Thème : Maîtrise publique des biens communs
La voie de la transition sociale et écologique
Financière, économique, sanitaire, météorologique, géopolitique, énergétique… Les crises succèdent aux crises. Signe de « la gestation d’un nouveau paradigme dans la douleur et le chaos » comme le dit Edgar Morin. Plusieurs positions politiques font face à leur manière :
- Le repli sur soi pour préserver les derniers acquis : c’est cultiver la vaine illusion que le problème réside chez l’autre et non chez soi et que l’interconnexion du monde peut être supprimée malgré l’ère numérique. C’est une approche destructrice, qui, pour justifier ses thèses, attise les clivages, les peurs, les divisions et les chocs des identités.
- La révolte pour en finir avec un modèle tant injuste que défaillant et le remplacer par un substitut vertueux : c’est oublier que l’histoire enseigne surtout que la violence entraîne la violence et que la complexité du monde contemporain ne permet guère d’aventures nationales isolées. La légitimité d’une colère ne suffit pas pour construire un destin commun.
- L’adaptation pour limiter les dégâts : c’est accepter tant bien que mal une situation désastreuse, se contenter de retarder les effets négatifs, de laisser advenir le pire. C’est d’autant plus une fausse solution quand cette adaptation en arrive à ne légitimer son existence plus que comme un rempart contre le repli sur soi et la révolte. Alors, que ce sont justement le manque de perspectives et le défaut de résultats de cette adaptation qui alimentent ces deux réactions.
L’alternative que nous portons est une politique qui combat les multiples dégradations de l'environnement, de la nourriture et de la santé, et qui revendique une sobriété des comportements, synonyme, non de privation, mais de tempérance et de plaisir simple et retrouvé. C’est le sens de l’engagement du Parti socialiste : un projet et un récit de libération de la société de surconsommation, de réinterrogation du dogme du progrès, de respect de la vie sous toutes ses formes.
Deux enjeux essentiels : le vivant et l’adelphité
Pour aller vers un monde juste et désirable, la voie d’une transition sociale et écologique n’est pas facile. Elle n’est pas déjà tracée. Quel « social » ? Quelle « écologie » ? Quelle proportion de l’un et de l’autre ? Quelle imbrication de l’un et de l’autre ? Nous tâtonnons, nous clarifions en avançant. Notre Congrès est une étape pour débattre, acter, poursuivre.
Revendiquons avec cette contribution thématique qu’une transition juste et désirable passe par la réappropriation collective de deux enjeux dans lesquels tous les peuples vivant sur Terre peuvent se retrouver : le vivant et l’adelphité – pour utiliser un équivalent non genré de fraternité et sororité.
- Le vivant pour recréer du lien à la nature, ce lien de respect de la biosphère qui suscite notre sentiment d'appartenance à une existence plus grande transcendant notre seul ego.
- L’adelphité pour recréer du lien à autrui, ce lien de solidarité qui nous fait goûter la joie du partage et du don de soi.
La condition impérative de maîtrise publique des biens communs
Cette réappropriation implique un retour au collectif des biens communs – ce que l’argent ne doit pas pouvoir acheter, comme l'eau, l'énergie, le sol – et leur mise sous maîtrise publique, à l’abri de l’accaparement marchand. Les formes de cette réappropriation importent peu. Il ne se base pas sur un dogme ou sur une opposition de types d’acteurs, mais il vise à sauvegarder le patrimoine partagé de l’humanité, régénérer le lien social, inspirer les citoyens avec du sens donné à l’action politique, conduire de stratégies positives, impulser une production et une consommation plus sobre. Dans la période de mutations que nous traversons, notre responsabilité est également de rassurer, de rassembler et, plus que jamais, de faire société. Pour cela, il nous faut des socles solides et partagés, des repères stables et pérennes : ces biens communs, essentiels.
À l’échelle nationale et européenne, nous devons nous mobiliser pour traiter bien sûr l’effondrement écologique et toutes ses conséquences, chez nous et dans le monde, mais aussi les disruptions technologiques (biotech et infotech tout particulièrement). Elles aussi doivent être placées sous maîtrise publique, car l’accès à la santé et la connaissance doivent devenir des biens communs :
- En matière de génomique, l’Europe et la France disposent de bioclusters de dimension mondiale en thérapie génique et cellulaire. Pour convertir cette recherche-innovation en médicaments, il convient de la prolonger par une filière industrielle. Or pour développer un médicament, seul l’État détient, en association avec d’autres États européens, une puissance suffisante pour assurer une indépendance, notamment vis-à-vis des États-Unis et de la Chine.
- En matière de numérique, la situation et les besoins sont similaires. La France possède une très grande capacité en recherche sur l'intelligence artificielle, mais elle a du mal à transformer ses avancées scientifiques en applications industrielles et économiques, par exemple dans les secteurs de la santé et de l’environnement.
- En matière d’énergie, la souveraineté est nécessaire à la fois pour traiter de la sécurité d’approvisionnement, de la mise en œuvre d’une politique de solidarité (recul de la précarité énergétique), développer une efficacité énergétique et pour accroître la recherche et les investissements dans les renouvelables.
À l’échelle des collectivités locales, cette maîtrise publique a vocation à se décliner tout particulièrement dans les domaines de l’eau en ramenant en propriété publique les outils financés par des fonds publics et déjà amortis, de l’énergie via des réseaux de production locale, du foncier en travaillant une zéro artificialisation nette au bon niveau (régional avec des déclinaisons intercommunales).
De la maîtrise publique locale à la maîtrise publique globale
Cette échelle locale est d’autant plus importante que l’échelon du bloc communal – communes et intercommunalités – est la première brique du système territorial. Tous les enjeux de la planète s’y retrouvent ! L’échelle territoriale est l’espace de preuve et de pédagogie dans lequel se déploie d’ores et déjà et avec efficience notre social-écologie. C’est l’espace idéal, proportionné et accessible, pour identifier et multiplier des énergies et initiatives positives, ces graines qui préfigurent un nouveau modèle de société. Utilisons-le pour redonner du sens et restaurer la confiance chez nos concitoyens puis enclencher le mouvement vers un changement plus général.
La transition que nous devons construire, promouvoir et mettre en oeuvre nous mène à un nouveau modèle. Cela passe par restaurer « la confiance entre la puissance publique, le mouvement social et les citoyens, autour d’un pacte démocratique, écologique, social et républicain renouvelé » pour reprendre les termes d’Eric Chenut, président de la Mutualité française. Dans tous les domaines, les changements à enclencher sont nombreux. Par exemple, en matière économique, il nous faudra substituer le « Bonheur Intérieur Brut » (santé, éducation, cadre de vie, conditions de vie, etc.) au Produit Intérieur brut avec des déclinaisons comme l’étiquetage « empreinte carbone » de tous les produits et prestations. En matière juridique, il nous faudra de nouveaux droits, d’ores et déjà préfigurés par certains textes ou leurs évolutions, comme le Forest Rights Act indien ou la reconnaissance de l’animal comme être vivant doué de sensibilité dans le code civil français. En matière d’éducation, il faudra mieux résoudre la difficile équation accès-chance de réussite-qualité pour chacun, dans un monde qui accélère. En matière sociale, il nous faudra miser sur le développement des capacités des individus à exploiter de manière équitable les ressources mises à disposition par la société – les « capabilités » théorisées par le prix Nobel Amartya Sen – et instaurer, pour les plus modestes, une « sécurité sociale » des biens de première nécessité (alimentation, énergie, eau) avec des aides créditées sur la carte Vitale.
L’objet n’est pas ici d’établir un panorama complet, mais d’illustrer combien la transition que nous devons, que nous voulons conduire, repose sur des biens communs, qu’ils soient naturels ou sociétaux. Pour les protéger, pour les régénérer et pour les faire prospérer, il nous faudra les placer sous maîtrise et sous pilotage publics, seuls garants de l’intérêt général.
Signataires :
Michel Bisson