Thème : Éducation
Le ministre de l’Éducation nationale du Front populaire, Jean Zay, résumait l’esprit des instructions du 30 septembre 1938 à propos des programmes de l’enseignement du second degré comme suit : “Ces instructions reflètent à chaque page la tradition constante de notre culture, en particulier de notre culture secondaire : former le caractère par la discipline de l’esprit et le développement des vertus intellectuelles ; apprendre à bien conduire sa raison, en élèves de ces héritiers français du message socratique, Montaigne et Descartes ; à garder toujours éveillé l’esprit critique ; à démêler le vrai du faux ; à douter sainement ; à observer ; à comprendre autant qu’à connaître ; à librement épanouir sa personnalité.”
Nous retrouvons ici le cœur de la tradition républicaine française, qui cherche à la fois à unir les citoyens autour des valeurs de 1789 et à favoriser l’autonomie intellectuelle et la liberté d’appréciation de chacun. Le but de l’école au cœur du projet républicain et socialiste n’est donc pas seulement d’apprendre aux enfants à écrire, à déchiffrer une lettre, à lire une enseigne au coin d’une rue, à faire une addition et une multiplication. Comme l’écrivait Jean Jaurès, “ils [les enfants] sont Français et ils doivent connaître la France, sa géographie et son Histoire : son corps et son âme. Ils seront citoyens et ils doivent savoir ce qu’est une démocratie libre, quels droits leur confèrent, quels devoirs leur impose la souveraineté de la nation. Enfin ils seront hommes, et il faut qu’ils aient une idée de l’homme, il faut qu’ils sachent quelle est la racine de nos misères”.
Cette haute finalité accordée à l’école et au métier d’enseignant suppose, suivant la tradition antique, de protéger l’école de la sphère de la nécessité. École se dit d’ailleurs skholé en grec et schola en latin, ce qui signifie dans les deux cas « loisir ». On voit par-là que l’école avait vocation à être un espace préservé des impératifs de la vie quotidienne, de la production et de la violence des adultes, un lieu où l’on prend du temps pour réfléchir, méditer et apprendre. Dans la société actuelle fondée sur l’immédiateté et l’accélération des rythmes de travail, l’école devrait être plus que jamais ce lieu privilégié où l’on prend le temps pour réfléchir et apprendre, un espace de décélération dans lequel le temps serait suspendu. Cela suppose également d’accroître la reconnaissance morale et économique du métier d’enseignant et d’étendre le périmètre des services publics gratuits pour englober notamment l’accueil périscolaire, les fournitures scolaires et la cantine.
Protéger l’école des vicissitudes de la société demande par ailleurs de garantir la mixité sociale. La mixité sociale à l’école est en effet consubstantielle de sa mission émancipatrice ; la concentration d’enfants issus de milieux défavorisés pénalise les enfants eux-mêmes, fait baisser l’efficacité générale du service public de l’éducation et percute les principes mêmes que l’école est censée transmettre d’intégration sociale et culturelle à la Nation et à la République. La permanence de la reproduction des inégalités scolaires aggrave en retour les inégalités sociales, et finit par fissurer le contrat républicain.
Alors que l’école se voit contaminée par des impératifs dictés par les intérêts économiques sous l’effet des réformes engagées depuis huit ans ; alors que la droite réactionnaire et l’extrême droite entendent mettre fin à l’enseignement de la pensée critique ; alors que l’enseignement privé occupe une place grandissante et s’affranchit de manière croissante de l’impératif de mixité sociale, les socialistes doivent proposer à la Nation un projet éducatif émancipateur et universel, avec pour objectif prioritaire : étudier ensemble pour vivre ensemble.
1. L’école devient de plus en plus perméable aux nécessités économiques et aux inégalités qui traversent la société
Lieu d’épanouissement, de socialisation et d’apprentissage humain et social, l’école se voit progressivement contaminée par l’excès d’immédiateté qui caractérise la société contemporaine. Performance, flexibilité, concurrence viennent s’imposer pour mener une transformation structurelle de l’école qui vient instaurer les critères idéologiques de l’ordre néolibéral.
Il s’agit in fine de transformer les finalités même de l’école : renoncer aux savoirs comme vecteurs de l’émancipation intellectuelle et sociale pour leur préférer le développement de compétences socio-comportementales. À travers Parcoursup, il s’agit de convaincre l’élève-usager d’accepter l’apparence d’une vie participative et la croyance d’une responsabilité personnelle de son développement, source de bien-être.
Aux visées d’une éducation émancipatrice, capable de faire naître les prises de conscience nécessaires aux revendications égalitaires et au progrès social, se substituent désormais les perspectives d’une acceptation confiante, positive, résiliente. L’affirmation d’une nécessaire pensée positive des acteurs et actrices ne cesse pourtant de cheminer pour renforcer la représentation d’une responsabilité personnelle voire d’un déficit d’engagement des élèves comme des professeurs. Ainsi convaincue que l’avenir individuel relève des opportunités que chacun doit saisir, l’école renonce à son devoir égalitaire pour se contenter de célébrer la réussite exceptionnelle de quelques-uns.
Une des conséquences les plus inquiétantes des réformes actuelles, fondées sur des postulats idéologiques ultralibéraux, est donnée par l’enseignement professionnel. Se dessine chaque jour avec un peu plus de clarté comment l’enseignement professionnel est désormais livré aux intérêts privés court-termistes, au lieu de faire jouer à l’État sa mission planificatrice et régulatrice. Les subventions très conséquentes qui ont développé l’alternance n’ont en rien, à en croire la Cour des Comptes, facilité l’accès à l’emploi des jeunes des milieux populaires. Les volontés adéquationnistes des employeurs servent des besoins immédiats et fluctuants mais n’anticipent en rien les mutations qui permettraient de faire du lycée professionnel et du lycée agricole les lieux fondamentaux du développement des compétences nouvelles imposées par le changement climatique, la crise énergétique et les enjeux sanitaires.
Cette logique individuelle opère en définitive la généralisation d’un transfert de l’action publique vers l’entreprise privée, et renvoie aux familles la responsabilité de la réussite scolaire. Cherchant à investir dans la réussite sociale de leurs enfants, les familles consacrent une part de plus en plus importante de leur budget à l’éducation : scolarité en école privée y compris pour le supérieur, coaching, cours particuliers...
Le poids grandissant de l’enseignement privé et la sous-représentation des élèves issus de milieux modestes en son sein sont à cet égard particulièrement préoccupants. D’après le rapport de la Cour des Comptes de juin 2023 sur l’enseignement privé sous contrats, « les élèves de familles très favorisées, qui constituaient 26,4 % des effectifs de l’enseignement privé sous contrat en 2000, en représentent 40,2 % en 2021 et les élèves de milieux favorisés ou très favorisés sont désormais majoritaires dans ce secteur (55,4 % en 2021) alors qu’ils représentent 32,3 % des élèves dans le public ». Or la loi Debré de 1959 prévoit des engagements de l’enseignement privé, notamment en termes d’accueil de tous les élèves et de respect des valeurs républicaines, en échange de financements publics de l’Etat et des collectivités territoriales - les financements publics représentent 76,8% du financement des écoles privées sous contrat.
2. Le projet éducatif des socialistes doit agir sur trois axes : l’émancipation par l’esprit critique, la mixité sociale et l’orientation éclairée
2.1. Cultiver l’esprit critique par la transmission éclairée des savoirs et de la culture
En France, l’école est perçue comme le principal pilier de la construction de notre République laïque. Ses enseignements sont conçus pour introduire aux sciences, à la culture et à l’histoire, et, par là même, sensibiliser chaque jeune aux enjeux citoyens tels que l’habitabilité de la planète, la justice sociale ou la lutte contre les discriminations.
Indissociable du projet de l’école républicaine, la formation de l’esprit critique n’a cessé de s’adapter aux défis de son temps. Elle apparaît aujourd’hui comme un rempart contre certains maux de notre société, tels la place des écrans et du numérique, les rumeurs et les théories conspirationnistes. L’esprit critique des jeunes fait d’ailleurs l’objet d’une attention accrue dans les évaluations internationales : selon l’étude Pisa 2018, seuls 9,2 % des élèves français de 15 ans seraient capables de distinguer un fait d’une opinion, soit légèrement plus que la moyenne de l’OCDE (8,7 %).
Le premier pilier de l’émancipation individuelle repose sur la maîtrise des savoirs essentiels : lire, écrire, compter. La mixité sociale joue en ce sens un rôle critique : la concentration d’enfants issus de milieux défavorisés pénalise les enfants eux-mêmes, et fait baisser l’efficacité générale du service public de l’éducation jusqu’à menacer l’acquisition des savoirs essentiels.
Par ailleurs, on ne peut faire de l’esprit critique une compétence à part, qu’il serait simple d’évaluer ; l’esprit critique est davantage un ensemble d’attitudes qui se traduisent par des pratiques, et qui sont nourries par ces pratiques. Ainsi il faut concevoir l’enseignement de l’esprit critique comme une acculturation portée par l’ensemble du système scolaire, se coulant dans les démarches de chaque discipline et des enseignements interdisciplinaires sans perdre de vue la visée d’ensemble. L’enseignement de la méthode scientifique joue ici un rôle clé. Cette diffusion de l’esprit critique passera nécessairement par la reconsidération morale et économique des enseignants, accompagnée du renforcement de leur formation.
2.2. Former le citoyen et socialiser les nouvelles générations dans un cadre égalitaire et fraternel
L’école étant également perçue comme un socle de la cohésion nationale et du vouloir vivre-ensemble, il est impératif qu’elle garantisse la mixité au sein de ses établissements et de ses classes, et sous toutes ses formes (genre, niveau scolaire, origine sociale et ethnique, rapport à la religion, etc.).
Dans la droite ligne des expérimentations lancées en 2016 par Najat Vallaud-Belkacem, les socialistes proposeront de pondérer plus fortement le critère de l’indice de position sociale des établissements dans l’allocation des moyens attribués aux établissements de premier et de second degré. Concrètement, il s’agit de donner plus de moyens aux établissements les moins favorisés dans leur composition sociale pour leur permettre de diminuer les effectifs par classe, d’enrichir l’offre de formation avec des enseignements facultatifs, de permettre le travail en groupe ou la mise en place de co-interventions, de systématiser les dispositifs d’accompagnement individualisés. Par ailleurs, au regard de la situation de l’enseignement privé sous contrat, seules des mesures contraignantes et adaptées au secteur privé sous contrat permettront d’améliorer le niveau de mixité sociale au sein de ces établissements. Les socialistes proposeront donc de conditionner les contrats d’association entre l’État et les établissements privés à des objectifs de mixité scolaire.
L’extension du service public gratuit de l’éducation pour englober l’accueil périscolaire, les fournitures scolaires, la cantine, les sorties scolaires et les activités extrascolaires devra également être posée en lien avec les collectivités territoriales.
2.3. Préparer les individus au monde du travail par une orientation éclairée plutôt que subie
L’enfant puis l’adolescent sont, par leurs origines sociales, situés dans des positions sociales différentes. Il est difficile d’imaginer que le niveau d’aspiration, voire les aptitudes, soient rendus complètement indépendants de cette position sociale d’origine. Il n’en reste pas moins que les inégalités sociales dues à la naissance ne sont pas irréductibles, la diffusion de l’enseignement et les résultats de la sociologie critique ont contribué à modifier les attitudes à l’égard de l’école.
L’expérience des trente dernières années montre que l’élimination de l’orientation précoce (qu’il s’agisse d’une orientation de type autoritaire ou simplement des mécanismes d’auto-orientation ou d’orientation d’origine familiale induits par l’existence d’un ensemble d’embranchements institutionnels), l’unification des systèmes d’enseignement, au moins jusqu’à un certain niveau du cursus scolaire, ainsi que certaines réformes pédagogiques agissent efficacement dans le sens d’une atténuation des inégalités.
Dans ce contexte, les socialistes devront redonner à l’État une mission planificatrice et régulatrice, et identifier les besoins de formation et d’emplois liés à la transition écologique et numérique à moyen et long terme. Cette stratégie demande également de renforcer les moyens accordés à l’orientation, pour que celle-ci fournisse aux enfants et aux familles toutes les informations, afin que l’orientation soit éclairée plutôt que subie. Ce rôle accru donné à l’orientation permettra de contrer le déterminisme social et l’orientation genrée, permettant ainsi de lutter contre le phénomène de “lost Einsteins”. Ainsi serait par exemple favorisée l’orientation des femmes vers des carrières scientifiques.
Contributeurs : Dominique BOLLIET (69), Pierre PRIBETICH (21), Eric SARGIACOMO (40), Audrey GATIAN (13), Yann CROMBECQUE (69), Malika BONNOT (69), Sophie ROQUES (13), Thomas GODARD (94), Caroline RACINE (57), Aline MAURICE (34), Agathe BOURRETERE (40), Rozenn BONNET (40), Aline MAURICE (34), Emma PINÇON (31), Benjamin GAULT (30), Philippe QUÉRÉ (95), Alex CHARBONNEL (32), Olivier FOURNET (82), Jean Claude MAURIN (26), Gautier PEZY (16), Antoine DALLET (17), Nicolas LE VIAVANT (40), Àhmed MIRAOUÎ (62), Titouan MARY (51), Gwendal MANSO (40), Dominique RAT (40), Damien ROUTA (40), Killian MONTESQUIEU (75), Damien THOMAS (75), Cyril NOVAKOVIC (75), Nicole HOSTIER-GLORIEUX (38), Christian HUGUIES (40), Margaux GARS (33), Bruno PÉRAN (31), Thierry JACQUET (69), Jerome GUILLEM (33), Florian SENTIGNAN (94), Marina PARODI (40), Benjamin ALLAIX (49), Nicolas BIGHETTI DE FLOGNY (60), Marie-Pierre DUHA PERRIAT (40), Yoann GARCIA (33), Lionel OLLIVIER (60), Jennifer BOHRER BARREAU (53), Johanne HADZLIK (59), Jean-Marie DARRICAU (40), Elouan LAHET (40), Jean-Michel EON (44), Abel GAGO (69), Denis BREVET (40), Nicolas DELAUTRETTE (87), Benedicte LECACHEUX (14), Florence SABARD (75), Johel GREVET (62), Pierre CROS (40), Maxime FLEURY (24), Lucas BERGÉ (58), Elias BENDAOUADJI (57), Didier KAHN (40), Dominique BOLLIET (69), Anne-Marie KAHN (40), Yann AUZIAS (69), Alex CHARBONNEL (32), Roger GONNET (63), Hans TORVIC LECLERC (18), Robert CABÉ (40), Bernard BETNA (40), Vincent VAN ACKER (75), Paul COUTARD (75), Victor LE MONIER (21), Jean Marc BILLAC (40), Romain MIDA (60), Antoine TERRIER (40), Florian SENTIGNAN (94), Grégoire GOURDON (49), Noé COLLOMB (69), Justine CHASSEUR (40), Jeanne DALLOT (75), Nicolas DZIEZUK (57), Manon AUDAP (40), Lucas HAMIDI (62), Théo IBERRAKENE (59), Jean-Pierre TRABESSE (40), Olivier DUCOURTIEUX (87), Matthias EVANO (75), Rolande CASSAGNEAU (40), Zoé BOURLON (40), Yann AUZIAS (69), Abel GAGO (69), Pierre HADZLIK (59), Stéphane GEMMANI (38), Stéphane GEMMANI (38), Helene HOMMERY (22), Quentin LE MENÉ (45), Quentin LATOUR (31), Jean WOHRER (75), Cédric MARÉCHAL (45), Arnaud BATTEFORT (23)