UNIR - Mettre l’intelligence artificielle au service de l'égalité des chances

Thème : Technologies


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UNIR - Mettre l’intelligence artificielle au service de l'égalité des chances

L'usage de l’intelligence artificielle (IA) a connu une croissance exceptionnelle au cours des deux dernières années, et nous devons très rapidement y apporter une réponse politique conforme à l’idéal socialiste d’amélioration des conditions de vie et d’émancipation des citoyens. L’IA s’intègre désormais dans le quotidien des citoyens, des entreprises et des administrations. Ce développement touche également le monde de l'éducation, tant son recours est devenu aisé pour les élèves et étudiants comme pour les enseignants.

Mais derrière cette adoption massive se cachent des inégalités fondamentales dans la capacité des citoyens à utiliser les différents outils d’intelligence artificielle. Certains travailleurs disposent du bagage technique et du recul critique suffisant pour que l’IA améliore leur quotidien et facilite certaines de leurs tâches. A l’inverse, d’autres risquent un déclassement à mesure que les employeurs demanderont cette compétence.

L’approche socialiste, lorsqu’il s’agit d’aborder les questions technologiques, consiste en la recherche permanente d’un équilibre qui doit permettre in fine le progrès humain et l’amélioration des conditions matérielles pour toutes et tous. Cet équilibre doit être poursuivi, sans relâche, entre un rejet en bloc du progrès technologique et un techno-solutionnisme qui abandonnerait tout recul critique.

Si nous n'agissons pas rapidement, cette technologie comme d'autres avant elle deviendra un levier d’accentuation des inégalités sociales, là où elle pourrait être utilisée pour les réduire. La gauche doit porter un diagnostic équilibré et une politique volontariste pour garantir que l'IA soit au service de toutes et tous, qu'elle fasse progresser l'égalité des chances et la mobilité sociale, et éviter qu'elle ne devienne un nouveau vecteur de reproduction des inégalités.

1. UN MOYEN POUR RÉDUIRE LES INÉGALITÉS

L'IA offre une opportunité unique de personnaliser l'apprentissage. Partant d'un même point de départ et avec un même objectif, deux personnes chemineront différemment. Essayez-le avec quelqu'un : ouvrez l'un et l'autre des agents conversationnels - Le Chat, ChatGPT, ou encore Claude - et posez lui chacun exactement la question suivante :

Explique-moi comment fonctionne l'IA. Pars du principe que je ne sais rien, commence par des notions simples, puis augmente la technicité. Vérifie régulièrement que j'arrive à te suivre en me posant une question ; si je me trompe, prends le temps nécessaire pour m'expliquer mon erreur et me réexpliquer différemment cette notion.

Dès les premiers instants, vos deux conversations vont être différentes. D'abord elles vont s'éloigner, pour tenir compte de vos différences. Et si vous êtes patients et des élèves assidus, vous les verrez enfin converger vers un même point : comprendre comment l'IA fonctionne. Vous aurez touché du doigt l'éducation personnalisée.

Évidemment, ça ne règle pas tout. On suppose par exemple que vous avez été patients. Qu'un apprentissage par le texte est adapté. Que vous avez un ordinateur. Que vous avez du temps. Mais le verre à moitié plein est devant nous, et à chaque innovation il se remplit davantage : le prix baisse, la maîtrise du français s'améliore, les images et le son s'ajoutent, etc. Un autre exemple parlant concerne l’apprentissage des langues vivantes. Vous pouvez dès aujourd'hui vous filmer en parlant d’un sujet quelconque pendant deux minutes en français. Puis différents logiciels d’IA peuvent traduire la vidéo dans la langue de votre choix (anglais, allemand, espagnol, ukrainien, latin...) avec une voix qui ressemblera en intonation à la vôtre. Les élèves qui ne disposent que d’une minute par semaine pour s’exercer en classe, lorsqu’ils nourrissent des complexes de prononciation pourraient s’entraîner de façon autonome.

Dernier exemple : un élève en difficulté sur un concept d'algèbre mais dont on sait qu'il visualise bien les choses dans l'espace pourrait se voir proposer des reformulations qui s'appuient sur cette force ; un élève de la même classe pourrait se voir proposer le chemin inverse, d'utiliser ses facilités logiques pour résoudre des problèmes de géométrie.

L'IA peut permettre de répondre aux besoins individuels de chaque élève, de faire vivre à des millions d'enfants le luxe du professeur particulier. On peut analyser l'acquisition des savoirs sur de nombreux critères différents et adapter les ressources pédagogiques pour accompagner chacun de façon spécifique . Ainsi, en pouvant générer des contenus et des exercices à l’infini, l’IA optimise le rythme d'apprentissage le mieux adapté à l'élève, en lui permettant de prendre conscience de ses faiblesses et de ses progrès, gage de confiance en soi et en l’éducation. De plus, l’IA permet d’intégrer un aspect ludique dans l’apprentissage, à l’instar de ce qui a été expérimenté avec le jeu d’échecs à l’école. Cela encourage l’élève à prendre des initiatives, à se tester en jouant, à se convaincre que l’on apprend toujours de ses propres erreurs et que la difficulté doit être considérée comme un challenge, un obstacle ludique à franchir et non pas un mur infranchissable.

Les sciences de l'éducation l'ont mesuré, la personnalisation donne des résultats spectaculaires : les élèves suivis par des professeurs particuliers bien formés font mieux que 98% de ceux qui suivent des cours magistraux.

C'est cette ambition que nous appelons de nos vœux.

2. FORMER DES CITOYENS ÉCLAIRÉS

Pour que l'IA soit véritablement au service de l'égalité des chances, il est essentiel que les élèves apprennent à la comprendre. L'informatisation de l'éducation a, à ce titre, fait apparaître les faiblesses d'un modèle qui se contente d'apprendre à utiliser.

L'histoire récente de l'éducation à l'informatique nous offre un exemple intéressant. Réduisant souvent l'informatique à un outil, les politiques éducatives ont retardé son appropriation profonde. Les élèves ont été formés à utiliser des logiciels de bureautique ou à naviguer sur Internet, mais moins souvent à comprendre les principes fondamentaux qui font qu'un ordinateur et un réseau existent et fonctionnent, et encore moins à en analyser les conséquences. On limite la capacité des élèves à anticiper les évolutions de cette technologie, et on ralentit l'adaptation aux changements quand ils sont là.

Heureusement, partout en France des enseignants ont mis en place des projets qui permettent aux élèves d'aller plus loin qu'une simple utilisation d'outils.

Changeons d'ambition avec l'IA. Les élèves peuvent être formés non seulement à utiliser l'IA mais aussi à la comprendre. Cela pourrait passer par l'intégration plus précoce de raisonnements probabilistes, et par des projets mobilisant ces raisonnements pour résoudre des problèmes concrets. En formant les élèves à maîtriser l'IA, nous leur donnerons les moyens de devenir des acteurs de leur apprentissage et de contribuer à une société plus juste et plus inclusive.

Ils doivent comprendre les principes fondamentaux de l'IA et être capables d'intervenir activement dans la personnalisation de leur apprentissage. Cette formation est indispensable pour démocratiser l'accès à l'IA et former des citoyens critiques, capables de questionner et d'améliorer les technologies qu'ils utilisent, et de s'adapter à celles qui viennent, tout au long de leur vie.

3. LE PROF ET L’IA

Partout en France et à tous les niveaux, des enseignants utilisent l'IA pour enrichir leurs pratiques. Certains s'en servent pour enrichir leurs cours, d'autres pour répondre aux questions des élèves, d'autres encore pour les aider à s'auto-tester - et n'oublions pas ceux qui s'en servent pour qu'ils s'amusent en apprenant. Les élèves ne sont pas en reste, et l’usage qu’ils en font impose désormais aux institutions éducatives de trouver une réponse adaptée.

Ce sont ces pratiques qui nous remontent en ordre dispersé, qui sont une flamme que nous proposons d'attiser pour en augmenter l'ampleur, puis de mettre sa puissance au service de l'Éducation nationale.

Les pouvoirs publics se penchent enfin sur la question, mais les solutions envisagées jusqu’à alors s’arrêtent à l’arbre qui cache la forêt. Ces ajustements à la marge ne sont pas adaptés, et sont sous-dimensionnés comme l’ont été les expérimentations avec de nombreux outils qui atterrissent dans plus de rapports que de salles de classes. De plus, croire que l'ajout d’un enseignement spécifique de l’IA suffira à traiter les enjeux nous apparaît comme un erreur de départ majeure, qu’il faut urgemment corriger.

La France a besoin d'une politique ambitieuse pour faire une place à l'IA dans l'éducation. L'édifice éducatif est gigantesque et complexe, le nier est une impasse. Le ministère n'est pas dirigé par une socialiste, cette évidence s'impose avec la même force. Mais nous ne pouvons pas attendre que ce soit le cas pour s’impliquer sur ce sujet essentiel pour nos futures générations.

Lançons des consultations, accompagnons ou créons des expérimentations hors temps scolaire, sur les domaines éducatifs qui ne relèvent pas du seul gouvernement :

  • ●  Au collège, mettons en place de programmes d'aide aux devoirs assistés par IA après les cours ?

  • ●  Dans les communes, proposons des ateliers d'initiation à l'IA ?

  • ●  Intégrons l'IA dans des programmes d'éducation culturelle, de musique, d'art

    plastique ?

     

4. LA QUÊTE DE L’EFFICIENCE EST UNE DÉFAITE

Mais soyons lucides : personne ne sera frontalement opposé à la personnalisation de l'éducation, ni à la mobilité sociale (certains ailleurs appellent cela “méritocratie”). Le contre-modèle proposé sera "de faire plus avec moins". D'utiliser "une partie" des gains de productivité rendus possibles pour réduire les dépenses publiques d'éducation. De remplacer quelques aides aux devoirs par des abonnements ChatGPT. On nous dira: “une classe de trente élèves à trente euros par élève, ça revient à 900 euros par mois, et l'IA peut faire toutes les matières.“ Et de renoncement en renoncement, on fera moins avec beaucoup moins.

Notre responsabilité face à ce risque sera de dénoncer ce manque d'ambition mais surtout de faire vivre concrètement les alternatives et les faire voir.

C'est une raison de plus pour laquelle nous devons expérimenter et déterminer par l'exemple si l'IA peut enrichir l'expérience éducative, et comment. Il faut des projets pilotes où l'IA vient en support des enseignants, permettant autant voire davantage d'interactions humaines riches. Il faut sortir des cartons les idées qui avaient été écartées parce qu'elles étaient trop chères.

Enfin il est crucial de communiquer largement sur ces projets, de montrer ce qui est possible à tous. Les idées doivent être documentées, analysées et partagées pour que chacun ait une chance d'en entendre parler, et puisse ne serait-ce qu'imaginer une IA au service de l'éducation.

5. LA RÉACTION ET L’ÉCOLE

Autre idée politique à laquelle il faudra se confronter : les discours réactionnaires. L'école est un domaine de passion et de liberté, le carrefour de beaucoup de difficultés et de fantasmes sur la société. Chacun y est passé, il y a plus ou moins longtemps ; chacun a un avis sur ce qu'elle est ou est devenue. Y faire entrer l'IA ne manquera pas de susciter des inquiétudes. Peut-être même que certains accuseront l’IA de submerger l’apprentissage traditionnel.

L'IA conduirait à ne plus utiliser son cerveau ? L'IA réduirait la créativité ? L'IA détruirait les liens sociaux ? L’IA remplacerait tout simplement les enseignants ?

La gauche ne peut pas se contenter d’écarter ces inquiétudes, qui d’ailleurs bien souvent sont ressenties par nos sympathisants et électeurs. Elle doit au contraire les transformer en questions et tenter d’y apporter des réponses pour construire une vision commune de l'école de l'avenir. Nous devons constituer et animer des comités scientifiques pour nourrir le débat public et le financement public de la recherche sur ces sujets, en lien étroit avec nos universités.

Il nous faudra avancer rapidement sur trois inquiétudes : l’IA comme perte de souveraineté, l’IA comme catastrophe écologique, l’IA et les enseignants. Ces trois questions dépassent largement le cadre de l’éducation que nous avons fixé pour cette contribution ; les socialistes devront les traiter factuellement et clairement. Mais, concernant la troisième question, nous sommes néanmoins convaincus que dans le domaine de l’éducation, pour que l’IA soit pleinement efficiente dans la “lutte des classes moderne”, le rôle de l’enseignant, du pédagogue devra être renforcé, reconnu et valorisé : l’occasion de garantir le passage de l’IA à l’IH (Intelligence Humaine).

6. AGIR ICI ET MAINTENANT

Ne nous y trompons pas : le temps presse. Chaque année qui passe sans action décisive menace de creuser davantage les inégalités. Les familles aisées ne regardent jamais à la dépense quand il s'agit de l'éducation de leurs enfants, elles s'équiperont d'assistants IA personnalisés pour leurs enfants à la vitesse à laquelle le marché les fabriquera.Le système public doit tracer une voie : une disponibilité massive et sans condition, une symbiose avec les enseignants et le système éducatif, une attention particulière à l'utilisation réelle et pratique, et un œil sur les résultats en termes d'égalité des chances.

L'IA peut transformer l'éducation et promouvoir l'égalité des chances mais seulement si nous donnons un objectif franc et clair à son déploiement. Investissons pour faire une place à l'IA, et formons nos élèves à sa maîtrise. Elle sera une alliée majeure pour construire une société plus égalitaire. Une société qui garantira l’émancipation de l'individu : élève, étudiant, travailleur, citoyen tout au long de sa vie.

Merci à mistral:7b, à gemma3:4b, et à llama3.2:3b pour leur relectures attentives et bienveillantes.

 


Contributeur.ices : David ROS (91), Pierre NICOLAS, Fanny PIDOUX (45), Pierre PRIBETICH (21), Audrey GATIAN (13), Pierre PRIBETICH (21), Thomas GODARD (94), Malika BONNOT (69), Caroline RACINE (57), Aline MAURICE (34), Agathe BOURRETERE (40), Rozenn BONNET (40), Aline MAURICE (34), Emma PINÇON (31), Philippe QUÉRÉ (95), Alex CHARBONNEL (32), Michel MOUREAU (63), Jean Claude MAURIN (26), Gauthier DUFOSSEZ (69), Gautier PEZY (16), Antoine DALLET (17), Philippe BLET (62), Nicolas LE VIAVANT (40), Àhmed MIRAOUÎ (62), Titouan MARY (51), Antoine FABRY (12), Gwendal MANSO (40), Eden MATIONGO (77), Killian MONTESQUIEU (75), Damien THOMAS (75), Christian HUGUIES (40), Bruno PÉRAN (31), Thierry JACQUET (69), Jerome GUILLEM (33), Marina PARODI (40), Benjamin ALLAIX (49), Vincent TISON (37), Yoann GARCIA (33), Lionel OLLIVIER (60), Jennifer BOHRER BARREAU (53), Johanne HADZLIK (59), Jean-Marie DARRICAU (40), Elouan LAHET (40), Jean-Michel EON (44), Karine GARRALON (40), Abel GAGO (69), Denis BREVET (40), Nicolas DELAUTRETTE (87), Benedicte LECACHEUX (14), Florence SABARD (75), Johel GREVET (62), Gauthier DETROUSSEL (27), Lucas BERGÉ (58), Elias BENDAOUADJI (57), Didier KAHN (40), Dominique BOLLIET (69), François-Marie CAILLEAU (29), Gauthier DUFOSSEZ (69), Yann AUZIAS (69), Alex CHARBONNEL (32), Hans TORVIC LECLERC (18), Robert CABÉ (40), Bernard BETNA (40), Vincent VAN ACKER (75), Mehdi KEMOUNE (91), Paul COUTARD (75), Victor LE MONIER (21), Jean Marc BILLAC (40), Romain MIDA (60), Antoine TERRIER (40), Grégoire GOURDON (49), Noé COLLOMB (69), Justine CHASSEUR (40), Nicolas DZIEZUK (57), Manon AUDAP (40), Lucas HAMIDI (62), Olivier DUCOURTIEUX (87), Matthias EVANO (75), Rolande CASSAGNEAU (40), Zoé BOURLON (40), Yann AUZIAS (69), Abel GAGO (69), Pierre HADZLIK (59), Stéphane GEMMANI (38), Quentin LE MENÉ (45), Quentin LATOUR (31), Jean WOHRER (75), Xavier DEMANGEON (40), Cédric MARÉCHAL (45), Thomas ROSSET (75)


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