UNIR - La décentralisation, certitude tranquille d’un monde en mutation profonde

Thème : Territoires


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UNIR - La décentralisation, certitude tranquille d’un monde en mutation profonde

« Ouvrons les yeux, regardons autour de nous. En quelques années, tout a changé ». C’est en ces termes que Gaston Defferre introduisait son discours sur la décentralisation, le 27 juillet 1981 devant l’Assemblée nationale.

Ces yeux ouverts, ils voyaient un monde avide de concertation, voulant être associé à la préparation de la décision, avec des aspirations et des modes de vie nouveaux, avec un nouveau droit reconnu comme règle de vie et que seule la France ignorait : la décentralisation. Donner « à ceux qui en forment le tissu, le droit d'être eux-mêmes et la possibilité de jouer pleinement leur rôle ».

L’époque, peut-on rétorquer, n’était pas la même. Citoyens et élus locaux étaient alors considérés comme des « mineurs soumis » aux décisions nationales, aux contrôles a priori. Defferre donne une analyse sèche des raisons : la conviction que seuls ceux qui sont issus d'un certain milieu social sont capables de gouverner la France, et la défiance à l'égard des Françaises et des Français, spécialement les provinciaux, que traduit la peur étatique de leur confier des responsabilités importantes.

Une autre époque ? Sans doute, pour ce que ces lois de décentralisation ont permis de transformation politique et administrative, réformant en profondeur la Vème République. Mais aujourd’hui, c’est bien un même constat, à rebours cette fois, que nous devons poser : oui, « en quelques années, tout a changé ».

Si nous ne sommes pas revenus au point de départ, force est de constater que par glissements progressifs du désir de domination, l’administration jacobine cède toujours plus aux tentations recentralisatrices, fragilisant les collectivités et accumulant normes complexes, tatillonnes et superposées en un millefeuille plus réel que l’organisation républicaine qu’elle pointe souvent du doigt. Ce n’est plus le « dirigisme étouffant » que décrivait Defferre, mais la contrainte par la paralysie normative et par l’asphyxie financière.

À cela s’ajoute le recul patent de cette libre administration des collectivités locales promue par les articles 34 et 72 de la Constitution. Pourtant, la liberté était un des grands principes de ces lois fondamentales. Avec en parallèle, la responsabilité, « contrepartie normale de la confiance et de la liberté ». Aujourd’hui, où en sommes-nous ?

La responsabilité, nous l’avons. On sait nous la reconnaître quand une école n’est pas rénovée, que la protection de l’enfance défaille, quand des routes souffrent de manque d’entretien, quand les trains du quotidien ne sont pas suffisamment cadencés, quand augmentent les rares impôts sur lesquels nous pouvons encore agir.

Mais l’État, lui, ne s’inquiète pas de la sienne quand il transfère aux Espaces France Services communautaires ou aux mairies des services qu’il n’assure plus, ou l’élaboration des papiers d’identité. Quand il laisse aux départements, au titre de l’aide sociale à l’enfance, des mineurs qui relèvent d’une pédopsychiatrie dont il ne parvient pas à corriger les manques. Quand l’absence de garantie des financements de l’État menace les régions de ne pouvoir financer les places de formation sanitaires et sociales nécessaires.

La liberté, nous ne l’avons plus. Car sa plénitude ne peut être assurée sans la garantie fondamentale que posaient sans ambages les lois fondatrices :

accompagner tout transfert de compétences du transfert des ressources correspondantes. Dotations limitées, dynamiques de recettes jugulées, dépouillement progressif des leviers fiscaux, mesures nationales unilatérales non compensées, glissement de compétences, le panorama est large. Avec pour corollaire une contraction récente des investissements locaux qui représentent pourtant 70% de l’investissement public, et une limitation de fait des possibilités de créativité en matière d’action publique, d’innovation, d’expérimentation, d’apports nouveaux adaptés aux besoins contemporains du peuple de France. « Et pourtant la France profonde est dans nos villes, dans nos villages », et cette France, les collectivités locales la touchent quotidiennement du doigt.

Le Parti socialiste est l’héritier de cette décentralisation originelle, celle qui a amené un Président de la République et son gouvernement à accorder leur confiance aux élus locaux pour une partie de l’action publique. Il se doit donc de porter désormais une nouvelle ambition décentralisatrice. Pas nécessairement un Grand Soir qui en révolutionnerait les principes vertueux, car les textes fondateurs avaient déjà la justesse d’une volonté franche et claire qui permettait de les mettre en œuvre. Plutôt une application, ajustée au temps présent, de son esprit premier : rapprocher toujours le service public des habitantes et habitants auxquels il s’adresse, être plus à l’écoute de leurs besoins, être mieux en capacité d’y répondre par le biais de nos agents publics engagés sur le terrain, et qui incarnent le lien républicain. Finalement, garantir cette proximité indispensable qui fonde, outre le service rendu, la relation nécessaire entre les élus locaux et la population qu’ils représentent.

Sans doute faut-il un peu toiletter la clarté dans la répartition des compétences. Il faut passer pour cela par un état des lieux des exercices locaux, et favoriser la convergence de vue entre les niveaux de collectivités. Mais il faut surtout revenir aux fondamentaux : quel est le bon niveau de collectivité pour le bon niveau d’action publique ? C’est à cette question qu’une République, qui a démontré depuis plus de 40 ans les vertus de la décentralisation, doit apporter une réponse actualisée.

Elle doit pour cela garantir la libre administration des collectivités, en confiance, ce qui n’exclut pas le contrôle. Il convient bien entendu d’agir dans le cadre des lois et règlements en vigueur en veillant à leur application, tout en permettant une différenciation territoriale abandonnée ces dernières années au milieu du gué. Mais l’esprit de la loi doit aussi laisser des libertés d’actions, d’innovation, d’expérimentation, qui favorisent l’adaptation à un monde qui bouge plus fortement et plus rapidement, afin d’être à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui et de demain. Et rien ne sert d’additionner les normes : le corpus législatif et réglementaire, dense et étouffant, mérite avant tout d’être appliqué avec bon sens plutôt qu’empilé plus encore en enkystant le fonctionnement du pays.

Il faut également assurer des socles de recettes solides, cohérents, pérennes et évolutifs pour chaque strate de collectivité, pour faire face aux enjeux de populations qui changent, dont les attentes diffèrent, avec autour d’elles un monde qui accroît sa vitesse de mutation. La décentralisation doit être adaptable et résiliente, pour régénérer en permanence la qualité et la pertinence de ses apports. Les dernières années que nous venons de vivre ont de plus coupé un lien essentiel entre collectivités et habitants : celui du consentement à l’impôt, générant une perte de sens entre les citoyens et les services ou équipements qui leur sont fournis. C’est une condition fondamentale d’autonomie fiscale, mais aussi de réaffirmation des droits et devoirs d’une démocratie représentative mature.

En socialistes que nous sommes, nous devrons redonner la vitalité à une décentralisation respectueuse des territoires, des citoyens et des élus. Elle devra incarner un service public de proximité qui résonne avec nos valeurs historiques de justice sociale, d’humanisme, d’égalité, d’attention aux plus fragiles, de démocratie locale. Il faut y ajouter la lutte contre le dérèglement climatique, qui est de fait un dérèglement global puisqu’il touche plus rapidement, plus durement, plus longuement, les plus vulnérables. Car in fine, derrière l’organisation institutionnelle, ce sont à des femmes, à des hommes, à des enfants, que nous destinons l’engagement qui est le nôtre en héritiers de la volonté originelle : celui d’apporter à la République « la certitude tranquille de répondre à un besoin impérieux et profond de la société française ».

 


Contributeur.ices : Jean-Luc GLEYZE (33), Boris VALLAUD (40), Audrey GATIAN (13), Philippe MARTIN (32), Pierre PRIBETICH (21), Thomas GODARD (94), Eric SARGIACOMO (40), Malika BONNOT (69), Caroline RACINE (57), Aline MAURICE (34), Agathe BOURRETERE (40), Rozenn BONNET (40), Aline MAURICE (34), Emma PINÇON (31), Philippe QUÉRÉ (95), Alex CHARBONNEL (32), Olivier FOURNET (82), Nicolas TELLIER (33), Jean Claude MAURIN (26), Gauthier DUFOSSEZ (69), Gautier PEZY (16), Antoine DALLET (17), Philippe BLET (62), Nicolas LE VIAVANT (40), Àhmed MIRAOUÎ (62), Titouan MARY (51), Antoine FABRY (12), Gwendal MANSO (40), Dominique RAT (40), Killian MONTESQUIEU (75), Damien THOMAS (75), Christian HUGUIES (40), Bruno PÉRAN (31), Thierry JACQUET (69), Jerome GUILLEM (33), Marina PARODI (40), Benjamin ALLAIX (49), Stéphane GUTHINGER (24), Vincent TISON (37), Marie-Pierre DUHA PERRIAT (40), Yoann GARCIA (33), Anne TOUSCHE (31), Lionel OLLIVIER (60), Jennifer BOHRER BARREAU (53), Johanne HADZLIK (59), Richard MARSAN (40), Jean-Marie DARRICAU (40), Elouan LAHET (40), Jean-Michel EON (44), Karine GARRALON (40), Abel GAGO (69), Denis BREVET (40), Nicolas DELAUTRETTE (87), Florence SABARD (75), Johel GREVET (62), Maxime FLEURY (24), Anderson PINHO (33), Elias BENDAOUADJI (57), Didier KAHN (40), Dominique BOLLIET (69), François-Marie CAILLEAU (29), Gauthier DUFOSSEZ (69), Yann AUZIAS (69), Nathalie PERCHAT (30), Alex CHARBONNEL (32), Hans TORVIC LECLERC (18), Robert CABÉ (40), Bernard BETNA (40), Vincent VAN ACKER (75), Mehdi KEMOUNE (91), Eric QUENARD (51), Paul COUTARD (75), Victor LE MONIER (21), Jean Marc BILLAC (40), Romain MIDA (60), Antoine TERRIER (40), Grégoire GOURDON (49), Noé COLLOMB (69), Justine CHASSEUR (40), Nicolas DZIEZUK (57), Manon AUDAP (40), Jean-Pierre TRABESSE (40), Matthias EVANO (75), Rolande CASSAGNEAU (40), Zoé BOURLON (40), Yann AUZIAS (69), Gaspard FINCK (93), Abel GAGO (69), Pierre HADZLIK (59), Stéphane GEMMANI (38), Noé GUIGONET (13), Helene HOMMERY (22), Quentin LE MENÉ (45), Quentin LATOUR (31), Jean WOHRER (75), Thomas ROSSET (75), Arnaud BATTEFORT (23)


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