Thème : Engagement
L’actualité nous enseigne tragiquement que la lutte contre l’antisémitisme n’est jamais achevée. Les chiffres de ces dernières années le confirment avec netteté : en 2023, les actes antisémites ont augmenté de plus de 1000% par rapport à 2022 et les mêmes niveaux ont été observés en 2024. Concrètement, ce sont 1600 plaintes ou signalements pour actes antisémites en 2023, 1570 en 2024, contre 450 en 2022. Cette hausse doit nous inquiéter toutes et tous car un tel bond ne relève pas du fait divers, catégorie dans laquelle on a trop longtemps voulu ranger les actes antisémites qui émaillent l’actualité. Malgré Ilan Halimi. Malgré Ozar Hatorah. Il relève du fait social qui percute nos valeurs, celles de la République et donc nous interroge politiquement.
L’antisémitisme partout dans la société et à tout âge
Il y a un problème d’antisémitisme dans toute la société et cela doit toutes et tous nous mobiliser. L’un des principaux points d’interpellation de l’antisémitisme aujourd’hui en France est la jeunesse des auteurs et des victimes de faits à caractère antisémite. Ainsi, une récente étude de la Fondation Jean Jaurès, du Crif et de l’Ifop révèle que 1 670 actes à caractère antisémite ont été recensés à l’école publique pour l’année scolaire 2023-2024, contre 400 en 2022-2023. Et qu’en 2024, 62% des victimes d’actes antisémites indiquent que les violences qu’elles ont vécues l’ont été au sein d’un établissement scolaire. De l’injure verbale à l’agression physique, la multiplicité de ces actes en constante augmentation témoignent de préjugés ancrés de plus en plus jeune.
Ces chiffres sont à mettre en perspective avec le départ des enfants juifs de l’école publique, qui bien que difficile à quantifier (l’audit demandé en 2023 par Pap Ndiaye, alors ministre de l’éducation nationale, n’ayant jamais vu le jour), semble en plein essor. Ainsi, le Fonds social juif unifié qui coordonne un réseau d’établissements sous contrat et hors contrat, a déclaré qu’à la rentrée 2024, trente-deux classes supplémentaires ont ouvert au sein des écoles juives (contre vingt-deux en 2022 et 2023).
Il est intolérable que des enfants ne trouvent pas leur place et soient en danger au sein de l’école de la République. Il est de notre devoir de faire en sorte que les enfants de toutes origines puissent être scolarisés à l’école publique sans subir de discriminations ou de violences.
Pour cela, l’audit sur le départ des enfants juifs de l’école publique maintes fois annoncés mais jamais réalisé doit enfin voir le jour afin d’avoir un panorama clair du phénomène. Surtout, l’accent doit être mis sur la formation des enseignants et de tout le personnel éducatif pour identifier et lutter contre toutes les discriminations, le racisme et l’antisémitisme auprès de leurs élèves.
Former les citoyens
L’antisémitisme est un délit, et c’est d’abord en tant que tel qu’il doit être sanctionné. Mais cette explosion de l’antisémitisme, en particulier chez les plus jeunes, doit nous interroger sur la façon dont nous en appréhendons sa prévention. La lutte contre l’antisémitisme ne peut pas être seulement « une foi sans culture ». D’autant plus alors que la façon dont celle-ci a été enseignée ces dernières décennies est en mutation avec la disparition des derniers témoins directs de la Shoah comme passeurs de mémoire et formateurs de conscience présente. Il faut ainsi insérer dans la pédagogie l’enseignement de l’histoire mais également les formes récentes et protéiformes de l’antisémitisme contemporain. La question de la formation et de la pédagogie - parce que c’est à l’école que tout commence – à la lutte contre l’antisémitisme est aujourd’hui clé pour endiguer son explosion.
Interroger la pédagogie c’est interroger la manière même d’enseigner la question de l’antisémite. A ce titre, un travail d’objectivation des discours et actes antisémites, et plus globalement des formes de l’antisémitisme, pour mieux les identifier et les contre-carrer, semble indispensable. Il faut une compréhension plus poussée encore de l’antisémitisme pour le détruire, pour adapter les stratégies de déconstruction de ces discours au public visé. Quels sont les tropes antisémites mobilisés spécifiquement depuis le 7 octobre mais aussi plus généralement ? Comment éviter l’essentialisation du conflit au Proche-Orient ici en France ? Quels imaginaires sont mobilisés ? Quels en sont les vecteurs ? Comment les déconstruire ? On constate encore aujourd’hui à quel point la galaxie soralo-dieudonnienne a fait des ravages pendant les années 2000. Il est nécessaire d’aller suffisamment loin dans l’analyse pour comprendre quels sont les vecteurs de ce type en 2024 et empêcher qu’ils ne prolifèrent. Réfléchir à la meilleure manière de prendre à bras le corps la lutte contre l’antisémitisme qui est une urgence pour notre République c’est aussi penser ensemble l’identité - les identités - et l’universel. C’est la meilleure façon de vivre ensemble, de créer à nouveau du commun, de faire Nation.
Antisémitisme et vie politique
L’antisémitisme touche toute la société, tous les âges… et tous les spectres de la vie politique. Disons-le clairement et avec beaucoup de gravité, la gauche n’en est pas exempte : elle a même vu une partie de ses membres largement dériver à ce sujet (l’enquête « Radiographie de l’antisémitisme 2024 » de la Fondapol et de l’IFOP pointe une « surreprésentation des sympathisants d’extrême gauche en général et de LFI en particulier dans les groupes à tendance antisémite ») au point qu’une part importante des Français de confession juive considère aujourd’hui que les partis de gauche véhiculent de l’antisémitisme. Cela s’est particulièrement exacerbé depuis le 7 octobre 2023 et l’explosion du conflit au Proche-Orient. C’est un véritable problème. Et parce que la gauche porte des principes et des valeurs d’égalité, de justice, de lutte contre toutes les injustices, les discriminations et les haines, elle ne peut tolérer en son sein le moindre écart sur ce sujet. C’est aussi l’histoire et la responsabilité de la gauche de faire bloc contre ce poison, comme elle l’a fait dans le passé, au point de faire de la lutte contre l’antisémitisme un élément constitutif de son identité politique. Ce travail est à reprendre parce que les formes de l’antisémitisme ont pu changer et les socialistes ne doivent pas laisser à d’autres le soin de faire ce travail sous prétexte que le PS serait immunisé. La lutte contre l’antisémitisme ne peut pas n’être qu’un réflexe politique - même si cela est nécessaire- mais doit aussi être un processus réflexif permanent. C’est ainsi que nous serons les militants utiles de la lutte contre l’antisémitisme.
Mais disons-le aussi avec la même force et la même clarté : si la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) affirme dans son rapport annuel du jeudi 27 juin 2024, qu’il existe de l'antisémitisme à gauche, tout particulièrement à la gauche de la gauche, « chez les proches des Insoumis et d’EELV notamment », elle précise que celui-ci reste à un niveau « sans comparaison avec celui observé à l’extrême droite et chez les proches du Rassemblement national. » C’est la grande supercherie du renversement auquel nous faisons face aujourd’hui : celle d’une extrême droite qui se déclare « bouclier pour les Français juifs » comme l’a dit Jordan Bardella, président du Rassemblement national, il y a quelques jours depuis le mémorial de la Shoah de Jérusalem. Pourtant, l’antisémitisme est un poison de l’extrême-droite dans notre pays, dans le passé comme dans le présent, idéologiquement et factuellement. Bien qu’elle tente de faire oublier ce passé collaborationniste, antisémite et négationniste, l’extrême droite n’a pas changé. Preuve en est, dans la radiographie de l’antisémitisme de l’IFOP et de la Fondapol de 2024, on constate que leurs électeurs ont un fort niveau d’adhésion aux préjugés antisémites. En ce qui concerne leurs élus, c’est également toujours le cas puisque Frédéric Boccaletti, député RN du Var, a tenu une librairie qui vendait des livres antisémites et négationnistes. C’est aussi le cas de leurs candidats, puisque nombre de candidats RN aux élections législatives de 2024 ont été rattrapés par des déclarations racistes et antisémites. Ainsi par exemple, dans le Calvados, une candidate a dû se retirer après une photo la montrant coiffée d’une une casquette de la Luftwaffe, l’armée de l’air de l’Allemagne nazie. En somme, bien que l’extrême droite tente de faire croire qu’elle n’est plus ce qu’elle était, la réalité des faits prouve le contraire.
Et les socialistes dans tout ça ?
En ce qui concerne le Parti socialiste, s’il s’inscrit depuis l’affaire Dreyfus dans une longue histoire de lutte contre les préjugés et pour l’émancipation, il ne peut être exempt de ce qui traverse la société et doit, en conséquence, également s’interroger sur la façon dont la lutte contre l’antisémitisme est menée en son sein. Comme socialistes, nous ne pouvons qu’être profondément bousculés par le fait que 43% des Français de confession juive considèrent que notre parti contribue à l’augmentation de l’antisémitisme en France (49% pour le RN, 60% pour EELV et 92% pour LFI.).
Comme socialistes, nous réaffirmons notre détermination à lutter fortement contre l’antisémitisme, par diverses actions :
- Refuser l’investiture de candidats ayant tenu des propos antisémites ou ambigus.
- Organiser des formations à destination des cadres et des militants sur l’antisémitisme, afin de mieux en comprendre les mécanismes, les sous-jacents et pouvoir les combattre. Plus généralement, organiser des formations sur les discriminations et le racisme.
- Favoriser la reconnaissance des cas éventuels d’antisémitisme et de racisme en interne et définir une stratégie de soutien aux victimes.
- Combattre les amalgames relatifs au conflit au Proche-Orient et soutenir fortement les initiatives en faveur de la paix et en refus des assignations identitaires, comme celle des Guerrières de la Paix.
- Soutenir, accompagner, relayer les initiatives des associations engagées dans la lutte contre l’antisémitisme.
- Soutenir la recherche sur l’antisémitisme contemporain pour mieux parler des formes de l’antisémitisme aujourd’hui.
Contributeurs : Nina KARAM-LEDER (75), Boris VALLAUD (40), Alexandre OUIZILLE (60), Pierre PRIBETICH (21), Eric SARGIACOMO (40), Fanny PIDOUX (45), Audrey GATIAN (13), Thomas GODARD (94), Yann CROMBECQUE (69), Malika BONNOT (69), Caroline RACINE (57), Aline MAURICE (34), Agathe BOURRETERE (40), Rozenn BONNET (40), Aline MAURICE (34), Emma PINÇON (31), Philippe QUÉRÉ (95), Alex CHARBONNEL (32), Michel MOUREAU (63), Jean Claude MAURIN (26), Gauthier DUFOSSEZ (69), Gautier PEZY (16), Antoine DALLET (17), Philippe BLET (62), Nicolas LE VIAVANT (40), Gwendal MANSO (40), Dominique RAT (40), Damien ROUTA (40), Killian MONTESQUIEU (75), Damien THOMAS (75), Nicole HOSTIER-GLORIEUX (38), Christian HUGUIES (40), Bruno PÉRAN (31), Thierry JACQUET (69), Jerome GUILLEM (33), Marina PARODI (40), Benjamin ALLAIX (49), Nicolas BIGHETTI DE FLOGNY (60), Stéphane GUTHINGER (24), Marie-Pierre DUHA PERRIAT (40), Yoann GARCIA (33), Anne TOUSCHE (31), Lionel OLLIVIER (60), Jennifer BOHRER BARREAU (53), Johanne HADZLIK (59), Elouan LAHET (40), Jean-Michel EON (44), Karine GARRALON (40), Abel GAGO (69), Timothé LUCIUS (45), Denis BREVET (40), Nicolas DELAUTRETTE (87), Benedicte LECACHEUX (14), Florence SABARD (75), Johel GREVET (62), Maxime FLEURY (24), Lucas BERGÉ (58), Elias BENDAOUADJI (57), Didier KAHN (40), Dominique BOLLIET (69), Anne-Marie KAHN (40), Gauthier DUFOSSEZ (69), Yann AUZIAS (69), Nathalie PERCHAT (30), Alex CHARBONNEL (32), Roger GONNET (63), Hans TORVIC LECLERC (18), Robert CABÉ (40), Bernard BETNA (40), Vincent VAN ACKER (75), Mehdi KEMOUNE (91), Eric QUENARD (51), Emmanuelle RAMOND (44), Paul COUTARD (75), Victor LE MONIER (21), Jean Marc BILLAC (40), Romain MIDA (60), Antoine TERRIER (40), Grégoire GOURDON (49), Noé COLLOMB (69), Justine CHASSEUR (40), Jeanne DALLOT (75), Nicolas DZIEZUK (57), Manon AUDAP (40), Théo IBERRAKENE (59), Olivier DUCOURTIEUX (87), Matthias EVANO (75), Rolande CASSAGNEAU (40), Todor GAMISHEV (75), Zoé BOURLON (40), Yann AUZIAS (69), Abel GAGO (69), Pierre HADZLIK (59), Stéphane GEMMANI (38), Noé GUIGONET (13), Helene HOMMERY (22), Quentin LE MENÉ (45), Quentin LATOUR (31), Jean WOHRER (75), Cédric MARÉCHAL (45), Thomas ROSSET (75), Arnaud BATTEFORT (23)