Mercredi 11 novembre, Olivier Faure a adressé une lettre au président Emmanuel Macron dans laquelle il s'inquiète de l'impréparation de la France lors de l'arrivée d'un vaccin contre la Covid-19.
La lettre :
Le contenu :
Ivry-sur-Seine, le 11 novembre 2020,
Monsieur le Président de la République,
Un espoir s’est levé. Alors que les Français vivent un second confinement, l’annonce par les laboratoires pharmaceutiques Pfizer et BioNTech d’un vaccin « fiable à 90 % » contre le Sars-Cov 2 a ouvert une perspective nouvelle qui laisse entrevoir – fut-ce à moyen terme – une sortie de crise.
Nul n’ignore l’existence d’un délai entre cette annonce et la première injection en population générale, du à la fin effective des essais cliniques et au feu vert qui devra être donné par l’Agence Européenne du Médicament. Mais il s’agit potentiellement d’une avancée majeure qu’il faut accueillir comme telle et qui nécessite dès aujourd’hui des anticipations pour éviter d’être demain dans de nouvelles improvisations et de prendre un retard impardonnable. Cette fois-ci, nous devons « être prêts ».
Observer les réactions de nos voisins européens est à cet égard éloquent. Dès le lendemain de l’annonce, nous apprenions que l’Allemagne avait déjà travaillé au processus d’acheminement et de conservation des futurs vaccins grâce à des containers frigorifiques à même de garantir le maintien des doses aux -70 degrés requis. Le ministre de la Santé espagnol annonçait dans le même temps que son pays serait bénéficiaire de 20 millions des 300 millions de doses commandées par l’Union européenne, que les groupes vulnérables, donc prioritaires, étaient déjà identifiés et les lieux de distribution hors des hôpitaux déjà envisagés. Qu’en est-il chez nous ?
Que ce soit pour le vaccin de Pfizer ou pour l’un de ceux développés par d’autres laboratoires actuellement en phase 3, les scenarii doivent être élaborés et les modalités anticipées – en tenant notamment compte des spécificités du vaccin - qu’il s’agisse de la chaîne d’approvisionnement et de distribution, de la répartition sur le sol national, des personnels habilités à procéder aux vaccinations ou encore de la détermination des publics prioritaires. Quand le processus sera lancé, il faudra aller très vite, et mettre en place des procédures pensées et expliquées en amont.
Or une fois encore le flou semble le seul horizon, et l’opacité la règle. Dès le 9 juillet pourtant, le Conseil scientifique, dans son avis intitulé « Une stratégie de vaccination », faisait ses propositions. Quelles suites ont été données par le gouvernement? Quelle option a été anticipée ? La Haute autorité de santé vient tout juste de lancer une consultation publique sur la vaccination contre la covid-19 et elle ne présentera ses conclusions que début 2021 ! Notre pays est déjà en retard.
Mardi, lors de la séance des questions d’actualité, Chantal Jourdan a, au nom du groupe socialiste, interrogé le gouvernement. La réponse fut aussi indigente qu’inquiétante . Tout juste a-t-il été rappelé que « les modalités d’utilisation seront décidées par le ministre de la santé, après les recommandations de la Haute autorité de santé. » Plus tard dans la séance, le secrétaire d’État auprès du ministre de la santé enjoignait les députés à ne pas faire de « polémiques à propos d’un vaccin qu’on n’a pas encore trouvé ». Cette déconnexion et ce manque de préparation nous inquiètent au plus haut point. Certes il n’existe encore aucune certitude absolue, mais attendre qu’il soit trop tard pour agir serait une nouvelle faute.
Votre Premier ministre prendra la parole demain soir pour donner les décisions prises en Conseil de Défense. Il est impératif qu’un horizon soit donné aux Français quant à la campagne de vaccination.
Nous connaissons les réticences de nombre de nos concitoyens face à la vaccination de manière générale, et pour ce vaccin développé rapidement en particulier. Une adhésion de la population est essentielle au succès de l’opération et à l’efficacité de la protection. Il faut donc une concertation étendue et une écoute des questionnements et inquiétudes divers – qu’ils soient justifiés ou non. A ce titre, je réitère la demande écrite de l’ensemble des députés socialistes adressée lundi au Premier ministre, que soit mis en place le comité de liaison citoyen recommandé par le conseil scientifique dans plusieurs avis. Nous partageons son constat selon lequel « pour être efficaces, les choix à réaliser nécessitent une large adhésion de nos concitoyens ».
Enfin, alors que se profile un nouveau défi logistique et sanitaire, je demande de nouveau que soient réunis les dirigeants de partis politiques, les présidents de groupe parlementaires et les présidents d’associations d’élus afin que soient définies les modalités d’association des collectivités locales à la campagne de sensibilisation puis de vaccination qui devra suivre. Cette bataille-là doit être menée au plus près des réalités de terrain. Le ministre de la santé espagnol a rappelé que de son côté, cela faisait des mois qu’il travaillait avec les autorités locales pour fixer les modalités de distribution d’un futur vaccin.
L’opacité, la centralisation et l’improvisation ont jusqu’ici suffisamment démontré leurs limites. Le moment est venu de changer de méthode.
Pour achever mon propos, et puisque nous sommes à la veille du « sommet de Paris sur la paix » que vous aurez l’honneur de présider, je vous rappelle à l’engagement que vous avez pris de garantir l’accès au vaccin à tous les peuples touchés en en faisant un bien commun universel. Rien ne serait pire que de connaître une partition du monde entre ceux qui disposent du moyen de maîtriser la contagion et les autres condamnés à une crise sanitaire, économique et sociale.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma très haute considération.
Olivier Faure
Premier secrétaire du Parti socialiste