Thème : Education
UNIR - Sauvons le modèle d’enseignement supérieur public
L’université, l’enseignement supérieur et la recherche sont aujourd’hui menacés en Europe et dans le monde. Sous des visages différents, le nationalisme autoritaire de Trump, Poutine, Erdogan, Milei, ou Xi Jinping convergent dans leur détestation de l’institution universitaire et ses vocations premières : promouvoir une science libre à la mesure des défis du siècle et former l’esprit critique de citoyennes et citoyens pleinement actrices et acteurs de démocraties souveraines. Aux attaques politiques et juridiques s’ajoute une crise financière généralisée qui menace la survie institutionnelle d’universités souvent privées des moyens d’assurer leur mission. Impossible à cet égard d’invoquer la supériorité d’un modèle ou d’un autre. L’université néo-libérale britannique ou australienne se tient au bord du même gouffre que les systèmes centralisés qui prédominent en Europe continentale. En France, la misère des universités traduit en outre le mépris de classes dirigeantes à l’instar de Bruno Retailleau et de Gérald Darmanin, qui la connaissent bien mal et ignorent ce qu’ils doivent pourtant à la recherche et à l’enseignement universitaires.
Le Parti Socialiste se doit ainsi de se positionner en premier défenseur d’une institution capable de jouer un rôle décisif dans le relèvement du pays. Fracturée par les injustices et les inégalités, menacée par le dérèglement climatique, le fléau de la désinformation et la remontée du fascisme, la France a besoin d’un service public universitaire et scientifique de premier rang. La République ne répondra pas aux aspirations légitimes des citoyens sans une université forte. Pour nous montrer à la hauteur de cet enjeu, le prochain congrès nous offre l’opportunité de réaffirmer notre attachement à une Université dont nous devons garantir, clarifier, et étendre la mission.
Notre socialisme est aussi un projet d’émancipation économique car la précarité n’est jamais une liberté. L’université est précisément le lieu où se forgent et se transmettent nos outils d’interventions sur le monde : le droit, les humanités, les sciences sociales, les technologies numériques, la médecine, ou les sciences des matériaux. Nous nous tenons aujourd’hui à l’orée d’un paysage économique, social, environnemental, bientôt bouleversé par l’intelligence artificielle. L’enseignement supérieur et la recherche, dans toute sa diversité intellectuelle et scientifique, joueront un rôle central dans les transitions qui s’annoncent.
Cette contribution a ainsi non pas pour seule vocation à faire le constat des difficultés du notre système universitaire ; elle a aussi pour objectif de proposer des premières pistes de réforme.
Si l’enseignement supérieur et la recherche a su jusqu’à présent tenir avec des financements pourtant en baisse au regard de la part accordée par étudiants, il convient aussi de recontextualiser la manière dont sont distribués ces derniers, et de les replacer dans un contexte d’enseignement supérieur massifié et hétérogène. Par ailleurs, se développe concomitamment aux difficultés de l’université publique, un enseignement supérieur privé qui interroge notre modèle d’enseignement supérieur.
1. Renforcer, clarifier et pérenniser le financement de l’enseignement supérieur
Si le financement de l’enseignement supérieur et son modèle économique ont bien été redéfinis par les lois relatives aux libertés et responsabilités des universités (LRU) et de programmation de la recherche (LPR), ces dernières au fond sont à considérer comme des rustines ou des moyens de palier sans trop d’efforts un modèle qui demanderait au fond une véritable reconception de son modèle. Il convient par ailleurs de s’interroger sur une hétérogénéité croissante de se créant entre les formations de l’enseignement supérieur souvent au détriment des populations les plus en difficulté.
1.1. Le malheureux remplacement du discours d’ouverture sociale par celui de l’excellence
Depuis 15 ans maintenant est observé un véritable abandon progressif du discours d’ouverture sociale pour aller vers un discours de l’excellence au sens concurrentiel du terme. Ainsi tout est mis en place dans les diverses politiques publiques à l’égard de l’université pour justifier au fur et à mesure, des financement se fondant sur la capacité des universités à se développer avec toujours des moyens en réalité plus réduits. Ces discours ont d’abord eu un véritable impact sur les enseignants-chercheurs.
La loi LRU de 2007 a d’abord permis aux universités de devenir propriétaires et responsables d’un budget et d’une masse salariale. Cette loi a eu pour véritable conséquence de dégrader durablement les conditions de travail des enseignants et enseignants-chercheurs, voyant leurs postes se précariser avec une stabilisation voire une diminution de nombre de postes pour un nombre toujours croissant d’étudiants. Les solutions s’offrant alors aux universités sont limitées : soit faire usage d’heures supplémentaires, soit recourir aux vacataires, qui représentent la moitié des heures d’enseignement assurées à l’université. Aussi, ce n’est nullement la loi LPR qui aidera à un enrayement de la précarité et de la faiblesse des gratifications des enseignants-chercheurs, dont les hausses de salaires bien que réelles demeurent non pérennes car non indexées sur l’inflation.
1.2. Une hétérogénéité de l’enseignement supérieur au détriment des plus populations les plus précaires
Ce même discours toujours fondé sur l'excellence, couplé de financements réduits, a en outre entériné l’inégalité de moyens selon les établissements, faisant de l’enseignement supérieur non plus un bloc uniforme, mais un espace hétérogène où les étudiants issus de familles plus précaires, demeurent les plus touchés. Ainsi, si un étudiant à l’université coûte près de 10 100 euros, un étudiant en classe préparatoire lui coûtera 15 700 euros, soit près de 50% plus à l’Etat. Or, ces différences se font au détriment de certains segments défavorisés de la population. On note par exemple que seuls 25,8% au total des étudiants viennent de familles d’ouvriers ou d’employés ; ce pourcentage descend à 18,2% en CPGE. Face à cela, 34,2% au total des étudiants viennent, eux, de familles de cadre et de professions intellectuelles supérieures et représentent 52,1% des effectifs des classes préparatoires. En d’autres termes, loin d’être un outil d'émancipation et de réduction des inégalités, l’enseignement supérieur les renforce.
Enfin, se développe sur une même toile de fond, une séparation du système universitaire en deux pôles. Cela s’explique notamment par la nécessité pour les université d’obtenir des fonds et donc de s’appuyer sur ces fameux “financements compétitifs”, à l’instar du Plan d’Investissement d’Avenir (PIA), dont les critères reposent en grande partie sur la compétitivité et les performances de établissements. Dès lors, ces financements ont pour effet une véritable ségrégation sociale entre les établissements moins ouverts socialement et bénéficiant alors de ces initiatives d’excellence ; et ceux faisant pourtant de nombreux efforts pour promouvoir la diversité sociale, l’aide aux étudiants les plus démunis, ou encore les plus discriminés.
Un tel constat est ainsi alarmant et s’oppose en partie au récent rapport public annuel de la Cour des Comptes, démontrant que le manque d’accompagnement des étudiants notamment en premier cycle, non seulement était en partie à l’origine des échecs, abandons et réorientations dans le premier cycle. Il coûtait de surcroît près de 534 millions d’euros chaque année à l’État. Ce constat est aussi à analyser avec la baisse constante des dépenses par étudiant chaque année.
Parcoursup et Monmaster sont les manifestations les plus criantes du manque de moyens à l’université. La sélection par les capacités d’accueil est ainsi devenue la règle alors même que le droit d’accéder au premier cycle pour tous les bacheliers continue d’être inscrit noir sur blanc dans la loi. Cette réalité illustre que la question de l’affectation des bacheliers dépasse largement le cadre technique d’une plateforme numérique : c’est une question éminemment politique. Certes, la suppression de Parcoursup doit être un objectif mais cet outil n’est que la partie émergée de l’iceberg d’un problème plus profond : la crise de l’orientation, de l’accès équitable aux études supérieures et de la réussite en premier cycle universitaire.
Dès lors, en tant que socialistes, nous souhaitons en premier lieu, nous défaire de cette approche compétitive et malthusienne de l’université, pour retrouver une approche de l'université comme favorisant une plus grande homogénéité réduisant les différences sociales, tout en proposant des cursus permettant l’excellence pour tous. La démocratisation réelle de l’accès à l’enseignement supérieur suppose un processus plus transparent et plus lisible à toutes les étapes et notamment dans les prérequis des formations et les critères de recrutement. De plus, l’orientation des élèves ne doit plus être subie, mais devenir un processus préparé, éclairé et réversible, dans une continuité bac -3/bac +3. Cette transformation nécessite des conseillers d’orientation formés et en nombre suffisant pour construire progressivement le projet d’études des lycéens, en lien avec les universités. Cette révolution indispensable pour garantir un accès juste à l’enseignement supérieur ne pourra pas se faire sans un réinvestissement massif dans l’enseignement supérieur public et notamment dans les filières en tension et les filières d’avenir.
Si le modèle de financement et même de fonctionnement de nos universités est à repenser, il ne faut pas cependant oublier ce qui, au sein même de l’enseignement supérieur, crée une concurrence au système universitaire français pourtant très recherché encore à l’international. Par conséquent, il convient de se questionner sur la place de l’enseignement supérieur privé.
2. L’enseignement supérieur privé : chance ou malfaisance ?
L’origine de cet enseignement privé prend notamment ses sources dans la liberté d’enseignement de la loi Laboulaye de 1875, mais à ce moment-là avec un esprit de complémentarité et non de concurrence, pourtant aujourd’hui largement remis en question. Cet essor de l’enseignement supérieur privé qui non seulement est devenu une véritable concurrence au modèle universitaire public, dégrade en outre, la lisibilité des offres et aussi le contrôle qualité des formations, posant alors la question de leur devenir.
2.1. L’enseignement supérieur privé comme bénéficiant des échecs structurels de l’université
Lors de la rentrée 2020, 592 600 étudiants étaient inscrits dans un établissement d’enseignement supérieur privé, soit 21% des effectifs étudiants. C’est donc une part non négligeable des étudiants, qui sont aujourd’hui dans des établissements du supérieur privés. Cet essor du privé est à analyser en même temps que le manque de financements publics, favorisant de facto les établissements privés. En effet, les écoles privées et leur succès repose sur les difficultés du système universitaire. Elles fustigent ainsi par leur existence même le manque de moyens et la modernisation trop lente des formations universitaires. Parcoursup a par ailleurs donné une visibilité sans précédent à l'enseignement supérieur privé ; la plate-forme répertorie ainsi une grande partie de ces formations.
L’enseignement supérieur privé est en grande partie dominé par quatre groupes, formant une véritable petite oligopole, qui du fait de leurs moyens importants, se permettent de recruter des hauts-fonctionnaires, des politiques, et créent ainsi une compétition incontestable au sein de l'enseignement supérieur. Or, ces grands groupes, responsables d’une fuite des cerveaux importante, se démarquent par des méthodes marketing agressives, sans lien avec les formations, s’appuyant sur le stress lié à Parcoursup. Ils ont à ce titre, déjà été pointés du doigt par un premier rapport de l’Assemblée nationale, démontrant des manipulations de chiffres, des faux-avis, des titres de diplômes confusants, ou encore des titres du Répertoire National des Certifications Professionnelles (RNCP) usurpées. En somme, cette nouvelle concurrence déloyale à l’enseignement supérieur public est à questionner d’autant plus qu’elle facilite l’incompréhension des étudiants concernant les formations proposées.
2.2. La dégradation de la lisibilité de l’offre et du contrôle de qualité des formations du fait de la dérégulation
La dérégulation a pour conséquence de ne pas contrôler de la même manière le public et le privé. Cela mène notamment à une facilitation pour les établissements privés de “l’usurpation” des diplômes de licence ou de master, puisque ne remplissant pas les attendus pour la nomination de la formation. Dès lors apparaissent des labels inconnus du public et mal contrôlés par l’Etat avec des titres sibyllins.
Une telle complexité du système perd les familles dans le choix de la formation et l’Etat dans ce cas est moins régulateur que coordinateur du marché de l’enseignement supérieur. On remarque une véritable incompétence des institutions administratives dans le règlement des conflits relatifs à ces établissements privés notamment sur le contrôle qualité des formations, alors même que la DGCCRF a contrôlé en 2020, 80 établissements sur les 2 656 et a révélé dans presque tous les établissements contrôlés des pratiques commerciales trompeuses.
Ces pratiques ont des conséquences désastreuses en partie sur les publics défavorisés, visés par ces établissements, car souvent noyés d’informations et sans moyens d’être informés sur les différents types de diplômes et de formations, et ainsi de pouvoir aisément séparer le grain de l’ivraie. Cela a pour résultat la formation de diplômés dotés d’un diplôme souvent sans valeur, voire non reconnu par l’Etat, mais aussi, cela a pour résultat des jeunes endettés.
La question alors se pose pour le Parti Socialiste, de la régulation de tels établissements, qui non seulement reposent sur des difficultés des universités, mais aussi abîment pour beaucoup la véritable vocation de l'enseignement supérieur pour en faire une denrée marchande, capitalisable au possible, au détriment de l’épanouissement et du futur des jeunes.
Contributeurs : Caroline RACINE (57), Gulsen YILDIRIM (87), Quentin LE MENÉ (45), Pierre PURSEIGLE (99), Bruno PERAN (31), Quentin LATOUR (31), Guillaume BUGLIANI (13), Romain TROUSSEL LAMOUREUX (93), Pierre PRIBETICH (21), Eric SARGIACOMO (40), Audrey GATIAN (13), François COMET (75), Thomas GODARD (94), Malika BONNOT (69), Aline MAURICE (34), Agathe BOURRETERE (40), Rozenn BONNET (40), Aline MAURICE (34), Emma PINÇON (31), Benjamin GAULT (30), Philippe QUÉRÉ (95), Alex CHARBONNEL (32), Jean-Claude MAURIN (26), Gautier PEZY (16), Antoine DALLET (17), Philippe BLET (62), Nicolas LE VIAVANT (40), Àhmed MIRAOUÎ (62), Titouan MARY (51), Gwendal MANSO (40), Dominique RAT (40), Eden MATIONGO (77), Killian MONTESQUIEU (75), Damien THOMAS (75), Cyril NOVAKOVIC (75), Christian HUGUIES (40), Thierry JACQUET (69), Jerome GUILLEM (33), Marina PARODI (40), Benjamin ALLAIX (49), Stéphane GUTHINGER (24), Dominique BOLLIET (69), Marie-Pierre DUHA PERRIAT (40), Yoann GARCIA (33), Lionel OLLIVIER (60), Jacques LARROUX (40), Jennifer BOHRER BARREAU (53), Johanne HADZLIK (59), Richard MARSAN (40), Jean-Marie DARRICAU (40), Elouan LAHET (40), Jean-Michel EON (44), Karine GARRALON (40), Timothé LUCIUS (45), Denis BREVET (40), Nicolas DELAUTRETTE (87), Benedicte LECACHEUX (14), Florence SABARD (75), Johel GREVET (62), Gauthier DETROUSSEL (27), Pierre CROS (40), Lucas BERGÉ (58), Elias BENDAOUADJI (57), Didier KAHN (40), Dominique BOLLIET (69), Gauthier DUFOSSEZ (69), Yann AUZIAS (69), Nathalie PERCHAT (30), Alex CHARBONNEL (32), Roger GONNET (63), Hans TORVIC LECLERC (18), Robert CABÉ (40), Bernard BETNA (40), Vincent VAN ACKER (75), Paul COUTARD (75), Victor LE MONIER (21), Jean Marc BILLAC (40), Romain MIDA (60), Antoine TERRIER (40), Grégoire GOURDON (49), Noé COLLOMB (69), Justine CHASSEUR (40), Jeanne DALLOT (75), Nicolas DZIEZUK (57), Manon AUDAP (40), Lucas HAMIDI (62), Théo IBERRAKENE (59), Jean-Pierre TRABESSE (40), Matthias EVANO (75), Rolande CASSAGNEAU (40), Zoé BOURLON (40), Yann AUZIAS (69), Gaspard FINCK (93), Abel GAGO (69), Pierre HADZLIK (59), Stéphane GEMMANI (38), Noé GUIGONET (13), Hélène HOMMERY (22), Cédric MARÉCHAL (45)