UNIR - La Sécurité sociale de demain


Thème : Social


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Cette année, la Sécurité sociale fête ses 80 ans. Autant d’années à honorer la promesse faite par Ambroise Croizat devant l’Assemblée nationale en 1945 : “Mettre définitivement l’homme à l’abri du besoin, en finir avec la souffrance et les angoisses du lendemain”.

Pourtant, à 80 ans, notre Sécurité sociale n’a jamais été autant en danger.

Jamais les coups de boutoir des néolibéraux n’ont été aussi forts pour détricoter cette belle promesse.

Jamais les néolibéraux n’ont en effet autant vidé les ressources de la Sécurité sociale, à force d’octroyer sans contrepartie des exonérations de cotisations sociales aux entreprises, s’étonnant ensuite du déficit structurel de la Sécurité sociale d’environ 25 milliards d’euros par an jusqu’en 2030.

Jamais ces mêmes néolibéraux ne se sont autant mobilisés pour dérembourser les soins, reculer l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, geler le montant des pensions de retraite, etc. sous prétexte de réduire les dépenses de la Sécurité sociale et de combler ce déficit.

Ils vont jusqu’à malignement utiliser l’effort de réarmement militaire - nécessaire par ailleurs afin de soutenir l’Ukraine et de faire face au changement d’alliances opéré par le Président Trump - pour justifier de nouvelles coupes dans les dépenses de la Sécurité sociale.

Tous ces coups de boutoir minent la confiance des Français envers la Sécurité sociale : selon le baromètre de confiance du Cevipof de janvier 2025, un Français sur 3 n’a plus confiance en la Sécurité sociale. C’est plus largement les objectifs historiques de la Sécurité sociale d’universalité, d’unité, d’uniformité et de gestion paritaire qui sont entaillés.

Les socialistes ne peuvent laisser ce sabordage en règle de la Sécurité sociale s’opérer sous leurs yeux.

Il est temps pour les socialistes de proposer non seulement un sauvetage à court terme de la Sécurité sociale, et en premier lieu de sa pérennité financière, mais à long terme de dessiner la Sécurité sociale qui répond sérieusement aux enjeux du XXIe siècle.

Il est ainsi temps pour les socialistes de construire la Sécurité sociale de demain.

Selon nous, la Sécurité sociale de demain doit être bâtie sur 4 nouveaux piliers : le premier consiste à non plus seulement indemniser la survenance d’un risque, mais à le prévenir, de manière notamment à réduire le poids de dépenses évitables, le second à refondre son financement aujourd’hui majoritairement assis sur la cotisation, la CSG et la TVA, et donc peu progressif, le troisième à étendre son champ de protection face au marché prédateur pour garantir son universalité et prendre en charge de nouvelles dépenses rendues nécessaires par les évolutions de la société, et le quatrième à la démocratiser.

 

Premier pilier : prévenir le risque en plus de le couvrir

La Sécurité sociale est historiquement fondée sur la notion de risque qu’elle vient couvrir en cas de survenance : elle prend en charge les soins en cas de maladie, verse une pension d’invalidité en cas d’arrêt de travail handicapant à terme le travailleur, etc.

Cette logique de seule indemnisation du risque ne peut être notre seule boussole.

En effet, les dépenses de la Sécurité sociale sont amenées à croître plus vite que la richesse nationale notamment à cause du vieillissement démographique, du développement des affections longue durée et du progrès technique, qui renchérit le coût des soins de pointe.

Maintenir le niveau de prise en charge de ces dépenses tout en rétablissant à terme l’équilibre financier nécessite donc de chercher à réduire la survenance des risques couverts par la Sécurité sociale.

Concrètement, la Sécurité sociale fait face à des volumes importants de dépenses “évitables” : les dépenses de l’assurance-maladie liées à la santé mentale sont d’environ 23 milliards d’euros par an, celles liées au tabac sont de 16 milliards d’euros, celles liées à l’alcool sont 7,8 milliards d’euros et celles liées aux drogues illicites sont de 760 millions d’euros (1). Quant aux dépenses relatives à la perte d’autonomie des personnes âgées, elles devraient croître d’au moins 12 % entre 2025 et 2028, pour atteindre 48 milliards d’euros par an.

Rapportées au déficit de la Sécurité sociale (25 milliards d’euros par an environ d’ici 2028 dont 15 milliards d’euros uniquement pour l’Assurance maladie), ces dépenses évitables sont considérables.

Nous mettons donc sur la table un chantier qui conjugue réduction des déficits, maintien du niveau de la prise en charge et bien-être de la population : confier à la Sécurité sociale la mission de prévenir ces dépenses.

Concrètement, pour réduire les dépenses de santé mentale tout en améliorant l’état de santé des Français, la Sécurité sociale pourrait - au regard des coûts des pathologies mentales au travail - garantir à tout manager une formation sur le management sain. Pour assurer une offre mieux répartie sur le territoire, le secteur privé pourrait davantage être mis à contribution, notamment sur les listes de garde. Dans une logique de prévention, des consultations gratuites de prévention des troubles de santé mentale pourraient être organisées à plusieurs âges de la vie. Pourrait également être engagé un grand plan de recrutement et de revalorisation des professionnels de la santé mentale, aujourd’hui mal reconnus, et dont la pénurie génère des prises en charge plus coûteuses. Certaines populations fragiles - par exemple les enfants issus de l’Aide sociale à l’enfance - pourraient avoir un accès gratuit à ces professionnels, de manière également à éviter des prises en charge ultérieures plus lourdes.

Concernant la lutte contre les addictions (tabac, alcool, drogues, etc.), l’augmentation de la fiscalité ne pourra être notre seule boussole. Il faut remettre à plat l’ensemble de nos politiques à leurs égards en encadrant strictement les publicités, en faisant respecter l’interdiction de vente aux jeunes, en pérennisant les lieux d'accueil spécialisés comme les haltes soins addictions, en étant particulièrement vigilant sur les réseaux sociaux, etc.

Enfin, la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées est un défi majeur devant nous, au regard du vieillissement démographique (le nombre des 75-84 ans va enregistrer une croissance inédite de 49% entre 2020 et 2030). Nous avons le devoir d’accompagner cette génération dans la dignité, ce qui suppose de tout faire pour repousser au plus tard la survenance de la perte d’autonomie. Comment ? L’alimentation et le sport étant des facteurs-clé de maintien dans l’autonomie, la Sécurité sociale pourrait ainsi prendre en charge des séances chez le diététicien et financer des activités physiques pour tous après un certain âge.

Toutes ces propositions permettent non seulement de réduire le déficit de la Sécurité sociale, mais surtout elles permettent de vivre mieux, en meilleure santé, plus longtemps.

 

Second pilier : mettre à contribution les plus fortunés et les mauvais comportements

Le financement de notre Sécurité sociale ne repose que trop peu aujourd’hui sur le principe de la justice : avec des taux proportionnels, les principales recettes de la Sécurité sociale (cotisations sociales, TVA, CSG) prélèvent une part strictement identique entre les revenus les plus faibles et plus élevés. Pire, avec plus de 75 milliards d’exonérations de cotisations sociales, les entreprises échappent en partie au financement de la Sécurité sociale, alors que celle-ci contribue évidemment à la bonne santé des travailleurs, sur laquelle repose leur production de richesses.

Il faut donc revoir de fond en comble le financement de notre Sécurité sociale. Le plus urgent est de revenir sur les exonérations de cotisations sociales les plus inefficaces, c’est-à-dire celles accordées au-delà de 1,6 SMIC.

Ensuite, la Sécurité sociale pourrait davantage appliquer à ses recettes le principe “pollueur-payeur”. Par exemple, pourquoi les entreprises où les arrêts de travail - remboursés par l’Assurance maladie - sont les plus fréquents ne paieraient pas une sur-cotisation franchement dissuasive ?

Enfin, la justice doit guider le financement de la Sécurité sociale : c’est le sens d’une réforme qui ferait de la CSG un impôt progressif. Pour les revenus d’activité salariée, le taux de CSG est aujourd’hui de 9,2 %. Comme pour l’impôt sur le revenu, on pourrait créer plusieurs tranches de revenus au-delà desquelles ce taux serait plus élevé. Naturellement, pour ne pas rogner sur le pouvoir d’achat des ménages modestes et moyens, seuls les ménages les plus aisés verraient leur taux augmenter.

Plus sensible, la réflexion sur les taux de CSG des pensions de retraite doit néanmoins être ouverte : est-ce normal qu’un retraité touchant une pension de retraite très élevée (ex. : 5 000 euros par mois), qui a très souvent du patrimoine immobilier lui assurant des revenus locatifs, paie un taux de CSG (8,3 %) inférieur à celui d’un salarié au SMIC ? Non, et la contribution des retraités les plus aisés au financement de la Sécurité sociale est un enjeu d’autant plus vif que ces retraités sont ou seront amenés à en toucher les prestations à double voire à triple titre (pensions de retraite, prestations liées à la perte d’autonomie et dépenses de soins). Dès lors, les dépenses supplémentaires proposées plus haut répondant au vieillissement démographique pourraient être financées par une réforme de la CSG des retraités, ce qui aurait le mérite de la lisibilité.

Enfin, les socialistes mettent sur la table l’idée d’une sur-cotisation, notamment pour les branches en déficit. Aujourd’hui un ouvrier paie le même taux de cotisation d’assurance vieillesse qu’un cadre supérieur. Pourtant, l’espérance de vie du premier à 35 ans est de 5,3 années (2) inférieure à celle du second. Il va donc profiter moins longtemps de sa retraite, et de surcroît en moins bonne santé. Dès lors, dans un esprit de justice, pourquoi le cadre supérieur ne paierait pas une sur-cotisation d’assurance vieillesse permettant à l’ouvrier de bénéficier de l’abrogation de la réforme de la retraite décalant l’âge légal de 62 à 64 ans, voire mieux de partir plus tôt grâce à une meilleure prise en compte de la pénibilité ? Un raisonnement similaire peut être appliqué aux cotisations d’assurance maladie, les cadres étant moins souvent malades que les ouvriers et pour des affections moins graves. Cette piste de financement aurait également le mérite de la lisibilité.

 

Troisième pilier : étendre le champ de la protection

Face aux attaques des néo-libéraux cherchant à toujours plus restreindre le périmètre de protection de la Sécurité sociale, nous proposons à l’inverse d’en étendre le champ.

3 chantiers nous semblent essentiels.

Celui tout d’abord des soins face à la maladie. Les dépenses de soins sont aujourd’hui supportées par 3 grands acteurs : l’Assurance maladie, les complémentaires (mutuelles, prévoyance, etc.) et les ménages (reste à charge). Ce système est problématique à plusieurs égards : 5 % de la population n’a pas d’assurance maladie complémentaire, des ménages modestes font face à des restes à charge élevés, notamment liés à des pathologies durables qui sont mal prises en compte et les cotisations d’assurance complémentaire financent pour partie des frais de publicité et de marketing.

C’est pourquoi nous proposons que la Sécurité sociale étende son champ d’action en remboursant à 100 % un panier de soins et de médicaments essentiels. C’est la “grande Sécu”. Cette proposition a plusieurs mérites : elle réduit à 0 le reste à charge des publics les plus fragiles et des plus consommateurs de soins (ex. retraités) et leurs cotisations d’assurance complémentaire, et elle clarifie drastiquement les rôles entre Sécurité sociale et assurances maladie complémentaires.

Ensuite, la protection offerte par la Sécurité sociale face à la dégradation de l’état de santé mentale est encore très parcellaire. C’est particulièrement le cas des pathologies professionnelles (épuisement professionnel, perte de sens, harcèlement, etc.). Outre la nécessité de mieux les prévenir (cf. plus haut), leur pleine reconnaissance comme maladies professionnelles permettrait au travailleur d’obtenir une juste indemnisation et du temps pour se reconstruire. C’est également le cas des troubles du neuro-développement, en forte hausse notamment chez les enfants, et qui sont encore trop mal couverts.

Enfin, alors que la Sécurité sociale alloue des prestations pour certains qui remplissent des conditions précises (ex. : complémentaire santé solidaire, etc.) , nous devons aller vers des droits pour tous, sans condition ; de manière à lutter contre le soupçon du voisin profiteur.

Pour que ces droits universels soient réels, il nous faut également lutter contre le non-recours (35 % des allocataires potentiels du RSA). Nous devons également réduire les délais de traitement des Caisses, qui nuisent à l’effectivité des droits (pratiquement 6 mois aujourd’hui en moyenne pour traiter une demande de prestation de compensation du handicap dans les MDPH ! (3)) en renforçant leurs moyens humains.

 

Quatrième pilier : démocratiser la Sécurité sociale

A l’origine gérée par les partenaires sociaux, la Sécurité sociale a été progressivement “étatisée”. Point d’orgue de ce mouvement : le vote depuis 1996 par le Parlement d’une loi de financement de la Sécurité sociale, essentiellement écrite par le Gouvernement. Résultat : des tableaux financiers abscons, sans vision stratégique, adoptés en situation de majorité relative à l’Assemblée nationale à coups de 49-3.

Nous sommes convaincus qu’une autre Sécurité sociale est possible : celle où le Parlement adopte une vision pluriannuelle portant sur les grands enjeux sanitaires et sociaux de la Sécurité sociale (ex. : Comment faire face au vieillissement démographique ? Comment intégrer la santé environnementale dans les politiques de santé ? etc.), détermine ensuite les objectifs et les actions (ex. recruter massivement des personnels de santé en améliorant leurs conditions de travail) et attribue les moyens financiers nécessaires. En somme, que le Parlement travaille à une loi de programmation de la Sécurité sociale, comme cela existe déjà pour la Défense, l’Intérieur ou la Justice ; qui combinerait pluriannualité et impulsion démocratique.

*

A cette quadruple condition - une Sécurité sociale qui prévient le risque, dont le financement est guidé par le principe de justice, qui étend son périmètre de protection et qui est pilotée démocratiquement - alors nous pouvons concilier maintien voire amélioration du niveau actuel de prise en charge et donc du bien-être de la population, absence de hausse massive de cotisations ou d’impôts pour l’extrême majorité des ménages, atteinte de l’équilibre financier et réponse sérieuse aux grands risques de demain tels que le vieillissement démographique et la croissance des affections longue durée.

Nous sommes convaincus que seule cette Sécurité sociale est à même de perpétuer la promesse d’Ambroise Croizat de mettre l’homme à l’abri du besoin.

 

(1) Source : Assurance maladie et Observatoire française des drogues et tendances addictives (OFDT)
(2) Pour les hommes. Elle est de 3,4 ans pour les femmes. Source : INSEE, 2024
(3) Source : Sécurité sociale, 2023.


Contributeurs : Boris VALLAUD (40), Alexandre OUIZILLE (60), Fanny PIDOUX (45), Audrey GATIAN (13), Eric SARGIACOMO (40), Pierre PRIBETICH (21), Aurore PAGEAUD PAGEAUD (62), Thomas GODARD (94), Malika BONNOT (69), Caroline RACINE (57), Agathe BOURRETERE (40), Rozenn BONNET (40), Aline MAURICE (34), Emma PINÇON (31), Philippe QUÉRÉ (95), Alex CHARBONNEL (32), Nicolas TELLIER (33), Jean Claude MAURIN (26), Gautier PEZY (16), Antoine DALLET (17), Philippe BLET (62), Nicolas LE VIAVANT (40), Àhmed MIRAOUÎ (62), Titouan MARY (51), Gwendal MANSO (40), Dominique RAT (40), Damien ROUTA (40), Killian MONTESQUIEU (75), Damien THOMAS (75), Cyril NOVAKOVIC (75), Christian HUGUIES (40), Bruno PÉRAN (31), Thierry JACQUET (69), Jerome GUILLEM (33), Marina PARODI (40), Benjamin ALLAIX (49), Nicolas BIGHETTI DE FLOGNY (60), Stéphane GUTHINGER (24), Vincent TISON (37), Marie-Pierre DUHA PERRIAT (40), Yoann GARCIA (33), Anne TOUSCHE (31), Lionel OLLIVIER (60), Jennifer BOHRER BARREAU (53), Johanne HADZLIK (59), Elouan LAHET (40), Jean-Michel EON (44), Karine GARRALON (40), Abel GAGO (69), Timothé LUCIUS (45), Denis BREVET (40), Nicolas DELAUTRETTE (87), Florence SABARD (75), Johel GREVET (62), Gauthier DETROUSSEL (27), Lucas BERGÉ (58), Elias BENDAOUADJI (57), Didier KAHN (40), Dominique BOLLIET (69), Anne-Marie KAHN (40), Gauthier DUFOSSEZ (69), Yann AUZIAS (69), Alex CHARBONNEL (32), Hans TORVIC LECLERC (18), Robert CABÉ (40), Bernard BETNA (40), Vincent VAN ACKER (75), Mehdi KEMOUNE (91), Eric QUENARD (51), Paul COUTARD (75), Victor LE MONIER (21), Jean Marc BILLAC (40), Romain MIDA (60), Antoine TERRIER (40), Grégoire GOURDON (49), Noé COLLOMB (69), Justine CHASSEUR (40), Jeanne DALLOT (75), Nicolas DZIEZUK (57), Manon AUDAP (40), Matthias EVANO (75), Rolande CASSAGNEAU (40), Zoé BOURLON (40), Yann AUZIAS (69), Abel GAGO (69), Pierre HADZLIK (59), Stéphane GEMMANI (38), Stéphane GEMMANI (38), Noé GUIGONET (13), Helene HOMMERY (22), Quentin LE MENÉ (45), Quentin LATOUR (31), Jean WOHRER (75), Xavier DEMANGEON (40), Cédric MARÉCHAL (45), Thomas ROSSET (75), Arnaud BATTEFORT (23)


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