Jean-Marc Germain, Secrétaire national aux Relations internationales et à la Mondialisation
Cécilia Gondard, Secrétaire national à l'Égalité Femmes-Hommes
Les grands bailleurs de fonds se sont accordés ce mois-ci pour geler le service de la dette de certains pays en voie de développement dans le monde pour un semestre. La mesure concerne une trentaine de pays africains. Le moratoire n’est qu’un gel de la dette par le créancier, qui renonce à en exiger le paiement dans les délais convenus, mais ne les annule pas. Et durant la période de moratoire, les intérêts continuent de courir. Alors que le continent cumulait avant la crise sanitaire 365 milliards de dollars de dettes dont le remboursement du capital emprunté et des intérêts en 2020 représente 44 milliards, le moratoire accordé concerne en Afrique plus de 12 milliards. Sur le court terme, ce montant va libérer des liquidités pour que les États concernés engagent urgemment les mesures sanitaires, sociales et économiques visant à répondre à la crise sanitaire sans précédent et à ses conséquences immédiates et de moyen terme. Mais même si le moratoire est reconduit pour un second semestre consécutif, possibilité intégrée dans l’accord, cela n’annule ni partiellement ni intégralement les dettes, que ce soit son service ou sa charge. En ce sens, si certains tiennent à affirmer que ce moratoire serait une première étape historique vers des annulations de dettes, l’expérience nous invite au scepticisme, aussi attendons-nous surtout des actes. Nous ne nous associons donc pas aux messages d’autosatisfaction des bailleurs institutionnels internationaux et étatiques.
Ces réactions ne sont pas à la hauteur des défis. Car le problème de la dette des pays du sud est structurel et antérieur à la crise du Coronavirus. Les politiques d’austérité attachées aux prêts ont mis à mal le secteur public dans les pays concernés, en particulier dans le secteur de la santé, mais aussi celui de l’éducation, qui forme le personnel de la santé. A travers la promotion de la privatisation dans le domaine de la santé, il a fait perdre à la puissance publique une partie de ses leviers d’action. C’est dans un monde en développement fragilisé par des décennies d’austérité que le Coronavirus est arrivé, et ceci doit être le point de départ de notre réflexion.
En cette période de défis pour la santé de l’humanité, nous souhaitons que cette crise sanitaire marque le début d’une véritable solidarité mondiale qui placerait les biens publics et l’humain au cœur des aides publiques au développement. Suspendre des dettes, dont une grande partie est avérée illégitime ne serait-ce qu’au vu des taux d’intérêts injustes, ne constitue pas une solution acceptable.
L’époque que nous vivons et que subit la majorité des êtres humains porte l’exigence d’une « solidarité exceptionnelle », conformément aux appels réitérés du Secrétaire général de l’ONU António Guterres. En nous appuyant sur les études de la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement, nous soutenons les recommandations pour une annulation massive des dettes à l’ensemble des pays en développement, de l’ordre de 1000 milliards de dollars.
Nous appelons à rapprocher les réflexions de nos forces politiques et intellectuelles pour proposer ensemble une nouvelle gouvernance qui ne fera plus de la dette un carcan mais un levier permettant le partage de la prospérité du monde au service du développement durable et de la protection de l’environnement. C’est donc à une reconstruction globale de l’architecture de la dette internationale, et africaine en particulier, que nous aspirons.
Alors que l’urgence climatique et la réduction des inégalités, en particulier des inégalités Nord-Sud, devraient guider les priorités des États, nous assistons à la place à l’amplification des luttes géopolitiques, économiques et commerciales qui accentuent le désordre mondial. Elles affaiblissent aussi ces forces démocratiques et du progrès en Afrique, qui luttent tantôt contre des régimes autoritaires tantôt contre des intérêts privés, lesquels s’accaparent les richesses et portent atteintes aux droits humains. Elles éteignent les voix citoyennes, en particulier de la jeunesse et des femmes, qui portent les aspirations à un monde plus juste et plus égalitaire. La dette est devenue en Afrique un fardeau insupportable, pour des peuples qui n’y ont souvent jamais consenti, et injuste au regard des sous-investissements dans les services publics, y compris ceux de la santé tellement indispensables aujourd’hui.
Aussi, nous réitérons avec force notre confiance en la force régulatrice d’un multilatéralisme rénové. Notre ambition vise notamment à défendre l’établissement à l’ONU d’un mécanisme de restructuration des dettes qui engloberait tous les prêteurs, publics et privés, afin de ne plus les soumettre aux règles du mercantilisme libéral mais à celles du bien-être humain et de la préservation de la planète.