Thème : Politique de la ville
Dans un contexte de montée des inégalités, de sentiment d’abandon et de crise démocratique, il est temps de remettre les quartiers populaires et les territoires périphériques au cœur du projet républicain. Non pas comme des espaces à réparer ou à stigmatiser, mais comme des lieux d’avenir, de créativité, de solidarité et de résilience. Face aux discours caricaturaux opposant métropoles et périphéries, il nous revient de porter une vision d’égalité réelle, de dignité partagée et de transition sociale et écologique par les territoires.
Trop souvent, on parle « des quartiers » comme d’un problème. Nous affirmons qu’ils font partie de la solution. Ces territoires populaires sont des lieux d’invention, d’énergie, de résistance, où s’expriment une jeunesse vibrante, des solidarités concrètes, une diversité précieuse.
Alors que les fractures territoriales s’aggravent, que les services publics reculent, que le sentiment d’abandon grandit, nous devons porter une ambition forte pour une République des territoires populaires, égale, solidaire, écologique.
Métropoles et périphéries : dépasser les oppositions simplistes
Les inégalités territoriales nourrissent un profond sentiment d’abandon : elles touchent l’accessibilité, les mobilités, la densité des services, l’accès à l’emploi, à la santé, à l’éducation. Si la métropolisation est un moteur économique, elle tend aussi à vider les périphéries et à renforcer la ségrégation. Certains territoires, frappés par la désindustrialisation ou la gentrification, sont dévitalisés.
Les quartiers populaires concentrent les difficultés : perte d’emplois, habitat dégradé, précarité sociale. L’opposition entre métropole et périphérie masque des réalités plus complexes : il existe des inégalités criantes au sein même des métropoles, et les périphéries sont diverses – entre ruralités attractives, zones en déshérence, centres-villes en déclin, poches de pauvreté, sans oublier les Outre-mer.
Ce clivage alimente des discours politiques qui opposent artificiellement les campagnes « oubliées » et les quartiers urbains « assistés », avec une lecture ethno-raciale sous-jacente. Trop souvent, les politiques de la ville sont accusées d’être inefficaces, de favoriser une prétendue « discrimination positive ». Ce procès est injuste : il occulte les causes profondes des fractures sociales et détourne le regard des responsabilités structurelles. Cette lecture est simpliste et dangereuse. Elle sert trop souvent à opposer les pauvres entre eux, à nourrir une rancœur sociale canalisée par les extrêmes.
Changer de regard sur les villes populaires
Les politiques publiques ont contribué à disqualifier symboliquement les quartiers populaires, en les désignant par des termes stigmatisants : banlieues, ghettos, zones sensibles, quartiers prioritaires… Cette sémantique dépréciative renforce une identité négative, qui devient un frein à l’émancipation. Il est urgent de changer de regard, de reconnaître la richesse et la complexité de ces territoires, et d’y réinscrire pleinement la promesse républicaine.
Ces quartiers sont aussi ceux où l’on tient debout. Où des jeunes réussissent malgré les obstacles. Où des familles résistent. Où la culture, l’entrepreneuriat, le sport, la création artistique rayonnent. Ce sont des lieux d’avenir, à condition de leur donner les moyens d’agir.
Trois priorités pour une stratégie de gauche :
- Redonner des couleurs à la belle notion de "ville populaire" ; fière de sa diversité, de ses combats et de sa vitalité ;
- Faire vivre l’égalité entre les territoires, pas en promesse vague mais en engagements concrets ;
- Repenser en profondeur les politiques de la ville, pour sortir des logiques technocratiques et reconquérir une ambition politique.
Une ville populaire, riche de diversité et de solidarité
Oui, les difficultés sont réelles, mais les solutions existent, et elles sont souvent portées par les habitants eux-mêmes. Les quartiers populaires sont jeunes, dynamiques, inventifs. On y trouve des ouvriers, des employés, des entrepreneurs, des artistes, des sportifs. On parle souvent de ce qui ne va pas dans les quartiers. Parlons aussi de ce qui marche. Des mamans seules qui se battent chaque jour. Des jeunes qui décrochent un diplôme contre tous les pronostics. Des collectifs qui inventent des réponses locales.
Les quartiers populaires sont jeunes. Dans un pays vieillissant, c’est un levier pour l’avenir. Dans ces quartiers, on innove, on crée, on rêve. Ce sont des terres d’accueil, de transmission, de métissage. Ce sont aussi des territoires où l’on gère au quotidien les tensions, les injustices, les fractures.
Ces territoires assument des fonctions essentielles d’accueil et d’insertion. Malgré les obstacles, les jeunes s’accrochent à leurs études, les familles se battent au quotidien, les réseaux d’entraide pallient les défaillances institutionnelles. Et qui peut nier que la jeunesse des quartiers est aujourd’hui l’un des principaux viviers de talents dans la France contemporaine ?
Pour une égalité territoriale réelle
L’égalité absolue est un idéal, mais l’égalité minimale, elle, est une exigence. Ne rien faire, c’est légitimer la ségrégation socio-spatiale et renforcer les replis identitaires.
Il faut renforcer les outils existants pour la mixité sociale et définir collectivement un socle national de qualité urbaine et rurale, garantissant l’accès à la santé, à l’éducation, à la nature, aux mobilités, au logement. Cela suppose de mesurer concrètement les moyens alloués aux quartiers populaires. Cela suppose de mesurer concrètement les moyens alloués aux quartiers populaires. Un indicateur du du montant d’argent public consacré à chaque habitant par ville doit être rendu public, transparent et partagé. Plusieurs études démontrent que les quartiers populaires restent « sous-dotés » contrairement à un idée reçue trésorerie répandue. Il est essentiel de tendre vers un équilibrage des moyens publics consacrés aux quartiers pour espérer rétablir l’égalité réelle entre les habitants.
Nous faisons le pari que cette égalité réelle est le socle d’une dynamique d’attractivité qui rétablira la mixité sociale souhaitée dans l’habitat, le milieu scolaire et l’emploi. La mixité scolaire nécessite l’implication du secteur privé déjà implanté dans les quartiers populaires qui doit lui aussi contribuer aux politiques de mixité. Un engagement sur ces politiques conditionnerait l’accès aux bénéfices d’aides publiques.
Et cela suppose aussi de mettre fin aux discriminations : avec un principe de "territoire zéro discrimination", des moyens juridiques pour les victimes, des stages garantis, des formations pour les agents publics, et une vigilance active contre le racisme, le sexisme, l’islamophobie, l’antisémitisme ou l’homophobie.
L’égalité doit aussi passer par des dispositifs concrets :
- Un principe de « territoire zéro discrimination »,
- Des services publics présents et accessibles,
- Une lutte résolue contre la fracture numérique,
- L’accession à la propriété facilitée,
- Un soutien actif aux victimes de discriminations.
Repenser les politiques de la ville : sortir du béton, remettre l’humain
La politique de la ville a quarante ans. Malgré des avancées, elle est aujourd’hui à bout de souffle. L’approche centrée sur l’urbain au détriment de l’humain, l’obsession de la démolition, la gouvernance verticale, tout cela appelle à une refondation. Tout cela ne peut d’ailleurs pas être réduit à la rénovation urbaine. Depuis 20 ans, on détruit, on reconstruit, sans toujours améliorer la vie des habitants.
Nous proposons :
- La fusion de l’ANRU et de l’ANCT dans une seule agence au service de l’égalité territoriale,
- La création d’un grand ministère de l’Égalité territoriale,
- La priorité à la réhabilitation sur la démolition, dans une logique écologique,
- La reconnaissance de l’économie de subsistance et son accompagnement vers l’économie sociale et solidaire,
- Une véritable stratégie contre les narcotrafics, fondée sur la répression mais aussi sur la prévention, l’éducation et la protection de l’enfance,
- La démocratie participative réelle, intégrée dès la conception des projets, avec une maîtrise d’usage par les habitants,
- Le soutien massif à l’innovation de terrain, aux tiers-lieux, à la culture, à l’entrepreneuriat populaire.Et surtout, arrêter de faire semblant sur la participation. Donnons aux habitants la capacité réelle de participer à la conception des projets, à la gestion des espaces publics, aux choix budgétaires.
- Des budgets participatifs massifs, des expérimentations de maîtrise d’ouvrage citoyenne, des tiers-lieux dans chaque quartier populaire, voilà des leviers pour changer les pratiques.
Que Vive la ville populaire !
La ville populaire n’est pas une ville-problème. C’est une ville-réponse. Une ville de luttes, de fierté, de jeunesse, de création. Une ville laboratoire du vivre-ensemble, du commun, de l’avenir.
Nous affirmons qu’il n’y a pas de République sans ses quartiers, pas de justice sans égalité territoriale, pas de transition sans inclusion. Il est temps de passer d’un regard condescendant à une politique ambitieuse, assumée, structurée. Les quartiers populaires ne demandent pas la charité, ils exigent la justice. Pas des miettes, mais une place entière dans la République. Il est temps de reconnaître leur richesse, leur force, leur rôle dans la société française.
La gauche doit porter cette fierté. Refuser le misérabilisme comme le mépris. Investir dans les territoires populaires, c’est investir dans l’avenir du pays. Il n’y aura pas de transition écologique, de cohésion nationale ou de renouveau démocratique sans eux. Vive la ville populaire !
Contributeurs : Mehdi CHALAH (conseiller municipal de Roubaix, conseiller métropolitain de la Métropole Européenne de Lille) , Michel DAVID (conseiller municipal de Roubaix) , Pierre DUBOIS (ancien maire de Roubaix) , Nadia CATTIAUX (conseillère municipale de Roubaix) , Tonino MACQUET (conseiller municipal de Roubaix) , Guillaume COUVREUR (directeur d’hôpital) , Adam AMRANE , Thimothée REMY , Foudil BENSALEM , Erwan GLASZIOU