Thème : Protection de l'enfance
Refonder une culture socialiste de la formation des militants et des élus locaux
Dès l’accession des premiers socialistes à des fonctions électives locales, après les premières lois municipales de 1884, la question de leur formation s'est posée. Celle-ci avait alors deux objectifs : permettre à ces élus de porter un projet socialiste municipal et les empêcher d’être emportés par un phénomène de notabilisation bourgeoise déjà identifié.
Albert Thomas, fondateur de la première “école militante” de la SFIO (“École du propagandiste” en 1912) et d’un “bureau d’information permanent”, sorte de numéro vert juridique auprès des communes socialistes, était la plus parfaite incarnation de cette ambition consubstantielle à notre histoire politique, en tant que mouvement d’émancipation des individus par l’éducation populaire et l’action politique. Il est ainsi le premier à souligner “toute l’importance que représente « l’éducation municipale » pour diffuser et implanter le socialisme en France”1.
Sans refaire toute l’histoire de la formation politique dans la tradition socialiste, force est de constater aujourd’hui que notre parti ne remplit plus cette mission de façon satisfaisante. À part la grande réunion annuelle de Blois, les temps de formation militante - répondant à la mission de diffusion du projet socialiste et républicain - et “municipale”, sont insuffisants, l’action de la Fédération nationale des élus socialistes et républicains (FNESR)-Condorcet ne couvrant plus tous les besoins d’aujourd’hui.
1 Voir l’excellente thèse de Pierre Camus, La formation des élus locaux en France 1880-2020, soutenue en décembre 2021, Université de Nantes, Unité de recherche : CENS - UMR 6025. Il y est question notamment des “racines révolutionnaires de la formation des élus locaux”
Nous perdons aussi de vue le fait que l’organe de formation du Parti socialiste devait permettre aux militants issus des classes populaires d’accéder à des responsabilités politiques et, par conséquent, de représenter au sein de nos instances toutes les couches de la société.
Or le Parti socialiste se prive de sa capacité de transformation sociale et d’action politique locale et nationale s’il ne forme plus ses militants ni ses élus.
Le projet UNIR que nous portons remettra au cœur de notre stratégie d’action politique et de de recrutement des militants un outil de formation des militants et des élus locaux en s’appuyant sur nos outils existants, à savoir la FNESR et Condorcet, mais également grâce à un nouvel institut de formation militante, l’Académie Léon Blum.
Il est impensable pour nous de poser ce Congrès comme un temps de reconstruction doctrinale sans aborder la transmission d’une idéologie politique socialiste et républicaine et de savoirs et savoir-faire militants.
- Renouer avec la tradition socialiste en s’appuyant sur nos outils existants
Depuis les années 1960, l’activité de formation des militants et élus socialistes a connu un éparpillement dans deux directions : le développement des structures de l’éducation populaire et la naissance d’organismes locaux. Avec une conséquence importante : l’éloignement de ces lieux de formation politique du Parti socialiste lui-même.
Certes, les réseaux d’éducation populaire, les universités d’été (ou d’hiver), les écoles fédérales, les cercles d’étude ou les revues du Parti ont longtemps constitué un écosystème vivant où s’élaborait une culture commune, où se formaient les militants et les futurs élus, où se transmettaient une vision du monde et un état de la pensée socialiste. Mais ce socle s’est progressivement effrité.
À côté de cette évolution nationale, des initiatives locales ont longtemps permis de maintenir un tissu militant formateur. Certaines fédérations ont organisé des formations régulières, animé des écoles fédérales, structuré des réseaux d’élus engagés dans la transmission des savoirs, et ce encore aujourd’hui, avec l’exemple de l’IFEPR 59-62 qui propose toujours des formations pour les élus du Pas-de-Calais et du Nord.
Mais ces dynamiques se sont elles aussi affaiblies. Loin d’avoir été consolidées à l’échelle nationale, elles ont pâti de la disparition progressive d’une stratégie de formation clairement portée par le Parti. Aujourd’hui, les militants socialistes ne disposent plus de lieux de formation identifiés et réguliers. Ils sont souvent livrés à eux-mêmes, sans parcours pédagogique ni espace collectif de réflexion.
De leur côté, les élus locaux socialistes se tournent vers d’autres organismes de formation que la FNESR-Condorcet. Pour une raison objective assez simple : la formation des élus est un véritable marché avec des acteurs qui se font concurrence auprès du public des élus locaux, qu’ils soient socialistes ou non. Mais également en raison d’un affaiblissement du sentiment d’appartenance à une histoire intellectuelle de la part de notre réseau d’élus.
Cette double crise – du côté des militants comme des élus – fragilise la capacité du Parti à se renouveler, à produire de la pensée, à porter un projet de transformation sociale cohérent. Elle appelle une refondation ambitieuse.
2. Repenser un système de formation intégré pour les militants et les élus
Les universitaires, artistes, personnalités de la société civile, etc. ont largement déserté l’écosystème intellectuel socialiste. Comparons simplement le programme de nos universités d’été avec ceux des autres partis politiques de gauche. Nous n’attirons plus assez ceux qui pensent la société de demain et les moyens d’action politique qui permettront de lutter contre les dérèglements qui nous menacent.
Faire ce constat aujourd’hui nous oblige à repenser les liens qui rassemblent nos militants, notre Parti et toutes celles et ceux qui produisent les bases idéologiques du socialisme de demain. Et la création d’une véritable école militante devient un impératif.
Non pas un simple catalogue de formations techniques, mais une structure pérenne, pensée comme un espace de réflexion politique, de production intellectuelle et de transmission militante.
À travers une organisation en promotions, des parcours annuels séquencés, une articulation entre pensée critique, savoirs historiques et pratiques militantes, cette nouvelle école ou Académie Léon Blum aura pour objectif de reconstituer une culture politique structurée à l’échelle d’un parti.
Il ne s’agira pas de reproduire à l’identique ce qu’ont fait certains partis de gauche (pensons ici à l’Académie Verte des Écologistes ou à l’Institut La Boétie des Insoumis), mais de s’en inspirer pour penser une version socialiste de ce que pourrait être un Institut politique du Parti socialiste : un lieu où se mêlent formation, recherche et débat d’idées ; un outil pour armer une nouvelle
génération militante et porter aux responsabilités des profils issus de tous les milieux et en particulier des classes populaires, trop peu représentées dans nos directions fédérales et chez nos élus.
Concrètement, cela suppose d’organiser des parcours de formation longue, sur plusieurs mois, avec une à deux promotions par an.
Ces formations devront combiner plusieurs volets :
- une formation idéologique et théorique autour de la pensée socialiste et ses ramifications dans les sciences politiques, économiques et sociales ;
- une formation historique sur les luttes sociales, les conquêtes politiques des gouvernements socialistes successifs et des combats syndicaux ;
- une formation pratique et militante, autour des outils d’animation, de mobilisation, de porte-à-porte, de prise de parole publique, de communication ou de stratégie de campagne.
Au-delà de la transmission verticale du savoir, cet institut doit encourager une dynamique d’auto-formation et de production collective. L’idée n’est pas de former des militants “scolaires” mais de susciter une intelligence militante partagée : des groupes de lecture, des ateliers de réflexion, des enquêtes de terrain, des restitutions collectives.
Enfin, ce projet se fonde sur le désir profond de retrouver le plaisir et la force de penser ensemble. Une telle structure permettrait non seulement de renforcer les compétences des militantes et militants, mais aussi de forger une culture politique commune, capable de rassembler, de mobiliser, et de construire un projet socialiste à la hauteur des défis contemporains.
3. Réactiver une organisation de formation pour les élus locaux socialistes
Dans un paysage politique en recomposition, marqué par une technicisation croissante de l’action publique, le risque est grand de voir les élus se professionnaliser sans référence idéologique claire, ou bien se tourner vers des organismes de formation déconnectés du fond idéologique de toute action publique. Il est donc urgent de réactiver une politique de formation spécifique, autonome et performante, au service des élus socialistes et de tous les candidats à des fonctions politiques locales.
Cela passe par un repositionnement stratégique de la FNESR, aujourd’hui en difficulté sur le plan organisationnel et financier. Il ne s’agit pas seulement de relancer l’existant, mais de refonder une structure souple, décentralisée, connectée aux réalités locales, capable de proposer une offre de formation continue à la hauteur des attentes des élus et des enjeux locaux. Cette nouvelle FNESR doit devenir un centre de ressources, un animateur de réseau et un outil de montée en compétences pour tous les élus socialistes et apparentés mais aussi toutes celles et ceux qui aspirent à occuper des mandats locaux.
La formation des élus doit être une offre permanente du parti à ses élus adhérents, sous toutes les formes possibles : webinaires, sessions en présentiel, modules hybrides, plateforme en ligne de formations asynchrones, etc.
Elle doit porter sur les politiques publiques et leur mise en œuvre (logement, transition écologique, aménagement, éducation, ruralité…), sur les bases de la gestion locale bien entendu, mais aussi sur les nouvelles pratiques démocratiques, les outils de concertation et de communication avec les citoyens. En somme : former à gouverner en socialiste.
Pour atteindre cet objectif, nous devons repenser l'organisation de la formation à différentes échelles.
À l’échelle départementale, il est essentiel de s’appuyer sur les UDESR (Unions départementales des élus socialistes et républicains), là où elles sont encore actives, et de contribuer à leur redynamisation ailleurs. Elles peuvent être les chevilles ouvrières d’une formation de proximité, en lien avec les fédérations et les réseaux militants, mais surtout avec les élus locaux dans les communes rurales où le Parti socialiste est encore trop peu représenté.
À l’échelle régionale, les groupes politiques socialistes et apparentés dans les conseils régionaux peuvent jouer ici un rôle structurant en mettant à disposition des moyens, en co-organisant des temps de formation, en croisant les expériences territoriales. Pensons par exemple à ce qui est organisé chaque année par les quatre fédérations bretonnes autour de journées de formation en commun. Aussi, cette échelle régionale est particulièrement adaptée à la rencontre régulière d’élus socialistes d’opposition dans des communes, intercommunalités ou conseils départementaux.
À l’échelle nationale, enfin, une coordination générale doit garantir la cohérence, la qualité des contenus, et la mise en réseau des différents acteurs. Ce pourrait être le rôle d’une FNESR refondée, travaillant en lien avec les instances du Parti et en appui sur un conseil scientifique et pédagogique dont les missions doivent être redéfinies.
Il ne s’agit pas de plaquer un modèle uniforme, mais de construire une offre modulaire, agile, adaptée aux différents niveaux d’engagement des uns et des autres. En renforçant la formation des élus socialistes, c’est aussi le lien entre élus, militants et territoires que l’on revitalise. Et c’est la capacité du Parti à faire vivre
une culture politique cohérente et lisible, à tous les échelons de la République, qui s’en trouve renforcée.
La refondation de la formation des militants et des élus n’est pas un chantier annexe ou technique : elle est au cœur du projet de reconstruction du Parti socialiste. Car former, c’est transmettre un héritage, c’est armer des volontés, c’est préparer des engagements. C’est aussi refuser la dépolitisation que l’on perçoit parfois dans nos propres rangs.
Former, c’est faire du Parti un lieu de pensée et de transmission, un espace où l’on entre pour apprendre, comprendre, débattre, se préparer à agir. C’est donner à chacun – militant ou élu, jeune adhérent ou cadre expérimenté – les moyens de se situer dans l’histoire du socialisme, de lire les enjeux du présent et de bâtir collectivement l’avenir.
Il nous faut aujourd’hui reconstruire un système de formation intégré, articulé entre militants et élus, entre échelons locaux et national, entre théorie et pratique, entre transmission verticale et production collective. Un système vivant, ancré dans les territoires, ouvert aux forces intellectuelles de la société, capable de penser et faire vivre une gauche utile, ancrée dans le réel, populaire.
C’est cette ambition que nous portons avec le projet UNIR. Refonder la FNESR. Créer l’Académie Léon Blum. Relancer les dynamiques locales et régionales. Redonner aux militants comme aux élus le goût et les outils de la formation tout au long de la vie politique. Pour qu’ensemble, nous puissions retrouver un parti qui sait où il va, pourquoi il y va, et avec qui il veut le faire.
Contributeurs : Antoine FABRY (12), Eric SARGIACOMO (40), Audrey GATIAN (13), Yann CROMBECQUE (69), Philippe QUÉRÉ (95), Benjamin ALLAIX (49), Bernard BETNA (40), Zoé BOURLON (40), Jennifer BOHRER BARREAU (53), Dominique BOLLIET (69), Denis BREVET (40), François-Marie CAILLEAU (29), Alex CHARBONNEL (32), Noé COLLOMB (69), Pierre CROS (40), Paul COUTARD (75), Antoine DALLET (17), Jeanne DALLOT (75), Nicolas DELAUTRETTE (87), Gauthier DETROUSSEL (27), Nicolas DZIEZUK (57), Gauthier DUFOSSEZ (69), Matthias EVANO (75), Karine GARRALON (40), Yoann GARCIA (33), Stéphane GEMMANI (38), Stéphane GEMMANI (38), Roger GONNET (63), Grégoire GOURDON (49), Johel GREVET (62), Lucas HAMIDI (62), Helene HOMMERY (22), Christian HUGUIES (40), Thierry JACQUET (69), Didier KAHN (40), Mehdi KEMOUNE (91), Quentin LATOUR (31), Quentin LE MENÉ (45), Nicolas LE VIAVANT (40), Aline MAURICE (34), Jean-Claude MAURIN (26), Titouan MARY (51), Romain MIDA (60), Michel MOUREAU (63), Killian MONTESQUIEU (75), Gautier PEZY (16), Lorenzo PALIOTTA (60), Emma PINÇON (31), Eric QUENARD (51), Caroline RACINE (57), Émmanuel RAMOND (44), Dominique RAT (40), Damien ROUTA (40), Thomas ROSSET (75), Stéphane GUTHINGER (24), Nicolas TELLIER (33), Damien THOMAS (75), Vincent TISON (37), Jean-Pierre TRABESSE (40), Anne TOUSCHE (31), Vincent VAN ACKER (75), Jean WOHRER (75)