UNIR - Culture : résister et réaffirmer le service public


Thème : Culture


Télécharger la contribution

Depuis le Front populaire de 1936, depuis le programme du Conseil national de la Résistance, depuis les lois Malraux et les lois de décentralisation de 1982/83, l’action publique artistique et culturelle n’a cessé d’encourager et de promouvoir la liberté de création, l’émancipation du plus grand nombre, la diffusion des œuvres partout sur le territoire national dans un souci continu de démocratisation et d’accessibilité.

Au pays de l’exception culturelle, cette action, avec nuances et critiques, bénéficiait d’un relatif consensus politique. Le parti socialiste est fier d’avoir été à la pointe du combat pour l’accessibilité et la diversité des arts et de la culture à chaque fois qu’il a été porté aux responsabilités gouvernementales.

Cependant, déjà mises au défi de la révolution digitale, les politiques culturelles font face depuis la crise sanitaire à des assauts inédits et graves.

Au vu à la fois des financements de l’État et de ceux des collectivités locales, les baisses de budgets alloués en 2025 menacent directement l’existence même des artistes, des lieux de diffusion, des festivals – alors même que de nombreux établissements et structures culturels avaient déjà subi les années de hausse des charges dues à l’inflation. Les fonds propres ont fondu et les risques de disparition de lieux de culture subventionnés sont alarmants à court terme. Par ricochet, ces baisses de budgets publics touchent aussi des acteurs privés comme ceux de la chaîne du livre par exemple, éditeurs ou libraires, par la baisse de projets soutenus ou de la commande publique.

Sous couvert de baisses contraintes, les coupes prennent des proportions sans rapport avec le poids des dépenses culturelles dans les budgets globaux, hélas parfois dans des collectivités dont les exécutifs émanent de nos rangs.

Mais la baisse des crédits n’est pas seule en cause. Dans la France de 2025, des discours questionnant l’existence même d’un service public de la culture se répandent sans complexe, en lien avec des remises en cause de la liberté de création ou de programmation. Cela nous ramène à une vision de la société qui n’a rien à voir avec le pacte républicain patiemment édifié depuis bientôt un siècle pour l’accès à la culture pour toutes et tous.

Pour contrer cette réaction artistique et culturelle, le Parti socialiste rappelle en préalable son attachement à un service public culturel fort, pilier de la promesse émancipatrice de la République, assis sur les principes de liberté de création, de diffusion et de programmation, tels qu’ils ont encore été rappelés par la loi du 7 juillet 2016 portée par la ministre socialiste Audrey Azoulay.

Alors même que l’impéritie budgétaire de 10 ans de macronisme fait exploser dettes et déficits publics, la culture ne peut être une variable d’ajustement dans la proportion appliquée par l’État ou les collectivités, ponctionnant des secteurs entiers comme la création artistique, le spectacle vivant ou la transmission des savoirs.

Au-delà de la question budgétaire, se pose aussi celle de la vision et de la cohérence des politiques publiques culturelles de l’État et des collectivités territoriales, qu’il est difficile de saisir dans leur globalité et dans leur complexité. Ce sont les cadres d’intervention et de coopération que nous devons réinterroger pour faire face aux défis sociétaux et budgétaires qui se posent.

Fermes sur nos principes, fiers des réalisations issues de la décentralisation et de la démocratisation culturelles, mais conscients des enjeux nés de la mondialisation et du numérique, des attaques de plus en plus conséquentes contre le modèle démocratique pour lequel la culture peut et doit être un bouclier efficace, il nous faut à la fois consolider et réformer l’intervention publique en direction de l’ensemble des acteurs culturels, en mesurant et en entendant aussi les attentes et les pratiques des Françaises et des Français dans leur ensemble.

Résister, consolider, réformer. Nous ne pourrons le faire que si nous décloisonnons nos approches. Les frontières entre les disciplines artistiques s’estompent, suscitant de plus en plus d’interactions et de créations originales. Les champs de la culture ne concernent pas seulement le ministère de la culture mais peu d’instances existent qui font dialoguer culture, éducation nationale, écologie, sciences, sports pour ne citer que ces domaines. Même si de nombreuses initiatives existent partout en France, elles ne parviennent pas encore à projeter une place de la culture étendue dans l’imaginaire et le quotidien des Français, déjà bouleversés par les confinements de 2020 et 2021. C’est certainement une des sources de la faible mobilisation pour la défendre quand elle est attaquée.

Il est temps d’ouvrir une convention du parti pour la culture associant largement les professionnels, artistes, usagers et agents de l’État et des collectivités. Des relations existent déjà aux niveaux national et territorial. Aujourd’hui, les professionnels de la culture sont prêts à reconsidérer leur intervention pour répondre à cette nécessaire ouverture par plus de coopérations entre les champs culturels et au-delà, plus de coopérations territoriales, plus de prises en compte des enjeux écologiques, d’égalité et de diversité. Face aux défis, ils sont prêts à bouger et nous devons bouger avec eux pour remettre les questions culturelles au cœur du débat politique d’où elles sont de plus en plus absentes. Nous devons reconquérir les termes du débat contre celles et ceux qui veulent imposer mensonges, censure et peur.

Le Parti socialiste a le devoir politique d’animer ce débat – ce combat - et de le poser à ses contradicteurs avec force pour défendre la liberté, l’éducation et l’émancipation comme nos aînés l’ont fait avant nous. Il est inconcevable d’abandonner cette ambition républicaine, il est nécessaire de réarmer notre propos pour faire face aux pires attaques subies depuis les années ‘30 et les accusations en « arts dégénérés ». Redonnons l’envie de débattre des questions culturelles – plus nécessaires que jamais – elles ont été très fortement associées à l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981.

Nous nous devons de défendre l’acquis, c’est à dire un service public pour les arts et la culture solide tant au niveau national que territorial.

Concernant l’État, prenant acte de la dégradation financière rapide et dangereuse pour la survie même des structures culturelles frappées en continu par les crises qui se succèdent depuis 2020, il faut revenir en urgence sur les mesures de réduction des crédits du ministère de la culture à hauteur de 200 millions d’euros, et, à terme, porter le budget de la Culture – audiovisuel compris - à 1 % du budget de l’État.

Il faut sauvegarder le régime des intermittents du spectacle, levier essentiel de l’emploi et de la continuité de la vie artistique et culturelle, et reprendre les discussions pour étendre ou élaborer un régime protecteur spécifique pour les auteurs, traducteurs et les plasticiens, y compris face au développement de l’intelligence artificielle, en prenant en compte aussi les contraintes économiques pesant sur les éditeurs, notamment indépendants, en les incluant le cas échéant dans des mécanismes compensatoires.

En parallèle, il nous faut approfondir le lien entre culture et territoires pour engager une nouvelle étape de démocratisation.

L’élan de 1981 qui s’est beaucoup appuyé sur de nouveaux dispositifs de création et de diffusion à Paris et en régions et sur les professionnels de la culture, doit aujourd’hui être relancé à partir des publics et des projets conçus territorialement, l’État restant le garant des grands principes de liberté, d’égalité d’accès et de transmission qui sont mis en œuvre aux différents échelons nationaux, régionaux et locaux.

Nous devons avoir des approches plus transversales pour déterminer les fondamentaux et les priorités de l’action publique : prise en compte des publics et des usagers tout au long de la vie, éducation artistique et culturelle – non réductible au Pass’culture, surtout dans sa dimension individuelle bugétivore - recherche, création, diffusion, transmission.

Pour bâtir des projets de territoire contractualisés à partir de ces fondamentaux, nous devons maintenir les compétences des différents niveaux de collectivité telles qu’elles résultent de la loi NOTRe de 2015 mais parfois même les renforcer, par exemple autour de la compétence formation professionnelle des Régions ou économique (filière des industries créatives et culturelles). Les collectivités doivent aussi intégrer des actions d’éducation artistique et culturelle auprès des publics qui relèvent de leurs compétences (lycéens et apprentis pour les Régions, collégiens pour les Départements et écoliers voire tout-petits pour Villes ou intercommunalités.

Des initiatives innovantes émanant des territoires qu’il faut encourager. Les centres d’initiation à l’art des 0-6 ans ouverts à Clermont-Ferrand puis à Montpellier mixent succès populaire (plus de 50 000 usagers à Clermont en 2024), qualité du lieu et des propositions artistiques en coproduction avec le Centre Pompidou, et alliance des territoires (à Clermont, 20 % des usagers résident hors métropole). Ce sont des lieux d’abord pensés pour des publics jeunes enfants et parents, dans une approche mêlant différents champs artistiques, plastiques, audiovisuels, musicaux, culinaires, spectacles vivants et associant de nombreux artistes tout au long de l’année. C’est aussi un bel exemple de coopération entre un établissement national et une ville dépassant les regards portés sur les rapports Paris/Province.

Sur la base de ce socle de compétences élargi, il faut relancer les dynamiques inter-territoriales de façon moins mécaniques que les différents schémas existants dans la loi, restés trop souvent lettre morte. C’est en s’appuyant sur les bassins de vie, sur les structures et établissements culturels qui maillent le territoire qu’on pourra réenvisager les actions d’éducation artistique et culturelle, les aides à la création et à la recherche, la diffusion des œuvres, bien trop limitée, notamment dans le spectacle vivant. La meilleure façon de lutter contre la désaffection de l’action culturelle par certaines collectivités est de susciter des projets territoriaux, pluri-disciplinaires, non exclusifs, c’est-à-dire allant d’actions locales à des actions d’envergure régionale voire nationale ou européenne. Il faut d’abord susciter le goût et l’attrait du public si l’on veut lutter contre l’enfermement et le repli, reprendre inlassablement la voie de la culture populaire au meilleur sens du terme, celui qui s’oppose au populisme.

Dans l’esprit d’ouverture du champ culturel déjà évoqué, d’autres lieux de vie quotidienne sur les territoires, sociaux, médico-sociaux, éducatifs, ou même les lieux économiques comme les entreprises doivent pouvoir être inclus dans les projets. Nombre de résidences et d’actions artistiques et culturelles s’y déroulent d’ores et déjà et doivent être reconnus par tous les acteurs du territoire comme vecteur de création, de diffusion et de transmission. Le « 1% artistique » pourrait être assoupli pour permettre aux collectivités un terrain plus vaste d’intervention. On pourrait aussi étendre le 1% artistique à l’espace public à l’occasion d’opérations d’aménagement de voiries ou concernant les mobilités.
Pour se rapprocher toujours plus des publics, les pratiques amateurs doivent trouver leur place dans ce « continuum » culturel, elles participent à l’éveil culturel et à la curiosité pour d’autres formes.

Un projet territorial peut aussi surmonter les oppositions trop souvent instrumentalisées entre patrimoine et création artistique. C’est une opposition assez incompréhensible pour la plupart de nos compatriotes, à la fois attachés dans leur grande majorité aux patrimoines et heureux de les voir mis en valeur au travers de manifestations diverses. Quand cette opposition est aussi exploitée sur un plan politique, « le patrimoine à la droite et la création artistique à la gauche », elle devient tout à fait stérile et récupérée de façon caricaturale par les pires populismes.

Le projet peut être une occasion de développer des fonds de dotation territoriaux, outil de mécénat public/privé soutenant des projets d’intérêt général, venant répondre aux critiques face à la montée du mécénat privé dans la culture et instaurer un dialogue avec des mécènes qui ne se seraient pas engagés seuls dans de telles actions. Bien pensé à l’échelle d’un territoire, ce peut être un outil porteur de sens, d’ouverture et de moyens.

Le rôle de l’État doit rester déterminant, au travers des DRAC - à renforcer dans leur rôle tranversal s’agissant de la consolidation des actions menées par d’autres ministères - pour garantir les grands principes évoqués plus haut, pour rappeler les collectivités à leurs compétences, pour appuyer les dynamiques territoriales les plus partenariales. Cela rejoint la nécessité d’un budget national suffisant pour augmenter le volet territorial qui relève de l’action publique globale pour approfondir la décentralisation et l’accessibilité à la culture. Ce volet territorial renforcé viendrait aussi rétablir un peu d’équilibre dans les dépenses du ministère entre Paris et la province.

Si nous voulons approfondir la décentralisation, en matière culturelle comme dans d’autres domaines, il est essentiel aussi que l’État refonde son rapport aux territoires, trop malmenés sur les plans budgétaires et fiscaux, par les baisses de dotations mais surtout par les remises en cause de leur autonomie grevant, dans ce quinquennat comme jamais, leur capacité à agir et à investir, voire l’exercice effectif de leurs compétences.

Pour contrer les tendances individualistes et au repli sur soi, toujours sous-jacentes dans notre monde contemporain, mais rendues plus visible encore depuis les confinements et la montée en puissance des plateformes numériques de divertissement, nous devons conserver et développer un service public audiovisuel garant de pluralité et de diversité, participant à la défense des œuvres françaises, francophones et européennes, et offrant des contenus à même de susciter la curiosité des publics au-delà des écrans. Il ne s’agit pas simplement de rivaliser avec les plateformes numériques pour les copier, leur imposer les mêmes structures verticales et des économies d’échelle comme le pense la réforme en cours. Il s’agit de construire, avec les agents du service public, avec les producteurs du service public, des programmes audiovisuels à la hauteur des attentes de toutes les générations de Françaises et de Français. Les parts d’audience de France Télévision et de Radio France montrent qu’ils ne désertent pas les chaînes publiques bien au contraire. L’audiovisuel public doit être renforcé et développé y compris budgétairement dans le cadre de l’objectif de 1 % du budget de l’État.


Contributeurs : Olivier BIANCHI (63), Boris VALLAUD (40), Alexandre OUIZILLE (60), Audrey GATIAN (13), Thomas GODARD (94), Eric SARGIACOMO (40), Malika BONNOT (69), François COMET (75), Caroline RACINE (57), Aline MAURICE (34), Agathe BOURRETERE (40), Rozenn BONNET (40), Aline MAURICE (34), Emma PINÇON (31), Philippe QUÉRÉ (95), Alex CHARBONNEL (32), Michel MOUREAU (63), Jean Claude MAURIN (26), Gautier PEZY (16), Vincent TISON (37), Antoine DALLET (17), Nicolas LE VIAVANT (40), Àhmed MIRAOUÎ (62), Dominique RAT (40), Eden MATIONGO (77), Killian MONTESQUIEU (75), Damien THOMAS (75), Cyril NOVAKOVIC (75), Nicole HOSTIER-GLORIEUX (38), Christian HUGUIES (40), Margaux GARS (33), Bruno PÉRAN (31), Jerome GUILLEM (33), Florian SENTIGNAN (94), Marina PARODI (40), Benjamin ALLAIX (49), Nicolas BIGHETTI DE FLOGNY (60), Stéphane GUTHINGER (24), Marie-Pierre DUHA PERRIAT (40), Yoann GARCIA (33), Lionel OLLIVIER (60), Jennifer BOHRER BARREAU (53), Johanne HADZLIK (59), Jean-Marie DARRICAU (40), Elouan LAHET (40), Karine GARRALON (40), Abel GAGO (69), Denis BREVET (40), Nicolas DELAUTRETTE (87), Benedicte LECACHEUX (14), Florence SABARD (75), Johel GREVET (62), Gauthier DETROUSSEL (27), Lucas BERGÉ (58), Elias BENDAOUADJI (57), Didier KAHN (40), Dominique BOLLIET (69), Anne-Marie KAHN (40), Gauthier DUFOSSEZ (69), Yann AUZIAS (69), Nathalie PERCHAT (30), Alex CHARBONNEL (32), Roger GONNET (63), Hans TORVIC LECLERC (18), Robert CABÉ (40), Bernard BETNA (40), Vincent VAN ACKER (75), Eric QUENARD (51), Paul COUTARD (75), Victor LE MONIER (21), Jean Marc BILLAC (40), Romain MIDA (60), Antoine TERRIER (40), Florian SENTIGNAN (94), Grégoire GOURDON (49), Noé COLLOMB (69), Justine CHASSEUR (40), Nicolas DZIEZUK (57), Manon AUDAP (40), Lucas HAMIDI (62), Théo IBERRAKENE (59), Jean-Pierre TRABESSE (40), Olivier DUCOURTIEUX (87), Matthias EVANO (75), Rolande CASSAGNEAU (40), Zoé BOURLON (40), Yann AUZIAS (69), Abel GAGO (69), Pierre HADZLIK (59), Stéphane GEMMANI (38), Stéphane GEMMANI (38), Quentin LE MENÉ (45), Quentin LATOUR (31), Xavier DEMANGEON (40), Cédric MARÉCHAL (45), Thomas ROSSET (75), Arnaud BATTEFORT (23)


Télécharger la contribution

Veuillez vérifier votre e-mail pour activer votre compte.