Gulsen Yildirim, secrétaire nationale à la Justice
Pour ceux qui en doutaient encore, la crise sanitaire aura révélé l’indigence des moyens humains et matériels de la justice qui mettent à mal ses principes directeurs. Pourtant, le service public de la justice doit garantir, même (surtout) en période de crise, sa mission de régulation du corps social. Comme on le dit, c’est à la force de l’institution judiciaire que l’on mesure la qualité d’un État de droit démocratique.
Dès le 14 mars, le gouvernement a décidé de ne maintenir le fonctionnement de la justice que pour les seuls « contentieux essentiels ». Pour le reste, comme la ministre de la Justice l’a indiqué, les juridictions ont été « fermées ». Conséquence : des milliers d’affaires non prioritaires ont été renvoyées, alourdissant le stock déjà conséquent de dossiers non jugés après deux mois d’une grève massive des avocats contre la réforme des retraites. Or, en application de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial. D’ailleurs, dans sa dernière décision sur la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, le Conseil constitutionnel vient de rappeler, à juste titre, que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ».
De plus, en laissant chaque juridiction, en fonction de ses moyens, choisir les contentieux prioritaires, ceux pour lesquels les audiences pouvaient être maintenues, on a créé une justice régionalisée, créant de graves disparités et une rupture d’égalité sans précédent entre les citoyens.
Face à l’enjeu, au lieu de de fournir à tous, justiciables et acteurs de justice, les équipements de protection nécessaires au rétablissement d’un fonctionnement normal de la justice, la garde des Sceaux a fait le choix d’une justice dégradée. Elle a annoncé que « certaines dispositions prises avec l’état d’urgence sanitaire vont demeurer possibles, comme les visioconférences et les procédures sans audience » et les cours criminelles seront largement étendues « là où les cours d’assises sont les plus engorgées». L’urgence sanitaire et ses conséquences ne peuvent pas être un prétexte à l’accélération de la déshumanisation de la justice qui est cours depuis les dernières réformes portées par le gouvernement.
L’institution judiciaire ne peut se limiter à la gestion de stocks : le respect d’un droit à un procès équitable et digne nécessite, en principe, un débat oral, contradictoire et public, en présence des parties comparaissant physiquement devant leur juge.
Par conséquent, nous demandons un vrai plan de redressement de la justice - qui fixe les moyens et les objectifs - et élaboré en concertation avec tous les acteurs du monde judiciaire. De plus, face à la multiplication des risques d’état d’urgence, il devient indispensable de reconnaître la justice comme un service public vital à la nation, comme peuvent l’être la santé ou la sécurité, et ainsi assurer une continuité de service y compris en temps de crise.
C’est à ces conditions qu’une justice, garante des libertés individuelles et collectives et plaçant le citoyen au cœur des préoccupations, pourra être garantie.
- Vendredi 15 mai 2020