UNIR - Solidarité internationale : un enjeu incontournable pour le Parti socialiste

Thème : International


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UNIR - Solidarité internationale : un enjeu incontournable pour le Parti socialiste

Le retrait significatif et soudain des États-Unis de l'aide au développement ébranle notre modèle de solidarité internationale comme jamais auparavant. L’administration américaine a procédé à des coupes plus que drastiques dans les financements de l'Usaid, suivies moutonnement par certains pays européens, dont la France, et mettant en péril des millions de vies et des décennies de solidarité envers les Suds et les régions en crise. Cette tendance vers une diplomatie transactionnelle, privilégiant les intérêts immédiats au détriment des engagements humanitaires, fragilise les fondements même de l'aide internationale, aggrave les tensions géopolitiques et soulève des enjeux sanitaires, sociaux, climatiques et migratoires incommensurables, pour le monde, pour l’Europe, pour la France.

Face à ce jeu de dés “broligarque” avec notre avenir collectif, l’imagination semble s’être tarie : « il est devenu plus facile d’imaginer la fin du monde que celle du capitalisme », écrivait en 2018 Mark Fisher. On pourrait compléter sa formule : plus facile d’imaginer la destruction d’un monde perclus d’inégalités et d’inhumanité que la patiente construction d’un nouvel ordre mondial construit autour de la solidarité et de la coopération. Il est crucial aujourd’hui, pour les citoyens du monde que nous sommes, de renouer avec cette ambition collective. Crucial de repenser nos priorités pour pallier cette immense entaille dans la solidarité internationale. Car pour l’heure en France aussi ces principes reculent comme jamais : l'aide publique au développement a subi cette année une coupe supérieure à 2,1 milliards d'euros et diminue de – 37 %, revenant à un niveau inférieur à celui de 2021. Le gouvernement a marqué un coup d’arrêt net à la progression engagée ces sept dernières années pour atteindre l’objectif des 0,7 % du revenu national brut fixé par les Nations unies en 1970.

Dans ce contexte alarmant, les forces politiques progressistes telles que le Parti socialiste doivent impérativement et solennellement prendre le relais, rétablir la balance et la justice, pour promouvoir une politique étrangère fondée sur la solidarité, la coopération, l’égalisation des conditions d’existence sur terre, le respect des droits humains. Il paraît plus que jamais essentiel de réveiller ces valeurs historiques et humanistes à l’heure où les discours les plus cyniques, nationalistes et déshumanisants saturent le débat public pour justifier ces retraits. Plus qu'essentiel de rappeler aux mémoires que ce sont précisément ces valeurs qui nous ont protégés de la faim, de la pauvreté, des tensions et conflits depuis presqu’un siècle. Essentiel surtout de les porter haut et fort dans notre contexte de militarisation à marche forcée et d’escalades géopolitiques, à la veille de ce qui s’annonce fatalement comme une nouvelle guerre.

1. RENOUER AVEC LE PRINCIPE DE SOLIDARITÉ

Les heures sombres ont toujours été aussi d’inédits temps de clarification et de responsabilisation politiques. Alors que les grandes forces du monde se retirent de leurs responsabilités à son égard, le Parti socialiste doit rappeler la responsabilité politique de la France dans le défi qui est le sien de bâtir un monde unifié dans lequel l’aide aux plus vulnérables est inconditionnelle.

L’aurions-nous oublié ? Les initiatives de solidarité internationale ont des impacts significatifs et clairement mesurables sur la réduction de la pauvreté et la promotion de l'égalité dans le monde : avec plus de 110 milliards de dollars investis par le PEPFAR, dont l’avenir est désormais incertain, ce programme majeur de l’Usaid a permis de sauver 26 millions de vies et d'éviter des millions de nouvelles infections du SIDA dans plus de 50 pays. Autre exemple : pendant des siècles, la moitié des enfants mourait avant d’atteindre l’âge de 15 ans. Encore en 1990, 9 % des enfants dans le monde ne survivent pas au-delà de leur cinquième anniversaire, soit près d’un enfant sur dix ! Pourtant, en 2021, ce taux a été réduit de plus de moitié, atteignant 3,6 %. Quatre millions de familles chaque année échappent à la déchirante tragédie de perdre un enfant. Une étude publiée dans The Lancet par Andrew Shattock et ses collègues attribue 40 % de cette réduction à une seule intervention : les vaccins. Un succès en grande partie dû à l’action de GAVI, l’Alliance du vaccin, qui, depuis l’an 2000, a vacciné un milliard d’enfants et évité 17 millions de décès.

Or, remettant en question sa place de quatrième plus grand donateur mondial, la France participe au grand recul. Elle participe à détricoter ces grandes avancées de l’humanité. Elle participe à construire un monde plus pauvre et plus inégalitaire qu’hier, un monde qui répond aujourd’hui à une organisation absurdement binaire des humains : d’un côté, ceux qui vivent avec moins de 2 dollars par jour, et de l’autre, ceux, gloutons, qui s’enrichissent sans scrupule au gré des crises. Face aux fossés croissants des conditions de vie sur terre et aux risques sanitaires et sociaux majeurs que nous faisons courir et que nous courons aussi, la France doit au contraire reprendre le leadership dans la solidarité internationale.

2. ADOPTER UN DISCOURS NEUF, HUMAIN ET LUCIDE SUR LA MIGRATION

Les coupes drastiques des pays occidentaux dans les financements dédiés à la solidarité internationale interviennent en même temps qu’une campagne anti-immigration dictée par l’extrême droite mondialisée : à la fois on refuse l’aide aux pays les plus vulnérables, et en même temps on refuse d’offrir l’accueil que les plus vulnérables ne peuvent alors trouver que chez nous. Ce à coup d’expulsions massives aux Etats-Unis, de pactes migratoires européens, de lois sur l’immigration toujours plus répressives. A l’heure où les crises humanitaires, sécuritaires, alimentaires et sanitaires se multiplient, ces décisions budgétaires compromettent de façon inédite le soutien aux réfugiés, l’appui à la sécurité alimentaire et à la santé mondiale. De ce fait, elles ne peuvent au contraire que forcer la migration, et mettre en péril des millions de vies qui, face au resserrement des voies légales, en emprunteront les chemins les plus périlleux.

Il ne tient donc qu’à nous d’inverser ce narratif : la solidarité internationale n’est pas un luxe qu’on ne peut plus s’offrir, comme le prétendent nos dirigeants. Elle n’est pas un coût à supprimer dans nos calculs comptables. Elle est un investissement, y compris pour nous-mêmes. Si elle est bien pensée, mesurée, adaptée et distribuée dans l’éducation, la santé, le développement durable, l’emploi et l’infrastructure, la solidarité internationale contribue à améliorer les conditions de vie dans les Suds. De ce fait, elle réduit considérablement les facteurs de conflit, de changement climatique, de migration forcée.

3. RECONSTRUIRE UNE GOUVERNANCE MONDIALE FONDÉE SUR LA PAIX ET LA COOPÉRATION

La montée des nationalismes et du populisme ne cesse de fragiliser la coopération mondiale et le soutien aux institutions internationales qui travaillent chaque jour à un monde plus solidaire. Face à la tentation généralisée du repli identitaire, notre engagement doit être clair : il faut bâtir un cadre global qui garantit la cohésion sociale et renouvelle le principe de solidarité. Car si celle-ci recule, c’est que les pays sont de moins en moins tenus de coopérer. Or cette fragmentation de l’alliance mondiale cause toujours plus d’instabilité, rendant d’autant plus nécessaire l’entraide. Ce cercle vicieux ne peut être rompu qu’en construisant un plaidoyer fort en faveur d’une gouvernance internationale renforcée.

Car le Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) est paralysé depuis des années, critiqué pour son manque de représentativité du Sud global. La réticence de ses cinq membres permanents à l’élargir érode sa capacité à prévenir, gérer et mettre fin aux conflits mondiaux. Le soutien aux missions de paix est de plus en plus miné. Le nombre de Casques bleus a chuté de 100 000 en 2016 à 69 000 en 2024. Or, à mesure que les nations deviendront toujours plus adversaires et insulaires, le soutien aux « points chauds » du monde diminuera. De fait, notre monde traverse une période de conflits sans précédent : en 2023, près de 60 conflits armés font rage simultanément, un record historique. Les pertes civiles ont augmenté de 30 % en un an, principalement au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Europe de l’Est. Le bilan est lourd : 200 000 morts et plus de 120 millions de déplacés forcés. Un quart de l’humanité vit désormais dans des zones de conflit, tandis que les dépenses militaires mondiales ont atteint 2 000 milliards de dollars. Ces conflits se caractérisent par leur complexité croissante : ils sont plus internationalisés, plus difficiles à résoudre et souvent interconnectés. Les guerres en Ukraine et au Moyen-Orient ont causé des pertes massives et comportent des risques d’escalade nucléaire. En Asie, les tensions territoriales entre puissances nucléaires pourraient s’intensifier. Parallèlement, des guerres civiles comme au Myanmar et au Soudan provoquent des crises humanitaires majeures. La criminalité organisée, liée à la drogue notamment, déstabilise plusieurs pays d’Amérique latine et d’Afrique du Sud, causant parfois plus de victimes et de déplacés que les guerres conventionnelles.

Alors que l’Union européenne peine depuis des années à construire une diplomatie et une défense communes efficaces et donne même l’impression de n’avoir plus aucune prise sur la gestion des crises moyen-orientales – hier la Syrie, aujourd’hui Gaza...–, l’heure est venue pour nous de défendre la vision d’une diplomatie européenne solidaire, car le comportement de son autrefois grand allié américain ne lui laisse plus le choix et doit lui servir de sursaut pour réaliser, enfin, une véritable intégration des politiques extérieures, des politiques de défense et d’aide internationale des États membres, quitte à procéder par coopérations de groupes d’États en l’absence d’unanimité. La France, désormais seul membre permanent du CSNU, a, dans ce contexte, un rôle d’entraînement tout particulier à jouer. Le Parti socialiste, force la plus crédible et mesurée à gauche sur les enjeux européens et internationaux, a, dans ce contexte, une responsabilité toute particulière à prendre.

Enfin, à l’heure des discours racistes et xénophobes les plus décomplexés mais aussi des chantages aux migrants opérés par un nombre de plus en plus important de pays auxquels l’Union européenne a jugé pertinent de déléguer la gestion des demandeurs d’asile, il est temps d’offrir aussi à la question migratoire une gouvernance multilatérale avant qu’elle ne déstabilise davantage un ordre international déjà fragile.

4. UN ENGAGEMENT, UN COURAGE ET UNE RESPONSABILITÉ POLITIQUES

Le combat pour la solidarité est indissociable des valeurs portées par le Parti socialiste : justice sociale, égalité, adelphité et universalisme. Alors que les nationalismes, le repli comme unique projet politique et les logiques de fermeture gagnent du terrain, à nous d’affirmer haut et fort notre engagement en faveur d’une humanité solidaire, à travers cinq axes essentiels qui doivent guider notre vision, nos efforts et notre plaidoyer :

1. Défendre la nécessité de l’aide publique au développement pour pallier le démantèlement de l’Usaid, défendre la solidarité mondiale et renforcer notre investissement face aux menaces épidémiques liées au changement climatique. Le Parti socialiste doit impérativement rappeler le rôle de l’APD, partout réduit et menacé, comme un outil indispensable de la paix, de la santé mondiale et des droits humains.

2. Valoriser et développer les financements innovants et complémentaires de la solidarité internationale comme l’impôt mondial sur les sociétés, la finance solidaire ou la taxation des flux de la mondialisation - billets d’avions, transactions financières - dont le gouvernement a pourtant supprimé la très vertueuse affectation à la solidarité internationale dans son dernier budget. Car les crises mondiales ont leurs perdants, mais elles ont aussi leurs gagnants.

3. 
Participer à la construction d’une nouvelle gouvernance mondiale, solidaire et équitable : à l’heure du repli généralisé et de la destruction de la coopération internationale, le Parti doit renouveler et renforcer son investissement dans les institutions et les organisations qui promeuvent activement les architectures de paix, les droits de l’homme, l’autonomisation des femmes, la sécurité alimentaire, le développement durable. Dans cette perspective, il doit également plaider pour une gouvernance mondiale des migrations, qui promeuve une approche humaine, coopérative et structurée face aux migrations en cours et à venir, centrée sur le principe de solidarité internationale. L’actuel « Pacte de Marrakech », qui n’a pas de valeur juridique obligatoire, est le premier pas d’une démarche qui doit se poursuivre et qui prenne en compte les intérêts tout à la fois des individus, des pays de départ et des pays d’arrivée.

4. Rappeler les valeurs cardinales d’égalité et de solidarité : à l’heure où les paroles humanistes et pacifistes ne sont plus guère entendues, il revient au Parti de réaffirmer très franchement que la solidarité internationale est une richesse, un investissement et une opportunité pour nos sociétés, un moyen concret au service de nos valeurs historiques d’humanité.

5. Renouveler nos rapports aux Suds et à l’enjeu migratoire : la construction d’un monde plus égalitaire passe par une meilleure répartition des ressources, des accords commerciaux plus justes et équitables et un véritable partenariat Nord-Sud fondé sur le respect mutuel, la justice, la reconnaissance et la réparation : ce sont autant de leviers susceptibles de prévenir les migrations forcées dans un monde compétitif et en pleine transformation. Autant de leviers pour égaliser les conditions d’existence des humains sur une planète en partage.

Au rang des Nations, la France est un peu plus qu’un simple territoire à l’ouest de l’Europe : elle est un projet politique universaliste et transcendant. Or elle tient précisément sa singularité de l’aide séculaire qu’elle offre à celles et ceux qui souffrent et luttent. Que deviendra-t-elle quand elle se détournera du monde qui lui a offert sa place privilégiée, au prix d’un passé aussi fait de spoliation et de colonisation, et qui, aujourd’hui, l’oblige plus que jamais ? Les grands défis sont devant nous, et nous ne pourrons alors choisir qu’entre la guerre ou la solidarité. L’histoire nous regarde.


Contributeur.ices : Najat VALLAUD-BELKACEM (69), Boris VALLAUD (40), Pierre PRIBETICH (21), Eric SARGIACOMO (40), Audrey GATIAN (13), Thomas GODARD (94), Malika BONNOT (69), Caroline RACINE (57), Aline MAURICE (34), Agathe BOURRETERE (40), Rozenn BONNET (40), Aline MAURICE (34), Emma PINÇON (31), Philippe QUÉRÉ (95), Alex CHARBONNEL (32), Jean Claude MAURIN (26), Gauthier DUFOSSEZ (69), Gautier PEZY (16), Antoine DALLET (17), Nicolas LE VIAVANT (40), Titouan MARY (51), Damien ROUTA (40), Killian MONTESQUIEU (75), Damien THOMAS (75), Cyril NOVAKOVIC (75), Christian HUGUIES (40), Bruno PÉRAN (31), Thierry JACQUET (69), Jerome GUILLEM (33), Florian SENTIGNAN (94), Marina PARODI (40), Benjamin ALLAIX (49), Nicolas BIGHETTI DE FLOGNY (60), Vincent TISON (37), Yoann GARCIA (33), Lionel OLLIVIER (60), Jennifer BOHRER BARREAU (53), Johanne HADZLIK (59), Elouan LAHET (40), Jean-Michel EON (44), Karine GARRALON (40), Abel GAGO (69), Denis BREVET (40), Nicolas DELAUTRETTE (87), Benedicte LECACHEUX (14), Florence SABARD (75), Johel GREVET (62), Gauthier DETROUSSEL (27), Lucas BERGÉ (58), Elias BENDAOUADJI (57), Didier KAHN (40), Dominique BOLLIET (69), François-Marie CAILLEAU (29), Gauthier DUFOSSEZ (69), Yann AUZIAS (69), Alex CHARBONNEL (32), Hans TORVIC LECLERC (18), Robert CABÉ (40), Bernard BETNA (40), Vincent VAN ACKER (75), Mehdi KEMOUNE (91), Eric QUENARD (51), Paul COUTARD (75), Victor LE MONIER (21), Jean Marc BILLAC (40), Romain MIDA (60), Antoine TERRIER (40), Florian SENTIGNAN (94), Grégoire GOURDON (49), Noé COLLOMB (69), Justine CHASSEUR (40), Jeanne DALLOT (75), Nicolas DZIEZUK (57), Manon AUDAP (40), Théo IBERRAKENE (59), Matthias EVANO (75), Rolande CASSAGNEAU (40), Zoé BOURLON (40), Yann AUZIAS (69), Abel GAGO (69), Pierre HADZLIK (59), Stéphane GEMMANI (38), Stéphane GEMMANI (38), Helene HOMMERY (22), Quentin LE MENÉ (45), Quentin LATOUR (31), Jean WOHRER (75), Cédric MARÉCHAL (45), Thomas ROSSET (75), Arnaud BATTEFORT (23)


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