Thème : Économie
Les socialistes ont un rapport complexe à l’économie : trop souvent influencés par leur attachement aux services publics comme seule réponse digne aux aspirations collectives, parfois encore inspirés par des restes d’analyse marxiste ou au contraire caricaturalement convertis à l’économie de marché, nous en venons à ignorer les réalités du monde de l’entreprise, de l’entrepreneuriat, et même de l’ESS qui est pourtant au cœur de notre histoire socialiste.
1. UNE HISTOIRE SOCIALISTE, UN COMBAT ANCIEN
L’ESS n’est ni une tendance sympathique, ni une alternative marginale qui émergerait dans la crise du capitalisme. Avec ses associations, coopératives, fondations et mutuelles, elle constitue assurément une dynamique de création d’activités et d’emplois qui échappe à la lucrativité folle, mais elle est aussi pour partie l’expression historique d’un projet socialiste de transformation de l’économie par le collectif, la démocratie et la justice.
L’ESS est ainsi le fruit d’un travail initié il y a plus d’un siècle, souvent dans les luttes ouvrières, dans les coopératives de production et de consommation, dans les mutuelles de santé, dans les syndicats, dans les associations. Jean Jaurès, dès la fin du XIXe siècle, avait posé les bases d’une économie fondée sur l’entraide, la coopération et la démocratie économique. Il appelait à articuler « l’action syndicale, l’action coopérative et l’action politique », et voyait dans les coopératives un outil pour mettre la classe ouvrière en capacité d’administrer le monde. Il prolongeait en cela l’aspiration des socialistes pré marxistes ou utopistes voire libertaires qui prônaient l’auto-organisation et la capacité des individus regroupés en collectif à prendre leur avenir en mains.
Plus tard, Michel Rocard, figure clé du socialisme moderne, reprendra ce flambeau avec ses proches très investis dans ces réseaux de l’économie sociale et de l’insertion par l’activité économique. En 1976, il défend avec force la reconnaissance d’un secteur économique non guidé par le profit personnel, mais par l’intérêt collectif. Il impulse, en 1981, la création du Conseil supérieur de l’économie sociale et de la première Délégation interministérielle dédiée. La loi Hamon de 2014 marque un tournant historique : elle inscrit l’ESS dans le droit, la dote d’outils de financement, de reconnaissance, d’accompagnement. C’est une victoire socialiste trop peu revendiquée, d’autant plus qu’elle parle concrètement à de très nombreux militants de l’ESS… et souvent électeurs de gauche.
2. UNE MODERNITÉ FONDÉE SUR DES RACINES SOLIDES
L’ESS est assurément moderne, ce qui n’en fait pas pour autant une économie « branchée » pour jeunes cadres urbains. Elle est à la fois la continuation logique d’un idéal ancien, celui d’une économie populaire car au service du peuple, construite par et pour celles et ceux qui la font vivre. Elle incarne la citoyenneté économique qui manque tant à nos entreprises. Elle propose un autre rapport à la propriété, aux usages et à l’argent. Elle conditionne, notamment via l’éducation populaire, l’accompagnement et la formation de nos concitoyens dans les transitions écologique et sociale.
L’ESS irrigue tous les territoires : dans les quartiers populaires, dans les zones rurales, dans les petites villes comme dans les métropoles. Elle est portée par des responsables, des salariés et des militant-es de tous les horizons professionnels, avec une représentation incontournable dans les services essentiels à la population comme dans le financement de l’économie. L’ESS invente aussi depuis l’origine de nouvelles façons de répondre à des besoins fondamentaux, préfigurant même souvent des politiques publiques.
Si les réponses de l’ESS peuvent parfois être isolées du fait de leur caractère innovant et pionnier, elles ne le restent jamais très longtemps car elles ne tardent jamais à devenir structurantes, solidaires, durables. Pour une raison simple : elle fonctionne à l’énergie citoyenne qui, elle, est inépuisable.
C’est pourquoi les socialistes, dans leur engagement personnel ou professionnel, dans leurs habitudes de consommation, et dans les politiques publiques lorsqu’ils et elles ont la responsabilité d’en concevoir, devraient s’appuyer sur l’ESS comme un moyen de répondre à trois défis majeurs auxquels la gauche doit faire face :
La crise démocratique : l’ESS propose des modèles d’organisation horizontaux, transparents, participatifs ; l’engagement dans l’ESS contribue à former des citoyens aptes aux responsabilités démocratiques ; elle permet de mobiliser autour de causes.
La crise sociale et économique : l’ESS limite ou exclut la recherche du profit individuel, s’inscrit dans le temps long et favorise donc la résilience économique.
La crise écologique : l’ESS participe activement à la transition écologique à travers des initiatives locales, sobres et durables, qu’elles concernent l’éducation, la production, le réemploi solidaire…
Dans le monde entier, les forces progressistes tendent à s’appuyer de plus en plus sur l’ESS comme un moyen d’action privilégié tant dans la bataille culturelle, dans la recherche d’innovation (écologique, sociale, démocratique) et dans l’exercice du pouvoir. Les socialistes français, dont l’histoire est liée à celle de l’ESS, ne peuvent lui rester indifférents dès lors qu’elle s’est installée dans le paysage quotidien de nos concitoyens.
3. UNE VISION POUR DEMAIN : REPOLITISER L’ESS… ET LE PS
S’appuyer sur l’ESS permettra d’aller plus, de repousser l’horizon de progrès, d’autant plus que ce seront des forces libres d’agir qui le prendront pour partie en charge. Cela suppose de leur faire confiance, de les accompagner et de les soutenir, de débattre avec elles, de partager des perspectives stratégiques… Dans d’autres pays que le nôtre, des liens organiques existent même : ainsi au Royaume-Uni, le Parti travailliste comprend en son sein le Cooperative party qui regroupe les militants et les parlementaires (plus de 10%) travaillistes qui sont en lien avec des organisations coopératives ; ces liens ont favorisé l’initiative de la municipalité de Preston qui a relancé son économie locale en s’appuyant sur l’économie sociale.
Cela contribuera aussi à repolitiser l’ESS alors qu’elle a pu parfois s’isoler d’un milieu politique qui l’avait déçue, ou encore perdre un peu de ses particularités à la faveur de réglementations qui la banalisent (auxquels les socialistes ne sont pas toujours étrangers) ou d’une tendance par trop gestionnaire. Assumer collectivement et pleinement notre soutien à l’ESS comme une des voies socialistes de transformation de l’économie serait aussi un moyen de ressourcement idéologique et militant. Surtout, nous serions en mesure de nous appuyer sur une économie républicaine donnant tout leur sens aux valeurs qui nous réunissent :
Liberté de s’associer pour agir dans l’intérêt général
Égalité des droits dans la gouvernance et la répartition des richesses
Fraternité dans la finalité, en construisant du lien et du commun
Renouer avec l’ESS contribuerait aussi à nous réconcilier avec la réalité de l’économie, au-delà même des 10% de PIB et des 14% des emplois privés salariés qu’elle représente. Nous avons trop donné le sentiment que l’économie serait un domaine sur lequel la politique ne peut rien : voilà une forme d’économie par laquelle nous pouvons tout ou presque, et nous rapprocher des lendemains désirables auxquels nous aspirons. N’est-ce pas l’objectif même de notre Congrès que de l’affirmer ?
L’économie sociale et solidaire, héritage vivant du socialisme, peut et doit être un pilier de notre projet politique. Elle est une preuve, aujourd’hui déjà, qu’un autre modèle économique est non seulement possible… mais aussi qu’il existe.
Replaçons-la au cœur de notre programme.
Propageons ses valeurs dans l’ensemble de notre action.
Et faisons du XXIe siècle, grâce à elle, le siècle de la fraternité.
Contributeurs : Abel GAGO (69), Agathe BOURRETERE (40), Aline MAURICE (34), Alex CHARBONNEL (32), Anne-Marie KAHN (40), Antoine TERRIER (40), Audrey GATIAN (13), Bernard BETNA (40), Bruno PÉRAN (31), Caroline RACINE (57), Damien THOMAS (75), Denis BREVET (40), Didier KAHN (40), Dominique BOLLIET (69), Elias BENDAOUADJI (57), Emma PINÇON (31), Emmanuelle RAMOND (44), Eric QUENARD (51), Eric SARGIACOMO (40), Fanny PIDOUX (45), François COMET (75), Grégoire GOURDON (49), Hans TORVIC LECLERC (18), Helene HOMMERY (22), Jean Claude MAURIN (26), Jean Henri GONTARD (84), Jean Marc BILLAC (40), Jean WOHRER (75), Jean-Paul BERTHOLLE (10), Jean-Pierre TRABESSE (40), Jeanne DALLOT (75), Justine CHASSEUR (40), Lucas BERGÉ (58), Manon AUDAP (40), Matthias EVANO (75), Mehdi KEMOUNE (91), Nicolas DZIEZUK (57), Nicolas LE VIAVANT (40), Noé COLLOMB (69), Noé GUIGONET (13), Olivier DUCOURTIEUX (87), Paul COUTARD (75), Philippe MARTIN (32), Philippe QUÉRÉ (95), Pierre HADZLIK (59), Quentin LATOUR (31), Quentin LE MENÉ (45), Robert CABÉ (40), Romain MIDA (60), Rolande CASSAGNEAU (40), Rozenn BONNET (40), Stéphane GEMMANI (38), Stéphane GUTHINGER (24), Thomas GODARD (94), Victor LE MONIER (21), Vincent TISON (37), Vincent VAN ACKER (75), Xavier DEMANGEON (40), Yann AUZIAS (69), Zoé BOURLON (40)