UNIR - Unir les citoyens par l'architecture et l'aménagement du territoire


Thème : Société


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L’enjeu de l’architecture et de l’aménagement du territoire est de rassembler les citoyennes et citoyens à toutes les étapes des projets, depuis leur conception jusqu’à leur usage, en passant par les phases de décision. La crise climatique, l’appauvrissement constant des sols et des nappes phréatiques, les crises du logement, l’inaccessibilité des lieux publics, ou encore la précarité énergétique, sont autant de facteurs qui accentuent les divisions dans la société. Ces crises engendrent de l’inquiétude, crispent les débats et incitent à un repli individuel, au détriment de la solidarité collective.

C’est précisément dans ce contexte que les projets d’architecture et d’aménagement du territoire doivent être saisis comme des occasions de recréer du lien, de remettre la discussion au cœur des dynamiques locales, et de démocratiser aussi bien les processus d’élaboration que de décision. Pour que les stratégies d’aménagement de demain puissent aboutir, elles doivent s’appuyer sur la confiance des citoyens. Cette confiance ne peut exister que si elle est réciproque. Elle suppose d’inclure toutes celles et ceux qui souhaitent participer, à chaque étape des projets et programmes.

Ce capital collectif, à la fois quotidien et ponctuel, doit être soutenu et renforcé par l’action publique. Face aux défis à venir, le rôle de l’État dans l’investissement territorial ne peut que croître, afin de garantir une véritable égalité d’accès à toutes et tous. Mais pour que ces investissements soient efficaces, les réflexions et les prises de décisions doivent être menées à la fois au niveau national et au niveau local. Un dialogue permanent est indispensable pour construire des actions réellement démocratiques et nourrir une confiance mutuelle entre les institutions et les citoyen·nes.

Garantir cette égalité implique de concevoir les lieux et des infrastructures publiques sans en exclure quiconque – ni par volonté, ni par oubli. L’État a la responsabilité de n’oublier personne et il dispose des moyens et des leviers nécessaires pour en faire une réalité concrète. C’est là l’enjeu principal pour faire face aux bouleversements du XXIe siècle : éviter la fragmentation sociale et renforcer la cohésion autour de projets collectifs qui améliorent la vie de chacun. La discussion, la curiosité et l’empathie doivent devenir les piliers des projets à venir.

Enfin, il est essentiel de sortir d’une logique purement électorale dans les décisions d’investissement public. Il est nécessaire de penser à la fois à court terme, pour répondre aux urgences, et à long terme, pour préparer l’avenir. Nous avons les moyens, les ressources et les savoirs pour continuer à imaginer et construire la France de demain.

Le logement au coeur des politiques publiques

Depuis l’adoption de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) en 2000, le nombre de logements sociaux a augmenté en France. Pourtant, les objectifs, à la fois quantitatifs et qualitatifs, sont encore loin d’être atteints. L’accès au logement n’a jamais été aussi difficile : il est aujourd’hui étroitement lié à la crise énergétique et à une précarisation croissante. Plus de 300 000 personnes en France sont privées de domicile. En 2023, 87 000 étudiant·es ont entamé leur année universitaire sans logement. Plus d’un·e étudiant·e sur deux, soit plus de 1,5 million de jeunes, est en situation de mal-logement. Ce constat impose une action urgente et structurelle.

Il est donc indispensable de construire une nouvelle stratégie pour la période 2025-2050, qui viendrait compléter et prolonger la loi SRU. La démocratisation des projets d’architecture publique et d’aménagement du territoire amènera nécessairement à interroger la centralisation autour des grandes métropoles, ainsi que les inégalités d’accès aux ressources publiques. La crise du logement ne pourra être résolue sans un engagement massif de l’État pour désenclaver les périphéries et accompagner les territoires ruraux. Cela passe notamment par l’instauration de la gratuité des transports en commun et par la baisse des prix des trajets en train, dans une logique écologique et de renforcement des liens entre les territoires.

Le développement d’un réseau cohérent d’infrastructures publiques et de transports est l’un des leviers essentiels du renouvellement urbain. C’est aussi une nécessité pour les territoires ruraux, qui subissent une double peine : l’éloignement des centralités et l’inadéquation des normes, souvent pensées uniquement pour les centres urbains et leurs premières couronnes.

En parallèle, il faut revoir les modèles de régulation du foncier et de l’immobilier. Taxer les surfaces de bureaux inoccupées et encourager la réhabilitation plutôt que la construction neuve sont des pistes concrètes. Il faut également favoriser les baux longue durée au détriment des locations de courte durée, qui alimentent la spéculation et fragilisent l’accès au logement pour les habitant·es.

Enfin, les enjeux liés au logement doivent impérativement être traités conjointement avec ceux de la transition écologique. Les impératifs de construction ne peuvent pas se faire au prix de l’artificialisation des sols. Face à un sol déjà fortement appauvri, la réponse à la crise du logement ne doit pas aggraver la crise environnementale. Il est de la responsabilité collective de penser ces deux enjeux ensemble, pour construire davantage tout en préservant les ressources naturelles.

Rénover l’existant, préserver l’avenir

Pour sortir du réflexe systématique de la démolition, chaque projet doit désormais intégrer une logique de rentabilité écologique, c’est-à-dire évaluer l’impact environnemental global sur la durée, plutôt que de s’en tenir à des considérations financières immédiates. Cela suppose une évolution profonde de notre rapport au bâti : réhabiliter plutôt que raser, adapter plutôt que remplacer.

Nous devons favoriser un modèle de production et de consommation basé sur les principes de l’économie circulaire. Il s’agit de rompre avec le cycle "produire, consommer, jeter" pour lui substituer une nouvelle manière de concevoir l’usage des ressources : partager, réutiliser, réparer, rénover et recycler. Cette approche impose une attention constante au cycle de vie des matériaux, à la réduction de l’exploitation des matières premières et à la limitation drastique de la production de déchets. Elle implique également une lutte résolue contre l’obsolescence programmée, en privilégiant des solutions durables, réparables, modulables.

Par ailleurs, les projets d’aménagement doivent être pensés dans leur globalité, en intégrant la multiplicité des usages et leur possible juxtaposition. L’intelligence des espaces et la densité fonctionnelle favorisent une meilleure efficacité énergétique, tout en renforçant la résilience des territoires. Réfléchir dès la conception à la vie entière d’un bâtiment ou d’un quartier – sa transformation future, sa réutilisation potentielle – permet d’inscrire chaque projet dans une logique de long terme, fidèle aux principes fondamentaux du développement durable : répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs.

Pour soutenir cette transition, plusieurs leviers doivent être activés. Il est nécessaire d’encourager, à travers des aides financières et fiscales, les pratiques de réhabilitation, de surélévation et de transformation du bâti existant. Le soutien aux filières locales et écologiques – telles que les matériaux biosourcés, les circuits courts et les savoir-faire artisanaux – doit être renforcé. À l’inverse, une fiscalité dissuasive pourrait s’appliquer aux constructions neuves, notamment lorsqu’elles entraînent l’artificialisation des sols, ainsi qu’aux matériaux importés de pays situés hors de l’UE, dans une logique de réduction de l’empreinte carbone globale et de soutien à l’économie locale.

Les travaux de réhabilitation offrent également une opportunité précieuse pour intégrer des enjeux longtemps invisibilisés ou négligés dans le secteur de la construction. En remettant les bâtiments aux normes et en repensant leurs usages, on peut les rendre plus accessibles, plus inclusifs, et mieux adaptés aux besoins actuels de la société.

Bâtir sans exclure : vers des espaces justes et accessibles à toutes et tous

L’accessibilité ne peut plus être envisagée uniquement sous l’angle technique ou réglementaire : elle doit devenir un principe structurant de la conception de nos villes, de nos espaces publics et de notre habitat. Il s’agit de redonner du sens aux espaces communs, en tant qu’espaces de partage, de lien, de rencontre, accessibles à toutes et tous, sans distinction.

Aujourd’hui, les espaces communs sont trop souvent des lieux de cristallisation des inégalités. Discriminations sociales, de genre, ou encore dispositifs d’exclusion des personnes sans-abri sont encore largement présents dans l’espace public, créant des zones de fragilité et empêchant un véritable partage. Ces réalités doivent être traitées en profondeur, à toutes les échelles de la société, et en concertation directe avec les personnes concerné·es. L’aménagement urbain doit devenir un outil actif de lutte contre toutes les discriminations. Cela implique une approche inclusive, sensible et participative dans chaque projet.

L’accessibilité doit également s’envisager comme un levier de solidarité intergénérationnelle. Concevoir des logements et des quartiers pensés pour favoriser la mixité des âges, c’est à la fois lutter contre l’isolement des personnes âgées et encourager des formes de solidarité de proximité qui renforcent le tissu social.

Dans les transports et les équipements publics, une attention réelle doit être portée à l’accessibilité des personnes à mobilité réduite (PMR), en incluant à la fois les handicaps visibles et invisibles. Cela ne peut se limiter à quelques équipements isolés. Il faut viser une transformation complète de notre manière de penser la mobilité, dans une logique d’émancipation et d’autonomie pour les personnes en situation de handicap. Cela passe également par une lutte déterminée contre le validisme et les formes d’invisibilisation des personnes handicapées dans l’espace public.

Enfin, cette transformation nécessite une évolution des pratiques institutionnelles. Les acteur·ices publics doivent être mieux formé·es aux enjeux de l’accessibilité et du handicap. Il est indispensable d’ouvrir les processus de décision aux associations représentatives, en leur donnant une place réelle dans la conception des politiques publiques et des projets urbains. C’est en écoutant celles et ceux qui vivent concrètement les obstacles au quotidien que nous pourrons bâtir des espaces vraiment accessibles, justes et partagés.

Régulariser, former, sécuriser : pour un BTP juste et humain

Le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) reste l’un des plus accidentogènes en France : il représente à lui seul 14 % des accidents du travail et 15 % des maladies professionnelles, soit un accident toutes les deux minutes (source : Assurance Maladie). Cette réalité impose une vigilance constante et un engagement fort pour améliorer les conditions de travail.

Il est essentiel de poursuivre et de renforcer les démarches de reconnaissance de la pénibilité dans ce secteur. Cela passe notamment par la possibilité de départs anticipés à la retraite pour les ouvrier·ères exposé·es à des conditions de travail éprouvantes. Parallèlement, la formation continue et les dispositifs de reconversion doivent être systématiquement accompagnés, afin d’offrir des perspectives durables à celles et ceux qui souhaitent évoluer ou se réorienter.

Les normes de sécurité sur les chantiers doivent être en constante évolution. Il ne s’agit pas de les figer, mais de les adapter aux réalités du terrain, aux nouvelles technologies et aux exigences environnementales. Il est donc indispensable de faciliter le renouvellement des équipements de protection, d’encourager l’innovation en matière de sécurité et de s’assurer que chaque chantier respecte un haut niveau d’exigence, quel que soit son format.

L’augmentation des chantiers en site occupé, due notamment à la montée en puissance des projets de réhabilitation, ne doit en aucun cas justifier une accélération précipitée des délais ni une dégradation des conditions de travail. L’urgence écologique ne doit pas devenir un prétexte pour négliger la santé et la sécurité des travailleur·euses du secteur.

Par ailleurs, le BTP est aujourd’hui le deuxième secteur employant le plus de travailleur·euses sans papiers. Cette situation, souvent exploitée, ne peut plus être ignorée. Il est impératif de faciliter l’accès à la régularisation et à la citoyenneté de ces personnes, afin qu’elles puissent bénéficier de l’ensemble de leurs droits, dans la dignité et la légalité. En parallèle, une politique ferme et cohérente doit être menée contre le travail dissimulé. La baisse des coûts de construction ne peut se faire ni au détriment de la sécurité, ni par l’appauvrissement des caisses sociales. Il en va de la justice sociale autant que de la pérennité du modèle solidaire de protection des travailleur·euses.

De l’école au territoire : éduquer à la fabrique du commun

Face aux défis climatiques, aux crises du logement et aux enjeux d’accessibilité, il devient indispensable de renforcer la formation des architectes, ingénieur·es et concepteur·ices qui auront la responsabilité de bâtir les territoires de demain. Ces sujets doivent sortir des logiques de contraintes et devenir des réflexes, des fondements, intégrés dès les premières années de formation.

Pour retisser un lien entre la réflexion théorique et les réalités du terrain, il est essentiel de rapprocher davantage les écoles d’architecture des Conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE). Ces institutions, présentes localement, disposent d’un savoir ancré dans les territoires et sont des lieux de médiation, de pédagogie et de dialogue entre les professionnel·les, les élu·es et les habitant·es. Les associer pleinement aux réflexions et aux dynamiques de formation permettrait de reconnecter l’enseignement de l’architecture aux enjeux concrets, locaux et sociaux.

Dans cette même logique, il semble pertinent d’envisager une évolution de la gouvernance des Écoles Nationales Supérieures d’Architecture (ENSA) pour jouter le ministère de la Transition écologique à la co-tutelle déjà existante (enseignement supérieur/culture), de manière à affirmer la place centrale des enjeux environnementaux dans la formation des architectes.

Plus largement, la transition écologique ne peut plus rester marginale dans les cursus d’enseignement. Sensibiliser dès le plus jeune âge à l’impact du bâti sur l’environnement, à la fabrique des territoires, à la justice spatiale et à l’importance du bien commun, c’est former des citoyen·nes capables de penser et de construire un avenir désirable.


Contributeurs : Salomé HADZLIK (59), Audrey GATIAN (13), Pierre PRIBETICH (21), Thomas GODARD (94), Eric SARGIACOMO (40), Malika BONNOT (69), Caroline RACINE (57), Aline MAURICE (34), Agathe BOURRETERE (40), Rozenn BONNET (40), Aline MAURICE (34), Emma PINÇON (31), Philippe QUÉRÉ (95), Alex CHARBONNEL (32), Jean Claude MAURIN (26), Gautier PEZY (16), Antoine DALLET (17), Nicolas LE VIAVANT (40), Àhmed MIRAOUÎ (62), Gwendal MANSO (40), Dominique RAT (40), Eden MATIONGO (77), Killian MONTESQUIEU (75), Damien THOMAS (75), Cyril NOVAKOVIC (75), Christian HUGUIES (40), Bruno PÉRAN (31), Thierry JACQUET (69), Jerome GUILLEM (33), Marina PARODI (40), Benjamin ALLAIX (49), Marie-Pierre DUHA PERRIAT (40), Yoann GARCIA (33), Lionel OLLIVIER (60), Jacques LARROUX (40), Jennifer BOHRER BARREAU (53), Johanne HADZLIK (59), Elouan LAHET (40), Jean-Michel EON (44), Karine GARRALON (40), Denis BREVET (40), Nicolas DELAUTRETTE (87), Florence SABARD (75), Johel GREVET (62), Lucas BERGÉ (58), Elias BENDAOUADJI (57), Didier KAHN (40), Dominique BOLLIET (69), Gauthier DUFOSSEZ (69), Yann AUZIAS (69), Alex CHARBONNEL (32), Hans TORVIC LECLERC (18), Robert CABÉ (40), Bernard BETNA (40), Vincent VAN ACKER (75), Mehdi KEMOUNE (91), Paul COUTARD (75), Victor LE MONIER (21), Jean Marc BILLAC (40), Romain MIDA (60), Antoine TERRIER (40), Grégoire GOURDON (49), Noé COLLOMB (69), Justine CHASSEUR (40), Jeanne DALLOT (75), Nicolas DZIEZUK (57), Manon AUDAP (40), Lucas HAMIDI (62), Théo IBERRAKENE (59), Jean-Pierre TRABESSE (40), Matthias EVANO (75), Rolande CASSAGNEAU (40), Zoé BOURLON (40), Yann AUZIAS (69), Abel GAGO (69), Pierre HADZLIK (59), Stéphane GEMMANI (38), Stéphane GEMMANI (38), Noé GUIGONET (13), Quentin LE MENÉ (45), Quentin LATOUR (31), Cédric MARÉCHAL (45), Arnaud BATTEFORT (23)


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