Vers une Gauche Archipélagique


Thème : La Gauche comme Archipel


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VERS UNE GAUCHE ARCHIPELAGIQUE


Et si l’avenir de la gauche ne résidait pas dans la quête vaine d’une unité monolithique, mais dans l’acceptation de sa pluralité ? Si, au lieu de se penser comme un territoire assiégé par ses propres contradictions, elle s’imaginait comme un archipel, selon le concept d’Édouard Glissant ?

Penser la gauche sous ce prisme, c’est refuser l’impasse des identités figées, ces récits verrouillés par la nostalgie des grandes heures ou le remords des occasions manquées. C’est sortir de l’alternative stérile entre une gauche qui se fracture et une gauche qui se dilue. Car à force de vouloir résoudre l’irréconciliable, on oublie que la solution ne réside pas dans une fusion artificielle, mais dans une mise en relation.

Face aux diagnostics implacables d’un Jérôme Fourquet, qui dresse la cartographie d’une France éclatée en communautés qui ne se parlent plus, la gauche archipélagique propose une autre lecture : non pas un morcellement stérile, mais une constellation de liens à retisser. Elle s’oppose à cette vision d’une société crispée sur ses frontières invisibles, incapable d’échanger autrement que par le conflit.

Si la gauche se pense en archipel, alors elle peut dépasser l’antagonisme stérile entre ses différentes sensibilités. Elle ne cherche pas à unifier par effacement, mais à faire coexister dans une dynamique vivante. Les îles ne se fondent pas les unes dans les autres, elles se connectent, elles échangent. De même, les gauches, dans leur diversité, doivent apprendre à se penser en mouvement, en dialogue, sans chercher à se réduire à une essence unique ni à un dogme figé.

Le rôle d’un congrès politique, dès lors, n’est pas d’ériger une doctrine qui exclut, mais de poser les fondations d’une pensée archipélagique de la gauche. Une pensée capable d’organiser le dialogue entre ses composantes, de construire des alliances non par nécessité tactique, mais par conviction. Une pensée qui ne choisit pas entre la France des bourgs et celle des tours, mais qui les relie par un horizon commun, celui de la solidarité et de la justice sociale.


1) L’archipel des alliances : défendre l’union de la gauche

Si l’archipel est une invitation à la relation, alors la question des alliances n’est pas un problème à trancher, mais un processus à habiter. Il ne s’agit pas de s’accrocher à une unité illusoire ni de redouter la diversité des trajectoires. Il s’agit d’apprendre à faire avec, à travailler les différences, à construire des passerelles plutôt que d’ériger des digues.

L’union de la gauche n’est pas une nostalgie, ni une ruse électorale. Elle est une nécessité historique, une exigence démocratique face aux périls du temps. L’éparpillement nourrit la défiance, l’isolement précipite la défaite. Ce n’est pas l’union qui affaiblit, mais l’incapacité à la concevoir autrement que comme une annexion ou un renoncement. L’archipel n’est pas une dilution, mais un espace où l’on accepte de se connecter sans se confondre.

Dès lors, il ne s’agit pas de se contenter de coalitions par défaut, négociées dans l’urgence des échéances électorales, mais d’élaborer un récit commun, une boussole politique capable d’orienter cette diversité. Ce qui unit doit l’emporter sur ce qui sépare. Non par naïveté, mais par lucidité : une gauche fragmentée est une gauche impuissante.

2) Une boussole pour l’émancipation : grandes lignes programmatiques

Si nous pensons la gauche comme un archipel, alors notre programme ne peut être un bloc doctrinaire figé, mais une cartographie des possibles, un cadre d’émancipation plutôt qu’un catalogue d’injonctions. Il ne s’agit pas de s’enfermer dans une orthodoxie, mais de réaffirmer des principes intangibles qui permettent d’orienter l’action.

- D’abord, rompre avec l’hégémonie du capitalisme financiarisé. Non pas en réactivant des dogmes d’un autre siècle, mais en replaçant l’économie au service du commun. Cela signifie défendre le travail contre la rente, la redistribution contre l’accumulation, la régulation contre le laisser-faire. Une société qui accepte la précarité comme une fatalité n’est pas seulement injuste, elle est instable.

- Ensuite, faire de la transition écologique un levier d’égalité et non un privilège réservé à quelques-uns. On ne construit pas l’avenir avec les recettes du passé : repenser notre rapport aux ressources, à l’énergie, au territoire, ce n’est pas sacrifier la croissance, c’est inventer un autre modèle de prospérité.

- Mais penser l’archipel, c’est aussi comprendre ce qu’il combat. La droite et l’extrême droite sont l’exact opposé de cette vision. Là où l’archipel relie, elles cloisonnent. Là où il ouvre des espaces de dialogue, elles érigent des murs. Leur pensée est celle de l’identité figée, crispée sur elle-même, incapable de voir dans l’altérité autre chose qu’une menace. Ce sont des doctrines du repli, de l’exclusion, de la pureté, là où nous défendons le métissage, la diversité, la capacité à faire monde ensemble.

- Face à cela, nous devons opposer une politique de la relation, du lien, du commun. La droite et l’extrême droite prospèrent sur la peur d’un monde qui bouge, nous devons incarner l’espoir d’un monde qui se transforme. Elles cultivent l’illusion de la stabilité dans un monde en mouvement, nous devons être ceux qui donnent aux citoyens les outils pour habiter ce mouvement, pour en faire une force et non une menace.

- Enfin, réaffirmer le cœur battant de la gauche : l’émancipation. Émancipation sociale, bien sûr, mais aussi culturelle et démocratique. Défendre les services publics, garantir l’égalité réelle, donner à chacun les moyens de sa liberté. Car une gauche qui renonce à l’émancipation n’est plus qu’un gestionnaire des inégalités existantes.

Conclusion : une gauche en mouvement

L’archipel est une invitation à penser autrement la gauche : non plus comme une forteresse assiégée ou un continent fragmenté, mais comme un espace de circulation et d’échange. C’est cette dynamique qu’il nous faut retrouver : non pas une gauche qui se replie sur ses certitudes, mais une gauche qui se déploie, qui ose la relation, qui assume le dialogue sans perdre sa boussole.

Car si la gauche est un archipel, alors elle peut réconcilier le social et l’écologique, la protection et l’émancipation, le local et l’universel. Non par concession, mais par ambition. Car c’est en assumant cette complexité qu’elle redeviendra une force transformatrice et non plus seulement un espace de témoignage.
L’enjeu, ce n’est pas seulement de gagner des élections, c’est de redonner envie de gauche, de faire de cette diversité une force et non un poids, une promesse et non une menace. Un archipel de solidarités, voilà l’horizon.


Contributeur : Raphaël BERNARD, militant


 

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