Thème : Éducation
Alors que l’université est attaquée partout à l’international et que son financement en France est chroniquement sous-financé par les responsables politiques, il est parfois facile d’oublier un élément important qui grève l’enseignement supérieur français : une accessibilité inégale et entravée par de nombreux éléments pesant sur les étudiantes et les étudiants.
Au premier de ces entraves, il nous faut évidemment citer la précarité étudiante. Nous devrions dire d’ailleurs “les précarités” tant celles-ci sont diverses et pèsent lourdement dans le choix des études, la poursuite de ces dernières et évidemment dans la réussite de nos étudiantes et étudiants. Mais une autre de ces entraves, trop souvent oubliée malheureusement, est celle d’une diversité de profils dans l’enseignement supérieur trop insuffisante, que ce soit dans les catégories sociales ayant accès à l’enseignement supérieur, ou dans l’origine géographique des étudiantes et étudiants.
Là est tout l’objectif de cette contribution, revenir sur la situation actuelle tout en proposant un certain nombre de mesures que les socialistes devraient mettre en place pour enfin garantir un enseignement supérieur accessible également par toutes et tous.
Répondre au défi de la précarité étudiante
Le premier des défis qui doit nous venir en tête lorsque l’on parle de l’accessibilité des études et de l’enseignement supérieur doit être celui de la précarité étudiante. Nous le savons, et la crise sanitaire l’a encore plus révélé avec des files à n’en plus finir d’étudiants attendant devant les distributions alimentaires, les conditions de vie étudiante sont aujourd’hui fortement dégradées et nos jeunes font partie de la population la plus vulnérable en France. Selon l’IFOP en 2024, 39% des étudiantes et étudiants déclarent se retrouver à découvert assez régulièrement, si ce n’est tous les mois. 36% des étudiantes et étudiants déclarent sauter régulièrement au moins un repas par manque d’argent, un chiffre qui monte à 60% des étudiantes et étudiants qui bénéficient d’aides d’associations comme COP1, contre 29% pour l’ensemble de la population.
Mais la précarité des étudiantes et étudiants n’est pas seulement financière, elle est composite et touche aujourd’hui tous les domaines de la vie. L’Observatoire de la Vie Étudiante (OVE), définit les conditions de vie étudiantes comme “l’ensemble des conditions matérielles et morales impactantes dans la réussite des étudiants bien qu’extérieures au cursus suivi”, conditions que l’OVE ainsi que le collectif “Nos Services Publics” constatent comme fortement dégradées. La précarité du logement arrive ensuite, tant sur le public que sur le privé, 50% des étudiantes et étudiants ayant eu des difficultés pour se loger selon l’IFOP. De plus, quand ces jeunes trouvent un logement il est, quand ils sont privés, peu satisfaisant en terme de qualité de vie, ou, quand il est public comme les chambres du CROUS, infestées de parasites et dans un état de dégradation avancé. La précarité touche aussi les questions de santé. Plus d’un tiers des étudiants ont déjà renoncé à des soins, soit par manque de temps, par manque d’argent ou encore par manque de médecins à proximité. Un constat qui s’empire quand l’on parle de santé mentale puisque l’on pourrait parler aujourd’hui d’une véritable “précarité psychologique” des étudiantes et étudiants. Enfin, nous voulons parler de la précarité menstruelle et gynécologique. 41% des étudiantes ont renoncé ou repoussé des soins gynécologiques et 24% ont pu manquer de protections hygiéniques, un chiffre qui descend à 16% pour l’ensemble de la population.
Cette situation affecte largement la réussite et la poursuite des études, certains issus de milieux familiaux défavorisés faisant même le choix de ne pas faire d’études supérieures par peur de tomber dans la précarité. Cette situation conduit également un grand nombre d’étudiants à trouver un travail à côté de leurs études, notamment quand les familles, également touchées par la hausse du coût de la vie, ne peuvent pas suivre. 26% des étudiantes et étudiants sont aujourd’hui salariés selon l’INSEE, si la majorité ont un emploi dans le cadre de leurs études (alternance, apprentissage, internat de médecine…) il en reste 43% qui occupent un emploi alimentaire, qui, s’il est trop chronophage, peut affecter le suivi des études par les étudiantes et les étudiants concernés.
Ce constat étant posé, il nous faut saluer le travail accompli par des associations et des groupes de solidarités. Nous citerons, par exemple, les associations d’aide alimentaire, les différentes structures d’information ou encore les associations comme COP1 qui offrent un accompagnement global des étudiantes et étudiants. Mais ces actions ne peuvent pas exonérer l’État de sa responsabilité dans la lutte contre la précarité étudiante sur le dos de ces associations. Il est aujourd’hui de notre devoir de socialistes de porter des propositions ambitieuses pour résorber la précarité étudiante, ce via des mesures ambitieuses et globales en direction des jeunes, trop souvent oubliés des politiques publiques et des politiques de solidarité.
Il y a d’abord des propositions qui peuvent être mises en place de manière immédiate, à l’instar du repas CROUS à 1€ pour toutes et tous. Nous pouvons par exemple citer la création d’un guichet unique des aides, la majorité des étudiantes et étudiants, en situation de précarité ou non, n’ayant aujourd’hui que très peu connaissance des aides auxquelles ils ont droit. Cette création, dans toutes les universités et régionalisées, permettra une centralité de l’information sur toutes les aides, des bourses CROUS aux APL, nationales comme celles proposées par les collectivités. La question du versement automatique de ces aides aux étudiantes et étudiants ayants droit doit être posée afin de ne laisser personne sur le côté lors de l’arrivée dans les études. Plus encore, la généralisation des Services de santé universitaires (SSU) et leur renforcement doit se faire de manière urgente. Présentée par les gouvernements macronistes, cette idée ne s’accompagne pas aujourd’hui des moyens suffisants pour qu’elle soit effective. Ces SSU doivent également être lieu de lutte contre la précarité menstruelle, distribuant des protections hygiéniques gratuites pour toutes les étudiantes le demandant. Enfin, sur la question de l’alimentation, si le repas CROUS à 1€ est une première étape nécessaire, il ne peut pas arriver seul. En effet, parmi les personnels du CROUS et les étudiantes et étudiants, l’inquiétude de la capacité d'absorption de la charge supplémentaire est bien réelle. Il nous faut un plan pour rénover et construire de nouveaux restaurants universitaires (RU) pour envisager l’ouverture du repas à 1€ à celles et ceux qui en sont aujourd’hui exclus comme les étudiants en BTS. Enfin, à défaut de RU et de la capacité d’en construire dans certaines zones isolées, l’État doit aider les collectivités qui font le choix d’ouvrir des options de restauration abordables pour les étudiantes et étudiants du territoire.
Au-delà de ces “mesures d’urgence” qui doivent être menées, nous socialistes devons développer un plan plus global pour lutter contre la précarité étudiante, un plan plus ambitieux et en capacité de résorber la précarité étudiante. Au premier rang de ces mesures, on retrouve la question des bourses. Aujourd’hui bénéficiant à près de 700 000 étudiantes et étudiants chaque année, il est regrettable que ce système exclut de son calcul un grand nombre d’étudiantes et d’étudiants qui pourtant devraient y avoir droit. Ainsi, il est nécessaire de réformer en profondeur les bourses du CROUS, en changeant et renforçant les critères d’attribution, en prenant mieux en compte l’éloignement ainsi que les familles séparées sans être divorcées par exemple, tout en considérant comme un individu plein et entier. La question du montant est elle aussi incontournable, les échelons les plus bas de la bourse et ses augmentations récentes n’étant absolument pas suffisants pour couvrir les besoins des bénéficiaires, il faut aujourd’hui une augmentation substantielle en améliorant le versement et en ouvrant enfin la possibilité d’un versement sur 12 mois au lieu de 10. La question du logement est elle aussi centrale, des plans de construction et de reconstruction nationaux doivent être mis en place pour qu’enfin chaque étudiante et chaque étudiant qui en fait la demande puisse avoir accès à un logement universitaire décent, proche de son université et avec des difficultés résorbées. Une dernière mesure que nous porterons est celle de la réforme en profondeur du CNOUS et des CROUS, pour en faire un véritable organe délibérant, par et pour les étudiants. Un organe qui sera enfin doté des moyens essentiels pour répondre le plus rapidement et efficacement aux besoins des conditions de vie étudiante, souvent dans des particularités locales. Aussi, les CROUS devront être au centre de la création d’une planification pluriannuelle des conditions de vie étudiante, permettant de fixer, dans une discussion entre partenaires sociaux et étudiants, les objectifs d’amélioration nationale des conditions de vie étudiante.
En somme, si la précarité étudiante est une préoccupation aujourd’hui urgentissime pour la résilience de notre système universitaire français, elle n’est pas une fatalité. Il en va de la responsabilité des socialistes de se doter d’un arsenal de propositions en mesure de mettre fin à la précarité étudiante, dans un plan global d’amélioration des conditions de vie étudiante. Enfin, cette question de la précarité étudiante doit également venir aider dans un autre objectif que nous devons nous fixer : celui de la nécessaire diversification des profils des étudiantes et étudiants.
La nécessaire diversification des profils des étudiantes et étudiants
La promotion sociale est un objectif de l’enseignement supérieur, notamment depuis la période de massification des années 1960. Cet objectif peut se voir de deux manières différentes rejoignant toutes deux une volonté de diversification des profils des étudiantes et étudiants : d’abord la promotion des enfants de familles issus de milieux sociaux défavorisés, ensuite la réduction des inégalités d’accès à l’enseignement supérieur entre les territoires.
Si, pour la question de la promotion sociale des étudiants issus de milieux défavorisés l’objectif semble atteint, il faut sortir d’une considération uniquement quantitative pour une vision plus qualitative. En effet, les inégalités sociales persistent dans la répartition des filières d’études suivies. Ainsi, les grandes écoles et les classes préparatoires aux grandes écoles sont constituées d’une très grande majorité d’étudiantes et d’étudiants issus de milieux favorisés voire très favorisés alors que les diplômes de BTS sont principalement constitués d’un public issu de milieux défavorisés. En ce qui concerne l’université, si quantitativement les écarts sont moindres il n’en reste pas moins que de fortes différences dans les filières choisies en fonction du milieu social. D’une manière plus globale encore, si 90% des enfants de milieux favorisés accèdent à l’enseignement supérieur, ce chiffre descend fortement pour s’établir à 30% des enfants issus de milieux défavorisés.
Ces inégalités sociales ne sont pas non plus sans lien avec des inégalités entre les territoires. Ainsi, on observe assez facilement que les jeunes ayant grandi dans des territoires ruraux accèdent moins à l’enseignement supérieur que les jeunes urbains. Cela peut d’abord s’expliquer par un manque de formations proposées à proximité du lieu de vie, un grand nombre de jeunes ne souhaitant ou ne pouvant quitter leur territoire d’origine, par peur d’isolement ou tout simplement car le coût de la vie étudiante, situé entre 1000€ et 1500€ dans les milieux urbains. Ce déficit peut se comprendre aussi par un facteur sociologique bien connu qui est celui de l’absence de modèle familial ou proche étant passé par l’enseignement supérieur, les territoires ruraux connaissant effectivement un fort déficit de diplômés du supérieur.
Cette dernière question de l’accès des jeunes ruraux peut se résoudre de plusieurs manières. En effet, nous avons déjà évoqué la lutte contre la précarité étudiante et de l’information sur les aides disponibles, ce premier élément peut être un facilitateur du développement de l’accès des jeunes ruraux à l’enseignement supérieur. Mais nous pensons que nous devons aller encore plus loin, en changeant la logique des campus. Ainsi, sur le modèle de ce qu’il se fait à l’université d’Orléans, avec des campus délocalisés dans l’ensemble de la région Centre-Val de Loire tel que dans l’Indre ou dans le Cher, ou à l’université de Lorraine, avec le développement de campus dans l’ensemble du sillon Lorrain à l’instar de ce qui est fait avec succès à Epinal, il faut le développement de campus universitaires dans les territoires ruraux ou en déficit de formations. Plus encore, nous pensons qu’il serait vertueux de mener une politique d’éclatement des grands pôles universitaires (pour retourner en région Centre : Tours) dans de plus petits pôles, mieux répartis sur le territoire. Cela aurait un double effet favorable, celui de mieux garantir l’accès des jeunes ruraux à l’enseignement supérieur, mais aussi de se servir des universités comme d’un véritable outil de dynamisation et d’attractivité pour certains territoires, tel que les anciens bastions industriels et miniers de notre pays.
Ensuite et pour répondre aux deux enjeux de la diversification des profils, un travail immense doit être fait sur l’orientation avant le Bac. En effet, le manque de figures étant passées par l’enseignement supérieur pour les jeunes ruraux et/ou défavorisés ne peut être une fatalité. Par le développement de véritables programmes d’orientation, de moments et d’événements par les collectivités, nous pourrons réduire l’autocensure que s’appliquent aujourd’hui beaucoup de ces jeunes. Aussi, cela doit passer par une refonte du système de sélection à l’entrée à l’université car le constat que nous tirons est aussi celui de l’échec de Parcoursup et plus largement de la loi ORE de 2018. Avec des critères opaques et une moins bonne information sur les critères d’accès et sur l’offre de formation, une situation alors peu reluisante s’est empirée. Il nous faut donc, immédiatement, changer les dispositifs d’accès à l’enseignement supérieur.
La diversification est donc une nécessité que seule une politique ambitieuse et changeant la logique de l’université et de l’enseignement supérieur français pourra atteindre. Cependant, ce n’est pas non plus un impossibilité et les bonnes réformes au bon moment permettront d’accomplir cet objectif nécessaire pour que l’université accomplisse enfin pleinement ses objectifs d’épanouissement et de promotion de tous ceux et de toutes celles qui le souhaitent.
Contributeurs : Caroline RACINE (57), Quentin LE MENÉ (45), Pierre PURSEIGLE (99), Bruno PERAN (31), Quentin LATOUR (31), Guillaume BUGLIANI (13), Romain TROUSSEL LAMOUREUX (93), Pierre PRIBETICH (21), Eric SARGIACOMO (40), Audrey GATIAN (13), Malika BONNOT (69), Eric QUENARD (51), Yann CROMBECQUE (69), Thomas GODARD (94), Aline MAURICE (34), Agathe BOURRETERE (40), Rozenn BONNET (40), Aline MAURICE (34), Emma PINÇON (31), Benjamin GAULT (30), Philippe QUÉRÉ (95), Alex CHARBONNEL (32), Michel MOUREAU (63), Nicolas TELLIER (33), Jean Claude MAURIN (26), Gauthier DUFOSSEZ (69), Gautier PEZY (16), Antoine DALLET (17), Nicolas LE VIAVANT (40), Àhmed MIRAOUÎ (62), Gwendal MANSO (40), Dominique RAT (40), Damien ROUTA (40), Eden MATIONGO (77), Killian MONTESQUIEU (75), Damien THOMAS (75), Christian HUGUIES (40), Thierry JACQUET (69), Jerome GUILLEM (33), Marina PARODI (40), Benjamin ALLAIX (49), Nicolas BIGHETTI DE FLOGNY (60), Stéphane GUTHINGER (24), Dominique BOLLIET (69), Marie-Pierre DUHA PERRIAT (40), Yoann GARCIA (33), Lionel OLLIVIER (60), Jennifer BOHRER BARREAU (53), Johanne HADZLIK (59), Richard MARSAN (40), Elouan LAHET (40), Jean-Michel EON (44), Karine GARRALON (40), Abel GAGO (69), Denis BREVET (40), Nicolas DELAUTRETTE (87), Benedicte LECACHEUX (14), Florence SABARD (75), Johel GREVET (62), Gauthier DETROUSSEL (27), Pierre CROS (40), Lucas BERGÉ (58), Elias BENDAOUADJI (57), Didier KAHN (40), Dominique BOLLIET (69), Yann AUZIAS (69), Alex CHARBONNEL (32), Roger GONNET (63), Hans TORVIC LECLERC (18), Robert CABÉ (40), Bernard BETNA (40), Vincent VAN ACKER (75), Mehdi KEMOUNE (91), Paul COUTARD (75), Jean Marc BILLAC (40), Romain MIDA (60), Antoine TERRIER (40), Florian SENTIGNAN (94), Grégoire GOURDON (49), Noé COLLOMB (69), Justine CHASSEUR (40), Jeanne DALLOT (75), Nicolas DZIEZUK (57), Manon AUDAP (40), Théo IBERRAKENE (59), Matthias EVANO (75), Rolande CASSAGNEAU (40), Zoé BOURLON (40), Yann AUZIAS (69), Abel GAGO (69), Pierre HADZLIK (59), Stéphane GEMMANI (38), Stéphane GEMMANI (38), Helene HOMMERY (22), Xavier DEMANGEON (40), Cédric MARÉCHAL (45), Thomas ROSSET (75), Arnaud BATTEFORT (23)