UNIR - Pour un programme fiscal socialiste ambitieux, juste et crédible


Thème : Économie


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Il est peu de choses qui réconcilient le cœur et la raison, la lutte contre l’injustice et l’efficacité économique, l’aspiration à l’égalité et le pragmatisme budgétaire. L’impôt, pourtant, en fait partie.

Hormis quelques idéologues, tous les économistes se l’accordent désormais : l’impôt est devenu un instrument incontournable pour relever les grands défis contemporains (la transition écologique, la sécurité collective, les finances publiques dégradées), en plus évidemment d’assurer le financement de nos services publics. Mais c’est également un outil qui doit être manié avec précaution : l’impôt doit être lisible, stable et juste pour en faciliter l’acceptation et assurer son efficacité.

La centralité de l’impôt est telle que, lorsqu’un Gouvernement décide de baisser les impôts drastiquement, il peut être attaqué sur les marchés financiers - à l’instar de la Première ministre britannique conservatrice Liz Truss, obligée d’abandonner sa réforme fiscale à l’automne 2022.

Dans ce contexte inédit, il revient aux Socialistes de proposer à la Nation un programme fiscal ambitieux, juste et crédible :
Ambitieux, en faisant de la fiscalité le vecteur d’une action publique efficace et moderne.
Juste, pour réconcilier les Français avec l’impôt, après huit années d’un macronisme qui a multiplié les cadeaux fiscaux aux plus fortunés.
Crédible, enfin, pour montrer aux Français que les Socialistes sont prêts à gouverner le pays.
Pour répondre à ces trois impératifs, le programme fiscal des Socialistes devra tenir compte des grandes réalités économiques contemporaines. Celles-ci sont de quatre ordres : 1/ le poids grandissant du patrimoine net privé en rapport au revenu national (583 % du PIB en 2023 soit un niveau deux plus élevé que dans les années 1980), 2/ la faible croissance potentielle (évaluée à 1,2 % en 2025), 3/ le vieillissement de la population et 4/ la mondialisation dérégulée.

La France dispose de leviers pour appliquer un programme fiscal ambitieux malgré la mondialisation dérégulée

La politique fiscale duplice de la majorité présidentielle - pour la justice fiscale à l’international mais contre au niveau national - devient inopérante à l’ère Trump

La mondialisation déloyale constitue indéniablement une contrainte forte à la mise en place d’un programme fiscal socialiste ambitieux. Plusieurs développements témoignent de la course au moins-disant fiscal (“race to the bottom”) à l’œuvre depuis plusieurs décennies. Ainsi la baisse du taux d’imposition des sociétés et la diminution du taux marginal supérieur de l’impôt sur le revenu en application de la théorie du ruissellement sont les conséquences directes de la concurrence fiscale internationale. Le transfert de la charge fiscale des bases fiscales mobiles vers les bases fiscales immobiles, commun à l’ensemble des économies avancées, se traduit par la hausse des impôts sur la consommation, souvent régressifs, à l’instar de la Taxe valeur sur la valeur ajoutée (TVA).

La France sous le mandat d’Emmanuel Macron est entrée de plain-pied dans la course au moins-disant fiscal, avec la baisse du taux d’impôt sur les sociétés (IS) de 33,3 % à 25 % de 2017 à 2022, le remplacement de l’Impôt sur la fortune (ISF) par l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI), l’instauration du Prélèvement forfaitaire unique (PFU) à 30 % soit une « flat tax » sur les revenus du capital, la diminution des impôts de production dans le cadre du plan France Relance, la suppression de « l’exit tax » ou la baisse pérenne des cotisations sociales. C’est seulement au bord du précipice budgétaire que le Gouvernement a daigné intégrer des hausses d’impôt dans le budget 2025 (e.g. majoration exceptionnelle de l’IS, instauration d’une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus).

Non sans paradoxe, le Président de la République a soutenu en même temps des initiatives internationales visant à renforcer la coopération en matière fiscale, telles que l’accord d’octobre 2021 sur une taxation minimale des multinationales sous l’égide de l’OCDE ou l’initiative de la présidence brésilienne du G20 pour la taxation des milliardaires. Avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, cette stratégie n’est plus seulement duplice, elle devient aussi caduque : les États-Unis ont d’ores et déjà annoncé se retirer de l’accord de taxation minimale des multinationales. Un moment de vérité s’ouvre donc : les États sont sommés d’aligner leurs discours avec leurs actes.

Les socialistes français doivent défendre une forme « d’unilatéralisme coopératif » en matière fiscale

Si la coopération européenne et internationale demeure un objectif premier, la France doit « mener par l’exemple » en agissant urgemment contre l’accélération de la concurrence fiscale, sans attendre que l’ensemble de la communauté internationale se décide. Dans le sillage de l’amendement Vallaud-Zucman au PLF 2019, présenté dans un contexte international semblable (c’est-à-dire sous l’Administration Trump I), les socialistes français devront défendre une forme « d’unilatéralisme coopératif » ou de « protectionnisme d’interposition ». Concrètement, cela suppose de répartir les profits mondiaux des multinationales à proportion de leurs ventes par pays, et d’appliquer la loi fiscale française sur la part qui émane de ventes effectuées en France. Cette forme d’extraterritorialité fiscale s’éloigne de l'unilatéralisme « à la Trump », car elle n’affecterait pas négativement les pays tiers. De surcroît cette approche resterait fondamentalement ouverte, les pays étant libres voire incités à adopter les mêmes mesures mieux-disantes. Nous pourrions enfin transposer cette méthode à la fiscalité des grandes fortunes, en vue d’accélérer la coopération internationale encore balbutiante dans ce domaine ; via l’introduction d’une « exit tax » à l’échelle française ou européenne.

La France n’est jamais aussi grande que lorsqu’elle est à l’avant-garde des combats pour la justice. C’est aussi forte d’une crédibilité regagnée que la France pourra accélérer la coopération fiscale européenne, en vue notamment d'établir des nouvelles ressources communes pour financer le plan de relance européen ou, demain, un nouvel emprunt pour assurer la défense du continent.

La justice fiscale constitue un impératif pour réconcilier les Français avec l’impôt

La première tâche des socialistes est de réparer les dégâts causés par l’application de la théorie du ruissellement au mépris

La mise en œuvre coûte que coûte de la théorie du ruissellement au mépris de la rationalité économique a aggravé les déséquilibres dans la répartition de l’effort fiscal, entre ménages et entreprises, entre le travail et le capital, entre les bases fiscales mobiles (les grandes entreprises ou les ménages aisés, les anywhere) et les bases fiscales immobiles (les travailleurs, les artisans, les PME/TPE ou les agriculteurs, les somewhere), entre les grands émetteurs de CO2 (souvent aisés) et les petits émetteurs de CO2 (souvent modestes). La crise des « gilets jaunes » est la conséquence directe de l’aggravation de ces déséquilibres.

Les socialistes devront dans ce contexte panser les plaies causées par sept ans de macronisme. Cela suppose un rééquilibrage de la fiscalité dans un sens plus favorable aux travailleurs. Plusieurs réformes sont en ce sens indispensables, à commencer par la suppression du PFU pour rétablir une fiscalité progressive des revenus du capital. La pérennisation d’un taux d’IS plus élevé, et progressif en fonction du chiffre d’affaires des entreprises, devra aussi permettre de dégager durablement des recettes fiscales tout en épargnant les TPE/PME. Les socialistes devront enfin engager une revue d’ensemble des dépenses sociales, dans l’objectif de supprimer les plus inefficaces pour rétablir les recettes de la Sécurité sociale, ou d’en accroître la conditionnalité pour atteindre des objectifs en matière d’emploi ou d’écologie.

Le projet fiscal des socialistes doit se définir positivement pour porter « la vie large »

Le programme fiscal des socialistes ne saurait se définir uniquement par la négative. Plutôt que le rétablissement pur et simple de l’ISF, un impôt progressif, clair, unifié avec l’assiette la plus large possible sur le capital devra être mis en place. De même, l’IR peut gagner en progressivité via l’introduction de nouvelles tranches, et sa fusion avec la Contribution sociale généralisée (CSG) pourra être reposée à moyen terme. En effet, la baisse du poids économique de l’IR a participé à la moindre progressivité du système socio-fiscal dans son ensemble. En vue de faciliter l’accès à la propriété des ménages modestes, les droits de mutations à titre onéreux (DMTO) – autrement appelé les « frais de notaires » – pourront être rendus plus progressifs. La fiscalité écologique, quant à elle, doit avoir pour principe de cibler les modes de consommation polluants mais substituables, pour préserver le pouvoir d’achat des plus modestes.

De manière également à refléter les grandes évolutions de la société française et pour reconnaître la diversité des liens affectifs et personnels qui la composent, toutes les formes d’héritages ou de donations doivent être mises sur un pied d’égalité. Suivant la PPL de Christine Pirès Beaune de 2020, les socialistes pourront proposer d’appliquer les droits de mutations à titre gratuit dans la perspective du bénéficiaire, c’est-à-dire à partir des sommes que chaque individu reçoit au cours de sa vie, et de mettre fin à la différenciation du traitement fiscal selon le lien de parenté. Ainsi le taux appliqué sera indépendant de la personne à l’origine de la donation ou de la succession.

La grande transformation écologique demandera une forte intervention publique, pour la rendre possible économiquement et acceptable socialement. Pour éviter de comprimer l’activité tout en répondant à l’impératif de justice, nous proposons de cibler le mouvement de « grande transmission », à savoir les 9 000 Md€ qui seront transmis dans les 15 prochaines années en raison de la disparition progressive de la génération des baby-boomers, via l’introduction d’un Impôt sur les grandes successions (IGS) capable de lever 400 Md€ sur la période.

Enfin, pour affermir le consentement à l’impôt, consacré au plus haut de nos principes républicains, la réforme fiscale des Socialistes devra s’accompagner d’un retour à l’universel pour l’État-social de demain. En somme : des droits pour tous plutôt que des allocations pour certains.

La fiscalité doit s’insérer dans un programme d’ensemble crédible

Pour être activé efficacement, l’outil fiscal doit être manié avec parcimonie

Les Socialistes ne doivent pas céder à « l’impôt-solutionnisme » : tout problème social, politique ou économique ne peut trouver sa solution dans la création d’un nouvel impôt. L’impôt est un outil bien trop précieux pour être ainsi dévoyé par facilité. Dans bien des situations, d’autres outils de politiques publiques peuvent être mis à contribution pour atteindre nos objectifs : la régulation, les incitations, la résorption des inégalités à la source via la participation des salariés aux organes de gouvernance des entreprises, ou encore l’orientation de l’épargne.

En outre, pour éviter que le rendement d’un même nouvel impôt ne soit affecté au financement de plusieurs dépenses, le programme fiscal des Socialistes doit s’insérer dans un projet politique global cohérent, qui contient des recettes fongibles en face de dépenses financées. Ambition et crédibilité vont de pair si l’on souhaite réconcilier les Français avec l’impôt. Trop souvent, malheureusement, les propositions de nouveaux impôts ou de nouvelles dépenses formulées par la gauche s’éparpillent, sans cohérence d’ensemble. C’est au Parti qu’il revient de consolider ces propositions pour aligner la politique fiscale et la politique budgétaire.

Le Parti doit redevenir le lieu d’élaboration d’un programme fiscal ambitieux, juste et crédible

Le Parti peut naturellement s’inspirer du remarquable dynamisme de la recherche économique en matière fiscale, et des travaux de nombreux think tanks, pour bâtir son programme fiscal de la manière la plus ouverte possible. Au regard du poids des finances sociales dans les équilibres macroéconomiques, il faudra continuer le travail de coopération avec les syndicats et le milieu mutualiste pour identifier de nouveaux relais de financement de la protection sociale face aux besoins sociaux grandissants, tout en garantissant la juste rémunération du travail.

Un programme fiscal ne saurait cependant être fourni « clé en main » par l’extérieur du Parti ; c’est au Parti lui-même qu’il revient de le bâtir pour intégrer dès sa conception certaines limites, juridiques, politiques et institutionnelles. Il s’agit en particulier d’associer les militants à l’élaboration du projet pour ainsi partir du réel. Le Parti devra en particulier s’appuyer sur ses élus locaux afin de traiter des enjeux propres à la fiscalité locale.


Contributeurs : Théo IBERRAKENE (59), Fanny PIDOUX (45), Audrey GATIAN (13), Pierre PRIBETICH (21), Thomas GODARD (94), Eric SARGIACOMO (40), Malika BONNOT (69), Jean François DEBAT (10), Caroline RACINE (57), Agathe BOURRETERE (40), Rozenn BONNET (40), Aline MAURICE (34), Emma PINÇON (31), Philippe QUÉRÉ (95), Alex CHARBONNEL (32), Olivier FOURNET (82), Nicolas TELLIER (33), Jean Claude MAURIN (26), Gautier PEZY (16), Antoine DALLET (17), Philippe BLET (62), Nicolas LE VIAVANT (40), Àhmed MIRAOUÎ (62), Titouan MARY (51), Thomas FAGART (92), Gwendal MANSO (40), Dominique RAT (40), Killian MONTESQUIEU (75), Damien THOMAS (75), Christian HUGUIES (40), Bruno PÉRAN (31), Thierry JACQUET (69), Clément LUZEAU (75), Jerome GUILLEM (33), Marina PARODI (40), Benjamin ALLAIX (49), Stéphane GUTHINGER (24), Vincent TISON (37), Marie-Pierre DUHA PERRIAT (40), Yoann GARCIA (33), Lionel OLLIVIER (60), Jennifer BOHRER BARREAU (53), Johanne HADZLIK (59), Elouan LAHET (40), Jean-Michel EON (44), Karine GARRALON (40), Abel GAGO (69), Timothé LUCIUS (45), Denis BREVET (40), Nicolas DELAUTRETTE (87), Florence SABARD (75), Johel GREVET (62), Gauthier DETROUSSEL (27), Pierre CROS (40), Lucas BERGÉ (58), Elias BENDAOUADJI (57), Didier KAHN (40), Dominique BOLLIET (69), François-Marie CAILLEAU (29), Anne-Marie KAHN (40), Gauthier DUFOSSEZ (69), Yann AUZIAS (69), Alex CHARBONNEL (32), Roger GONNET (63), Hans TORVIC LECLERC (18), Robert CABÉ (40), Bernard BETNA (40), Vincent VAN ACKER (75), Mehdi KEMOUNE (91), Paul COUTARD (75), Victor LE MONIER (21), Jean Marc BILLAC (40), Romain MIDA (60), Antoine TERRIER (40), Grégoire GOURDON (49), Noé COLLOMB (69), Justine CHASSEUR (40), Jean-Paul BERTHOLLE (10), Nicolas DZIEZUK (57), Manon AUDAP (40), Olivier DUCOURTIEUX (87), Matthias EVANO (75), Zoé BOURLON (40), Yann AUZIAS (69), Abel GAGO (69), Pierre HADZLIK (59), Stéphane GEMMANI (38), Noé GUIGONET (13), Quentin LE MENÉ (45), Quentin LATOUR (31), Jean WOHRER (75), Cédric MARÉCHAL (45), Thomas ROSSET (75), Arnaud BATTEFORT (23)


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