UNIR - Faire face aux mutations du monde du travail


Thème : Social


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Au cours des deux dernières décennies, le monde du travail a connu de profonds changements qui sont allés crescendo en raison de l’évolution rapide de la technologie, des nouvelles formes d’organisation du travail et des changements socio-économiques. La pandémie de la Covid 19 a d’ailleurs été un facteur incontestable d’accélération de ces bouleversements.

Bien souvent, ces mutations sont associées à une dégradation continue des conditions de travail. Cette inquiétude se comprend d’autant mieux que les transformations du travail affectent tous les domaines d’activité indépendamment du statut du travailleur. Les dichotomies classiques (salarié et indépendant, public et privé…) ont laissé place à des convergences. Pour toutes et tous, les mutations du monde du travail n’apparaissent pas comme des facteurs de progrès visant à améliorer les droits des salariés et agents mais comme de nouvelles contraintes à combattre.

Or la question du travail, occultée par celle de l’emploi, a quasiment disparu des débats publics. Pendant plus de quarante ans, la préoccupation légitime a été celle de permettre à chacun d’avoir un travail, peu importe la forme du contrat ou du statut, sans s’intéresser à l’environnement mouvant du travailleur. Cette inquiétude a eu pour effet que même les thèmes touchant au travail comme le temps de travail ont été analysés et réformés sous le prisme de la lutte contre le chômage. Réduire le temps de travail, certes pour donner du temps personnel mais surtout pour partager le travail et permettre à ceux qui n’en ont pas d’en avoir. De même, le contrat de travail a souvent été appréhendé sous l’angle de l’incitation à l’embauche plutôt que de celui des conditions de son exécution. L’ambition a été de donner toujours plus de flexibilité sur la forme du contrat, son contenu et tout particulièrement sur sa rupture pour rassurer et encourager les recruteurs.

Les dernières décennies ont été dictées par ces doctrines autour de l’emploi à tout prix même si les emplois créés sont temporaires, sans contenu, sans intérêt, même s’ils renforcent les inégalités, pourvu qu’ils existent. Cette préoccupation est bien sûr compréhensible dans une économie marquée par un chômage de masse. Toutefois elle a fait disparaître tout débat sur le travail en lui-même, sa finalité, ses conditions, son organisation et sa reconnaissance. Surtout elle a constitué une sorte de pression psychologique, consciente ou inconsciente, sur celles et ceux qui avaient la chance d’être en activité. Comment se plaindre de son travail, de ses conditions alors que, dans une société frappée par le chômage, la plus grande souffrance est celle de ne pas avoir d’emploi ?

 

1. Aujourd’hui, la question du travail revient sur le devant de la scène

Cette renaissance n’est pas qu’un simple phénomène de mode. Des transformations de fond bouleversent le rapport au travail. Nous assistons à la fin d’un monde sous l’impulsion de plusieurs mutations qui nous obligent à l’élaboration de nouvelles doctrines.

Tout d’abord l’avènement de l’intelligence artificielle (IA), processus inéluctable, modifie le rapport entre l’homme et la machine. Selon un rapport du FMI sur l’impact de l’IA, 60 % des emplois des économies avancées sont menacés par l’intelligence artificielle, du fait de la multitude de tâches qui mobilisent des capacités intellectuelles. Les auteurs du rapport estiment que la moitié de ces emplois sera négativement touchée par cette nouvelle technologie, l’autre moitié pouvant en bénéficier.

L’IA aura une répercussion sur les inégalités de revenus et de richesses. Contrairement aux précédentes révolutions industrielles qui ont touché les travailleurs situés à mi-chemin sur l’échelle des compétences, l’IA va cette fois concerner ceux appartenant au sommet des niveaux de revenus.

De même, l’ubérisation du travail instaure un rapport de force frontal avec les acteurs traditionnels d’un secteur d’activité donné et les travailleurs des nouvelles plateformes dites collaboratives et placés, sous couvert d’une présomption de non salariat, sous une dépendance économique.

Comment prendre le meilleur de cette technologie et atténuer le pire avec notamment la déshumanisation de la relation de travail ? Tel est l’enjeu aujourd’hui. L’impact final de l’IA sur le travail sera tributaire de notre capacité à innover, à adopter et s’adapter à cette nouvelle technologie.

Ensuite le monde du travail n’échappe pas aux enjeux liés à la bifurcation écologique. La société se transforme pour tenir compte de l’impact environnemental. Non seulement nos modes de consommation doivent changer mais aussi nos modes de production. Produire autrement, c’est tout simplement travailler autrement.

Par ailleurs, les conditions de travail ne peuvent être appréhendées de la même manière sous l’effet du réchauffement climatique, de la modification de la fréquence et de l’intensité de certains aléas climatiques et de l’évolution de l’environnement biologique et chimique. Il nous oblige à repenser nos horaires de travail ou la question de la santé et de la sécurité au travail. Jusqu’à présent, les plans d’adaptation successifs ne fixent aucune mesure ambitieuse qui protégerait les travailleurs des risques associés à leur métier. Seul le droit commun du travail s’applique, comme si le réchauffement climatique était une vue de l’esprit.

Là encore, l’appréhension de ce défi sous tous ces aspects dépendra de notre capacité à innover et à s’adapter.

Enfin le travail subit les effets de l’allongement de la durée de la vie et de l’augmentation du nombre de nos aînés. Notre société vieillissante n’a pas anticipé ce tournant démographique qui a toujours été envisagé sous l’angle du financement de notre protection sociale et notamment de nos branches de retraite. Mais reculer l’âge légal de départ à la retraite entraîne le vieillissement de la population active dont l’état de santé se dégrade inévitablement. Dans ce contexte, comment gérer les absences plus fréquentes et plus longues de ces actifs dits seniors, statistiquement plus exposés aux maladies chroniques ou à l’usure professionnelle ? Comment faire du critère de pénibilité un axe d’une politique de gestion des ressources humaines ?

L’enjeu est non seulement social mais aussi financier. La France est confrontée à un taux élevé d’inactivité chez ceux qu’on appelle plus communément les seniors. Dans les faits, ces personnes sans emploi sont prises en charge soit par l’assurance chômage ou le dispositif du RSA lorsqu’elles sont en fin de droits, soit par l’assurance maladie, en d’autres termes par la solidarité nationale ! Quel est l’intérêt financier si in fine c’est encore une composante de la protection sociale qui les accompagne vers la retraite ? On est donc face à un paradoxe entre le report de l’âge légal de départ à la retraite et l’incapacité de ces salariés âgés à rester en activité.

Les organisations du travail dans les entreprises et dans le secteur public doivent être repensées à l’aune de ces mutations. Cependant elles sont complexifiées par une nouvelle génération qui ose davantage que leurs aînés la mobilité professionnelle et dont la quête de sens est plus forte. Le rapport au travail apparait remodelé par la croissance des motivations personnelles et sociales au travail, par de nouveaux équilibres de vie dont le développement du télétravail est un aspect emblématique.

Ces évolutions sociales et sociétales transforment les pratiques managériales qui doivent de plus en plus associer les travailleurs. La démocratie au travail se construit désormais autrement sur des bases plus individuelles que collectives.

Pour répondre à ces défis, un véritable pacte de confiance doit s’établir au sein des organisations, reposant sur la reconnaissance et l’écoute des travailleurs, ainsi que sur un dialogue professionnel sur l’amélioration des conditions dans lesquelles s’exerce le travail.

Les travailleurs sont de plus en plus en demande de participation directe de qualité, de reconnaissance de leur expertise ainsi que d’autonomie dans leur travail, facteurs de sens. La reconnaissance de cette expertise, et sa prise en compte via le dialogue professionnel en bonne articulation avec le dialogue social, est nécessaire. Ce dialogue professionnel contribue à la prévention des risques professionnels et à l’amélioration de la performance des organisations.

Pour répondre à cette demande, une profonde transformation managériale, portée par les dirigeants des entreprises, doit s’opérer au prix d’un effort majeur de formation initiale et continue.

 

2. Elle passe par une série d’orientations qui doivent guider notre action.

♦ La nécessité d’assurer l’effectivité d’un socle de droits fondamentaux à tous les travailleurs, quelles que soient leurs modalités d’emploi

Par exemple le mouvement d’ubérisation du travail renouvèle sans conteste les rapports entre travail subordonné et travail indépendant. Déjà loin d’être claire, la frontière entre les deux s’obscurcit. Les travailleurs ubérisés sont ainsi ballotés entre deux statuts qui ne sont pas pleinement satisfaisants dès lors qu’ils sont pris isolément.
Les rapports de domination économique qui avaient fondé la naissance du droit du travail s’étendent aujourd’hui bien au-delà des limites du travail salarié. C’est pourquoi, l’élaboration d’un socle de droits fondamentaux à tous les travailleurs devient essentielle.
Par ailleurs, pour accompagner ces transformations, les droits des travailleurs doivent être garantis, complétés et portables tout au long de leur carrière, quels que soient leurs statuts d’emploi successifs.

La recherche d’une meilleure articulation entre les temps de vie, d’expérimentations concernant le temps de travail, mais aussi la nécessité de conforter le droit à la déconnexion que les Socialistes ont créé mais sans prévoir les modalités de mise en œuvre, de manière à mieux prévenir les risques psycho-sociaux.

♦ Une meilleure prise en considération des priorités en matière sociétale et environnementale jusque dans les organisations.

♦ La nécessité d’accélérer le passage d’une logique de réparation à une véritable logique de prévention en matière de santé au travail, qu’il s’agisse de la santé physique et des accidents du travail, mais également de la santé mentale.

Par exemple, ajouter un 10ème principe général de prévention à l’article L.4121- 2 du code du travail : écouter les travailleurs sur la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail et les relations sociales.

♦ Le défi de s’adapter au travailleur en fonction de l’âge (penser les conditions de travail des seniors et la question de la pénibilité)

L’allongement de la vie professionnelle ne peut plus être appréhendé sous le prisme de la simple gestion des fins de carrières. Le maintien durable et en bonne santé dans l’emploi doit guider nos politiques publiques bien en amont tout au long du parcours professionnel. Cet objectif nous oblige à regarder la carrière comme un processus continu qui doit prendre en compte l’avancée progressive en âge.

♦ La nécessité de penser les différentes pistes de travail en les adaptant aux spécificités des TPE-PME ainsi qu’aux formes nouvelles de relations de travail (plateformes, par exemple).

Prévus par les lois Auroux de 1982, les espaces d’expression des salariés ont peu été mis en œuvre ; il importe désormais de se saisir de cette possibilité et d’animer de véritables espaces de discussion et de négociation collective au sein des entreprises et des établissements publics pour éclairer la qualité et l’organisation du travail, par exemple autour du recours aux technologies de l’intelligence artificielle.

En somme, pour nous Socialistes, le travail est l’instrument de la libération de l’individu et de son émancipation. C’est pourquoi, les profondes évolutions contemporaines du travail soulignent l’actualité brûlante du socialisme : qu’il s’agisse des enjeux liés à la juste rémunération du travail, aux transformations des secteurs professionnels, à la santé au travail et à la transformation écologique, tous relèvent de l’organisation du travail et appellent sa démocratisation. Une politique socialiste du travail constitue ainsi une voie ambitieuse et réaliste pour repenser le travail pour mieux le reconnaître...

 


Contributeurs : Gulsen YILDIRIM (87), Fanny PIDOUX (45), Audrey GATIAN (13), Pierre PRIBETICH (21), Thomas GODARD (94), Yann CROMBECQUE (69), Eric SARGIACOMO (40), Malika BONNOT (69), Caroline RACINE (57), Aurélia ANDREU (75), Aline MAURICE (34), Agathe BOURRETERE (40), Laura GANDOLFI (69), Rozenn BONNET (40), Aline MAURICE (34), Emma PINÇON (31), Philippe QUÉRÉ (95), Alex CHARBONNEL (32), Michel MOUREAU (63), Nicolas TELLIER (33), Jean Claude MAURIN (26), Gautier PEZY (16), Antoine DALLET (17), Nicolas LE VIAVANT (40), Àhmed MIRAOUÎ (62), Gwendal MANSO (40), Killian MONTESQUIEU (75), Damien THOMAS (75), Cyril NOVAKOVIC (75), Christian HUGUIES (40), Bruno PÉRAN (31), Thierry JACQUET (69), Jerome GUILLEM (33), Marina PARODI (40), Benjamin ALLAIX (49), Stéphane GUTHINGER (24), Dominique BOLLIET (69), Marie-Pierre DUHA PERRIAT (40), Yoann GARCIA (33), Lionel OLLIVIER (60), Jennifer BOHRER BARREAU (53), Johanne HADZLIK (59), Elouan LAHET (40), Jean-Michel EON (44), Karine GARRALON (40), Denis BREVET (40), Nicolas DELAUTRETTE (87), Florence SABARD (75), Johel GREVET (62), Lucas BERGÉ (58), Elias BENDAOUADJI (57), Didier KAHN (40), Dominique BOLLIET (69), François-Marie CAILLEAU (29), Yann AUZIAS (69), Alex CHARBONNEL (32), Hans TORVIC LECLERC (18), Robert CABÉ (40), Bernard BETNA (40), Vincent VAN ACKER (75), Mehdi KEMOUNE (91), Paul COUTARD (75), Victor LE MONIER (21), Jean Marc BILLAC (40), Romain MIDA (60), Antoine TERRIER (40), Grégoire GOURDON (49), Noé COLLOMB (69), Justine CHASSEUR (40), Jeanne DALLOT (75), Nicolas DZIEZUK (57), Manon AUDAP (40), Jean-Pierre TRABESSE (40), Matthias EVANO (75), Rolande CASSAGNEAU (40), Zoé BOURLON (40), Yann AUZIAS (69), Olivier DUCOURTIEUX (87), Abel GAGO (69), Pierre HADZLIK (59), Stéphane GEMMANI (38), Helene HOMMERY (22), Quentin LE MENÉ (45), Quentin LATOUR (31), Jean WOHRER (75), Cédric MARÉCHAL (45), Thomas ROSSET (75), Arnaud BATTEFORT (23)


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