et son devenir, car il  grandit dans une grande détresse qui aura des conséquences sur les relations qu’il développera plus  tard avec les autres. 

« Les profils des tueurs de Paris ont au moins deux choses en commun : une enfance placée sous le signe  de la violence et de l’abandon affectif, et des comportements à risque qui les ont entraînés vers la  marginalisation sociale, le crime et enfin le djihad. [...] S’ils ont choisi de se tourner vers une  interprétation radicale de l’islam, c’est parce que celle-ci manifeste précisément l’avilissement de l’être  qu’ils éprouvaient et pourraient infliger à leur tour, dans une dernière excitation mortifère : semer  l’épouvante comme ils ont eux-mêmes été terrifiés, refuser à l’autre le droit d’exister, annihiler la Vie  là où la leur a aussi été sacrifiée. » Marc-André Cotton, « Choc des civilisations » ou séquelles d’un  rapport destructeur à l’enfant ? Revue Peps n° 10 (hiver 2015) 

Lorsque l’école tente de l’éduquer au vivre ensemble, l’enfant ne peut guère adhérer car ce qui lui est  proposé va à l’encontre de sa seule manière de signifier qu’il ne va pas bien. Et quand un professeur  se retrouve avec plusieurs élèves perturbant sa classe, il a davantage de difficultés à s’ouvrir à eux et  à se montrer bienveillant. Certains de ces enfants peuvent même se montrer violents envers l’adulte car, n’ayant plus de repères, ils vont mal et le font savoir, tout en étant les premiers à souffrir de leur  comportement. 

Un enfant difficile est un enfant qui souffre. 

  • Assurer qu’il y ait suffisamment de personnel formé (des psychologues notamment) en maternité  afin d’observer, dès la naissance, comment l’interaction entre parents et enfants se met en place.  Il s’agit de rendre possibles des consultations et des temps d’observation et de garder la mère plus  longtemps Lorsqu’une mère est en difficulté devant sa nouvelle situation, il faut l’aider à saisir  pour quelles raisons et d’autre part à développer ses compétences de mère, à lui donner confiance  dans ce qu’elle fait. Ceci s’applique aussi pour le père, et il convient de prendre particulièrement  en compte les cas où ce dernier est parti avant la naissance, ainsi que ceux où il est physiquement  présent mais psychologiquement absent. 
  • Dans les premiers temps de l’arrivée du nouveau-né, généraliser les visites de sages-femmes à  domicile pour aider les parents Ce service existe aujourd’hui, mais de manière embryonnaire, et  il est limité à une seule visite, une seconde pouvant dans certains cas être planifiée. Il est essentiel  de le généraliser parce que, quand le parent se sent complètement démuni par exemple face à un  enfant qu’il ne parvient pas à calmer et que cela résonne douloureusement avec sa propre  histoire, il peut perdre pied et devenir violent. 

Nos propositions complètent celles du collectif ALERTE regroupant 38 fédérations et associations de  lutte contre la pauvreté et l’exclusion, et celles de l’Union nationale des associations familiales(UNAF) : 

  • Au travers d’une loi cadre pour la petite enfance, garantir la protection et l’éducation de tous les  enfants, notamment ceux issus des familles les plus vulnérables, et ce depuis leur plus jeune âge.  Pour cela, il est nécessaire de passer un cap dans le développement de l’accueil du jeune enfant  en levant les incohérences et les obstacles inhérents au système actuel 
  • Consolider la PMI (protection maternelle et infantile) en assurant une relation de proximité avec  les familles, un maillage serré du territoire, un accueil inconditionnel et gratuit et une polyvalence  des professionnels 
  • Favoriser la création de places dans les établissements d’accueil du jeune enfant par la poursuite  de l’investissement, l’assouplissement des normes, le renforcement de l’accompagnement par les  CAF, le soutien aux crèches associatives non lucratives 
  • Lever le gel de l’évolution de l’allocation de base de la PAJE (prestation d’accueil du jeune enfant) ; poursuivre la revalorisation de l’allocation de soutien familial et du complément familial pour  réduire le taux de pauvreté des enfants et des familles monoparentales 
  • Développer les programmes de soutien à la parentalité ; faciliter le recours à un assistant  maternel : tiers payant pour les familles modestes, chèque emploi service, meilleur  accompagnement des parents employeurs, développement des crèches familiales et des relais  d’assistants maternels 
  • Assurer aux divers intervenants une meilleure connaissance de la précarité et des réalités vécues  par les familles 
  • Mettre en œuvre des schémas départementaux des services aux familles, en particulier dans  l’objectif d’un accompagnement global des familles et d’une coordination effective des différents  dispositifs 

Collectif ALERTE : http://reflexehandicap.blogs.apf.asso.fr/media/00/00/2668531642.pdf Union nationale des associations familiales (UNAF) : http://www.unaf.fr/spip.php?rubrique1761


Premier signataire :

Mathieu GITTON secrétaire de section de Belgique 


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